Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Il me revient de répondre à toutes vos observations à la place de Philippe Douste-Blazy qui a un engagement diplomatique important. Mais permettez-moi de vous dire d'abord combien je me réjouis de la tenue de ces débats, comme, d'une façon générale, tout ce qui contribue à la meilleure association du Parlement aux questions européennes.
Comme Philippe Douste-Blazy vous l'a indiqué, le Conseil européen de juin permettra aux chefs d'Etat ou de gouvernement de faire le point sur la période de réflexion engagée il y a un an. Il leur permettra également de débattre des questions liées à l'élargissement mais aussi de la politique européenne de l'énergie, des questions migratoires et de plusieurs sujets sur lesquels nous avions fait des propositions, par exemple, le projet de création d'une capacité européenne de réponse aux catastrophes naturelles et aux crises, avec déjà de premières mesures opérationnelles décidées cette semaine.
Vos interventions ont porté sur la recherche des moyens pour continuer à faire avancer une Europe concrète au service des citoyens (1), mais aussi à progresser sur les questions institutionnelles (2) et sur la nécessité d'une réflexion sur l'élargissement (3).
Je vous répondrai sur tous ces points.
1) Continuons d'abord par faire avancer une Europe concrète au service des citoyens.
Comme vous le savez, depuis un an le gouvernement y a clairement donné la priorité dans son action européenne. Pourquoi ? Parce qu'il faut que l'Europe retrouve la confiance de ses concitoyens, vous avez été nombreux à le souligner.
Et pour retrouver la confiance des citoyens, nous devons développer des politiques efficaces qui répondent à leurs attentes, comme l'a souligné le président Vinçon. C'est pourquoi les principaux axes de l'action de l'Union européenne ces derniers mois ont été la croissance et l'emploi, la sécurité, l'énergie, les investissements accrus dans la recherche et l'innovation, les actions en faveur de la jeunesse, la problématique des migrations et du développement, l'OMC, la politique extérieure, notamment Iran et Proche-Orient.
Qu'on l'appelle Europe des projets ou Europe des résultats, la nécessité de cette orientation a été reconnue comme essentielle par tous les gouvernements européens et par la Commission, et l'Europe a su agir.
L'Union européenne fait son travail - je tiens à le dire - et prend les décisions qu'elle doit prendre, parfois avec plus de difficulté ou de lenteur qu'il serait souhaitable, mais elle le fait. Je prendrai quelques exemples pour illustrer mon propos, comme Philippe Douste-Blazy l'avait fait lui-même, car il faut parler concrètement :
- d'abord le budget : beaucoup doutaient, il y a encore six mois, de la capacité des Etats membres à s'accorder sur un budget. Or l'Europe dispose depuis ce printemps d'un budget, qui est un bon budget, conforme à ce qu'il doit être pour bâtir une Europe forte, compétitive et solidaire. Je ne rappellerai qu'un chiffre : ce budget s'élève à 864 milliards d'euros pour la période 2007-2013, ce qui correspond à 55 milliards de plus par rapport à la période précédente. L'Europe peut ainsi faire monter en puissance un certain nombre de politiques qu'il convenait de développer : cohésion, recherche et développement, politique extérieure commune, justice et affaires intérieures, etc.
- ensuite : la proposition de directive sur les services, évoquée notamment par le sénateur Denis Badré mais aussi par le sénateur Bret. Soyons clairs : nous avons réussi, en un an, à renverser totalement la situation et à convaincre nos partenaires et le Parlement européen. La réforme du premier projet était nécessaire car il n'était pas acceptable. Au contraire, l'accord politique conclu il y a deux semaines par les ministres des 25, par consensus, reprend le texte voté par le Parlement européen, qui était très satisfaisant : je veux rappeler que le principe du pays d'origine a été supprimé, que le droit du travail du pays de destination s'appliquera, c'est-à-dire par exemple le droit du travail français en France, que les services publics sont préservés ainsi que les secteurs sensibles que sont la santé, le social, la culture, l'audiovisuel. Nous pouvons maintenant envisager un marché intérieur des services respectueux de la dimension sociale de l'Union et permettant le développement des échanges, ce qui est notre intérêt.
