Texte intégral
Marianne : Comment jugez-vous la manière dont le Premier ministre gère l'opposition au CPE ?
Hervé Morin : Dominique de Villepin excelle dans la forme. Reconnaissons-lui au moins une vraie présence physique soulignée par une apparente détermination. Mais, sur le fond, je le trouve patouilleux et surtout bourré de contradictions. En fait, chacune de ses interventions, loin de calmer les esprits, attise les mécontentements. Si j'étais étudiant, je sortirais à chaque fois renforcé dans ma détermination de lutter contre cette mesure inique. Le CPE porte en lui-même la stigmatisation de la jeunesse ; ce qui est insupportable.
Marianne : Vous parlez de contradictions, quelles sont-elles ?
H.M. : Elles résident, d'abord , dans le CPE en lui-même. Qu'est-ce que ce contrat si ce n'est un CNE pour les entreprises de plus de 20 salariés ? Très franchement, si l'on estime que les rigidités du droit du travail sont un frein à l' embauche, il était plus sage d'attendre que l' on expérimente le CNE, qu'un collège d' experts juge les résultats obtenus, avant d' étendre éventuellement ce contrat aux entreprises de plus de 20 salariés. Les contradictions, on les trouve également dans la manière bâclée de vouloir pallier les déficiences du CPE sans pour autant toucher à la question majeure : le licenciement sans justification qui est contraire, je le rappelle, aux conventions internationales que la France a signées. Contradiction enfin dans la démarche même du Premier ministre qui ne veut pas faire de cette crise une question de personne et qui persiste dans un exercice très personnel. Et pourquoi ne pas reconnaître son erreur ? Je crois, au passage, que les politiques se grandiraient s'ils étaient en mesure de reconnaître qu'ils peuvent se tromper comme tous les citoyens. Est-il raisonnable de vouloir toujours avoir raison ? Soyons franc : tout cela sent malheureusement l'improvisation. Cette affaire participait à la course à l'échalote pour l' élection présidentielle, et cela tourne mal...
Marianne : Est-ce que cette impréparation n'a pas définitivement discrédité toute idée de rupture ?
H.M.: Ce qui est sûr, c'est que Dominique de Villepin a échoué en voulant apparaître comme le réformiste en chef et damer ainsi le pion à Nicolas Sarkozy. Est-ce que la rupture pour autant se trouve délégitimée ? Tout dépend de ce que vous entendez par ce mot. Si la rupture, c'est un discours qui dans ses soutes cache une marchandise néolibérale, ce navire-là vient d'échouer à prendre le large et il sera impossible de porter ce message au cours de la présidentielle. Mais est-ce bien cette rupture-là que les Français veulent ? Je crois, plutôt, que nos concitoyens attendent une véritable révolution dans l'approche de la politique. Ils sont écoeurés, fatigués par les promesses non tenues qui accentuent les fractures sociales, économiques, culturelles et politiques. Ils aspirent à une démarche vertueuse - j'emploie ce mot à dessein - à une vraie sincérité dans l'exercice du pouvoir. Dans un pays où l'Etat a une place aussi grande - on peut le déplorer ou s'en féliciter, mais pas le nier-, il est important que ceux qui se réclament de lui aient une démarche exemplaire. C'est cette rupture-là qu'à l'UDF nous voulons incarner, qui mêle le souci de l'éthique, le sens de la responsabilité et le respect de la démocratie.
Marianne : Que répondez-vous à ceux qui défendent le CPE en mettant en avant la nécessité de tout essayer pour combattre le chômage des jeunes ?
H.M. : Encore une fois, de quoi parle-on? Pour justifier l'urgence de la mesure, on nous a fait croire que le chômage touche 25 % des jeunes qui sont sur le marché de l' emploi alors qu'il ne concerne en réalité que 9 % d' entre eux au sein de la population active. Le chiffre n'est pas négligeable. Mais il montre que le premier problème est constitué par les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans aucune qualifiation. C'est sur eux qu'il faut faire porter l' effort. C'est donc d' abord l'affaire de l'Education nationale. Ensuite, c'est ce que font certains pays de l'Union européenne par des mesures simples. Ainsi, en Autriche, c'est l'Etat qui prend à sa charge le salaire de ces jeunes, pendant leur première année en entreprise, en échange de leur formation. Car c'est la formation qu'il faut développer chez les jeunes et non la précarité. Pour le reste, la question du chômage des jeunes, c'est la problématique générale du chômage qui frappe le pays depuis vingt-cinq ans.
