Texte intégral
ENTRETIEN AVEC "FRANCE 3" le 14 février 1999
Q - Comment se fait-il que ce soit la France qui, de tous les pays de lUnion, soit le plus prêt, le plus en campagne déjà par rapport aux autres, en gros toutes les listes sont connues, les têtes de listes désignées, ce nest pas le cas ailleurs ?
R - Cest plutôt bon signe que lon sintéresse aux élections européennes. Cest vrai que je vais dans beaucoup de pays européens, où cette élection est une élection où on vote peu. Je crois que les Français soient partis tôt dans cette affaire, parce que cette élection a aussi une dimension nationale tout à fait marquée, et que chaque parti ait tenu à donner son identité. Tout cela explique quon soit parti tôt. Mais, pour moi, ce nest pas mal. Cela peut être signe de participation forte le 13 juin...
Q - Cest-à-dire que le scrutin joue aussi un rôle ?
R - Absolument, la proportionnelle intégrale. On le voit parce quil y a quand même 21 listes qui se déclarent prêtes à partir. Les formations sont presque toutes représentées. Ce mode de scrutin est quand même absurde. Je le dis, je crois que demain il faudra faire ce que nous navons pas fait lan dernier.
Q - Que vous navez pas pu faire ?
R - Que nous navons pas pu faire, mais je le voulais. Le projet est passé au Conseil des ministres, on a constaté ensuite quil ny avait pas de majorité. Mais cétait quand même un bon projet parce que je crois quil faut voter dans les grandes régions, quil faut un scrutin régional et proportionnel, quil faut aussi des listes transnationales, cest-à-dire que les Européens puissent se préparer sur des listes. Pour moi, le fait que Daniel Cohn-Bendit soit tête de liste ne me choque pas. Je crois tout à fait quil est normal, possible, quun Italien soit tête de liste en France.
Q - Vous navez donc pas le même raidissement que le ministre de lIntérieur sur cette question ?
R - Pas exactement, non.
Q - A propos des réformes institutionnelles, François Bayrou parlait de son souhait de voir le président de la Commission européenne élu président de lEurope par, à la fois le Parlement européen et lensemble des parlements nationaux, avant peut-être même quil soit élu au suffrage universel. Partagez-vous cet avis ?
R - Je suis totalement en désaccord avec cette vision. Le président de la Commission européenne ne doit pas être le président de lEurope. Le président de lEurope, cest le président du Conseil européen. Là on voit effectivement une différence parce que cest le fédéralisme : cest faire en sorte que des gens qui participent à un organe, qui est un organe de gestion, comme la Commission soit demain ceux qui dirigent au-dessus des Etats et des nations. Je pense au contraire que cest le président du Conseil de lEurope, cest-à-dire qui regroupe les chefs dEtat et de gouvernement et puis à létage en dessous les ministres, qui doit être le véritable exécutif européen. Cest une différence absolument fondamentale.
Je pense, par ailleurs, quil faut donner plus de légitimité et au président de la Commission et au président du Conseil. Le président de la Commission - Jacques Delors - avait eu une idée qui était que les deux grandes formations - le PPE et le PSE - présentent chacun un candidat, un programme et que, de fait, ce soit ce candidat qui soit investi par la formation qui est en tête. Cette idée na pas pu voir le jour. Mais, je crois quon doit la creuser.
Lidée quon politise lélection européenne et que lenjeu soit la présidence de la Commission ne me paraît pas une mauvaise idée. Pour ce qui concerne le président du Conseil, aujourdhui dans lUnion européenne, les Etats président tour à tour le Conseil européen : six mois la Finlande, et puis six mois le Portugal, six mois la France etc.. Il y a quand même des différences assez grandes entre ces pays. Je serais assez favorable à ce que le président du Conseil européen soit dans un premier temps élu par ses pairs, cest-à-dire par les autres chefs dEtat et de gouvernement, pour trois ans par exemple. Cela donnerait une certaine stabilité, une certaine légitimité avant quon aille dans 20 ans, dans 30 ans ou plus tôt si cest possible vers une élection au suffrage universel du président du Conseil européen. Je ne mélange pas la politique, qui est le Conseil et quelque chose qui est un pouvoir administratif légitime qui est la Commission.
Q - Pour en revenir à un dossier dactualité, je voudrais quon parle du Kossovo :
lEurope tire-t-elle un peu son épingle du jeu, vu ce qui se passe au Sommet de Rambouillet. On voit effectivement que le Sommet va continuer encore une semaine ou est-ce, au contraire, lorsquapparaît le secrétaire dEtat américain que les choses se débloquent. Cest un peu limpression quon a eue.
R - Je profite de cette émission pour rétablir une vérité...
Q - Elle nétait pas là !
R - Si elle était là, mais contrairement à ce que jai entendu et lu dans les dépêches triomphales, les Américains « nous avons dégelé la glace entre les Kossovars et les Serbes ». Cela ne sest pas passé comme cela puisque les premières réunions entre les deux délégations ont eu lieu avant que Madeleine Albright soit à Paris. Il faut donc rendre à César ce qui est à César. Je ne critique pas du tout Madeleine Albright, mais cest vrai quil y a eu un travail des diplomaties européennes, notamment de la diplomatie française avec Hubert Védrine.
Q - Et britannique.
R - et britannique avec Robin Cook qui a été primordial. Pour une fois que ce sont les Européens qui sont en première ligne. Ce nest pas lEurope, cest ce quon appelle le Groupe de contact donc six pays.
Q - Cest lEurope à géométrie variable.
R - Absolument. Cest quelque chose qui peut être précieux pour plus tard : cest lidée quon ne peut pas tout faire à Quinze, que certains pays ont un rôle particulier à jouer. Cest le cas de la Grande-Bretagne bien sûr, cest notre cas, cest celui de lAllemagne, de lItalie qui sont à la fois des puissances diplomatiques et des puissances militaires, qui sont tous les quatre membres du Groupe de contact. Ce Groupe de contact a réussi à mettre sur pied une base pour la paix, une base qui repose sur deux éléments dabord une autonomie substantielle pour le Kossovo parce quon sait que lindépendance acceptable...
Q - Mais lappartenance à la Serbie...
R - Lindépendance nest pas acceptable pour les Serbes, en tout cas pour une période de trois ans. Cette autonomie est la formule à long terme que nous privilégions et une force de police locale qui soit capable de faire respecter les accords que nous souhaitons. Cest sur cette base que nous travaillons. Cest une base qui a été adoptée par tout le Groupe de contact et qui est bien suivie par lEurope.