Il est également important de souligner deux faits à propos de cette négociation : d'une part, la démocratie européenne a bien fonctionné - on prétend souvent le contraire; d'autre part, l'Europe arrive à concilier l'économique et le social - ce n'est pas rien.
L'Europe concrète a avancé tout au long de cette année dans d'autres domaines :
- par exemple dans le domaine de l'énergie où les jalons d'une véritable politique européenne - qui est nécessaire - ont été posés en mars. Monsieur le sénateur Badré a rappelé l'importance de la méthode Schuman et de la mise en place de politiques communes. Nous le pensons aussi mais nous ne faisons pas que le penser, nous le faisons : c'est la France qui a proposé que l'Union se dote d'une politique de l'énergie; j'y reviendrai ;
- c'est le cas dans le domaine de la recherche également avec des moyens budgétaires plus ambitieux (+ 35 % par rapport à la période précédente) et avec la décision prise en mars d'utiliser en plus une facilité de financement de la BEI pour augmenter les fonds consacrés à la recherche d'un montant pouvant atteindre jusqu'à 30 milliards d'euros. Et je dois citer pour mémoire les décisions prises sur ITER et GALILEO, deux investissements majeurs pour l'avenir et pour l'indépendance, en particulier, des Européens ;
Nous obtenons aussi des résultats en matière de sécurité, par exemple dans le domaine aérien avec la liste noire européenne des compagnies aériennes dangereuses ; ou bien l'introduction prochaine de la biométrie dans les visas, qui fera que les titres de séjour seront mieux sécurisés sur le territoire de l'Union.
Des résultats sont là en matière d'éducation également. Nous pensions qu'il fallait augmenter le nombre de bourses Erasmus et Leonardo pour les étudiants mais aussi les jeunes apprentis. C'est fait et c'est une bonne chose car ce sont les jeunes qui feront l'Europe de demain.
Et je dois aussi mentionner l'Europe de la défense et la PESC, sujets que vous avez évoqués, Monsieur le Président Vinçon. Les avancées ont été rapides : qui aurait pensé il y a encore quelques années que l'Union serait en mesure de mener en même temps onze missions dans le monde ? Deux opérations militaires - en Bosnie-Herzégovine et depuis avant-hier en République démocratique du Congo - et neuf opérations civiles de gestion de crise : en Bosnie-Herzégovine, en RDC, à Aceh en Indonésie, dans l'ARYM, à Rafah et dans les territoires palestiniens, dans les Balkans, et en Irak ? Deux plus neuf égalent onze : voilà des résultats comme vous l'avez dit, Monsieur le Président. L'Europe a une ambition politique.
Permettez-moi de rappeler à ce propos, comme Philippe Douste-Blazy l'a fait, le rôle essentiel que mène actuellement l'Europe dans le dossier du nucléaire iranien. Le sénateur de Montesquiou s'en est inquiété. Mais c'est bien le Haut-Représentant de l'Union qui a présenté à l'Iran l'offre de toute la communauté internationale : Europe, Etats-Unis, Chine et Russie réunis. C'est un rôle nouveau pour l'Europe, c'est la démocratie européenne qui est en avance sur les autres, Monsieur le Sénateur !
