Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 26 avril 2006, sur le soutien de la diplomatie française et l'accompagnement des entreprises françaises à l'exportation.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - La diplomatie française veut se mettre à l'heure de la mondialisation et aider les entreprises de notre pays à mieux performer à l'exportation notamment. Vous avez demandé, Monsieur Douste-Blazy, à 400 représentants d'entreprises françaises de vous rejoindre sous les lambris du quai d'Orsay. Quel est le but de cette initiative un peu surprenante ?
R - Faire gagner la France, c'est faire gagner la France à l'étranger. On ne peut pas avoir toujours le mot "mondialisation" à la bouche et ne pas comprendre que nous devons aider les entreprises françaises. C'est même notre devoir d'aider ces entreprises qui font la croissance car, s'il n'y a pas d'entreprise, il n'y a pas de croissance ni d'emplois. Il faut en effet les aider, non seulement les grandes, mais aussi les petites et les moyennes, à conquérir des marchés à l'étranger.
Nous avons le deuxième réseau diplomatique au monde, il y a des ambassadeurs et des consuls dans tous les pays et donc, nous devons les aider. Et cela veut dire aussi que le Quai d'Orsay doit aussi faire sa révolution avec le devoir de réfléchir à l'avenir.

Q - Que vous ont-elle dit ces entreprises que vous avez rencontrées ? Ont-ils réellement besoin de la diplomatie, de la mission économique française pour exporter et se développer mieux ?
R - Lorsque vous allez dans un pays, soit vous représentez EADS et, dans ce cas de figure, vous connaissez rapidement, à la fois l'ambassadeur, le ministre de l'Economie, le Premier ministre et parfois le chef de l'Etat, ou bien alors, vous êtes une petite ou moyenne entreprise française, vous avez un peu peur de l'international, vous arrivez dans un pays émergent dont on ne sait pas vraiment s'il va continuer de se développer ou non, et c'est le rôle d'un ambassadeur, dans ce cas-là, de vous indiquer les risques politiques, sociaux et environnementaux.

Q - Vous appartenez à un gouvernement qui tente de réformer le pays. Pourtant, on a l'impression que la diplomatie française, pour ceux qui la voient de l'extérieur, c'est mon cas, ne s'est jamais réformée. Pour nous, la diplomatie française, c'est celle des petits fours et des petits chocolats que l'on vous sert durant les soirées.
R - Vous êtes, je pense, très dur avec l'un des corps qui sert l'Etat peut-être de la manière la plus rigoureuse, la plus loyale. Aujourd'hui, une diplomatie, c'est capital ; le monde est devenu de plus en plus dangereux et il n'y a pas que l'économie.
Lorsque vous parlez de l'Iran, du Liban, des Territoires palestiniens et d'Israël, ce n'est pas obligatoirement un problème économique, c'est aussi la difficulté de mesurer quels sont les risques du monde aujourd'hui. Le président de la République est, justement, l'une des grandes figures dans le monde qui défend un certain nombre de valeurs, celles qui sont les valeurs de la France.
C'est cela la diplomatie et cela ne veut pas dire que tout se passe autour des petits fours, ce sont des choses très sérieuses et cela ne veut pas dire non plus qu'il ne faut pas s'occuper de l'économie.

Q - Justement, l'initiative que vous prenez, tenter en effet que la diplomatie pousse l'économie française à l'étranger, le côté "business", avec la parole et l'image de la France que vous portez, vous, en tant que ministre des Affaires étrangères, cela ne risque-t-il pas d'engendrer un télescopage ?
R - Il n'y a rien de mieux que les choses concrètes. Il y a un mois et demi, j'étais en Turquie.

Q - Et vous étiez accompagné de chefs d'entreprises français ?
R - Qui fera le tunnel sous le Bosphore ? Est-ce la SNCF ? Je peux déjà vous dire que les choses avancent bien car nous avons pu rencontrer le Premier ministre.

Q - Mais, ne sommes-nous pas en retard ?
R - Je crois que l'on ne peut pas faire mieux que le président de la République actuel pour défendre les entreprises françaises chaque fois qu'il va dans le monde.
J'en prends un exemple, AREVA était avec moi et nous avons parlé du dossier des centrales nucléaires de troisième génération avec M. Erdogan, le Premier ministre. Mon rôle n'est pas uniquement de parler de l'arrivée ou non de la Turquie dans l'Union européenne, mon rôle est de voir qu'il y a aujourd'hui dans le monde, beaucoup de pays qui font entre 5 et 10 % de croissance par an. Il faut aussi en parler avec les chefs d'entreprises. La France doit se battre.
Récemment, on parle beaucoup de l'Algérie, j'ai beaucoup entendu parler du Traité d'amitié, je n'ai pas entendu dire qu'il y aura 90 à 95 milliards de dollars à distribuer durant les prochaines années. Les Etats-Unis et la Chine le savent. Il est aussi normal que la France soit présente. La présidente du MEDEF, Laurence Parisot, sera en Algérie dans un mois et demi et je l'aiderai.

