Interview de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, à France 2 le 16 février 2001 sur le programme génome humain, les vols habités dans l'espace et la position de l'opinion publique sur la recherche.

Prononcé le

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Une semaine scientifique très intéressante avec du génome, avec du spatial et avec de la sécurité sanitaire. Je voudrais qu'on aborde ces trois points sous l'angle du débat "science et société", comment cela peut marcher ensemble. D'abord, il y a eu l'espoir avec le génome que l'on a découvert ; on a publié un peu la carte du génome humain en début de semaine. Est-ce que la puissance publique a un rôle majeur à jouer pour qu'on n'aille pas n'importe où ?
- "La puissance publique a un rôle considérable à jouer. Le programme génomique mis en uvre par le ministère de la Recherche, c'est quatre milliards de francs sur cinq ans. Il y a le Centre national de séquençage, le Centre national de génotypage, et il est précisément très important qu'il y ait une impulsion de la puissance publique pour aller vers la production de nouveaux médicaments, de nouveaux vaccins, de nouveaux tests diagnostics. C'est la voie ouverte vers le meilleur traitement de maladies comme certains cancers, certains diabètes, les maladies cardiovasculaires, d'autres encore. C'est très important."
Deuxième annonce de la semaine, l'aventure spatiale. Vous avez décidé qu'il y aurait un nouveau Français dans l'espace. Est-ce que c'est une aventure utile ou pour faire rêver seulement ?
- "Non, c'est une aventure utile. Elle fait rêver aussi en plus, ce qui n'est pas mal. Mais c'est très important de continuer à envoyer les hommes dans l'espace, parce qu'il y a la station spatiale internationale qui maintenant est habitée depuis novembre par deux Russes et un Américain. Il est important que les astronautes français puissent faire des vols vers la station spatiale internationale. Si je n'étais pas intervenu, c'était simplement en 2005. Nous gagnons quatre ans, il y a C. André-Deshays avec les Russes en octobre prochain, et Philippe Perrin, avec la NASA en mars 2002."
Donc là, on a définitivement tourné la page Allègre qui ne voulait pas des vols habités.
- "Non, je ne dirais pas ça. Les vols automatiques ont leur utilité mais les vols habités aussi parce que l'homme est assez irremplaçable par son facteur d'intelligence, d'adaptation à la situation."
Les Américains voudraient qu'un homme aille sur Mars. Vous y croyez ? Vous aiderez ? Vous participerez ?
- "Je crois qu'ils ont raison. Nous, nous avons déjà avec la Nasa, l'opération "retour d'échantillons martiens", pour savoir notamment quelle est la structure géologique de Mars. L'homme vers Mars, c'est plutôt vers 2030-2040. C'est la nouvelle frontière de ce siècle."

Troisième sujet important. Hier l'Agence française de sécurité sanitaire, s'appuyant sur le travail des chercheurs a dit qu'il fallait appliquer le principe de précaution pour la viande ovine et caprine. Est-ce que les chercheurs ne poussent pas un peu loin les hommes politiques à appliquer le principe de précaution ?
- "Non, c'est normal de prendre en considération très strictement ce que dit l'Afssa. Il n'y a pas de cas avérés de transmission de l'agent bovin au mouton, pour l'instant, mais il y a une présomption ou une suspicion. Du fait qu'il peut y avoir suspicion, nous prendrons les mesures nécessaires en appliquant le principe de précaution et en consultant les services techniques compétents, les professionnels et les autorités européennes."
Cela m'amène à parler des relations entre la science et la société. Un sondage publié par L'Usine nouvelle, Sofres/ Usine nouvelle, dit que 88% des Français font confiance à la science, 3% seulement estiment qu'elle apporte plus de mal que de bien. Est-ce que la recherche, faisant peur, n'apporte pas du mal ?
- "Non, je crois que la recherche apporte beaucoup de bien, notamment la recherche médicale, on le voit bien : l'allongement de la durée de la vie, la guérison de maladies qui étaient incurables, la recherche sur l'environnement. J'ai nommé à la tête du CNRS le spécialiste français de l'effet de serre, G. Megie. Tout cela, au contraire, peut améliorer les conditions de vie, et je crois que les Français le voient bien dans ce sondage."
Il y a eu également un nouveau directeur nommé hier à l'Inserm, également un spécialiste dans les tendances actuelles.
- "Oui, c'est ça, j'ai souhaité qu'on nomme C. Brechot, le spécialiste français de l'hépatite C "
Et de l'hépatite B.
- "Et de l'hépatite B aussi. C'est un grand hépatologue. Ainsi on pourra pousser les recherches sur les thématiques nouvelles comme les thérapies géniques, les thérapies cellulaires, les problèmes de santé publique. Tout cela est extrêmement important. Et je souhaite rapprocher la science de la société. Je dis souvent - ce qui peut apparaître un peu provocateur comme expression - : repolitiser la science, c'est-à-dire remettre dans le débat civique et politique, dans la cité, les grandes questions scientifiques comme les OGM, l'effet de serre, l'ESB, les thérapies géniques ou cellulaires. Il faut que les Français soient informés, puissent participer aux décisions."
Concrètement, ça va se passer comment ?

- "Bien sûr il y a le Parlement, qui est le représentant naturel des Français. Il y aura donc de grands débats parlementaires. Mais ça va aussi passer par l'organisation - que je souhaite réaliser au ministère de la Recherche - de rencontres dites " science citoyenne ", entre les chercheurs, les citoyens, les élus aussi peut-être."
Vous êtes aussi professeur de droit constitutionnel, et là je parle un peu plus de politique au membre du Gouvernement. On a vu le débat Chirac/Jospin à propos du statut de la Corse : est-ce que souvent le Président de la République pourra bloquer un projet de loi pour qu'il n'arrive pas en Conseil des ministres ?
- "Je ne crois pas parce que l'initiative des lois appartient au Premier ministre et non pas au Président de la République de par la Constitution. Retarder durablement - ce qui n'est pas le cas sans doute - l'inscription d'un projet de loi à l'ordre du jour, cela reviendrait à exercer un droit de veto sur le pouvoir d'initiative législative, reconnu au Premier ministre par la Constitution, donc je pense que nous allons sortir rapidement de cette difficulté provisoire."
Donc c'est un coup sans lendemain ?
- "Je ne porterai pas de jugement de ce type. En tous cas, plus on débattra rapidement de ce texte qui est destiné à nous faire sortir de 25 ans de désordre en Corse et retourner vers la paix civile, mieux cela vaudra. Place au débat parlementaire."
Est-ce que l'année qui nous sépare de l'élection présidentielle et des législatives, va être une année où on parlera beaucoup de la réforme des institutions ? Va-t-on vers la mort des institutions de la Vème République ?
- "La mort peut-être pas, mais il y a certaines adaptations qui sont tout à fait nécessaires, notamment renforcer le rôle du Parlement, avoir des élus tout à fait disponibles, au contact direct de chacun. Nous ferons tout cela et le Gouvernement, d'ailleurs, l'a fait par des réformes comme la parité femmes/ hommes qui fait, qu'aux élections municipales, il y aura, et c'est très bien, 50% de femmes, 50% d'hommes."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 16 février 2001)