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, j'ai pris tous ces exemples pour montrer que l'Europe agit et décide. Il reviendra au Conseil européen de juin de faire avancer davantage cette Europe concrète en abordant deux autres sujets essentiels :
- tout d'abord les questions migratoires. Il est inutile d'en rappeler l'importance. Notre pays plaide depuis toujours pour une approche globale, c'est-à-dire comportant à la fois le renforcement des contrôles et le renforcement de la coopération et du développement, car le problème doit être aussi traité à sa source. C'est l'enjeu de la conférence euro-africaine de Rabat les 10 et 11 juillet. Mais je dois informer la Représentation nationale, et notamment le sénateur Badré, que nous n'avons pas attendu la semaine dernière pour mobiliser les Européens. Au contraire une initiative franco-espagnol a été prise au Sommet de Barcelone, fin novembre, mais aussi nous sommes parvenus à reconstituer le FED à hauteur de 22 milliards d'euros lors du Conseil européen de décembre et je mentionnerai aussi qu'il a été prévu lors de ce même Conseil de consacrer 3 % du programme MEDA pour le problème des migrations. Nous ne sommes pas restés, si je peux me permettre, les deux pieds dans le même sabot ! D'ailleurs, cela n'est pas le genre du ministre des Affaires étrangères, Monsieur le Sénateur !
- ensuite le Conseil reviendra sur les questions énergétiques : il avait demandé en mars de définir en premier lieu une politique extérieure de l'énergie, notamment à l'égard de nos principaux fournisseurs comme la Russie et les pays méditerranéens. Le Haut Représentant et la Commission européenne ont donc proposé un plan d'action, que les chefs d'Etat ou de gouvernement devraient valider. Lançons un dialogue ambitieux avec la Russie sur notre sécurité énergétique, et en utilisant les moyens existants, notamment au titre de la politique de voisinage, pour atteindre nos objectifs. La France est attachée à la mise en place progressive de cette politique énergétique extérieure européenne, pour laquelle elle oeuvre car c'est l'une des clés de notre indépendance.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous le voyez, même dans un contexte difficile, l'Europe avance. Et il faut en savoir gré à la présidence autrichienne. Je remercie aussi tous ceux d'entre vous qui l'ont aussi souligné car nous devons savoir mesurer à leur juste valeur les progrès accomplis, au lieu de céder à la facilité, ce qui est inimaginable ici ! Et puis surtout nous devons savoir nous mobiliser pour progresser encore, car l'Europe peut et doit continuer à gagner en cohérence et en efficacité.
Et je veux dire aussi de la manière la plus claire, ici, au Sénat, que la France tient son rang en Europe. La plupart des décisions que j'ai évoquées ont pour origine des propositions de notre pays. Et je veux le dire tout particulièrement au sénateur Badré qui s'en inquiétait. Sur tous ces sujets - énergie, recherche, éducation, budget européen, migrations - notre pays a été en initiative et a su peser de tout son poids pour entraîner les autres. Je n'ai pas besoin non plus de rappeler à la Représentation nationale tout ce qui a été fait depuis un an pour mieux associer le Parlement, les partenaires sociaux, et tous les Français. Je rappellerai, en revanche, l'adresse du site Internet que nous avons créé et qui permet à tous de s'exprimer : "touteleurope.fr". Monsieur le Sénateur de Montesquiou, vous le voyez, nous entendons faire au moins aussi bien que les pays voisins, et j'invite chacune et chacun à le consulter et à s'y exprimer.
J'en viens à présent aux deux autres grands sujets que vous avez évoqués, les questions institutionnelles et l'élargissement.
2) Avancer sur les questions institutionnelles
Comme les orateurs l'ont souligné, les chefs d'Etat ou de gouvernement aborderont bien sûr cette question de l'avenir du traité constitutionnel au cours du Conseil européen.
Vous avez tous posé la question de savoir où en est le traité constitutionnel. Le ministre des Affaires étrangères vous l'a rappelé : quinze pays l'ont ratifié, la Finlande devrait normalement se prononcer au cours du second semestre 2006. Mais deux Etats l'ont rejeté, par un vote qui s'impose. Et quant à ceux qui ne se sont pas encore prononcés, huit aujourd'hui, nous savons bien que certains d'entre eux auraient des difficultés à le faire, c'est un fait auquel il faut donner l'importance qu'il mérite, ce qu'on ne fait pas toujours suffisamment.