Aujourdhui, il y avait une réunion des quinze ministres des Affaires étrangères de lUnion européenne qui a manifesté son accord avec cette démarche. On a beaucoup critiqué la Politique étrangère et de sécurité commune ou son absence. On la critiquée en Bosnie, en Iraq, mais je crois quon commence à en tirer les leçons. Les Anglais et les Français en ont tiré les leçons quand nous avons pris ensemble une déclaration sur la politique de défense commune ; il faut aller vers une politique de défense commune en Europe, qui sarticule avec lOTAN mais qui, en même temps, soit tout à fait autonome. Nous en tirons les leçons sur cette affaire du Kossovo.
Q - Qui soit un pilier européen de lOTAN.
R - Il y a trois niveaux à articuler. Nous sommes un pays nucléaire. Nous sommes membres du Conseil de sécurité. Donc, nous avons une politique étrangère propre. Nous devons aussi avoir une défense européenne et nous devons larticuler avec lOTAN mais sans être soumis à lOTAN. Il ne sagit pas pour nous de revenir dans le commandement intégré. Tout cela est assez subtil, mais cest quand même la voie de lavenir et cest la voie dans laquelle nous nous sommes engagés avec les Anglais, voie qui recueille aujourdhui lassentiment des Allemands et bien dautres.
Q - Etes-vous favorable à la création dun impôt européen ?
R - Pourquoi pas.
Q - Qui prendrait en lieu et place du budget versé par la contribution budgétaire de chaque Etat ?
R - Parlons du fédéralisme. Le fédéralisme est un pouvoir politique. Cest une armée ou une défense en tout cas.
Q - Une monnaie
R - Une monnaie, nous lavons déjà - cest pour cela que je dis quil y a fatalement des éléments fédéraux dans lEurope - et cest un budget. Alors, il y a une contradiction dans ce que nous vivons. Nous sommes en train de préparer ce quon appelle lAgenda 2000, le « paquet Santer », cest-à-dire les finances de lUnion européenne pour la période 2000/2006 avant lélargissement et tel quil est fait, ce budget doit être un budget très rigoureux. On doit rester en dessous du plafond des ressources propres - excusez-moi dêtre technique - qui est très fiable, cest 1,27 % du PIB de lUnion européenne. Mais à plus long terme, je crois quil faudra effectivement un budget pour lUnion européenne. Quand nous serons dans lEurope à 25, 30, dans lEurope élargie au pays...
Q - Mais rassurez-nous, ce ne serait pas un impôt qui sajouterait à tous ceux quon paie déjà ?
R - ... Il faudrait forcément quil se substitue parce quon est effectivement, là, on touche la politique nationale...
Q - Et il se substituerait à quoi ?
R - On nen est pas encore là puisque cest quelque chose qui, pour moi, est dans dix ans, mais je crois quil faudra effectivement un budget qui soit un jour, dans dix ans, quinze ans, de lordre de 3 % du PIB avec un impôt européen. Encore une fois, cest là lavenir et cest pour cela que je reste effectivement assez dans la perspective dun fédéralisme, un fédéralisme qui respecte les nations, mais une véritable entité européenne qui ait sa force.
Q - Vu de Strasbourg, on sinquiète de lavenir du financement de lEurope. Ne risque-t-on pas une paralysie alors que le rapport de force se durcit entre un Schroeder déjà affaibli, qui doit, coûte que coûte, obtenir un rabais de la contribution allemande et le tandem français qui se heurte déjà à la montée de langoisse paysanne, comme on la vu la semaine passée ?
R - Cest vrai quon a cette négociation, qui sappelle Agenda 2000, où lon doit faire trois choses. Dabord, revoir les finances de lUnion européenne. Ensuite, réformer la Politique agricole commune, et lon voit effectivement langoisse des paysans. On voit ce qui sexprime souvent quand même assez mal. Il faudra que lon revienne à un dialogue qui soit plus constructif - je fais allusion bien sûr aux événements qui se sont passés lundi dernier dans le bureau de Dominique Voynet et à lENA qui ne servent pas du tout la cause des agriculteurs. Mais, en même temps, je sais que cela ne représente pas lopinion du monde agricole. Et puis, il y a un troisième élément qui est la réforme des fonds structurels, le Fonds européen de développement régional...
Q - Et tout cela en pleine campagne européenne, il y a quand même une coïncidence qui est un peu difficile.
R - Oui, on aurait pu y penser.
Q - Et on arrivera à négocier tout cela avant ?
R - Le 25 mars, cest-à-dire dans un peu moins dun mois, il y aura un Conseil européen à Berlin qui doit boucler ce paquet financier.
Q - Cest un conseil de crise quand même.
R - Au fond, cest un peu le jeu des quatre coins. Les Anglais, au début des années 80, ont eu un chèque, vous vous souvenez de Mme Thatcher « I want my money back » et elle la eu. Les Italiens souhaitent quon conserve lactuel système des ressources propres, alors quil faudrait une ressource qui soit annexée sur le PIB et on retrouve effectivement lidée dun impôt européen, à plus long terme. Les Allemands veulent payer moins. Les Espagnols, on leur a créé les fonds de cohésion pour passer à leuro. Il y a leuro, ils veulent garder les fonds de cohésion, ce qui est compréhensible, mais...
Q - Ils ne sont pas les seuls dailleurs...
R - ... Ils ne sont pas les seuls et dailleurs, on nest pas contre à condition que... Nous navons pas de fonds cohésion, mais nous avons des fonds structurels et nous, Français, nous pensons que les choses ne marchent pas si mal. Nous voulons bien faire un effort mais pas tout leffort.
Q - Mais pourquoi navez-vous pas accepté le principe, pour le volet agricole, que ces dépenses de lUnion européenne ne soient pas en partie financées par les budgets nationaux, car on est quand même le seul pays quasiment ?
R - Tout ce que jai dit prouve bien que tout cela est extrêmement difficile. Si on veut un accord, il faudra que chacun fasse des sacrifices, que chacun fasse des efforts. Nous avons déjà dit quels étaient nos efforts, mais on attend que les autres bougent un peu aussi.
Q - Quand vous dites « sacrifices », cela veut dire pour les agriculteurs français ?
