Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec France-Info le 7 juin 2006, sur le lancement de la campagne de soutien à UNITAID, centrale d'achats de médicaments pour les pays pauvres.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral

Q - Vous avez lancé aujourd'hui la campagne de promotion de la Centrale d'achats de médicaments pour les pays pauvres : UNITAID que vous aviez présenté la semaine dernière à New York devant les Nations unies. De quoi s'agit-il ?
R - Il s'agit, probablement, du plus grand sujet de politique étrangère aujourd'hui dans le monde qui menace la stabilité de la planète. C'est la grande pauvreté dans les pays du Sud : 4/5 de la population mondiale se partagent 1/5 seulement des richesses de la planète. Tout le monde le dit, tout le monde le sait, il y a beaucoup de compassion mais il n'y a jamais eu véritablement de geste concret.
Pour avoir été longtemps médecin, je sais que lorsqu'un pays est pauvre, la première conséquence, c'est l'absence d'un système de santé publique. C'est le retour des maladies et en particulier de l'une d'entre elles, maladie que l'on croyait à jamais vaincue et qui s'appelle la tuberculose.
Q - Il manque donc des médicaments ?
R - Non seulement, il y a ces maladies, mais, surtout, il n'y a pas de médicaments. Les médicaments sont au Nord, chez nous, dans les pays riches.
Q - Ils existent, ils sont là.
R - Oui, parce que nous pouvons les payer. Mais dans les pays du Sud, il y a des malades, des morts et pas de médicaments. La rifampicine est un antibiotique contre la tuberculose. Elle a été créée en 1954 ; il n'y en a pas là-bas. Il n'y a pas de BCG ni de vaccinations pour les enfants d'Afrique. Toutes les 30 secondes, l'un de ces enfants meurt.
C'est un vrai sujet de politique étrangère et je ne peux plus supporter cette idée qui avance que c'est de l'humanitaire. Non, ce n'est pas de l'humanitaire, c'est de la politique étrangère. En effet, cela ne sert à rien de voter des lois contre l'immigration dans notre pays ou ailleurs, dans les pays du Nord. Il ne sert à rien d'envoyer des armées pour empêcher l'immigration lorsque l'instinct de conservation dicte à un homme ou à une femme qui a un enfant qui est en train de mourir de tuberculose et qui sait qu'il y a des médicaments de l'autre côté de la frontière, de marcher pour les trouver.
Q - Comment cela va-t-il fonctionner précisément et est-ce grâce à cette taxe sur les billets d'avions que nous pourrons le faire ?
R - Oui, le président Chirac et le président Lula, il y a deux ans, à Genève, ont lancé l'idée de financements nouveaux. Pas des budgets alimentés par les impôts, qui sont remis en cause année par année, en fonction des parlements, non ! des financements nouveaux, massifs, durables, pérennes. Parce que la mondialisation entraîne une richesse supérieure dans les pays riches et une pauvreté supérieure dans les pays pauvres, nous avons pensé à la contribution sur les billets d'avions, c'est une expérience que nous lançons.
Q - Mais beaucoup de pays sont un peu réticents sur cette taxe, nous le savons, les Etats-Unis, le Canada ?
R - Terriblement réticents !
Q - N'est-ce donc pas un frein à votre ambition ?
R - Nous disons qu'un euro par billet d'avion, ce n'est rien lorsque l'on souhaite aller en France ou dans n'importe quelles capitales européennes. Et quatre euros, lorsque l'on réalise un grand voyage international, ce n'est rien non plus. Pour la France, sur une année, cela représentera 200 millions d'euros.
Nous étions 4 pays au début pour la contribution sur les billets d'avion, puis 14. Par ailleurs, 43 pays acceptent de soutenir UNITAID. En passant par cette grande sensibilisation des opinions publiques, j'espère que les différents gouvernements pourront nous suivre.
Il n'y a pas de médicaments aujourd'hui pour les enfants qui ont le sida. Il y en a très peu dans les pays du Nord et les industries pharmaceutiques ne trouvent pas cela rentable. Dans les pays du Sud, au moment où je vous parle, 2.000 enfants par jour sont contaminés et savez-vous comment ils sont traités ? on les traite avec des médicaments pour adultes, ce qui les rend très malades.
Avec UNITAID, nous nous occuperons de cela, et, je le répète, c'est de la politique internationale.
Q - Il y a à peu près 6 millions de personnes dans le monde qui ont besoin de médicaments et qui n'en ont pas, mais 3 millions sont aussi dans les pays riches et certains disent que ce service, UNITAID ira plutôt pour ces gens-là que pour les pays du Sud. Comment garantir que ce sont bien les pays les plus pauvres qui bénéficieront de votre système ?
R - UNITAID est uniquement destiné aux pays du Sud. La centrale d'achat est organisé avec l'OMS, avec l'ONUSIDA, avec le Fonds global de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Nous ne souhaitons pas dupliquer en créant une nouvelle Organisation internationale. Nous travaillons avec l'ONU et l'OMS afin de "casser" les prix des médicaments contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Permettez-moi de vous dire que, logiquement, la tuberculose ne devrait plus exister. En France par exemple, il y en a très peu.
Il n'y a pas de vaccination en Afrique aujourd'hui, et, avec UNITAID, il ne s'agit pas de payer des vaccins pour les Etats-Unis ou pour la France. Il s'agit de "casser" les prix.
Par exemple, une personne qui a le sida, aux Etats-Unis ou en Europe, cela coûte 13 000 dollars par malade et par an. Dans nos pays, nous pouvons le faire ; nous le faisons.
En "cassant" les prix, nous pourrions obtenir un coût de 150 dollars par malade et par an. Evidemment, il faut que ces gélules soient d'une couleur particulière afin qu'il n'y ait pas de trafic et qu'on ne retrouve pas ces comprimés dans le Nord.
Q - Vous allez utiliser le Mondial du football pour lancer la promotion d'UNITAID. Pouvez-vous nous en parler ?
R - En effet, le président de la FIFA, M. Blatter, a dit que les 64 matchs de la Coupe du monde pourraient servir à sensibiliser les pays et les différents journalistes sportifs qui travailleront sur cet événement.
Ces matchs débuteront avec un ballon qui sera porté par des enfants et par un arbitre aux couleurs d'UNITAID. Ce sera, je l'espère, l'occasion de dire aux habitants des pays qui ne participent pas à UNITAID que leur gouvernement devrait très vite le faire.
Q - Etes-vous fier, Monsieur Douste-Blazy, vous ancien médecin, de cet UNITAID ? Est-ce un peu l'oeuvre de votre vie ?
R - Nous sommes un certain nombre à avoir contribuer à ce projet : Bernard Kouchner, Michèle Barzac et d'autres, peu importe, de droite, du centre et de gauche ; il n'y a pas de politique politicienne avec cela. Nous en avons rêvé, nous y avons pensé, le président Clinton nous a lui-même beaucoup aidé avec sa Fondation privée ; il a créé exactement cette idée : une centrale d'achats de médicaments. En parlant avec lui, nous avons voulu construire ce projet au niveau mondial ; c'est maintenant une idée mondiale, mais c'est la diplomatie française qui l'a lancé et de cela, en effet, nous sommes tous fiers.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 2006