Disons donc les choses clairement et simplement : il n'y a pas aujourd'hui de solution à court terme pour l'avenir du traité. Il n'y a pas non plus consensus, vous l'avez dit Monsieur le Président. Dans ces conditions, les 25 se dirigent vers la prolongation de la période de réflexion ouverte l'an dernier et pour plusieurs années car nous aurons besoin de plusieurs présidences pour que la question institutionnelle trouve une solution adéquate. Le président de la République et la chancelière fédérale l'ont indiqué lors de leur rencontre du 6 juin, la Présidence allemande devrait permettre de faire la synthèse des propositions possibles, et le premier semestre 2007 devrait ainsi être le début d'une séquence, qui se prolongera jusqu'au second semestre 2008 avec la Présidence française et même au-delà. Voilà ce que nous pouvons vous dire aujourd'hui pour vous informer le plus complément possible.
Cela étant, comme vous l'avez dit Monsieur le Sénateur Blanc, cette situation délicate ne remet pas en cause le problème de fond : le besoin d'institutions rénovées reste entier. Nous ne pourrons en rester durablement au traité de Nice. Il faudra un nouveau traité.
La France, par la voix du président de la République, a proposé dans cette attente d'améliorer déjà ce qui peut l'être dans le cadre des traités actuels. C'est pourquoi, avec Philippe Douste-Blazy, j'ai transmis fin avril à nos partenaires européens une contribution à la réflexion commune comportant plusieurs propositions précises et concrètes, que je voudrais citer car elles me semblent rejoindre les préoccupations que vous avez ici exprimées :
- sur la sécurité des citoyens pour l'améliorer en rendant plus facile la prise de décision grâce au passage à la majorité qualifiée dans certains cas décidé à l'unanimité ; il faudra d'ailleurs comme l'a justement souligné le président Haenel, développer d'une façon générale la majorité qualifiée ;
- sur la dimension sociale de l'action de l'Union, qu'il faut mieux faire prendre en compte ;
- sur son action extérieure, pour en renforcer la cohérence, la visibilité et l'unité entre tous les acteurs concernés - Commission, Conseil, SG/HR, Etats membres - ; cependant je dois rappeler au sénateur de Montesquiou que, pour avoir un véritable ministre des Affaires étrangères européen, il faudrait un nouveau traité ... c'était même prévu ;
- sur la coordination des politiques économiques, qui est indispensable pour renforcer notre efficacité collective, comme la France l'a toujours souhaité ;
- sur le rôle des parlements nationaux: c'est une exigence démocratique fondamentale ; je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit le président Haenel, pour dire que le contrôle du principe de subsidiarité et de proportionnalité par les parlements nationaux doit être renforcé. Vous avez fait, d'ailleurs Monsieur le Président, de très intéressantes réflexions, étayées par l'exemple, sur la subsidiarité.
Il est certain qu'un meilleur équilibre doit être trouvé entre harmonisation et subsidiarité. L'une comme l'autre sont nécessaires. D'ailleurs le texte du traité constitutionnel comporte des dispositions précises pour assurer un meilleur respect de la subsidiarité, ce qui prouve que, non seulement notre pays le préconise depuis plusieurs années, depuis que la réflexion s'est engagée sur les institutions, mais que ses partenaires en étaient également convaincus puisque l'accord s'était fait sur ce texte.
Mais n'oublions pas non plus que l'harmonisation est, elle aussi, nécessaire: c'est même l'un des principes de base de l'Union. Et c'est ce qui explique parfois que la même règle s'applique en droit à tous, même si tous ne sont pas concernés dans la même mesure. Quant à la remarque du président Haenel sur les fleuves, elle paraît à première vue fort pertinente ; Philippe Douste-Blazy et moi la prendrons pleinement en compte et l'informerons de la façon dont a été forgée ou non la position interministérielle.
Ceci dit, Monsieur le Président, le gouvernement avait agi en faveur de la subsidiarité, et le traité validait cette ligne. Comme il n'est pas en vigueur, la France continue d'oeuvrer en ce sens. Elle souhaite que les parlements soient mieux associés. Elle a proposé, comme vous le savez des mécanismes précis dans cette contribution adressée à ses partenaires fin avril. Vous soulignez que le président Barroso a repris cette idée, nous le remercions en effet d'avoir bien voulu s'inspirer des idées françaises, sur ce sujet comme sur d'autres, pour l'importante contribution de la Commission européenne du mois dernier.