R - Jen viens à lagriculture française. Pourquoi refusons-nous ce quon appelle le co-financement, cest-à-dire lidée quune partie de lagriculture est financée par un budget national ? Cest le début du démantèlement de la PAC et cela nous le refusons. La Politique agricole commune est la seule véritable politique européenne, cest un mécanisme qui est un mécanisme automatique, un mécanisme qui fonctionne bien, qui nous a permis daller au-delà de lautosuffisance alimentaire, de devenir exportateur, qui permet de développer lemploi, lenvironnement, qui a permis aussi ladaptation des structures agricoles.
Q - Et qui profite principalement à la France.
R - Et qui profite convenablement à la France...
Q - Depuis le début. Convenablement, cest un euphémisme.
R - ... Assez bien.
Q - Cest à la « Balladur », ce « convenablement » façon Balladur.
R - Voilà, je deviens balladurien sans men rendre compte. Non, mais en tout cas, on ne va pas nous en vouloir de défendre les intérêts français, notamment dans le domaine agricole. Nous disons quun co-financement, cest le début de la fin. Cest-à-dire quon va remettre aux budgets nationaux le soin de faire cela, cela veut dire quuntel aura envie de payer plus, untel moins. Cela veut dire que les structures agricoles pourront être pénalisées ou avantagées, quil y aura des distorsions de concurrence. Nous refusons cette renationalisation de la PAC et de ce point de vue-là, nous sommes en phase avec les agriculteurs. Nous avons fait des propositions - Jean Glavany les a faites, qui sont des propositions déconomies, mais déconomies différentes. Nous proposons quon baisse année après année, très peu, 1 % sur certaines substances, 3 % sur les céréales par exemple, les aides directes aux agriculteurs et puis quon compense cela par davantage daides au développement rural pour préserver les zones rurales fragiles.
Q - En dernier ressort, en cas de crise éventuelle, cela dépend de qui, du gouvernement français ou de Jacques Chirac lui-même ?
R -Nous travaillons complètement ensemble sur ces sujets-là. Je le dis à Serge July en plus sans arrière-pensées...
Q - Pourquoi... ?
R - Jai lu un très bon article dans Libération où lon semblait dire quil y avait un espèce de jeu de positionnement entre Jacques Chirac et le gouvernement. Ce nest pas ce que je ressens.
Q - Et qui nexiste pas du tout parce que finalement vous aurez un seul candidat à lélection présidentielle, donc il ny a aucun problème.
R - Non, je crois quil y en aura peut-être deux quand même au final. Cest un sujet dont on ne parle pas, mais je crois quil y en aura deux, je ne sais pas lesquels.
Q - Pierre Moscovici, je voudrais que lon dise un mot sur un autre dossier, à propos dharmonisation européenne, à propos dimmigration. Je voudrais savoir comment le gouvernement français a pris la décision du gouvernement italien de régulariser 250.000 immigrés clandestins. Est-ce que cest une bonne chose pour la France ? Est-ce quau fond cela ne vous gêne pas un peu ?
R - Non, je crois quon la pris calmement parce que la situation de lItalie nest pas du tout celle de la France.
Q - Le symbole est fort tout de même.
R - ... Oui, le symbole est fort, cest vrai. En Italie il y a un million dimmigrés, en France il y en a quelque chose comme quatre millions, - je parle dimmigrés en situation légale - et donc la chose nest pas du tout la même. Faut-il rappeler par ailleurs que nous, nous avons régularisé 80.000 des 150.000 à peu près immigrés en situation clandestine en France et il faut ajouter cela à ce qui a été fait au début des années 80.
Q - Mais est-ce quon peut continuer longtemps à faire bande à part, chaque pays fait un peu ce quil veut comme ça larrange ?
R - Absolument pas.
Q - Avec Amsterdam, cela va être...
R - Jy viens. Nous avons pris cette décision calmement. Cela ne remet pas en cause, ni nos décisions sur la nationalité, ni notre décision sur limmigration de lannée dernière qui reste une politique équilibrée qui est la politique de la France.
Cela dit, ce que dit le Traité dAmsterdam, cest que dans cinq ans on va devoir décider à lunanimité de passer - excusez-moi la complexité mais cest comme ça - à la majorité qualifiée, cest-à-dire de communautariser cette question, de visa, dasile et dimmigration. Je crois que cest plutôt une bonne chose parce quon voit bien que la lutte contre les mafias, la lutte contre le crime organisé, la lutte contre les trafics de drogue, la lutte contre limmigration clandestine ne peuvent plus être aujourdhui du ressort dun seul Etat.
Q - Donc, cela veut dire quil faut faire aussi, pour reprendre votre expression, des efforts et des sacrifices ?
R - Il faudra en tout cas harmoniser les règles, les pratiques et aller vers beaucoup plus de coopération judiciaire et policière. Nous avons cinq ans pour nous y préparer et rien ne dit que la bonne solution soit la solution italienne. Moi, pour ma part, je suis là-dessus tout à fait à laise avec la politique du gouvernement français.
Q - A laise, cest-à-dire que vous êtes critique sur la manière dont les Italiens ont procédé...
R - Non.
Q - ...Pourquoi ce qui est vrai dun côté des Alpes ne lest pas de lautre côté, selon la formule...
R - On pourrait se concerter, mais en tout cas ce que je sais, cest que nous avons fait un travail tout à fait sérieux et que les lois de lan dernier, - les lois dites Chevènement - sont de bonnes lois. Pour ma part, je nai absolument aucun état dâme par rapport à cela et je ne vois pas en quoi cette décision italienne qui part dune situation qui est spécifique, qui nest pas la nôtre, nécessite que nous changions notre attitude. Ce nest pas pour moi un argument décisif, par exemple, pour la régularisation de tous les sans-papiers./.
ENTRETIEN AVEC LE QUOTIDIEN "LIBERATION" le 19 février 1999
Q - On est passé de l'euphorie du lancement de l'euro à l'empoignade sur l'Agenda 2000. L'Europe replonge t-elle dans la case ?