Arrêtons avec ces contrats multiples et variés. Sait-on au moins combien il y en a : pas moins de 13 dans la loi de cohésion sociale. Aucun chef d'entreprise ne peut s'y retrouver. J'ai rencontré dernièrement des responsables d'associations d'insertion et eux-mêmes n'arrivaient pas à se repérer dans ce maquis juridique. Il faut un CDI à droits progressifs. Ce dont on a besoin, c'est de stabilité, de sécurité et de simplicité. Quand on nous propose après les manifestations de modifier à nouveau le CPE, voire de le laisser passer puis de voter une loi qui le corrige, je dis que l'on est vraiment en train d'être gagné par le non-sens.
Marianne : Cette crise n'accentue-t-elle pas le fossé entre la jeunesse et les politiques ?
H.M. : Etre jeune, aujourd'hui, dans la société française, c'est avoir une vie plus facile que celle de nos grands-parents. Cette constatation opérée, on ne peut pas gommer pour autant le fait que nous sommes aussi dans une société qui estime que le futur n'est pas synonyme de progrès. Non seulement certains jeunes ne trouvent pas de place dans le monde du travail, mais, en plus, ils évoluent dans une société de défiance où l'autre est perçu comme une menace. Même pour l'amour ! Dur à vivre... Nous sommes dans l'Union européenne le pays démographiquement le plus dynamique, cependant nous sommes celui qui apparaît comme le plus sclérosé. Comment expliquer ce paradoxe ? Je crois que le système politique actuel a une large part de responsabilité dans cette faillite. Regardez la plupart de nos dirigeants. Ils sont apparus dans les années 70. Il n'est pas étonnant que leur horloge politique se soit arrêtée à cette époque. Là où la France est encore solide, elle le doit à des décisions prises durant cette époque. Résultat, c'est le triomphe du vintage en économie, en social, en culture. Si l'on ajoute à cela que, depuis trente ans, on refuse de tenir un langage de vérité à nos concitoyens, faut-il encore s'étonner de notre incapacité à nous projeter dans l'avenir ? Source http://www.udf.org, le 21 mars 2006
Hervé Morin : Dominique de Villepin excelle dans la forme. Reconnaissons-lui au moins une vraie présence physique soulignée par une apparente détermination. Mais, sur le fond, je le trouve patouilleux et surtout bourré de contradictions. En fait, chacune de ses interventions, loin de calmer les esprits, attise les mécontentements. Si j'étais étudiant, je sortirais à chaque fois renforcé dans ma détermination de lutter contre cette mesure inique. Le CPE porte en lui-même la stigmatisation de la jeunesse ; ce qui est insupportable.
Marianne : Vous parlez de contradictions, quelles sont-elles ?
H.M. : Elles résident, d'abord , dans le CPE en lui-même. Qu'est-ce que ce contrat si ce n'est un CNE pour les entreprises de plus de 20 salariés ? Très franchement, si l'on estime que les rigidités du droit du travail sont un frein à l' embauche, il était plus sage d'attendre que l' on expérimente le CNE, qu'un collège d' experts juge les résultats obtenus, avant d' étendre éventuellement ce contrat aux entreprises de plus de 20 salariés. Les contradictions, on les trouve également dans la manière bâclée de vouloir pallier les déficiences du CPE sans pour autant toucher à la question majeure : le licenciement sans justification qui est contraire, je le rappelle, aux conventions internationales que la France a signées. Contradiction enfin dans la démarche même du Premier ministre qui ne veut pas faire de cette crise une question de personne et qui persiste dans un exercice très personnel. Et pourquoi ne pas reconnaître son erreur ? Je crois, au passage, que les politiques se grandiraient s'ils étaient en mesure de reconnaître qu'ils peuvent se tromper comme tous les citoyens. Est-il raisonnable de vouloir toujours avoir raison ? Soyons franc : tout cela sent malheureusement l'improvisation. Cette affaire participait à la course à l'échalote pour l' élection présidentielle, et cela tourne mal...
Marianne : Est-ce que cette impréparation n'a pas définitivement discrédité toute idée de rupture ?
