Déclaration de M. Henri Emmanuelli, député PS, sur l'emploi et la croissance économique, sur la fiscalité des entreprises, sur les allocations spécifiques pour les jeunes, Bordeaux le 6 mai 2006.

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Circonstance : Etats généraux du Parti socialiste sur la croissance et l'emploi à Bordeaux le 6 mai 2006

Texte intégral

[Premièrement], je voudrais faire remarquer la différence de méthodes entre de l'UMP et le PS. L'UMP organise des conventions, où on réunit les prétendus nouveaux adhérents qui viennent acclamer la parole du chef. Le chef lit son discours et le débat s'arrête là. Ce qui explique peut être d'ailleurs que les débats ont lieu ailleurs.
Nous ne sommes pas réjouis de ce qui se passe, j'entends souvent des commentateurs dire que ça nous profite. [...] Ceux qui jettent le discrédit sur les institutions, [...] sur la politique ne nous profitent pas. Nous souhaitons que cette situation cesse au plus vite.
Il y trois hommes qui ont des responsabilités à prendre, on ne sait pas lequel les prendra. Il y a un président de la république, qui a le pouvoir de nommer un nouveau gouvernement, qui a l'air de beaucoup consulter mais qui n'agit pas beaucoup. Il y a, ensuite, un premier ministre, à défaut d'avoir été élu dans sa vie, qui devrait avoir une connaissance approximative de ce qu'est la responsabilité politique en démocratie, et qui devrait se mettre à disposition de la justice en tant que citoyen : ça épargnerait à [la] République française quelques inconvénients. Si ces deux là ne sont pas aptes à prendre leurs responsabilités, il en reste une : la victime. Cet espèce d'imbroglio, cet affaire où le n° 1 mène une bataille contre le N° 2, où le n°2 feint d'être la victime et porte plainte avec espoir d'assassiner le n°1, tout ça bien entendu au nom de la morale. De surcroît, le 3e acteur, vient nous dire à la télé : « je suis moi aussi une victime », et vient nous avouer en clair, qu'elle ne savait pas ce qui se passait dans son ministère, mais que si on lui fait du mal, c'est parce qu'elle aspire aux plus hautes fonctions. Il est quand même à espérer que dans ces fonctions là, elle parviendrait à connaître ce qui se passe chez elle.
Nous, nous avons choisi notre méthode au congrès du Mans : rentrer en contact avec les forces vives, associations et syndicats, les partis politiques, tous ceux qui veulent être entendus, et souffrent de ne pas l'être. C'est la raison pour laquelle nous avons crées des ateliers dont nous savons qu'ils sont trop courts. Il est bien vrai que ce n'est pas en 3 heures qu'on aborde des questions aussi complexes mais nous en tiendrons compte : il est important pour nous de savoir la réception, les souhaits que nous n'avons pas toujours intégrés.
Nous avons choisi la démarche des Etats Généraux. Et ils fonctionnent de plus en plus, au fur et à mesure que les événements se succèdent. Les visites sont beaucoup plus nombreuses, nous avons eu ce matin des représentations importantes de celles et ceux qui aspirent à porter ce projet en devenir et qui ont participé avec sérieux, avec intérêt à nos travaux, - ce qui n'était pas le cas au début. Ce qui prouve tout simplement quand même que plus on approchera de la bataille, plus la confrontation sera dure. Ce qui est déterminant, pour l'issue de la bataille, c'est le contenu du projet. De ce point de vue là, les esprits progressent. Nous sommes un grand parti, avec, certes, des scènes de ménage. Nous avons des responsabilités et j'espère que nous serons à la hauteur.
Depuis un certain nombre d'années, c'est le refus profond de s'accommoder d'une orientation libérale, ou - si on veut être plus précis - un pays qui ne veut pas accepter des régressions sociales qui sont liées à la mondialisation. On voit la France, qui des mouvements sociaux aux vote, dit« non » à cette orientation libérale, « non » à cette perspective du modèle anglo-saxon inégalitaire. Ce n'est pas à quoi [les Français] aspirent. Dans l'affaire du CPE, où notre jeunesse a été exemplaire, des militants moins jeunes qui disaient « c'est foutu ». Les jeunes nous ont donné une belle leçon. Ils ont donné à la démocratie une belle victoire et à la gauche un beau regain d'espoir.
Nous savons donc ce que la France ne veut pas - il ne suffit pas de savoir ce que l'on ne veut pas, ce qu'on craint ou ce qu'on récuse - mais [il faut savoir] ce à quoi [elle] aspire. Et c'est à nous, avec le reste de la gauche, d'apporter des réponses, de transformer ce refus en une ambition positive. C'est de passer à une position de défense à une position offensive, qui soit optimiste. [Une position] d'espérance.