R - Je n'ai pas succombé à l'"europhorie", mais, de la même façon, il ne faut pas céder aujourd'hui au catastrophisme. L'Agenda 2000 est la chronique d'une difficulté annoncée. C'est un bras de fer inévitable compte tenu de l'antagonisme des intérêts nationaux en présence : les Britanniques ont eu un rabais dans les années 80 qui n'est plus tout à fait justifié - c'est un euphémisme - et pourtant ils veulent le conserver intégralement, voire améliorer leurs positions. .. Le Fonds de cohésion a été créé pour réaliser l'euro, mais les pays qui en ont bénéficié veulent continuer à l'avoir alors que l'euro est là... L'Italie a une position assez favorable avec le système actuel de ressources et ne souhaite pas en danger... Les Allemands paient beaucoup, c'est vrai, et souhaitent payer moins...
Q - Et les Français ?
R - Le système ne nous pénalise pas puisque nous sommes un grand pays agricole, nous avons un bon taux de retour sur les fonds structurels et sommes faiblement "créditeurs nets". Nous ne sommes pas demandeurs : nous pourrions vivre longtemps avec la situation actuelle. Nous sommes prêts à des efforts, mais pas tous les efforts ! La thèse selon laquelle "la France paiera" est à la fois inacceptable et irréaliste.
Q - C'est celle qu'on entend beaucoup hors de France, et notamment en Allemagne.
R - Ce n'est pas dans cet esprit que nous travaillons avec nos amis allemands . Nous leur disons que nous voulons les aider, que, comme toujours, un accord européen passe d'abord par un accord franco-allemand. Toute autre méthode que la recherche préalable d'un rapprochement entre nos positions ne serait pas la bonne. Je prends par exemple la thèse du "cofinancement" par les budgets nationaux de la Politique agricole commune (PAC), à laquelle le gouvernement allemand se montre sinon attaché du moins intéresse : c'est une fausse piste que d'imaginer que nous pourrions conclure un accord sur cette base.
Q - Cette idée reste pourtant sur la table.
R - Ce n'est pas une bonne solution, et nous sommes loin d'être les seuls à la refuser. Les Espagnols, par exemple, s'y opposent avec la même intensité que nous. Il serait plus sage de l'abandonner. Certes, la PAC ne concerne qu'un tout petit pourcentage de la richesse de l'Union, mais c'est aussi, à ce jour, la seule véritable politique communautaire. C'est ce qui explique que cette activité, qui représente 3% du PIB de l'Union européenne, occupe 45% du budget. Pour nous, l'existence même de la PAC fait partie du Pacte fondateur de l'Europe.
Q - Les Allemands l'admettent-ils aujourd'hui ?
R - Le président de la République, le Premier ministre, Hubert Védrine, Dominique Strauss-Kahn, Jean Glavany et moi-même l'avons répété, chacun à notre niveau. Je crois que les Allemands ont maintenant compris notre refus de principe d'une renationalisation de la PAC. Il faut trouver d'autres solutions. Les propositions qu'a faites la France, notamment au travers de la dégressivité des aides directes aux agriculteurs, sont de vraies bases de compromis. Nous demandons qu'elles soient prises au sérieux. Et que chacun ait la même démarche intellectuelle, c'est-à-dire fasse des propositions de compromis. Tout le monde doit maintenant bouger, comme nous l'avons fait, je pense en particulier aux Anglais et aux Espagnols.
Q - L'Allemagne, en insistant ainsi, ne déroge-t-elle pas à la règle qui veut que le pays président l'Union européenne oeuvre au compromis avant de défendre ses intérêts ?
R - Les Allemands ont tâté les muscles des uns et des autres. Pour réussir un compromis, il faudra qu'ils fassent passer leur chapeau de président de l'Union avant l'intérêt national. Il n'y a pas forcément de contradiction. Chacun sait qu'il faudra trouver une réponse au problème allemand. Les propositions françaises prennent d'ailleurs en compte la nécessité de réduire le fardeau allemand. Mais pas plus que les autres pays, l'Allemagne ne pourra faire passer la totalité de ses revendications nationales. Il est grand temps que la présidence allemande mette sur la table quelque chose qui montre la voie d'un accord. C'est à elle maintenant d'ouvrir le jeu, si elle veut que la discussion dépasse le stade de la répétition des positions nationales et devienne une vraie négociation au niveau politique.
Q - La date butoir du 25 mars vous parait-elle réaliste?
R - C'est tout à fait jouable. Le Sommet de Petersberg, vendredi prochain, sera très important parce qu'informel. Les chefs d'Etat et de gouvernement sont capables de s'abstraire des dossiers techniques, pour se placer à un niveau de recherche d'intérêt général. Il n'est pas concevable d'y parler seulement de la PAC. Celle-ci n'est qu'un élément d'un paquet global. Donner l'idée que la France est dans la cible n'est pas la bonne solution pour aboutir.
Q - La proximité des élections européennes ne complique~t-elle pas encore la situation ?
R - Sans doute. Mais le nouveau gouvernement allemand a décidé de respecter le calendrier prévu à Cardiff en juin dernier. Maintenant, il faut avoir le courage d'avancer. Un délai supplémentaire ne servirait à rien, sinon à accroître la pression.
Q - L'élargissement de l'Union, dont la date est de plus en plus floue, ne va-t-il pas faire les frais de cette situation ?
R - Il n'y a pas de lien direct. Ce budget prépare l'élargissement qui ne peut pas être réalisé avec des coûts explosifs. D'autant que les nouveaux membres vont poser des problèmes de cohésion, de solidarité, de redistribution beaucoup plus importants que les nôtres. Il prévoit des financements pour l'élargissement et je pense qu'il y aura des adhésions avant la fin de la période couverte par l'Agenda 2000 si les pays candidats poursuivent leur développement.
Q - L'Europe rose, dont on a célébré l'avènement, n'a-t-elle pas fait long feu devant la défense des intérêts nationaux ?
R - L'Agenda 2000 est la démonstration que les nations continuent à exister en Europe. Cela justifie pleinement notre position en faveur d'une Europe qui s'appuie sur les nations et qui les renforce. S'il y a une solution sur l'Agenda 2000, le 25 mars, l'Europe pourra se consacrer aux défis historiques qui l'attendent : bâtir un Pacte européen pour l'emploi, élaborer une charte des droits sociaux fondamentaux, réformer ses institutions, construire une politique étrangère et une défense communes, réussir l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale. C'est là-dessus que sera jugée la nouvelle configuration politique de l'Europe, où les socialistes et sociaux-démocrates occupent, c'est vrai, une grande place. Mieux vaut maintenant régler ce dossier difficile mais nécessaire de l'Agenda 2000 pour à passer à des tâches plus porteuses d'avenir./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 1999)
Q - Comment se fait-il que ce soit la France qui, de tous les pays de lUnion, soit le plus prêt, le plus en campagne déjà par rapport aux autres, en gros toutes les listes sont connues, les têtes de listes désignées, ce nest pas le cas ailleurs ?
