Texte intégral
La faisabilité financière des programmes d'infrastructures
« Monsieur le Président, Madame le Rapporteur, Mesdames, Messieurs les conseillers, l'énergie sous ses différentes formes - chaleur, carburants, électricité... - est un enjeu économique et social majeur. Enjeu économique, car l'énergie conditionne la compétitivité et l'existence même de nombreuses activités : l'industrie bien sûr, mais aussi les transports, l'agriculture ou la pêche. Enjeu social car dans nos pays développés comme dans les pays émergents, l'énergie est un bien de première nécessité pour se chauffer, s'éclairer, se déplacer et même communiquer. Permettez-moi d'ajouter un enjeu écologique, car le XXIe siècle sera marqué par la lutte contre le réchauffement climatique, inséparable de l'usage des énergies fossiles.
C'est d'abord parce que l'énergie, et notamment l'énergie nucléaire, est un enjeu économique, social et écologique important que j'ai souhaité que le projet de loi sur la gestion des matières et déchets radioactifs soit soumis à l'avis de votre Conseil. C'est aussi parce que, je le rappelle, votre Conseil doit désormais donner son avis sur toutes les lois de programme et que certains articles de notre projet en font justement une loi de programme.
Avant d'en venir à notre projet et à l'avis présenté au nom de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie par la rapporteure, Mme Duthilleul, je veux souligner les enjeux de la gestion des déchets radioactifs.
L'énergie nucléaire nous apporte une électricité à un prix compétitif ; elle réduit notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles importées ; elle crée des emplois et de la valeur en France ; elle n'émet pas de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. Elle offre des avantages importants, dont nous bénéficions tous. Mais, comme toute industrie, elle produit des déchets, qu'il convient de gérer avec la plus grande rigueur compte tenu de leur caractère radioactif.
Pour 85 % du volume de ces déchets, des solutions définitives existent déjà : ils sont stockés en surface sur des sites exploités par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, dans les départements de la Manche et de l'Aube. Les 15 % restant, qui concentrent 99,9 % de la radioactivité, sont entreposés de façon sûre dans des installations de surface à La Hague, Marcoule, et Cadarache, mais qui n'ont pas été conçues pour stocker définitivement ces déchets, dont la radioactivité peut durer pour certains des centaines de milliers d'années.
La question de la ou les solutions de gestion à long terme de ces déchets se pose d'ailleurs quelle que soit la place que le nucléaire pourra occuper à l'avenir dans notre politique de l'énergie : des déchets ont été produits depuis quarante ans ; ils sont là et il nous appartient de les gérer.
Pour définir des solutions de gestion à long terme des déchets de haute activité et à vie longue, ceux qui sont les plus nocifs, la loi du 30 décembre 1991, dite loi Bataille, a défini trois axes de recherche scientifique et fixé le cadre législatif dans lequel devaient se développer ces recherches. Elle a par ailleurs prévu qu'après quinze ans de recherches selon ces trois axes, un nouveau projet de loi serait présenté par le gouvernement au Parlement.
Le premier axe, relatif à la séparation et à la transmutation des éléments radioactifs à vie longue, devait permettre d'étudier la possibilité de réduire la nocivité des déchets, en séparant les éléments les plus toxiques et à vie longue et en les transformant en éléments radioactifs à durée de vie plus courte. Le second était relatif aux possibilités de stockage des déchets en couche géologique profonde. Le troisième concernait l'étude de procédés de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface des déchets. Ces recherches ont apporté des résultats très significatifs. Ils permettent aux générations présentes de dégager aujourd'hui des solutions de long terme pour ces déchets issus d'une industrie dont elles bénéficient, sans céder à la tentation de remettre à plus tard l'heure des choix nécessaires.
J'en viens maintenant à la préparation du projet de loi. Peu de projets de loi auront fait l'objet d'une telle préparation, comme l'a rappelé Mme Duthilleul : quinze ans de recherche, des évaluations indépendantes, un débat organisé par la Commission nationale du débat public et aujourd'hui un avis de votre Conseil.
Pour la préparation, le gouvernement s'est d'abord fondé sur les résultats des recherches réalisées et les évaluations indépendantes qui en ont été faites par des experts français et étrangers. Elles ont donné lieu à plusieurs rapports très complets : les rapports remis le 30 juin dernier par les établissements concernés, le commissariat à l'énergie atomique et l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs ; les travaux de la commission nationale d'évaluation instituée par la loi de 1991, les évaluations internationales menées au second semestre 2005 sous l'égide de l'OCDE ; enfin l'avis rendu par l'autorité de sûreté nucléaire. Le gouvernement s'est aussi largement appuyé sur le rapport établi par les députés Claude Birraux et Christian Bataille, et adopté par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en mars 2005, rapport qui marquait l'aboutissement de l'implication continue de l'Office tout au long des quinze années de recherche.
