Interview de M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, à "Radio classique" le 26 avril 2006, sur l'essor des pôle de compétitivité, sur les projets de l'Agence d'innovation industrielle, sur la hausse du prix du pétrole et la politique de développement des énergies de substitution, renouvelables et du nucléaire.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Bonos - On va revenir sur certaines infos, mais d'abord, concernant l'Agence d'innovation industrielle, j'aimerais comprendre quel est son rapport par rapport aux pôles de compétitivité, comment tout cela s'inscrit, parce que je ne comprends plus très bien...
R - Dans les deux cas, ce sont des entreprises qui se mettent ensemble pour préparer des projets, de nouvelles activités. Aujourd'hui, dans la compétition, il faut avoir de nouveaux produits et il faut être le plus efficace possible dans ce que l'on fabrique. Donc lorsque les entreprises se mettent ensemble pour le faire, sur le plan local, cela s'appelle un pôle de compétitivité, et ce sont les entreprises qui choisissent leur priorité - il y en a 66 en France, nous venons de choisir environ 70 projets à peu près. L'AII, l'Agence de l'innovation industrielle, ce sont des très grands projets que le président de la République a présentés hier.
Q - En quoi l'Etat intervient-il sur les pôles de compétitivité, si les entreprises se regroupent comme elles veulent, choisissent comme elles veulent, etc., je ne comprends pas.
R - En France, la dépense de recherche industrielle est insuffisante par rapport au Japon. Nous dépensons 0,8 de notre PIB, les Japonais 2,4, c'est-à-dire que les Japonais dépensent depuis des années, et l'Europe est un peu mieux que la moyenne.
Q - La différence entre les Etats-Unis et l'Europe, c'est à peu près 10 milliards de dollars à peu près par an ? Plus que cela, même 50 milliards de dollars...
R - Le problème est structurel. Cela fait des années que les Américains dépensent plus en investissements informatiques que nous, cela fait des années qu'ils dépensent plus en défense. Les Japonais, sur des recherches industrielles pour des produits nouveaux dépensent beaucoup plus depuis des années. La France, l'Europe - mais la France en particulier - a un retard à combler. Ce retard est dû au fait que nous n'avons pas assez d'entreprises de taille moyenne. Nous sommes deux fois moins nombreux dans cette catégorie que nos voisins allemands ou même que les Américains et les Japonais. Pour combler cela, il faut inviter les entreprises à se regrouper, comme ça, elles feront les choses ensemble et cela leur donnera peut-être envie de grossir ensemble.
Q - Vous les aider sur les pôles de compétitivité ?
R - On va les aider...
Q - ... Financièrement.
R - Oui, on les aide un peu, c'est-à-dire que l'on met un euro pour que cela en déclenche deux chez eux.
Q - Un tiers grosso modo ?
R - C'est à peu près la moyenne, cela dépend des cas, c'est plus compliqué, évidemment. Mais grosso modo, le but, c'est de les aider à aller plus vite.
Q - Mais avec des projets plus petits que ces mastodontes que vous venez de présenter hier ?
R - Avec des tas de projets qui sont très intéressants, qui ne sont pas forcément des projets à 100 millions. Les projets de l'Agence d'innovation industrielle sont des grands projets, qui ont des coûts très importants, qui sont menés par des grandes entreprises. Par exemple, quand il faut lancer un satellite pour faire de la télévision mobile, on voit bien que c'est quelque chose qui couvre toute la France, qui est important, qui est un enjeu sur lequel il faut que tout le monde soit d'accord pour que cela se fasse. Si l'on veut faire un nouveau train automatique, comme le successeur du Val, il est certain que cela ne peut se faire que si c'est bien vu des utilisateurs potentiels, qu'on a évalué une certaine exigence d'intérêt public dans les choses. C'est cela que l'on aide.
Q - Donnons l'exemple le plus gros, c'est le chef de file Thomson, avec Quaero. C'est 250 millions d'euros et vous apportez 90 millions d'euros ; c'est du très long terme comme projet ?
R - Non, le but c'est que cela soit le plus rapidement possible.
Q - C'est quoi "le plus rapidement possible" ?
R - Cela peut prendre trois, quatre, cinq ans. Ce sont des projets qui sont bâtis sur ces périodes-là. Pour moi, les projets, plus ils sont rapides et meilleur c'est, du point de vue de la création d'activité. Mais évidemment, ils sont quelquefois compliqués. Quaero est un moteur de recherche multimédia qui va repérer des images ou des sons, et pas seulement des mots et des phrases.
Q - Un super Google...
