Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec TF1 le 5 juin 2006 à Paris, sur la création et les objectifs de la centrale d'achat de médicaments UNITAID.

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Texte intégral

Q - Que verra-t-on, lors de chaque début de match de la Coupe du Monde ?
R - Grâce à la FIFA, grâce au président Blatter et à son assistant, M. Champagne, nous verrons, au début de chacun des 64 matchs de la Coupe du Monde, ce ballon UNITAID.
Cela veut dire que nous sommes tous unis pour aider et pour soigner. Pourquoi ? Parce qu'il nous a semblé que l'un des principaux problèmes aujourd'hui en politique étrangère qui risque de déstabiliser le monde - ce n'est pas uniquement la prolifération nucléaire ni l'intégrisme religieux - ce sont les problèmes de pauvreté, d'extrême pauvreté qui sont en train d'augmenter dans le monde. Les pays riches deviennent de plus en plus riches et les pays pauvres stagnent. Or, la première conséquence de la pauvreté pour un pays, je la connais bien, ce sont les problèmes de santé publique. Sur la planète, sur 6 millions de personnes atteints du sida qui ont besoin de médicaments, demain matin, pour ne pas mourir dans les trois mois - j'insiste bien, dans les trois mois -, seul un million y aura droit et cinq millions n'y auront pas accès.
Q - Et avec cette initiative, vous voulez faire baisser le prix des médicaments par les laboratoires ?
R - Le président Chirac et le président Lula, il y a deux ans, ont dit la nécessité de trouver de nouveaux financements. Nous ne pouvons pas continuer comme cela uniquement avec les versements tirés des impôts de tous les pays, remis en cause, année par année. Il faut des financements massifs, durables, qui seront fondés sur ces fameux billets d'avion.
Q - Ce sera la taxe sur les billets d'avion ?
R - Oui, absolument. Dès le 1er juillet en France, la contribution sera de un euro pour aller dans n'importe quelle ville de France, un euro pour aller dans n'importe quelle capitale européenne et de quatre euros pour une traversée transatlantique ou pour des vols internationaux.
Ce n'est rien individuellement, mais mis bout à bout, cela fait beaucoup d'argent. Pour l'utiliser, nous avons créé UNITAID. C'est une centrale d'achat de médicaments. Avec cet argent, nous allons centraliser les commandes de médicaments et demander aux laboratoires pharmaceutiques de casser leurs prix pour les pays du Sud.
Il faut savoir qu'il y a aujourd'hui deux millions de morts, deux millions de personnes qui meurent par an de la tuberculose. C'est un sujet politique, ce n'est pas uniquement un sujet de santé publique. En effet, lorsque, dans le Sahara, un enfant de 10 ou 12 ans décède de la tuberculose, alors que les antibiotiques anti-tuberculose ont été découverts depuis 50 ans, que font ses parents ? Ils vont partir et marcher vers le Nord. Et ce n'est pas une loi qui va arrêter l'immigration.
Q - Toute sa vie ils en voudront à l'Occident par exemple ?
R - Oui, mais ce n'est pas une loi ni une armée qui arrêtera l'immigration, ils marcheront et nous ne sommes qu'au début du phénomène.
C'est le même processus que pour le terrorisme, ce sont des gens désespérés qui risqueront, un jour, malheureusement, d'être contre nous. Il faut agir.
De plus, il y a aujourd'hui des médicaments qui n'existent pas. Nous avons, nous aussi, dans les pays du Nord, des enfants atteints du sida et nous en avons beaucoup trop. Mais nous en avons peu par rapport au Sud. Le résultat est que, aujourd'hui, nous manquons de médicaments pour des enfants atteints du sida ; or, il y en a 2.000 qui sont contaminés par jour en Afrique. Nous allons fabriquer ces médicaments car, aujourd'hui, nous leur donnons des médicaments pour adulte avec tous les effets néfastes que cela peut entraîner. UNITAID, c'est cela et nous avons besoin de tout le monde.
Q - Mais il n'y a pas que la France et le Brésil, il y a beaucoup d'autres pays ?
R - Au départ, c'était une idée des présidents Lula et Chirac, à laquelle se sont joints le Chili et la Norvège ; maintenant nous sommes 14 pour la contribution sur les billets d'avion et 43 pays acceptent de soutenir UNITAID. Il faut que tout le monde nous rejoigne, que les opinions publiques soient sensibilisées. C'est la raison pour laquelle nous avons promu cette action, grâce à vous d'ailleurs, TF 1, et grâce à l'association "SMS+" : en écrivant un SMS, on devient citoyen UNITAID. Nous ne demandons rien, pas d'argent, mais une énorme pétition nationale, une sorte de démarche citoyenne mondiale pour dire que le franco-français, c'est bien, mais qu'il y a aussi des choses terribles qui se produisent à l'extérieur de nos frontières.
La FIFA a accepté de nous aider ainsi que l'Association des Maires de Grandes Villes de France avec le président Bockel.
Q - Et des gens de droite et de gauche, puisqu'il y a Bernard Kouchner qui travaille avec vous.
R - Il n'y a bien sûr ici ni droite ni gauche. Par exemple, le Chili de Mme Bachelet, qui n'est pas de droite, nous a rejoints. C'est évidemment une initiative mondiale et je crois que la diplomatie française est en avance sur cette affaire car les Droits de l'Homme, cela a toujours été français.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juin 2006