Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à l'émission Les Maternelles sur France 5 le 9 juin 2006, sur le projet UNITAID de financement d'achat de médicaments à destination des pays pauvres et sur le soutien des sportifs et des artistes à la promotion de ce programme.

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Média : France 5

Texte intégral

Q - Dans les "Maternelles", nous recevons Philippe Douste-Blazy. Vous êtes le ministre des Affaires étrangères et vous êtes porteur d'un projet qui vous tient particulièrement à coeur qui s'appelle UNITAID et qui nous concerne un petit peu tous quand il s'agit de solidarité mais aussi de voyages, à la veille des vacances. Dites-nous en un petit peu plus.
R - C'est en réalité une prise de conscience mondiale. Vous avez aujourd'hui dans le monde une personne contaminée par le sida toutes les six secondes, vous avez 21 millions de personnes infectées par la tuberculose, vous avez 2 millions de personnes qui en meurent chaque année alors que les antibiotiques pour la soigner ont été créés en 1953...

Q - ... et que cela fonctionne...
R - ... et que cela fonctionne très bien et nous sauve tous.

Q - Il y a le paludisme aussi.
R - Il y a le paludisme aussi. Le seul problème c'est que la plupart des malades meurent dans le Sud et pas dans le Nord. Alors, il y a un égoïsme effroyable des pays du Nord que nous sommes, riches, occidentaux, qui ne pensent absolument pas qu'il y a un enfant qui meurt du paludisme toutes les 30 secondes en Afrique.

Q - Alors, tout était parti de cette histoire de ponction sur les billets d'avion...
R - On sait cela depuis longtemps, et depuis longtemps on s'en moque et on a banalisé l'affaire. A un moment donné, on s'est demandé comment payer tout cela. Lorsqu'on connaît le nombre de milliards d'euros ou de dollars qui sont échangés en un an, franchement on se rend compte que cela n'est rien du tout. Or, on ne le fait pas. La seule solution c'est de trouver de nouveaux financements. Quels nouveaux financements ? Quelqu'un a eu l'idée des billets d'avion. Puisque c'est la mondialisation qui aboutit au fait que les pays pauvres sont de plus en plus pauvres et les pays riches de plus en plus riches...

Q - ... puis, à la limite, on ne prend qu'aux riches, puisque c'est sur les billets d'avions..
R - Oui, c'est cela. Prenons un symbole de la mondialisation, le billet d'avion, et taxons. Quand vous irez à Toulouse - Paris-Toulouse au hasard ! -, on vous fera payer un euro, franchement ce n'est pas "la mer à boire". Lorsque vous irez dans n'importe quelle capitale européenne, un euro. Quand, par contre, vous irez à New York, on vous fera payer 4 ou 5 euros, et si c'est en 1ère classe, cela coûte tellement cher que ce n'est pas grand-chose que de vous ponctionner 40 euros. Tout cela va nous faire 300 millions de dollars.

Q - Et cela, c'est mondial, on est d'accord ?
R - On a envie de le faire dans le monde entier. Nous, on a décidé de le faire en France, au Chili, au Brésil, en Norvège, au Royaume-Uni et dans 14 pays en tout.
Une autre idée : avec cet argent, on va faire une centrale d'achat, on va rassembler tout cet argent, à peu près 1 milliard de dollars, on va aller voir les laboratoires pharmaceutiques et on va leur dire : "il faut que vous nous cassiez les prix pour pouvoir...

Q - ...pour ces trois maladies-là...
R - ... oui, pour ces maladies - tuberculose, sida et paludisme -... pour pouvoir donner aux pays qui sont en zone d'endémie et qui ne peuvent pas payer les médicaments.

Q - Et donc les laboratoires ont accepté de baisser les prix. Cela fait une différence de combien à peu près ?
R - On est passé de 13 000 dollars par malade et par an, c'est-à-dire le coût du traitement d'un sidéen aux Etats-Unis ou en Europe, à 150. Et je voudrais remercier vraiment tous ceux qui ont permis cela.

Q - Donc, d'un côté on ponctionne, de l'autre les laboratoires cassent les prix.
R - Ensuite, il faut les distribuer. Donc, il faut monter maintenant un système avec l'UNICEF, avec l'Organisation mondiale de la Santé, je le leur ai demandé, ils ont accepté et j'ai annoncé cela le 2 juin dernier à New York, avec le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan et avec tous les pays qui acceptent de jouer le jeu avec nous pour qu'on le fasse. C'est une énorme affaire, c'est la première fois qu'il y a une démarche mondiale citoyenne : homme ou femme, citoyen du monde comme vous ou moi, vous allez donner pour quelqu'un qui est en train de mourir s'il n'a pas ces médicaments.
Aujourd'hui, dans le monde, il y a 6 millions de gens qui ont besoin d'un médicament anti-sida pour ne pas mourir dans trois mois. Sur ces 6 millions, 1 million auront des médicaments, 5 millions n'en auront pas. Alors, on me dit toujours - Bernard Kouchner et moi nous battons là-dessus depuis très longtemps - : "ce sont de gentils rêveurs, ce sont des médecins, des techniciens, ils sont gentils". Non...