Je peux donc vous assurer, pour répondre à votre question, que la France souhaite que le prochain Conseil européen marque clairement la direction: elle a pour cela le soutien de la Commission et de la Présidence, ce qui est essentiel. Elle l'a redemandé lundi au CAG. J'observe cependant comme vous que les négociations se poursuivent sur les conclusions, pour lever les réticences de quelques Etats membres qui sont prêts à aller moins loin que nous.
D'une manière plus générale, je voudrais rappeler au sénateur Boulaud et au sénateur de Montesquiou qu'en faisant ces propositions à traités constants nous avons avant tout voulu être pragmatiques et efficaces et regarder très concrètement tout ce qui pouvait être amélioré dès maintenant. Non seulement c'est possible mais c'est nécessaire pour rendre la période de réflexion active et utile. C'est tout le contraire d'une pause et c'est tout le contraire de l'inaction. C'est la France qui a fait ces propositions, et aucun autre pays ! Vous le savez bien.
Ce Conseil européen doit permettre d'arrêter des orientations claires pour avancer sur plusieurs de ces propositions et de poser ainsi les jalons nécessaires pour l'avenir.
3) J'en viens à présent au second sujet majeur : l'élargissement
Vous vous souviendrez que la France avait souhaité que cette réflexion occupe davantage de place dans le débat européen. Les Français l'ont aussi clairement demandé et vous vous en êtes fait l'écho à nouveau aujourd'hui.
Je souhaite aujourd'hui devant la Représentation nationale rappeler la position du gouvernement sur cette question.
D'abord n'oublions pas que l'élargissement a été une réussite, je dirai même un accomplissement historique conforme à la vocation première de la construction européenne : bâtir sur notre continent - dont on connaît l'histoire - un espace de paix, de démocratie - nous étions encore divisés il y a quinze ans. Qui voudrait de l'alternative qui eût été de garder le continent divisé en deux ? Qui pourrait croire aussi que dans le monde globalisé d'aujourd'hui, il y ait un autre choix que celui d'unir nos forces pour réussir notre développement économique et social ?
Cela étant, et vous l'avez rappelé Monsieur le Sénateur Blanc, Monsieur le Président Vinçon aussi, beaucoup de nos compatriotes ont pu avoir le sentiment que ce processus leur échappait, même si leurs représentants y ont toujours participé comme il se doit. Ainsi a pu se faire jour le sentiment d'une absence de contrôle politique adéquat sur ce processus. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'on ne fera pas l'Europe sans les peuples. Ce contrôle politique, il faut donc le renforcer.
C'est sur la base de cette conviction que le gouvernement français a demandé - et obtenu - que l'Union engage un débat de fond sur la stratégie d'élargissement avant d'accueillir de nouveaux membres.
L'élargissement concerne bien sûr les pays candidats mais concerne bien évidemment aussi l'Union elle-même. En effet, il a des conséquences tant sur sa nature, sur son identité que sur son fonctionnement. Nous devons donc veiller à ce que ce processus reste une réussite, pour les pays candidats mais aussi pour l'Union elle-même.
C'est en gardant cela à l'esprit qu'il nous faut répondre aux différentes questions concrètes qui se posent : quelles seront les politiques communes d'une Union élargie ? Quel sera son budget et son type de financement ? Quelles seront ses institutions ? Et comment s'assurer du soutien des peuples à ce processus ? Ce que l'on appelle la capacité d'absorption ou d'assimilation doit donc être non seulement rappelée au Conseil européen mais précisée. C'est ce que la France souhaite.
Lors du Conseil européen nous devons donc progresser sur ce point et engager immédiatement la réflexion, tout en demandant qu'elle se poursuive aussi sous les présidences suivantes.