H.M.: Ce qui est sûr, c'est que Dominique de Villepin a échoué en voulant apparaître comme le réformiste en chef et damer ainsi le pion à Nicolas Sarkozy. Est-ce que la rupture pour autant se trouve délégitimée ? Tout dépend de ce que vous entendez par ce mot. Si la rupture, c'est un discours qui dans ses soutes cache une marchandise néolibérale, ce navire-là vient d'échouer à prendre le large et il sera impossible de porter ce message au cours de la présidentielle. Mais est-ce bien cette rupture-là que les Français veulent ? Je crois, plutôt, que nos concitoyens attendent une véritable révolution dans l'approche de la politique. Ils sont écoeurés, fatigués par les promesses non tenues qui accentuent les fractures sociales, économiques, culturelles et politiques. Ils aspirent à une démarche vertueuse - j'emploie ce mot à dessein - à une vraie sincérité dans l'exercice du pouvoir. Dans un pays où l'Etat a une place aussi grande - on peut le déplorer ou s'en féliciter, mais pas le nier-, il est important que ceux qui se réclament de lui aient une démarche exemplaire. C'est cette rupture-là qu'à l'UDF nous voulons incarner, qui mêle le souci de l'éthique, le sens de la responsabilité et le respect de la démocratie.
Marianne : Que répondez-vous à ceux qui défendent le CPE en mettant en avant la nécessité de tout essayer pour combattre le chômage des jeunes ?
H.M. : Encore une fois, de quoi parle-on? Pour justifier l'urgence de la mesure, on nous a fait croire que le chômage touche 25 % des jeunes qui sont sur le marché de l' emploi alors qu'il ne concerne en réalité que 9 % d' entre eux au sein de la population active. Le chiffre n'est pas négligeable. Mais il montre que le premier problème est constitué par les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans aucune qualifiation. C'est sur eux qu'il faut faire porter l' effort. C'est donc d' abord l'affaire de l'Education nationale. Ensuite, c'est ce que font certains pays de l'Union européenne par des mesures simples. Ainsi, en Autriche, c'est l'Etat qui prend à sa charge le salaire de ces jeunes, pendant leur première année en entreprise, en échange de leur formation. Car c'est la formation qu'il faut développer chez les jeunes et non la précarité. Pour le reste, la question du chômage des jeunes, c'est la problématique générale du chômage qui frappe le pays depuis vingt-cinq ans.
Arrêtons avec ces contrats multiples et variés. Sait-on au moins combien il y en a : pas moins de 13 dans la loi de cohésion sociale. Aucun chef d'entreprise ne peut s'y retrouver. J'ai rencontré dernièrement des responsables d'associations d'insertion et eux-mêmes n'arrivaient pas à se repérer dans ce maquis juridique. Il faut un CDI à droits progressifs. Ce dont on a besoin, c'est de stabilité, de sécurité et de simplicité. Quand on nous propose après les manifestations de modifier à nouveau le CPE, voire de le laisser passer puis de voter une loi qui le corrige, je dis que l'on est vraiment en train d'être gagné par le non-sens.
Marianne : Cette crise n'accentue-t-elle pas le fossé entre la jeunesse et les politiques ?
H.M. : Etre jeune, aujourd'hui, dans la société française, c'est avoir une vie plus facile que celle de nos grands-parents. Cette constatation opérée, on ne peut pas gommer pour autant le fait que nous sommes aussi dans une société qui estime que le futur n'est pas synonyme de progrès. Non seulement certains jeunes ne trouvent pas de place dans le monde du travail, mais, en plus, ils évoluent dans une société de défiance où l'autre est perçu comme une menace. Même pour l'amour ! Dur à vivre... Nous sommes dans l'Union européenne le pays démographiquement le plus dynamique, cependant nous sommes celui qui apparaît comme le plus sclérosé. Comment expliquer ce paradoxe ? Je crois que le système politique actuel a une large part de responsabilité dans cette faillite. Regardez la plupart de nos dirigeants. Ils sont apparus dans les années 70. Il n'est pas étonnant que leur horloge politique se soit arrêtée à cette époque. Là où la France est encore solide, elle le doit à des décisions prises durant cette époque. Résultat, c'est le triomphe du vintage en économie, en social, en culture. Si l'on ajoute à cela que, depuis trente ans, on refuse de tenir un langage de vérité à nos concitoyens, faut-il encore s'étonner de notre incapacité à nous projeter dans l'avenir ? Source http://www.udf.org, le 21 mars 2006