Si le chômage baisse en France, ce n'est pas grâce au CNE, c'est parce qu'il y a beaucoup de départs à la retraite. Il y a une conjoncture, qui fait que normalement le chômage doit diminuer mécaniquement. Car le chômage ne baisse pas qu'en France, il baisse en Allemagne, où il n'y a pas de CNE, où il n'y a pas eu de tentative de CPE. L'objectif de Monsieur de Villepin était d'un grand cynisme, sachant que les conditions démographiques allaient entraîner mathématiquement une baisse du chômage, ils ont pensé qu'ils avaient l'opportunité de démanteler le code du travail pour justifier ensuite ce démantèlement par la baisse du chômage. L'occasion était belle, mais grâce à la jeunesse, à l'unité syndicale, la manoeuvre a raté. Et je vous le dis, le chômage va continuer à baisser parce que c'est inscrit dans la démographie, comme est écrit la nécessité d'une immigration ultérieure, il ne faut pas se raconter d'histoire. Nous choisissions nous, l'immigration partagée, et non pas l'immigration choisie.
Les objectifs sont d'accélérer le développement des travaux d'infrastructures et la formation pour qu'ils aient des cadres car dans la brousse africaine, un infirmier sauve beaucoup plus de vies qu'un chirurgien dans les hôpitaux - ça n'enlève rien à la qualité d'un chirurgien - : un simple cachet sauve une vie, des gestes simples pour éviter l'infection sauve des milliers de vies. Si on applique la loi Sarkozy : on manque d'infirmiers [alors] il n'y a plus qu'à aller prendre les infirmiers. [Ainsi] on va accélérer l'aggravation de la pression des immigrés. C'est une politique stupide, irrationnelle et égoïste.
Quand on parle de plein emploi, on parle de la croissance, - Eric l'a fait -, on parle du pouvoir d'achat parce que la demande nourrit la croissance, des dispositions la fiscalité pour que la richesse n'aille pas nourrir une épargne stérile mais vienne conforter une demande qui est capitale. Les trois moteurs de la croissance, c'est l'export, la consommation et l'investissement.
Les pratiques de la droite comme les cadeaux fiscaux sont allés augmenter le taux d'épargne mais n'ont pas alimenté la demande. De même que les dispositions fiscales qui existent aujourd'hui, quand on a de l'argent il est plus intéressant de le placer en assurance vie ou dans l'effort spéculatif que de l'investir dans les activités de moyen terme et long terme...
Il y a beaucoup de considérations autour du plein emploi, autour de la croissance qui doivent déboucher sur le plein emploi favoriser fiscalement les revenus du travail : modifier la fiscalité des entreprises pour favoriser les créations d'emploi, aider l'investissement productif, reprendre le contrôle public de la politique énergétique.
On a auditionné à la commission des finances, Monsieur Gadonneix [président de GDF], on lui a fait observé que le prix de l'électricité avait doublé et parfois même augmenté de 98% pour certaines entreprises, alors qu'à notre connaissance, les taux de production n'ont pratiquement pas baissé. Qu'est ce qui s'est passé ?
EDF, utilisant « l'effet d'aubaine » de l'augmentation du prix du pétrole sur lequel vient s'indexer le gaz, s'est dit que c'était le moment d'augmenter les tarifs. Et c'est catastrophique pour notre industrie, pour l'emploi, pour les petites et moyennes entreprises.
Devant la commission des finances, M. Gadonneix était secoué parce que tout le monde, la droite comprise, a fait un communiqué rageur contre la politique des prix appliqués par le président d'EDF qui faisait semblant de ne pas trop comprendre.
Contrôle public, ça veut dire avoir la maîtrise des prix, au service de l'emploi et de l'entreprise et non pas au service des actionnaires.
[Quand M. Gadonneix] dit : « nous avons mis 10 millions d'euros pour les cas difficiles », - c'est à peu près la rémunération annuelle qu'il s'octroie pour lui-même -, il oublie de dire que GDF représente 1,7 milliard d'euros de bénéfices. En réalité, ils sont en train de préparer la fusion GDF/Suez et de créer des réserves financières pour des histoires d'évaluation...je vous en fais grâce...
Oui, reprendre le contrôle public, y compris chez les pétroliers : nous n'avons pas à subir la loi de quelques conseils d'administrations dans des matières qui engagent l'emploi, notre indépendance, notre capacité à exister.
Il y a aussi la proposition faite de substituer la cotisation patronale, une sorte de « CSG patronale », pour asseoir des cotisations sociales sur la valeur ajoutée, c'est une proposition qui n'est pas nouvelle, elle était déjà inscrite dans le programme de 2002....
Elle est controversée, mais cette fois ci nous l'inscrivons parce que nous pensons qu'il est temps d'arrêter cette confusion entre charges sociales et emploi. Il y a deux facteurs de production, le capital et le travail. Il ne faut pas que le financement de la sécurité sociale, qui est aujourd'hui est destinée à tout le monde, ne repose que sur le facteur travail, qui est devenu rare et fragile. Donc il faut rompre ce lien entre le facteur travail et le financement de la santé, il était justifié en 1945 car réservé aux salariés. Ce que nous devons retenir, c'est une façon moderne de faire participer le capital au financement de la sécurité.