R - Encore faut-il que cela fonctionne bien, que l'on ait alimenté la base de données dans laquelle on va chercher tout cela. Il faut faire des bibliothèques avec toutes les photos... Vous vous rendez compte de ce que cela représente comme avantage pour la culture ? C'est un enjeu considérable ! La numérisation de la société va se faire, mais à condition que l'on ait des instruments comme ceux-là. Donc c'est nécessaire de mettre le paquet ; il y a des petites entreprises qui sont très performantes ; c'est Thomson qui gère un peu l'ensemble mais qui a avec lui une multitude d'entreprises petites et moyennes qui sont très "sioux", si vous me permettez.
Q - Je vous en prie. Plusieurs petites questions qui "fâchent", entre guillemets. Les Français sont toujours méfiants, ils ont encore en mémoire le plan calcul, le plan câble, etc. Quelle est la différence de ce volontarisme industriel new look par rapport aux anciens ?
R - D'abord, ils ont raison d'être méfiants, on ne sait jamais et nous avons, nous aussi, beaucoup de méfiance, on n'accepte pas tout, il y a beaucoup de projets que l'on refuse, on améliore les dossiers au fur et à mesure. Sauf que, comme je vous l'ai dit, on a un retard, on n'a pas assez d'entreprises de taille moyenne, on n'a pas assez de dépenses de recherche industrielle. Or c'est de cela que dépend notre capacité à générer des nouveaux produits, de nouveaux objets, de la croissance, de l'emploi.
Q - Vous laissez faire complètement les entreprises, c'est peut-être la nouveauté par rapport, justement à ces grands plans étatiques ?
R - Vous avez raison, c'est le bon argument. En fait, ce sont les entreprises qui choisissent des choses et qui prennent le risque du marché, ce n'est pas l'Etat qui va acheter. Alors que les grands plans dont vous parlez, jadis, c'était l'Etat qui était acheteur ; là, ce n'est pas de la commandite : ce n'est pas nous qui achetons, ce sont des projets que font les industriels. Simplement, la façon de les aider est un accélérateur par rapport aux décisions naturelles que l'entreprise, que le monde économique prend. Donc, nous sommes des accélérateurs.
Q - Deuxième question : pourquoi ne le faites-vous pas avec les Européens ? Comme le dit la Tribune, Bruxelles accueille avec réserve cette initiative.
R - En fait, si, on le fait avec les Européens. Par exemple, Quaero, le moteur de recherche dont je parlais, cela se fait avec des Allemands...
Q - On fait pas mal de choses avec les allemands, c'est une manière de reformer l'axe franco-allemand, de faire redémarrer l'Europe ?
R - C'est parce que depuis le début on en a parlé aux Allemands mais aussi aux Anglais, aux Italiens. Les allemands ont également mis en place les crédits nécessaires, c'est-à-dire qu'aujourd'hui ; il y a un dispositif qui fonctionne avec tous les pays qui veulent plus que l'Europe, c'est Euréka. On en fête les vingt ans aujourd'hui d'ailleurs. Vous avez des dispositifs qui sont européens, c'est-à-dire que vous avez des crédits européens et donc cela s'applique à des projets français, cela existe. Là, en l'occurrence, ce sont des projets qui sont ouverts aux entreprises des autres pays. Dans les pôles de compétitivité par exemple, il y des entreprises japonaises qui participent. Donc le tout c'est que cela se passe ici.
Q - Est-ce que ces projets ont vocation justement à agréger d'autres grands pôles européens à terme ?
R - Oui mais il ne faut pas confondre l'essentiel et l'accessoire. Le fait d'être européen est une chose importante parce qu'on peut viser le marché européen ou le marché mondial ; donc on travaille au meilleur niveau mondial. Mais ce qui compte c'est que le projet en lui-même ou l'entreprise elle-même accède grâce à ça à un nouveau marché le plus mondial possible donc le plus européen possible, c'est ça le but. Travailler avec le meilleur allemand, le meilleur italien, le meilleur anglais, bien sûr mais c'est un moyen.
Q - Tout à l'heure dans l'analyse de F.-X. Piétri de la Tribune qui disait qu'on risquait quand même une part peut-être d'effet d'annonce, je vous ai vu tordre un peu le nez là ?