R - Cest plutôt bon signe que lon sintéresse aux élections européennes. Cest vrai que je vais dans beaucoup de pays européens, où cette élection est une élection où on vote peu. Je crois que les Français soient partis tôt dans cette affaire, parce que cette élection a aussi une dimension nationale tout à fait marquée, et que chaque parti ait tenu à donner son identité. Tout cela explique quon soit parti tôt. Mais, pour moi, ce nest pas mal. Cela peut être signe de participation forte le 13 juin...
Q - Cest-à-dire que le scrutin joue aussi un rôle ?
R - Absolument, la proportionnelle intégrale. On le voit parce quil y a quand même 21 listes qui se déclarent prêtes à partir. Les formations sont presque toutes représentées. Ce mode de scrutin est quand même absurde. Je le dis, je crois que demain il faudra faire ce que nous navons pas fait lan dernier.
Q - Que vous navez pas pu faire ?
R - Que nous navons pas pu faire, mais je le voulais. Le projet est passé au Conseil des ministres, on a constaté ensuite quil ny avait pas de majorité. Mais cétait quand même un bon projet parce que je crois quil faut voter dans les grandes régions, quil faut un scrutin régional et proportionnel, quil faut aussi des listes transnationales, cest-à-dire que les Européens puissent se préparer sur des listes. Pour moi, le fait que Daniel Cohn-Bendit soit tête de liste ne me choque pas. Je crois tout à fait quil est normal, possible, quun Italien soit tête de liste en France.
Q - Vous navez donc pas le même raidissement que le ministre de lIntérieur sur cette question ?
R - Pas exactement, non.
Q - A propos des réformes institutionnelles, François Bayrou parlait de son souhait de voir le président de la Commission européenne élu président de lEurope par, à la fois le Parlement européen et lensemble des parlements nationaux, avant peut-être même quil soit élu au suffrage universel. Partagez-vous cet avis ?
R - Je suis totalement en désaccord avec cette vision. Le président de la Commission européenne ne doit pas être le président de lEurope. Le président de lEurope, cest le président du Conseil européen. Là on voit effectivement une différence parce que cest le fédéralisme : cest faire en sorte que des gens qui participent à un organe, qui est un organe de gestion, comme la Commission soit demain ceux qui dirigent au-dessus des Etats et des nations. Je pense au contraire que cest le président du Conseil de lEurope, cest-à-dire qui regroupe les chefs dEtat et de gouvernement et puis à létage en dessous les ministres, qui doit être le véritable exécutif européen. Cest une différence absolument fondamentale.
Je pense, par ailleurs, quil faut donner plus de légitimité et au président de la Commission et au président du Conseil. Le président de la Commission - Jacques Delors - avait eu une idée qui était que les deux grandes formations - le PPE et le PSE - présentent chacun un candidat, un programme et que, de fait, ce soit ce candidat qui soit investi par la formation qui est en tête. Cette idée na pas pu voir le jour. Mais, je crois quon doit la creuser.
Lidée quon politise lélection européenne et que lenjeu soit la présidence de la Commission ne me paraît pas une mauvaise idée. Pour ce qui concerne le président du Conseil, aujourdhui dans lUnion européenne, les Etats président tour à tour le Conseil européen : six mois la Finlande, et puis six mois le Portugal, six mois la France etc.. Il y a quand même des différences assez grandes entre ces pays. Je serais assez favorable à ce que le président du Conseil européen soit dans un premier temps élu par ses pairs, cest-à-dire par les autres chefs dEtat et de gouvernement, pour trois ans par exemple. Cela donnerait une certaine stabilité, une certaine légitimité avant quon aille dans 20 ans, dans 30 ans ou plus tôt si cest possible vers une élection au suffrage universel du président du Conseil européen. Je ne mélange pas la politique, qui est le Conseil et quelque chose qui est un pouvoir administratif légitime qui est la Commission.
Q - Pour en revenir à un dossier dactualité, je voudrais quon parle du Kossovo :
lEurope tire-t-elle un peu son épingle du jeu, vu ce qui se passe au Sommet de Rambouillet. On voit effectivement que le Sommet va continuer encore une semaine ou est-ce, au contraire, lorsquapparaît le secrétaire dEtat américain que les choses se débloquent. Cest un peu limpression quon a eue.
R - Je profite de cette émission pour rétablir une vérité...
Q - Elle nétait pas là !
R - Si elle était là, mais contrairement à ce que jai entendu et lu dans les dépêches triomphales, les Américains « nous avons dégelé la glace entre les Kossovars et les Serbes ». Cela ne sest pas passé comme cela puisque les premières réunions entre les deux délégations ont eu lieu avant que Madeleine Albright soit à Paris. Il faut donc rendre à César ce qui est à César. Je ne critique pas du tout Madeleine Albright, mais cest vrai quil y a eu un travail des diplomaties européennes, notamment de la diplomatie française avec Hubert Védrine.
Q - Et britannique.
R - et britannique avec Robin Cook qui a été primordial. Pour une fois que ce sont les Européens qui sont en première ligne. Ce nest pas lEurope, cest ce quon appelle le Groupe de contact donc six pays.
Q - Cest lEurope à géométrie variable.
R - Absolument. Cest quelque chose qui peut être précieux pour plus tard : cest lidée quon ne peut pas tout faire à Quinze, que certains pays ont un rôle particulier à jouer. Cest le cas de la Grande-Bretagne bien sûr, cest notre cas, cest celui de lAllemagne, de lItalie qui sont à la fois des puissances diplomatiques et des puissances militaires, qui sont tous les quatre membres du Groupe de contact. Ce Groupe de contact a réussi à mettre sur pied une base pour la paix, une base qui repose sur deux éléments dabord une autonomie substantielle pour le Kossovo parce quon sait que lindépendance acceptable...
Q - Mais lappartenance à la Serbie...
R - Lindépendance nest pas acceptable pour les Serbes, en tout cas pour une période de trois ans. Cette autonomie est la formule à long terme que nous privilégions et une force de police locale qui soit capable de faire respecter les accords que nous souhaitons. Cest sur cette base que nous travaillons. Cest une base qui a été adoptée par tout le Groupe de contact et qui est bien suivie par lEurope.