Permettez-moi aussi de vous assurer que nous resterons d'une très grande vigilance dans le suivi au jour le jour des discussions et des négociations en cours, qu'il s'agisse des pays adhérents, des pays candidats ou bien encore des pays des Balkans auxquels a été reconnue une perspective européenne. Le récent rapport de la Commission sur la Bulgarie et la Roumanie vous montre que le processus est conduit avec sérieux. Pour répondre à la question judicieuse posée par le sénateur Badré, le sénateur Boulaud et le sénateur Blanc, je précise ici que les débats s'engageront à l'Assemblée nationale sur la ratification des traités le 27 juin.
Au total, Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les Sénateurs, la France se rend à ce Conseil européen en étant une force de propositions et en incitant ses partenaires à aborder ouvertement tous les sujets majeurs concernant l'avenir de l'Europe, même ceux qui sont difficiles. Car c'est ce que demandent nos concitoyens. Les Françaises et les Français restent attachés à l'Europe comme projet politique. Ce projet est porteur de valeurs et profondément respectueux de l'identité des peuples. Il est également porteur d'un idéal, celui de la fraternité et de la raison, celui où les Nations décident librement de faire prévaloir ce qui les unit sur ce qui les divisait. Voilà le cap, Monsieur le Président Vinçon. Gardons-le !
Au moment de conclure cette réponse, je souhaitais le rappeler, afin que personne ne l'oublie, que l'Europe ne sera que ce qu'est notre volonté collective commune. Je partage pleinement la conviction exprimée avec force par le sénateur Badré et m'efforce de le démontrer dans mes fonctions. C'est en étant guidé par cette conviction que le gouvernement agit depuis un an, en étant en initiative pour faire avancer l'Europe et c'est ce qu'il continuera de faire, car c'est son devoir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2006
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Il me revient de répondre à toutes vos observations à la place de Philippe Douste-Blazy qui a un engagement diplomatique important. Mais permettez-moi de vous dire d'abord combien je me réjouis de la tenue de ces débats, comme, d'une façon générale, tout ce qui contribue à la meilleure association du Parlement aux questions européennes.
Comme Philippe Douste-Blazy vous l'a indiqué, le Conseil européen de juin permettra aux chefs d'Etat ou de gouvernement de faire le point sur la période de réflexion engagée il y a un an. Il leur permettra également de débattre des questions liées à l'élargissement mais aussi de la politique européenne de l'énergie, des questions migratoires et de plusieurs sujets sur lesquels nous avions fait des propositions, par exemple, le projet de création d'une capacité européenne de réponse aux catastrophes naturelles et aux crises, avec déjà de premières mesures opérationnelles décidées cette semaine.
Vos interventions ont porté sur la recherche des moyens pour continuer à faire avancer une Europe concrète au service des citoyens (1), mais aussi à progresser sur les questions institutionnelles (2) et sur la nécessité d'une réflexion sur l'élargissement (3).
Je vous répondrai sur tous ces points.
1) Continuons d'abord par faire avancer une Europe concrète au service des citoyens.
Comme vous le savez, depuis un an le gouvernement y a clairement donné la priorité dans son action européenne. Pourquoi ? Parce qu'il faut que l'Europe retrouve la confiance de ses concitoyens, vous avez été nombreux à le souligner.
Et pour retrouver la confiance des citoyens, nous devons développer des politiques efficaces qui répondent à leurs attentes, comme l'a souligné le président Vinçon. C'est pourquoi les principaux axes de l'action de l'Union européenne ces derniers mois ont été la croissance et l'emploi, la sécurité, l'énergie, les investissements accrus dans la recherche et l'innovation, les actions en faveur de la jeunesse, la problématique des migrations et du développement, l'OMC, la politique extérieure, notamment Iran et Proche-Orient.
Qu'on l'appelle Europe des projets ou Europe des résultats, la nécessité de cette orientation a été reconnue comme essentielle par tous les gouvernements européens et par la Commission, et l'Europe a su agir.