Toutes ces propositions sont justifiées et je crois que c'est important que nous donnions des signaux. Je ne crois pas que l'économie de demain soit simplement l'économie du savoir, personne n'a jamais prôné une économie du non-savoir ou de l'inculture. Il n'y a pas d'économie dynamique et solide qui ne soit pas porté aussi par un secteur industriel puissant, parce que la recherche dépend de la puissance et des besoins de l'industrie, parce que l'innovation est dans la sortie de produits compétitifs. Les industriels et les chercheurs sont nos soldats de l'avant ici comme ailleurs. Il n'est pas vrai qu'une économie est seulement une économie de services, parce que dans les services, il y a ceux qui sont productifs mais il y a ceux qui sont purement consommateurs. Or, il faut créer de la vraie valeur ajoutée et c'est l'industrie qui doit la faire, et c'est pour ça qu'on doit étudier une mesure forte qui donne un signal à toutes les industries. Supprimer la taxe professionnelle sur toutes les activités industrielles, je ne dis pas les autres, mais celle là, elle représente 10 à 12 milliards d'euros.
On va me dire, c'est impossible sauf que en 97, quand nous avons supprimé la « base salaire » dans la taxe professionnelle, notion technique qui veut dire que le nombre d'employés ne servait plus à calculer la taxe professionnelle - parce qu'avant ça quand on embauchait, on augmentait la taxe professionnelle, ce qui n'était pas un encouragement à l'emploi. Quand on a supprimé la « base salaire », ça représentait 75 milliards de francs. Autrement dit, ce que je propose là, c'est du même niveau. Je ne propose pas que l'Etat se prive de 12 milliards de recettes, non je propose, par exemple, qu'il s'intéresse de très près aux 10 milliards d'exonérations de cotisation qui ne concernent que la grande distribution. Il y a de l'argent à trouver ou bien, que l'on fasse reporter sur certaines marges commerciales, qui ne sont pas forcément créatrices d'emplois ou très porteuses d'avenir pour notre pays, le manque à gagner.
Si nous sommes capables de dire aux industriels de France, nous allons faire un geste fort, massif, lisible alors il y aura plus de doute sur la volonté des socialistes à considérer qu'avant de distribuer la richesse, il faut la créer...
Je propose qu'on ait une série de mesures, qui n'auront pas vocation à tout régler, mais qui feront que l'orientation sera claire, et je pense que les françaises et les français, et les fameux hommes et femmes de gauche savent que nous ne pourrons pas faire de miracles. La gauche n'a jamais prétendu être spécialistes en miracles, encore que quand je regarde certains comportements...
[...]
Le modèle danois, c'est formidable le système danois ! Je vois à droite comme à gauche, des amateurs de la « flexisécurité », ça coûte très cher, 57 % de prélèvements obligatoires. Ce n'est pas compatible avec la baisse de la fiscalité. Nous pouvons nous engager dans cette voie mais ça ne peut se faire que par la concertation avec les syndicats.
Je termine par la jeunesse. Il ne doit pas il y avoir entre le Parti Socialiste et la jeunesse, le MJS et les syndicats étudiants de débats et de malentendus. Or, à travers les mots ça peut arriver. Lorsque la jeunesse dit « je souhaite une allocation d'autonomie », [...] ce qu'elle veut est tout à fait normal : elle veut qu'il n'y ait plus 700000 jeunes obligés de travailler pour financer leurs études. Il n'est pas vrai qu'on peut faire des études sérieuses quand on doit travailler à côté. Il n'est pas vrai qu'on peut tenir le coup quand on n'est à la fois pas logé et qu'on est obligé de faire des petits boulots pour subsister. Ce n'est pas vrai. Ils nous parlent de ces bourses qui ne veulent plus rien dire, et ils ont raison. Il faut demain, une allocation d'étude qui permette d'effacer le scandale des 700 000 jeunes qui sont au travail et qui permette de donner des moyens à tous ces jeunes - qui ont un contrat avec la société - qui souhaitent continuer leurs études. Et si ils ne sont pas étudiants, alors ils seront en formation alors « allocation formation ».
Qu'on appelle la juxtaposition de « l'allocation étude » et de « l'allocation formation », « le contrat autonomie », chers camarades du MJS, si le mot vous fait plaisir, on ne va pas se fâcher sur des mots. Ce qu'il faut éviter dans cette affaire, c'est le danger d'une interprétation négative et qui pourrait laisser croire aux Français qu'un jeune qui n'est ni en formation, ni au travail, ni en train de faire des études serait payé à ne rien faire.
Le socialisme, ce n'est pas l'assistanat. A mes yeux, le socialisme, c'est d'abord la justice sociale, c'est de permettre à ceux qui en ont besoin de se mettre à égalité avec ceux qui ont les possibilités de développer leur potentiel. Nous avons quelque chose d'important à faire et nous le devons à la jeunesse.
Je vous remercie encore une fois[...] Nous avons une bataille à mener, j'entends et je lis que nous aurions déjà gagné d'avance, ce sera un affrontement dur, très politique, si la France refuse l'orientation libérale, il faut que nous soyons à même d'y répondre. Merci de votre présence : au travail.
Source http://www.lesetatsgeneraux.fr, le 19 mai 2006