Aujourdhui, il y avait une réunion des quinze ministres des Affaires étrangères de lUnion européenne qui a manifesté son accord avec cette démarche. On a beaucoup critiqué la Politique étrangère et de sécurité commune ou son absence. On la critiquée en Bosnie, en Iraq, mais je crois quon commence à en tirer les leçons. Les Anglais et les Français en ont tiré les leçons quand nous avons pris ensemble une déclaration sur la politique de défense commune ; il faut aller vers une politique de défense commune en Europe, qui sarticule avec lOTAN mais qui, en même temps, soit tout à fait autonome. Nous en tirons les leçons sur cette affaire du Kossovo.
Q - Qui soit un pilier européen de lOTAN.
R - Il y a trois niveaux à articuler. Nous sommes un pays nucléaire. Nous sommes membres du Conseil de sécurité. Donc, nous avons une politique étrangère propre. Nous devons aussi avoir une défense européenne et nous devons larticuler avec lOTAN mais sans être soumis à lOTAN. Il ne sagit pas pour nous de revenir dans le commandement intégré. Tout cela est assez subtil, mais cest quand même la voie de lavenir et cest la voie dans laquelle nous nous sommes engagés avec les Anglais, voie qui recueille aujourdhui lassentiment des Allemands et bien dautres.
Q - Etes-vous favorable à la création dun impôt européen ?
R - Pourquoi pas.
Q - Qui prendrait en lieu et place du budget versé par la contribution budgétaire de chaque Etat ?
R - Parlons du fédéralisme. Le fédéralisme est un pouvoir politique. Cest une armée ou une défense en tout cas.
Q - Une monnaie
R - Une monnaie, nous lavons déjà - cest pour cela que je dis quil y a fatalement des éléments fédéraux dans lEurope - et cest un budget. Alors, il y a une contradiction dans ce que nous vivons. Nous sommes en train de préparer ce quon appelle lAgenda 2000, le « paquet Santer », cest-à-dire les finances de lUnion européenne pour la période 2000/2006 avant lélargissement et tel quil est fait, ce budget doit être un budget très rigoureux. On doit rester en dessous du plafond des ressources propres - excusez-moi dêtre technique - qui est très fiable, cest 1,27 % du PIB de lUnion européenne. Mais à plus long terme, je crois quil faudra effectivement un budget pour lUnion européenne. Quand nous serons dans lEurope à 25, 30, dans lEurope élargie au pays...
Q - Mais rassurez-nous, ce ne serait pas un impôt qui sajouterait à tous ceux quon paie déjà ?
R - ... Il faudrait forcément quil se substitue parce quon est effectivement, là, on touche la politique nationale...
Q - Et il se substituerait à quoi ?
R - On nen est pas encore là puisque cest quelque chose qui, pour moi, est dans dix ans, mais je crois quil faudra effectivement un budget qui soit un jour, dans dix ans, quinze ans, de lordre de 3 % du PIB avec un impôt européen. Encore une fois, cest là lavenir et cest pour cela que je reste effectivement assez dans la perspective dun fédéralisme, un fédéralisme qui respecte les nations, mais une véritable entité européenne qui ait sa force.
Q - Vu de Strasbourg, on sinquiète de lavenir du financement de lEurope. Ne risque-t-on pas une paralysie alors que le rapport de force se durcit entre un Schroeder déjà affaibli, qui doit, coûte que coûte, obtenir un rabais de la contribution allemande et le tandem français qui se heurte déjà à la montée de langoisse paysanne, comme on la vu la semaine passée ?
R - Cest vrai quon a cette négociation, qui sappelle Agenda 2000, où lon doit faire trois choses. Dabord, revoir les finances de lUnion européenne. Ensuite, réformer la Politique agricole commune, et lon voit effectivement langoisse des paysans. On voit ce qui sexprime souvent quand même assez mal. Il faudra que lon revienne à un dialogue qui soit plus constructif - je fais allusion bien sûr aux événements qui se sont passés lundi dernier dans le bureau de Dominique Voynet et à lENA qui ne servent pas du tout la cause des agriculteurs. Mais, en même temps, je sais que cela ne représente pas lopinion du monde agricole. Et puis, il y a un troisième élément qui est la réforme des fonds structurels, le Fonds européen de développement régional...
Q - Et tout cela en pleine campagne européenne, il y a quand même une coïncidence qui est un peu difficile.
R - Oui, on aurait pu y penser.
Q - Et on arrivera à négocier tout cela avant ?
R - Le 25 mars, cest-à-dire dans un peu moins dun mois, il y aura un Conseil européen à Berlin qui doit boucler ce paquet financier.
Q - Cest un conseil de crise quand même.
R - Au fond, cest un peu le jeu des quatre coins. Les Anglais, au début des années 80, ont eu un chèque, vous vous souvenez de Mme Thatcher « I want my money back » et elle la eu. Les Italiens souhaitent quon conserve lactuel système des ressources propres, alors quil faudrait une ressource qui soit annexée sur le PIB et on retrouve effectivement lidée dun impôt européen, à plus long terme. Les Allemands veulent payer moins. Les Espagnols, on leur a créé les fonds de cohésion pour passer à leuro. Il y a leuro, ils veulent garder les fonds de cohésion, ce qui est compréhensible, mais...
Q - Ils ne sont pas les seuls dailleurs...
R - ... Ils ne sont pas les seuls et dailleurs, on nest pas contre à condition que... Nous navons pas de fonds cohésion, mais nous avons des fonds structurels et nous, Français, nous pensons que les choses ne marchent pas si mal. Nous voulons bien faire un effort mais pas tout leffort.
Q - Mais pourquoi navez-vous pas accepté le principe, pour le volet agricole, que ces dépenses de lUnion européenne ne soient pas en partie financées par les budgets nationaux, car on est quand même le seul pays quasiment ?
R - Tout ce que jai dit prouve bien que tout cela est extrêmement difficile. Si on veut un accord, il faudra que chacun fasse des sacrifices, que chacun fasse des efforts. Nous avons déjà dit quels étaient nos efforts, mais on attend que les autres bougent un peu aussi.
Q - Quand vous dites « sacrifices », cela veut dire pour les agriculteurs français ?
