Interview de M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'Aménagement du territoire, à La Chaîne Info LCI le 24 avril 2006, sur les relations entre le gouvernement et la majorité, la montée de Ségolène Royal dans les sondages et le projet de loi sur l'"immigration choisie".

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

P.-L. Séguillon - Hier soir, sur notre antenne, dans le cadre du Grand Jury, J.-L. Debré, une nouvelle fois, s'en est pris à N. Sarkozy, en lui reprochant de critiquer le Gouvernement, "ce qui n'est pas sain, a-t-il dit, et qui rappelle les pratiques de la IVème ou de la IIIème République". Que lui répondez-vous ?
R - J'ai connu J.-L. Debré plus offensif qu'hier. J'ai vu que, sur le fond, il était d'accord, notamment sur le texte de loi sur l'immigration que proposera N. Sarkozy ; peut-être pas sur l'expression. Mais N. Sarkozy a un mérite, c'est de dire ce qu'il pense avec des mots justes, des mots vrais, des mots compris, et surtout, exprimés par tous les Français.
Q - Vous trouvez que J.-L. Debré perd de sa verve à l'encontre de N. Sarkozy ?
R - Ce qui compte, c'est d'être en phase avec les Françaises et les Français, et N. Sarkozy, de toute évidence, l'est. Alors, quand on cherche à contourner les mots, les phrases, on finit par être incompris par les Français. Nicolas a ce mérite, c'est qu'il est totalement en phase avec les Français et ce qu'ils attendent de sa part.
Q - Avez-vous le sentiment aujourd'hui que le Premier ministre est à ce point peu en phase avec les Français, puisque le dernier sondage, celui publié par Le Journal du Dimanche, il a 24 % d'opinions satisfaites ? Ce Premier ministre peut-il encore gouverner et réformer dans l'année qui vient ?
R - Aujourd'hui, il y a une unité du Gouvernement, nous sommes tous solidaires, nous l'avons été dans la crise du CPE. Nous avons été solidaires parce que c'était une exigence au moment où un navire tangue, ce n'est pas là qu'il faut avoir une attitude contraire. Nous l'étions, parce que c'était un vrai projet pour lutter contre la précarité de l'emploi des jeunes, mais il y avait une incompréhension réelle. Nous étions solidaires, et en même temps, lucides. Aujourd'hui, ce ne sont pas les sondages qui doivent influer notre comportement, mais plus que jamais, au contraire, cela doit nous guider à renforcer cette unité gouvernementale autour du Premier ministre.
Q - Vous dites que ce ne sont pas les sondages qui doivent influer [votre] comportement, néanmoins, quand on a 24 % d'opinions de satisfaction, a-t-on l'assise populaire suffisante pour rendre cette année utile ?
R - Je pense que plus que jamais, cette situation doit nous conduire à aller vers une année de réformes. Et d'ailleurs, dès la semaine prochaine, avec le grand texte sur l'immigration et puis, dans ce prolongement, un texte sur la prévention de la délinquance des mineurs, et puis dans ce prolongement, la loi sur l'eau, et puis dans ce prolongement, une réforme sur la fonction publique territoriale et le statut de nos fonctionnaires, et puis dans ce prolongement d'autres textes pour moderniser le dialogue social. Ce sera une année utile et je ne doute pas un seul instant que les courbes des sondages en faveur du Premier ministre et du Gouvernement, s'inverseront.
Q - Au fond, vous avez très peur - quand je dis "vous", N. Sarkozy et ses amis -, d'une éventuelle démission de D. de Villepin, qui poserait un problème terrible pour N. Sarkozy : ira-t-il ou non à Matignon ?
R - Mais pourquoi aurions-nous peur ? Au contraire, nous considérons que cette année 2006 est une année-clé, parce que c'est la grande année de préparation de l'échéance de 2007. C'est vrai qu'au bout de quatre ans, arriver après une élection où le président de la République l'a emporté à 82 % face à J.-M. Le Pen au deuxième tour, c'était une législature qui n'était pas évidente, c'est une responsabilité qui est lourde pour le Premier ministre, et en même temps, c'est une responsabilité qui est lourde pour le président de l'UMP, parce qu'il doit proposer un projet rénovateur, rassembleur, qui apporte aussi une promesse de changement et de réforme à la France.
Q - Avez-vous peur de S. Royal, dont les derniers sondages expliquent qu'elle ferait au deuxième tour, 53 % contre N. Sarkozy, à 47 % ?
R - Je suis surtout satisfait des excellents sondages de N. Sarkozy, qui se maintient depuis quatre ans avec un socle particulièrement solide...
Q - Mais est-ce que S. Royal est un phénomène que vous prenez au sérieux, et qui vous fait-il peur ?
R - D'abord, nous n'avons peur de personne ; c'est au Parti socialiste qu'il appartiendra de nous choisir son candidat. Je voyais sur le plateau de TF1, hier soir, monsieur Lang annoncer sa candidature ; nous voyons que la bataille fait rage au sein du Parti socialiste pour déterminer quel sera celui ou celle qui portera leurs couleurs. Si c'est S. Royal, c'est tant mieux parce que S. Royal-N. Sarkozy, c'est de la fraîcheur, c'est de l'oxygène, c'est du renouveau dans la vie politique française. Et puis, comme quelque part, S. Royal, c'est la représentante malgré tout du parti conservateur, là où N. Sarkozy est porteur d'un projet de réforme, je ne doute pas un seul instant de l'issue et du succès de N. Sarkozy.