Le gouvernement a aussi pris en compte la synthèse du débat que la Commission nationale du débat public a accepté d'organiser et qui s'est déroulé, de façon remarquable, dans toute la France du 12 septembre 2005 au 13 janvier 2006. Il n'avait pas vocation à être conclusif, mais à éclairer les choix du gouvernement et à permettre à nos concitoyens qui le souhaitaient de s'informer sur ce sujet et d'exprimer leurs opinions et attentes, afin de faire un tour de tous les arguments.
En ce moment, l'avant-projet de loi est soumis au Conseil d'État en même temps qu'à votre assemblée. Je le présenterai au Conseil des ministres le 22 mars avant qu'il ne soit envoyé à l'Assemblée nationale puis au Sénat. Notre but est qu'il soit voté avant la fin de l'été 2006, comme l'a voulu le Président de la République dans ses voeux aux forces vives de la nation.
Sur ce sujet de très long terme, emblématique des débats entre science et société, nous avons voulu donner du temps à la réflexion et à la discussion. Mais au final, il faut aussi savoir décider et c'est l'objet du projet de loi que nous présenterons au Parlement.
J'en viens aux objectifs et au contenu du projet de loi lui-même et, aux recommandations que la section des activités productives, de la recherche et de la technologie a émises. La section a mené une analyse très approfondie de ce texte. Toutes les parties prenantes ont été auditionnées dans un laps de temps très court : non seulement l'administration mais aussi les établissements de recherche, les associations de protection de l'environnement, la commission du débat public?
Je veux remercier la section, et en particulier la rapporteure Mme Duthilleul, pour la qualité de l'analyse qui a été menée dans un temps aussi court. Votre avis nous sera très précieux dans le travail qui nous reste à faire sur ce texte jusqu'à son vote au Parlement.
Je ne détaillerai pas toutes les dispositions prévues dans le projet de loi ni ne réagirai à toutes les recommandations de la section. Je me concentrerai plutôt sur les grands objectifs du texte et sur quelques recommandations de la section dans lesquelles je me retrouve largement.
Le premier objectif, sans doute le plus important, c'est de bâtir une politique nationale de gestion des matières et des déchets radioactifs, pour avoir pour chacun une réponse appropriée. Elle visera d'une part à organiser les recherches et études nécessaires pour disposer des meilleures connaissances scientifiques et technologiques, d'autre part à organiser la gestion industrielle des matières et des déchets radioactifs dans les meilleures conditions de sûreté et d'efficacité. Il s'agit d'avancer dans la définition des solutions de gestion, car nous n'avons pas le droit de reporter sur les générations suivantes la charge de ce choix, mais d'avancer de façon contrôlée, au plan technique et au plan politique.
Notre projet de loi montre que les trois axes ne sont pas alternatifs mais qu'ils sont complémentaires, qu'ils ne s'appliquent pas aux mêmes types de déchets mais que chacun à son utilité. Il fixe un calendrier de mise en oeuvre des différents axes avec des étapes et des conditions pour les franchir.
La transmutation, premier axe, permettra, avec de nouveaux réacteurs, d'aller plus loin dans le traitement et le recyclage des combustibles usés, mais elle ne se suffit pas à elle-même car il y a toujours des déchets qui ne peuvent pas être recyclés. L'entreposage en surface, troisième axe, permettra de conserver le temps nécessaire les matières en attente de stockage. De fait, il existe déjà des entreposages et de nouveaux entreposages devront être construits dans les années à venir ; ce sont des installations sûres, mais même s'ils duraient 100 ou 300 ans, ils ne pourraient pas garder définitivement ces déchets dont la radioactivité décroîtra sur des centaines de milliers d'années.
Le deuxième axe, le stockage réversible en couche géologique profonde, dont la faisabilité a été démontrée par l'ANDRA et confirmée par les évaluations indépendantes, apparaît comme une solution sûre et pérenne. Mais une dizaine d'années d'études et une dizaine d'années de construction sont encore nécessaires pour que cette solution de référence devienne une solution effective, pour qu'une demande de création d'un stockage sur un site précis soit déposée et éventuellement acceptée, puis qu'un tel centre soit creusé puis mis en exploitation. La section l'a très bien compris, en encourageant la poursuite des recherches sur toute la période nécessaire.
Toujours au titre de la politique nationale, le projet de loi consacre l'intérêt du traitement des matières radioactives, mais interdira le stockage en France des déchets étrangers issus de ce traitement. J'ai bien noté les recommandations de la section sur ce thème. J'ai aussi noté ses recommandations à propos des déchets graphites et radifères ; ils devront assurément être ajoutés au texte au cours de l'examen parlementaire.
Le second objectif de la loi est d'améliorer l'évaluation scientifique des recherches et l'information du public sur ce sujet délicat. Notre démarche complète, pour les déchets, ce qui est inscrit dans la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire sur l'accès du public aux informations relatives à la sûreté nucléaire, ou encore sur le contrôle de la sûreté par une autorité administrative indépendante. La commission nationale d'évaluation qui avait été créée par la loi de 1991 sera reconduite, mais sa composition sera diversifiée, ses pouvoirs étendus, son organisation et son financement confortés. La commission locale d'information auprès du laboratoire de Bure sera également maintenue, mais ses missions seront mieux définies et plus orientées vers l'information de la population. Sa présidence sera confiée au président de conseil général. Sur le point, je veux rassurer la section, il y aura aussi une CLI auprès des entreposages et des stockages, qu'ils soient en surface ou en profondeur, comme auprès de toute installation nucléaire de base ; cela est inscrit dans le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui a été examinée au Sénat il y a une semaine et qui sera présentée très prochainement à l'Assemblée.