R - Jen viens à lagriculture française. Pourquoi refusons-nous ce quon appelle le co-financement, cest-à-dire lidée quune partie de lagriculture est financée par un budget national ? Cest le début du démantèlement de la PAC et cela nous le refusons. La Politique agricole commune est la seule véritable politique européenne, cest un mécanisme qui est un mécanisme automatique, un mécanisme qui fonctionne bien, qui nous a permis daller au-delà de lautosuffisance alimentaire, de devenir exportateur, qui permet de développer lemploi, lenvironnement, qui a permis aussi ladaptation des structures agricoles.
Q - Et qui profite principalement à la France.
R - Et qui profite convenablement à la France...
Q - Depuis le début. Convenablement, cest un euphémisme.
R - ... Assez bien.
Q - Cest à la « Balladur », ce « convenablement » façon Balladur.
R - Voilà, je deviens balladurien sans men rendre compte. Non, mais en tout cas, on ne va pas nous en vouloir de défendre les intérêts français, notamment dans le domaine agricole. Nous disons quun co-financement, cest le début de la fin. Cest-à-dire quon va remettre aux budgets nationaux le soin de faire cela, cela veut dire quuntel aura envie de payer plus, untel moins. Cela veut dire que les structures agricoles pourront être pénalisées ou avantagées, quil y aura des distorsions de concurrence. Nous refusons cette renationalisation de la PAC et de ce point de vue-là, nous sommes en phase avec les agriculteurs. Nous avons fait des propositions - Jean Glavany les a faites, qui sont des propositions déconomies, mais déconomies différentes. Nous proposons quon baisse année après année, très peu, 1 % sur certaines substances, 3 % sur les céréales par exemple, les aides directes aux agriculteurs et puis quon compense cela par davantage daides au développement rural pour préserver les zones rurales fragiles.
Q - En dernier ressort, en cas de crise éventuelle, cela dépend de qui, du gouvernement français ou de Jacques Chirac lui-même ?
R -Nous travaillons complètement ensemble sur ces sujets-là. Je le dis à Serge July en plus sans arrière-pensées...
Q - Pourquoi... ?
R - Jai lu un très bon article dans Libération où lon semblait dire quil y avait un espèce de jeu de positionnement entre Jacques Chirac et le gouvernement. Ce nest pas ce que je ressens.
Q - Et qui nexiste pas du tout parce que finalement vous aurez un seul candidat à lélection présidentielle, donc il ny a aucun problème.
R - Non, je crois quil y en aura peut-être deux quand même au final. Cest un sujet dont on ne parle pas, mais je crois quil y en aura deux, je ne sais pas lesquels.
Q - Pierre Moscovici, je voudrais que lon dise un mot sur un autre dossier, à propos dharmonisation européenne, à propos dimmigration. Je voudrais savoir comment le gouvernement français a pris la décision du gouvernement italien de régulariser 250.000 immigrés clandestins. Est-ce que cest une bonne chose pour la France ? Est-ce quau fond cela ne vous gêne pas un peu ?
R - Non, je crois quon la pris calmement parce que la situation de lItalie nest pas du tout celle de la France.
Q - Le symbole est fort tout de même.
R - ... Oui, le symbole est fort, cest vrai. En Italie il y a un million dimmigrés, en France il y en a quelque chose comme quatre millions, - je parle dimmigrés en situation légale - et donc la chose nest pas du tout la même. Faut-il rappeler par ailleurs que nous, nous avons régularisé 80.000 des 150.000 à peu près immigrés en situation clandestine en France et il faut ajouter cela à ce qui a été fait au début des années 80.
Q - Mais est-ce quon peut continuer longtemps à faire bande à part, chaque pays fait un peu ce quil veut comme ça larrange ?
R - Absolument pas.
Q - Avec Amsterdam, cela va être...
R - Jy viens. Nous avons pris cette décision calmement. Cela ne remet pas en cause, ni nos décisions sur la nationalité, ni notre décision sur limmigration de lannée dernière qui reste une politique équilibrée qui est la politique de la France.
Cela dit, ce que dit le Traité dAmsterdam, cest que dans cinq ans on va devoir décider à lunanimité de passer - excusez-moi la complexité mais cest comme ça - à la majorité qualifiée, cest-à-dire de communautariser cette question, de visa, dasile et dimmigration. Je crois que cest plutôt une bonne chose parce quon voit bien que la lutte contre les mafias, la lutte contre le crime organisé, la lutte contre les trafics de drogue, la lutte contre limmigration clandestine ne peuvent plus être aujourdhui du ressort dun seul Etat.
Q - Donc, cela veut dire quil faut faire aussi, pour reprendre votre expression, des efforts et des sacrifices ?
R - Il faudra en tout cas harmoniser les règles, les pratiques et aller vers beaucoup plus de coopération judiciaire et policière. Nous avons cinq ans pour nous y préparer et rien ne dit que la bonne solution soit la solution italienne. Moi, pour ma part, je suis là-dessus tout à fait à laise avec la politique du gouvernement français.
Q - A laise, cest-à-dire que vous êtes critique sur la manière dont les Italiens ont procédé...
R - Non.
Q - ...Pourquoi ce qui est vrai dun côté des Alpes ne lest pas de lautre côté, selon la formule...
R - On pourrait se concerter, mais en tout cas ce que je sais, cest que nous avons fait un travail tout à fait sérieux et que les lois de lan dernier, - les lois dites Chevènement - sont de bonnes lois. Pour ma part, je nai absolument aucun état dâme par rapport à cela et je ne vois pas en quoi cette décision italienne qui part dune situation qui est spécifique, qui nest pas la nôtre, nécessite que nous changions notre attitude. Ce nest pas pour moi un argument décisif, par exemple, pour la régularisation de tous les sans-papiers./.
ENTRETIEN AVEC LE QUOTIDIEN "LIBERATION" le 19 février 1999
Q - On est passé de l'euphorie du lancement de l'euro à l'empoignade sur l'Agenda 2000. L'Europe replonge t-elle dans la case ?