Q - Avez-vous trouvé rafraîchissants les propos de N. Sarkozy, hier - ou avant-hier, plus exactement - à propos de la loi sur l'immigration, quand il dit : "Si certains n'aiment pas la France qu'ils ne se gênent pas pour la quitter !". Ce qui fait dire à F. Hollande : "N. Sarkozy parle comme P. de Villiers, P. de Villiers parle comme J.- M. Le Pen".
R - Quand on est contre la place de la femme dans notre société, contre la laïcité, faut-il dire à ces gens-là : "nous vous supplions de rester chez nous" ou, au contraire, devons-nous considérer que la France n'est pas une terre en jachère, qu'elle a des règles, qu'elle a des traditions, qu'elle a une histoire, qu'elle a des lois, et qu'il appartient à chacun de les respecter ? C'est tout simplement ce que N. Sarkozy a voulu dire, en s'exprimant comme tous les Français qui pensent exactement la même chose.
Q - Vous trouvez que la formule est heureuse, elle n'est pas trop provocatrice ?
R - Je trouve qu'elle est parfaitement en phase avec ce que ressentent les Français qui, quelque part, sont exaspérés de voir qu'on vient dans notre pays, en ne respectant pas nos règles, nos droits, nos devoirs. Quelque part, il faut dire à ceux-là : "si vous ne vous plaisez pas dans notre pays, vous n'avez aucune raison de vous accrocher à tout ce que peut vous offrir et vous proposer notre pays, en termes d'accueil, de dignité et de respect".
Q - Le fait que N. Sarkozy dise vouloir séduire les électeurs du Front national, quand il tient des propos de ce type, n'est-ce pas trop évidemment racoleur ?
R - Cela n'est pas nouveau. Il y a eu la première loi Sarkozy en 2002 sur l'immigration...
Q - Il y en a eu trois, on arrive à la troisième...
R - ...Il y a eu ensuite, en 2003, celle sur le droit d'asile ; c'est la troisième. On dirait qu'à un an des échéances, on découvre que N. Sarkozy se prenne... [inaud].
Q - Mais par rapport aux deux premières lois ?
R - Mais on a déjà beaucoup progressé !
Q - J'entends bien, mais par rapport aux deux premières lois ?
R - Sous M. Jospin, c'était 10.000 clandestins raccompagnés par an. Aujourd'hui, sous l'autorité de N. Sarkozy, c'est près de 25.000 clandestins raccompagnés par an. Et puis, il faut ajouter de nouvelles règles, notamment en matière de regroupement familial.
Q - Précisément, l'esprit de cette loi, est-ce davantage une loi sur l'immigration choisie plutôt que l'immigration subie ? Ou, au contraire, derrière ce paravent, est-ce le durcissement de toutes les règles de régularisation ?
R - Mais l'immigration subie est une folie, c'est une fausse générosité. Alors que l'immigration choisie, c'est de la générosité par le respect et la dignité que nous accorderons aux étrangers qui viennent ici pour participer à l'activité économique et sociale de notre pays. On ne peut pas être la dernière démocratie au monde...
Q - Etes-vous inquiet des réserves, voire des critiques, que formulent les différentes Eglises, catholique, orthodoxe, protestante, voire, également, le recteur de la mosquée de Lyon, sur cette loi sur l'immigration ?
R - Mais nous voulons être compris, entendus par tous. C'est pour cela que N. Sarkozy a ouvert un débat avec l'Eglise de France et se propose d'apporter des réponses précises à leurs inquiétudes.
Q - C'est-à-dire, des amendements possibles ?
R - Oui, dans le domaine du délai de recours juridictionnel, c'est une de leurs préoccupations. Par exemple, ne pas expulser une femme qui serait l'objet de violences conjugales, et d'autres dispositions encore. Nous aurons des avancées importantes dans ce texte, nous voulons que ce soit un texte d'équilibre. Mais sincèrement, serait-il normal que nous poursuivions des politiques de regroupement familial, ou lorsque, un étranger installé chez nous puisse accueillir tout le monde, toute sa famille, sans garantir qu'avec son revenu et la capacité de son logement, il puisse les recevoir dignement ?
Q - En trois chiffres - pardonnez-moi de vous interrompre -, puisque vous êtes aussi le ministre de l'Aménagement du territoire, les pôles de compétitivité, cela veut dire, combien de pôles aujourd'hui ? Quel est le financement et combien d'emplois créés ?
R - Soixante-sept pôles de compétitivité. Nous venons de passer un premier appel d'offres pour 320 millions d'euros pour labelliser 72 projets, dont de nouveaux vaccins, un nouvel appareillage de lutte contre le cancer du sein de la femme...
Q - Le financement ?
R - ...Beaucoup plus important. Nous lançons un deuxième appel à projets pour 70 millions d'euros, ce sera près de 40.000 emplois créés, plus les pôles d'excellence rurale, dont j'ouvrirai la sélection au mois de juin prochain, et qui sont une promesse en ruralité de France pour la création de près de 10.000 emplois.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 24 avril 2006