Q - Non, c'est concret là maintenant.
R - Oui, mais surtout ce n'est pas uniquement un projet humanitaire, c'est un sujet politique, parce que, même si des gens se moquent de cela, ils ne vont pas se moquer de ce que je vais dire : s'ils n'ont pas de médicaments dans le Sud, il va y avoir des centaines de milliers de gens qui vont tout simplement venir immigrer chez nous et ils auront raison, on ne peut rien dire.
Quand vous avez un fils ou une fille qui est en train de mourir devant vous de tuberculose alors que les antibiotiques sont connus depuis 1953 en Europe ou en Amérique, c'est effrayant. Donc, vous allez faire vos 4 000 kilomètres pour venir ici. Et nous nous allons nous préoccuper de la question des papiers, des sans papiers et nous allons avoir notre petite discussion sur notre petite loi, égoïstement.
Il faut que nous puissions soigner ces gens. Il y a donc une énorme opération à monter et qui va durer dix ans, quinze ans, vingt ans, avec des financements pérennes. Et ça, c'est le président Chirac et le président brésilien Lula, il y a deux ans, qui ont dit la nécessité de trouver de nouvelles idées.

Q - Vous avez créé une agence ? Comment cela va-t-il se passer pour gérer un peu cet argent qui va rentrer ?
R - On est en train de monter cette opération, qui s'appelle UNITAID, "Tous unis pour aider". UNITAID, cela veut dire quelque chose aux Etats-Unis comme au Brésil ou Afrique.
L'idée c'est de pouvoir, une fois qu'on a ces médicaments, les distribuer dans des dispensaires, avec des infirmières, des médecins de brousse. Et c'est cela qui est compliqué : les médicaments seuls ne suffiront pas.

Q - Donc, c'est UNITAID qui va récolter l'argent, acheter les médicaments et redistribuer, sous forme de médicaments et non pas d'argent, aux pays qui en ont besoin ?
R - C'est cela l'enjeu qui sera très difficile pour nous. Parce que je crois que l'on va trouver des recettes assez facilement parce que tout le monde s'y met, les artistes s'y mettent, les sportifs s'y mettent, tout le monde s'y met. Mais le seul problème est que l'on a tellement été habitué à donner, mais que parfois on ne sait pas très bien à qui, et puis qu'il faut éviter la corruption sur le terrain...

Q - Parce qu'il y a du marché noir de médicaments aussi...
R - C'est effrayant, oui. En Afrique, il faut savoir qu'un médicament sur deux ou sur trois est soit périmé, avec des gens qui savent très bien qu'il est périmé mais qui le vendent quand même, soit faux, il y a d'ailleurs eu un magnifique film récemment sur ce sujet.

Q - Pourquoi vous dites "les artistes et les sportifs" ? En quoi s'engagent-ils ? Pour communiquer sur UNITAID ?
R - Oui, parce que je pense qu'aujourd'hui il est impossible de ne pas croire à ce que l'on vient de dire tous les deux.

Q - C'est pour cela qu'on est content de vous recevoir.
R - Ce n'est pas une affaire de droite, de gauche, de centre, ce n'est pas de la politique politicienne, c'est une affaire politique au vrai sens du terme. L'avenir de notre planète ne passera que par la question du partage de nos richesses, un cinquième de la population se partage quatre cinquième des richesses. Alors, je veux bien que l'on continue, hexagonalement, à s'occuper de notre petite préoccupation mais cela ne suffit pas.
Il faut maintenant vendre cette idée dans les autres pays du monde, je suis content d'ailleurs que la Coupe du Monde permette d'en parler actuellement...

Q - ... oui, parce que c'est vraiment votre cheval de bataille, vous êtes super fier - et vous avez bien raison - de cette aventure-là parce que tout le monde apparemment répond présent. Aujourd'hui, c'est la Coupe du Monde, je crois que sur tous les ballons qui vont jouer...
R - Je ne sais pas encore si ce sera sur les ballons qui vont jouer. Mais l'arbitre va arriver avec un ballon UNITAID.

Q - Ce qu'il faut, c'est communiquer en fait...
R - Ce qu'il faut, c'est que l'on se sente tous quelque part concernés. Il y a un site Internet, dont vous allez donner l'adresse sur votre site, qui fonctionne, il y a des bracelets UNITAID, il y a une chaîne de solidarité SMS gratuite ; on ne demande rien à personne, mais au moins on le fait pour que les gens disent avec une pétition, on a envie que cela marche parce que l'on ne peut pas continuer comme cela. Et, encore une fois, le jour où cela marchera, cela voudra dire que cela aura fonctionné dans le monde entier. J'espère qu'y compris aux Etats-Unis, il y aura une contribution volontaire sur les billets d'avion, peut-être pas obligatoire comme on l'a fait nous, mais volontaire.
Bono, le représentant de U2, a fait des choses fantastiques, Bill Gates en a fait aussi avec sa fondation, la Fondation Clinton aussi. Et puis je suis assez content parce que Nelson Mandela est derrière cette idée et c'est quand même un de nos grands exemples aujourd'hui.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juin 2006