R - C'est vrai mais d'un autre côté, pourquoi ne pas annoncer des choses qui sont plutôt des bonnes nouvelles et qui, par rapport au pessimisme ambiant, peuvent avoir un rôle important. Vous savez, on a eu tellement de gens qui expliqué le déclin de la France parce que ses entreprises n'étaient pas compétitives. Et moi, d'un autre côté, j'observe au contraire les succès français dans un tas de domaines. J'observe aussi nos difficultés, je ne suis pas inconscient des difficultés. Mais pourquoi ne pas parler des projets qui sont intéressants et dire que demain on pourra avoir ce type de moteur de recherche, qu'on pourra avoir des plastiques fabriqué à partir de matières végétales, de dire qu'on pourra rouler avec plus de biocarburants et moins d'essence ? Ce sont des choses qui sont positives, d'avoir un téléphone mobile, une télévision mobile couverte sur tout le territoire facilement, tout ça ce sont des avantages importants, pourquoi ne pas le dire ?
Q - Monsieur le ministre, il ne nous reste pas beaucoup de temps à propos de moteurs hybrides, le prix du pétrole va-t-il continuer à grimper en 2006 ? Deuxième question, quelle est la réponse de la France à part dire aux automobilistes d'être plus raisonnables ?
R - Réponse technique : c'est de dire qu'en général le cours du printemps c'est le cours de l'année. Sauf que depuis deux, trois jours, le cours a baissé. Nous avons eu une réunion de l'OPEP et G. Bush a aussi annoncé qu'il ne continuerait pas d'en acheter pour ses stocks. Aujourd'hui il y cent jours de stock.
Q - Vous rendez-vous compte que vous les grands Gouvernements occidentaux, vous êtes désormais impuissants ? Quand vous avez demandé via le G7 à l'OPEP de faire un effort, ils vous ont dit ; "Désolés mais à vous de le faire".
R - Moi j'étais avec l'OPEP avant-hier dans la rencontre des ministres de l'Energie mondiale...
Q - Le ministre libyen du pétrole a dit ; "le génie est sorti de sa bouteille"...
R - J'ai rencontré le libyen, j'ai rencontré le nigérian qui est le président, j'ai rencontré le Saoudien, j'ai rencontré le Koweti, tous ces gens nous disent ; "nous en avons sous le pied". C'est-à-dire que instantanément, le marché est assez approvisionné. Il y deux millions de barils en trop ; dans le passé, il y avait trois ou quatre millions de barils en trop, pour savoir, tous les jours. Ensuite, ils nous disent que ce qui manque c'est des raffineries, il y a des projets qui existent partout. Ensuite, ils nous disent "nous sommes inquiets des stocks que veulent réaliser les pays acheteurs". En ce moment, en Corée et en Chine il y a des constitutions de stocks. Si vous constituez du stock, effectivement, vous rachetez. Aujourd'hui, il faut savoir que dans le monde il y a déjà cent jours de stock.
Q - C'est valable pour nous ça ?
R - Dans le monde, oui c'est par rapport à la consommation du monde ; c'est valable en France, nous les avons largement. Donc tout cela ce sont des informations qu'il faut donner à un marché dans lequel interviennent énormément de liquidités et pas seulement celles des professionnels du pétrole mais aussi d'autres et donc aujourd'hui ce sont ces communications vers le marché que les gens doivent faire. Mais la vraie politique, celle qui est importante, c'est celle que nous menons, c'est le premier gisement pour nous ce sont nos économies d'énergie, ce sont nos énergies de substitution, ce sont les renouvelables et le nucléaire qui sont tous notre politique et dans tous les domaines.
Q - Vous allez continuer de manière volontaire sur le nucléaire.
R - Evidemment, ce n'est pas un sujet tabou, je ne vois pas comment on peut faire autrement.
Q - Tchernobyl, voilà vingt ans, vous en pensez quoi en tant que ministre de l'Industrie dans un pays où le nucléaire est très développé justement ?
R - La différence entre la transparence, l'ouverture, la capacité de dialogue que nous avons, l'information et la sécurité qui est ma priorité des priorités, être sûr de la sécurité, cette priorité par-dessus tout. Entre ce qui se passe aujourd'hui chez nous et ce qui s'est passé il y vingt ans à Tchernobyl, il n'y a pas photo. C'est-à-dire que nous avons une culture de la sécurité, c'est à ça qu'il faut mettre la priorité.
Q - Et désormais de la transparence ne matière nucléaire M. le ministre ?
R - Et la transparence ! Nous avons créé une Autorité Indépendante de la Sûreté Nucléaire. Nous sommes là dans ce domaine... Je peux venir vous expliquer ça dans les détails parce qu'il n'y a pas de tabou sur cette question et nous sommes vraiment à un stade tout à fait différent de ce qu'était Tchernobyl il y a vingt ans.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 26 avril 2006