R - Je n'ai pas succombé à l'"europhorie", mais, de la même façon, il ne faut pas céder aujourd'hui au catastrophisme. L'Agenda 2000 est la chronique d'une difficulté annoncée. C'est un bras de fer inévitable compte tenu de l'antagonisme des intérêts nationaux en présence : les Britanniques ont eu un rabais dans les années 80 qui n'est plus tout à fait justifié - c'est un euphémisme - et pourtant ils veulent le conserver intégralement, voire améliorer leurs positions. .. Le Fonds de cohésion a été créé pour réaliser l'euro, mais les pays qui en ont bénéficié veulent continuer à l'avoir alors que l'euro est là... L'Italie a une position assez favorable avec le système actuel de ressources et ne souhaite pas en danger... Les Allemands paient beaucoup, c'est vrai, et souhaitent payer moins...
Q - Et les Français ?
R - Le système ne nous pénalise pas puisque nous sommes un grand pays agricole, nous avons un bon taux de retour sur les fonds structurels et sommes faiblement "créditeurs nets". Nous ne sommes pas demandeurs : nous pourrions vivre longtemps avec la situation actuelle. Nous sommes prêts à des efforts, mais pas tous les efforts ! La thèse selon laquelle "la France paiera" est à la fois inacceptable et irréaliste.
Q - C'est celle qu'on entend beaucoup hors de France, et notamment en Allemagne.
R - Ce n'est pas dans cet esprit que nous travaillons avec nos amis allemands . Nous leur disons que nous voulons les aider, que, comme toujours, un accord européen passe d'abord par un accord franco-allemand. Toute autre méthode que la recherche préalable d'un rapprochement entre nos positions ne serait pas la bonne. Je prends par exemple la thèse du "cofinancement" par les budgets nationaux de la Politique agricole commune (PAC), à laquelle le gouvernement allemand se montre sinon attaché du moins intéresse : c'est une fausse piste que d'imaginer que nous pourrions conclure un accord sur cette base.
Q - Cette idée reste pourtant sur la table.
R - Ce n'est pas une bonne solution, et nous sommes loin d'être les seuls à la refuser. Les Espagnols, par exemple, s'y opposent avec la même intensité que nous. Il serait plus sage de l'abandonner. Certes, la PAC ne concerne qu'un tout petit pourcentage de la richesse de l'Union, mais c'est aussi, à ce jour, la seule véritable politique communautaire. C'est ce qui explique que cette activité, qui représente 3% du PIB de l'Union européenne, occupe 45% du budget. Pour nous, l'existence même de la PAC fait partie du Pacte fondateur de l'Europe.
Q - Les Allemands l'admettent-ils aujourd'hui ?
R - Le président de la République, le Premier ministre, Hubert Védrine, Dominique Strauss-Kahn, Jean Glavany et moi-même l'avons répété, chacun à notre niveau. Je crois que les Allemands ont maintenant compris notre refus de principe d'une renationalisation de la PAC. Il faut trouver d'autres solutions. Les propositions qu'a faites la France, notamment au travers de la dégressivité des aides directes aux agriculteurs, sont de vraies bases de compromis. Nous demandons qu'elles soient prises au sérieux. Et que chacun ait la même démarche intellectuelle, c'est-à-dire fasse des propositions de compromis. Tout le monde doit maintenant bouger, comme nous l'avons fait, je pense en particulier aux Anglais et aux Espagnols.
Q - L'Allemagne, en insistant ainsi, ne déroge-t-elle pas à la règle qui veut que le pays président l'Union européenne oeuvre au compromis avant de défendre ses intérêts ?
R - Les Allemands ont tâté les muscles des uns et des autres. Pour réussir un compromis, il faudra qu'ils fassent passer leur chapeau de président de l'Union avant l'intérêt national. Il n'y a pas forcément de contradiction. Chacun sait qu'il faudra trouver une réponse au problème allemand. Les propositions françaises prennent d'ailleurs en compte la nécessité de réduire le fardeau allemand. Mais pas plus que les autres pays, l'Allemagne ne pourra faire passer la totalité de ses revendications nationales. Il est grand temps que la présidence allemande mette sur la table quelque chose qui montre la voie d'un accord. C'est à elle maintenant d'ouvrir le jeu, si elle veut que la discussion dépasse le stade de la répétition des positions nationales et devienne une vraie négociation au niveau politique.
Q - La date butoir du 25 mars vous parait-elle réaliste?
R - C'est tout à fait jouable. Le Sommet de Petersberg, vendredi prochain, sera très important parce qu'informel. Les chefs d'Etat et de gouvernement sont capables de s'abstraire des dossiers techniques, pour se placer à un niveau de recherche d'intérêt général. Il n'est pas concevable d'y parler seulement de la PAC. Celle-ci n'est qu'un élément d'un paquet global. Donner l'idée que la France est dans la cible n'est pas la bonne solution pour aboutir.
Q - La proximité des élections européennes ne complique~t-elle pas encore la situation ?
R - Sans doute. Mais le nouveau gouvernement allemand a décidé de respecter le calendrier prévu à Cardiff en juin dernier. Maintenant, il faut avoir le courage d'avancer. Un délai supplémentaire ne servirait à rien, sinon à accroître la pression.
Q - L'élargissement de l'Union, dont la date est de plus en plus floue, ne va-t-il pas faire les frais de cette situation ?
R - Il n'y a pas de lien direct. Ce budget prépare l'élargissement qui ne peut pas être réalisé avec des coûts explosifs. D'autant que les nouveaux membres vont poser des problèmes de cohésion, de solidarité, de redistribution beaucoup plus importants que les nôtres. Il prévoit des financements pour l'élargissement et je pense qu'il y aura des adhésions avant la fin de la période couverte par l'Agenda 2000 si les pays candidats poursuivent leur développement.
Q - L'Europe rose, dont on a célébré l'avènement, n'a-t-elle pas fait long feu devant la défense des intérêts nationaux ?
R - L'Agenda 2000 est la démonstration que les nations continuent à exister en Europe. Cela justifie pleinement notre position en faveur d'une Europe qui s'appuie sur les nations et qui les renforce. S'il y a une solution sur l'Agenda 2000, le 25 mars, l'Europe pourra se consacrer aux défis historiques qui l'attendent : bâtir un Pacte européen pour l'emploi, élaborer une charte des droits sociaux fondamentaux, réformer ses institutions, construire une politique étrangère et une défense communes, réussir l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale. C'est là-dessus que sera jugée la nouvelle configuration politique de l'Europe, où les socialistes et sociaux-démocrates occupent, c'est vrai, une grande place. Mieux vaut maintenant régler ce dossier difficile mais nécessaire de l'Agenda 2000 pour à passer à des tâches plus porteuses d'avenir./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 1999)