Le troisième objectif de la loi est de donner un cadre aux installations de gestion des déchets. Pour les usines et réacteurs nécessaires à l'axe 1 et pour les installations entreposages prévus à l'axe 3, il y en a déjà un, mais pas pour un stockage en couche géologique profonde. Il s'agit donc de dire selon quelle procédure et à quelle condition un tel stockage peut être autorisé. Cela inclura un volet national, mais aussi un volet local, avec un débat et une enquête publics, ainsi que l'avis des collectivités territoriales concernées. Il s'agit aussi d'imposer une exigence de réversibilité à un tel centre ; la réversibilité permettra de laisser aux générations futures, pendant une durée certes limitée mais suffisamment longue, la liberté de décision quant à leur choix de gestion, et notamment de fermeture, en tenant compte du retour d'expérience qui sera issu de l'exploitation et de la surveillance du centre de stockage. La durée peut encore être précisée, ainsi que la section le suggère, mais l'objectif est clair : la réversibilité doit durer le temps nécessaire pour que la solution du stockage géologique soit éprouvée par des années d'exploitation et de surveillance. Mais il faut aussi être transparent : la réversibilité ne peut pas être assurée sans limite de durée. Les évaluateurs indépendants nous l'ont rappelé.
Le quatrième objectif est d'améliorer l'accompagnement économique des territoires qui accueillent ces installations. Cet accompagnement avait été prévu par la loi de 1991 afin de marquer la reconnaissance de la nation pour les territoires participant aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue. Les deux départements de Meuse et Haute-Marne reçoivent ainsi près de dix millions d'euros par an chacun. Le projet de loi proposera d'une part d'assurer plus de transparence dans le financement de ces mesures avec l'affectation d'une taxe payée par les producteurs de déchets, d'autre part d'organiser cet accompagnement autour de projets de territoire impliquant plus directement les producteurs de déchets. Le thème des nouvelles technologies de l'énergie, qu'il s'agisse de maîtrise de la demande d'énergie ou de production d'énergies renouvelables pour les carburants, la chaleur et l'électricité est évoqué, sans exclusive. Il me semble que cela correspond parfaitement au souci de diversification exprimé par la section. Le montant de la taxe devra être ajusté à l'intérieur d'une fourchette, en fonction notamment de l'implication directe des industriels du nucléaire. L'avant-projet de loi prévoit une fourchette allant de zéro à vingt millions d'euros par an et par département, pour un laboratoire ou un centre de stockage, l'implication directe des industriels venant s'ajouter à ces montants.
Le cinquième et dernier grand objectif de la loi est de mieux organiser la relation entre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les producteurs de déchets, et d'assurer en particulier le financement de la gestion à long terme des déchets. Il faut financer les recherches et études qui se poursuivront encore quelques années pour le stockage, plus pour la transmutation. Il faut financer aussi la construction et l'exploitation des installations de gestion des déchets. La loi impose que les fonds nécessaires soient constitués par les exploitants d'installations nucléaires et qu'ils soient gérés avec le niveau de sécurité et de liquidité adaptés. Nous prévoyons un mécanisme qui sécurise ces fonds sans pour autant transférer la responsabilité financière de la gestion des déchets à l'État : la nationalisation des déchets radioactifs n'est pas à l'ordre du jour.
Là encore, je veux rassurer la section sur deux points. Premier point : il est prévu, à l'article 12 du projet, que l'ANDRA contribuera à l'évaluation des coûts du stockage ; ces données pourront naturellement être utilisées par les producteurs de déchets pour évaluer leurs charges de long terme et ceux-ci ne sont donc pas dans l'insécurité, bien au contraire. Deuxième point : les déchets issus des installations directement exploitées par l'État, en pratique pour des besoins de défense, ne sont pas dispensés du I de l'article de 14, mais seulement des alinéas suivants. Ainsi les charges de gestion de ces déchets seront évalués par l'État et celui-ci financera bien leur gestion au même titre que les autres producteurs de déchets. Toutefois, il n'est pas nécessaire et il n'a pas paru opportun que l'État constitue des actifs dédiés à cet effet, compte tenu de la garantie de financement dont il dispose en même que du pouvoir de lever l'impôt.
Mesdames, Messieurs, tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre attention avant que vous ne délibériez. Je vous remercie de votre attention et je remercie à nouveau la section et sa rapporteure de la qualité de l'examen réalisé qui, j'en suis persuadé, enrichira notre travail législatif ». source http://www.ces.fr, le 21 mars 2006