Q - Est-ce le rôle ou bien le nouveau rôle du ministre des Affaires étrangères ou bien, est-ce dévolu logiquement au ministre des Finances ? Thierry Breton soutient-il votre initiative pour accueillir des entrepreneurs sous les lambris du Quai d'Orsay ?
R - Nous formons une équipe, je ne sais pas comment vous procédez à LCI mais nous formons une équipe. Il y a Thierry Breton, Christine Lagarde qui sera avec moi tout à l'heure au Quai d'Orsay pour recevoir les chefs d'entreprises, parce que nous formons une équipe et nous travaillons véritablement ensemble.
Le Quai d'Orsay est, en définitive un réseau, un réseau diplomatique, un réseau d'ambassadeurs et de consuls qui sont à disposition.
Par exemple, les lycées français, pensez-vous qu'il est possible d'envoyer des chefs d'entreprises créer leurs entreprises à l'extérieur si les Français qui ont des enfants ne peuvent pas scolariser leurs enfants dans des lycées français.
C'est, je dirais, un grand ensemble où nous devons être ambitieux pour la France. J'ai organisé un séminaire récemment au Quai d'Orsay sur l'Asie auquel j'ai invité les grands chefs d'entreprises, un autre séminaire sur les pays du Golfe : les Emirats Arabes Unis, l'Arabie saoudite, le Qatar.

Q - Pour en revenir à votre initiative, ces chefs d'entreprises qui sont au Quai d'Orsay, ces grands patrons du CAC 40 qui dîneront avec vous ce soir, avec des PME également, mais cela veut-il dire qu'ensuite, après cette initiative, vous avez envie de réformer, j'allais dire presque physiquement, le fonctionnement de la diplomatie. Les missions économiques qui sont les ambassades dont vous parliez tout à l'heure, allez-vous les obliger à avoir des résultats plus concrets, des dossiers plus suivis pour accompagner le développement des PME dont vous parlez ?
R - Vous avez tout à fait raison, je crois qu'il faut évaluer le travail de chacun. Il faut vérifier dans une ambassade, dans une mission économique, quels sont les résultats obtenus en fin d'année, par rapport aux objectifs fixés en début d'année.
C'est absolument fondamental, pourquoi voulez-vous que l'Etat ne fonctionne pas comme une entreprise !
C'est important de le faire, on ne peut pas le faire pour tout, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, dans certains pays émergents, nous sommes obligés d'y être.
Il y a peu, je me trouvais en Inde avec Jacques Chirac, on voit bien que les biotechnologies et les nanotechnologies vont se développer comme jamais là-bas et les entreprises françaises doivent être présentes. Lorsque nous faisons des pôles de compétitivité en France autour de ces problématiques, il faut qu'ils soient jumelés à des partenaires étrangers.

Q - Avez-vous une idée précise concernant, par exemple, des dossiers tels que Gaz de France Suez où la fusion est bien enclenchée ? Mittal, puisque vous parliez de l'Inde va s'intéresser jusqu'au bout à Arcelor. Quel est le jugement du ministre des Affaires étrangères qui parle, maintenant à gorge déployée d'économie ?
R - Le ministre des Affaires étrangères sait que le marché existe et donc, puisque vous parlez de Mital, il y a des actions et des valeurs et je ne me permettrai pas de dire que je fais le marché moi-même. Je suis un responsable politique, j'ai beaucoup d'ambitions pour mon pays, je ferai tout pour que mon pays gagne. Mais, ensuite, il y a des marchés et des règles du jeu. Ce n'est pas vous qui menez quotidiennement l'actualité dans le domaine économique qui me direz le contraire.

Q - Une toute dernière question, vous rappeliez que vous étiez un homme politique, quel est le climat au sein du gouvernement ? Je lisais dans "le Monde" ce soir que M. de Villepin cherchait désespérément un soutien auprès de Jacques Chirac. Après le CPE, sommes-nous toujours là ?
R- Je lisais aussi le "Times" qui indiquait qu'en réalité, les Français savaient se réformer en définitive, même si, parfois, c'est par à-coup.

Q - Dans la Une de ce journal, il y a un petit "escargot" pour montrer que la réforme est lente en France.
R - Oui, mais, en dehors du dessin, si vous lisez bien le texte, vous verrez que les Français peuvent se réformer. C'est vrai, en effet, que Dominique de Villepin essaie de réformer ce pays. Cela ne sert à rien de s'engager dans la vie publique si ce n'est pas pour faire avancer notre pays. Nous avons de l'ambition pour lui, peut-être en effet que, parfois, nous ne nous y prenons pas trop bien, c'est possible, mais ce qui est sûr, c'est que la volonté est là et je suis certain que ce premier ministre saura le faire.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2006