L'Union européenne fait son travail - je tiens à le dire - et prend les décisions qu'elle doit prendre, parfois avec plus de difficulté ou de lenteur qu'il serait souhaitable, mais elle le fait. Je prendrai quelques exemples pour illustrer mon propos, comme Philippe Douste-Blazy l'avait fait lui-même, car il faut parler concrètement :
- d'abord le budget : beaucoup doutaient, il y a encore six mois, de la capacité des Etats membres à s'accorder sur un budget. Or l'Europe dispose depuis ce printemps d'un budget, qui est un bon budget, conforme à ce qu'il doit être pour bâtir une Europe forte, compétitive et solidaire. Je ne rappellerai qu'un chiffre : ce budget s'élève à 864 milliards d'euros pour la période 2007-2013, ce qui correspond à 55 milliards de plus par rapport à la période précédente. L'Europe peut ainsi faire monter en puissance un certain nombre de politiques qu'il convenait de développer : cohésion, recherche et développement, politique extérieure commune, justice et affaires intérieures, etc.
- ensuite : la proposition de directive sur les services, évoquée notamment par le sénateur Denis Badré mais aussi par le sénateur Bret. Soyons clairs : nous avons réussi, en un an, à renverser totalement la situation et à convaincre nos partenaires et le Parlement européen. La réforme du premier projet était nécessaire car il n'était pas acceptable. Au contraire, l'accord politique conclu il y a deux semaines par les ministres des 25, par consensus, reprend le texte voté par le Parlement européen, qui était très satisfaisant : je veux rappeler que le principe du pays d'origine a été supprimé, que le droit du travail du pays de destination s'appliquera, c'est-à-dire par exemple le droit du travail français en France, que les services publics sont préservés ainsi que les secteurs sensibles que sont la santé, le social, la culture, l'audiovisuel. Nous pouvons maintenant envisager un marché intérieur des services respectueux de la dimension sociale de l'Union et permettant le développement des échanges, ce qui est notre intérêt.
Il est également important de souligner deux faits à propos de cette négociation : d'une part, la démocratie européenne a bien fonctionné - on prétend souvent le contraire; d'autre part, l'Europe arrive à concilier l'économique et le social - ce n'est pas rien.
L'Europe concrète a avancé tout au long de cette année dans d'autres domaines :
- par exemple dans le domaine de l'énergie où les jalons d'une véritable politique européenne - qui est nécessaire - ont été posés en mars. Monsieur le sénateur Badré a rappelé l'importance de la méthode Schuman et de la mise en place de politiques communes. Nous le pensons aussi mais nous ne faisons pas que le penser, nous le faisons : c'est la France qui a proposé que l'Union se dote d'une politique de l'énergie; j'y reviendrai ;
- c'est le cas dans le domaine de la recherche également avec des moyens budgétaires plus ambitieux (+ 35 % par rapport à la période précédente) et avec la décision prise en mars d'utiliser en plus une facilité de financement de la BEI pour augmenter les fonds consacrés à la recherche d'un montant pouvant atteindre jusqu'à 30 milliards d'euros. Et je dois citer pour mémoire les décisions prises sur ITER et GALILEO, deux investissements majeurs pour l'avenir et pour l'indépendance, en particulier, des Européens ;
Nous obtenons aussi des résultats en matière de sécurité, par exemple dans le domaine aérien avec la liste noire européenne des compagnies aériennes dangereuses ; ou bien l'introduction prochaine de la biométrie dans les visas, qui fera que les titres de séjour seront mieux sécurisés sur le territoire de l'Union.
Des résultats sont là en matière d'éducation également. Nous pensions qu'il fallait augmenter le nombre de bourses Erasmus et Leonardo pour les étudiants mais aussi les jeunes apprentis. C'est fait et c'est une bonne chose car ce sont les jeunes qui feront l'Europe de demain.
Et je dois aussi mentionner l'Europe de la défense et la PESC, sujets que vous avez évoqués, Monsieur le Président Vinçon. Les avancées ont été rapides : qui aurait pensé il y a encore quelques années que l'Union serait en mesure de mener en même temps onze missions dans le monde ? Deux opérations militaires - en Bosnie-Herzégovine et depuis avant-hier en République démocratique du Congo - et neuf opérations civiles de gestion de crise : en Bosnie-Herzégovine, en RDC, à Aceh en Indonésie, dans l'ARYM, à Rafah et dans les territoires palestiniens, dans les Balkans, et en Irak ? Deux plus neuf égalent onze : voilà des résultats comme vous l'avez dit, Monsieur le Président. L'Europe a une ambition politique.
Permettez-moi de rappeler à ce propos, comme Philippe Douste-Blazy l'a fait, le rôle essentiel que mène actuellement l'Europe dans le dossier du nucléaire iranien. Le sénateur de Montesquiou s'en est inquiété. Mais c'est bien le Haut-Représentant de l'Union qui a présenté à l'Iran l'offre de toute la communauté internationale : Europe, Etats-Unis, Chine et Russie réunis. C'est un rôle nouveau pour l'Europe, c'est la démocratie européenne qui est en avance sur les autres, Monsieur le Sénateur !
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, j'ai pris tous ces exemples pour montrer que l'Europe agit et décide. Il reviendra au Conseil européen de juin de faire avancer davantage cette Europe concrète en abordant deux autres sujets essentiels :
- tout d'abord les questions migratoires. Il est inutile d'en rappeler l'importance. Notre pays plaide depuis toujours pour une approche globale, c'est-à-dire comportant à la fois le renforcement des contrôles et le renforcement de la coopération et du développement, car le problème doit être aussi traité à sa source. C'est l'enjeu de la conférence euro-africaine de Rabat les 10 et 11 juillet. Mais je dois informer la Représentation nationale, et notamment le sénateur Badré, que nous n'avons pas attendu la semaine dernière pour mobiliser les Européens. Au contraire une initiative franco-espagnol a été prise au Sommet de Barcelone, fin novembre, mais aussi nous sommes parvenus à reconstituer le FED à hauteur de 22 milliards d'euros lors du Conseil européen de décembre et je mentionnerai aussi qu'il a été prévu lors de ce même Conseil de consacrer 3 % du programme MEDA pour le problème des migrations. Nous ne sommes pas restés, si je peux me permettre, les deux pieds dans le même sabot ! D'ailleurs, cela n'est pas le genre du ministre des Affaires étrangères, Monsieur le Sénateur !
- ensuite le Conseil reviendra sur les questions énergétiques : il avait demandé en mars de définir en premier lieu une politique extérieure de l'énergie, notamment à l'égard de nos principaux fournisseurs comme la Russie et les pays méditerranéens. Le Haut Représentant et la Commission européenne ont donc proposé un plan d'action, que les chefs d'Etat ou de gouvernement devraient valider. Lançons un dialogue ambitieux avec la Russie sur notre sécurité énergétique, et en utilisant les moyens existants, notamment au titre de la politique de voisinage, pour atteindre nos objectifs. La France est attachée à la mise en place progressive de cette politique énergétique extérieure européenne, pour laquelle elle oeuvre car c'est l'une des clés de notre indépendance.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous le voyez, même dans un contexte difficile, l'Europe avance. Et il faut en savoir gré à la présidence autrichienne. Je remercie aussi tous ceux d'entre vous qui l'ont aussi souligné car nous devons savoir mesurer à leur juste valeur les progrès accomplis, au lieu de céder à la facilité, ce qui est inimaginable ici ! Et puis surtout nous devons savoir nous mobiliser pour progresser encore, car l'Europe peut et doit continuer à gagner en cohérence et en efficacité.
Et je veux dire aussi de la manière la plus claire, ici, au Sénat, que la France tient son rang en Europe. La plupart des décisions que j'ai évoquées ont pour origine des propositions de notre pays. Et je veux le dire tout particulièrement au sénateur Badré qui s'en inquiétait. Sur tous ces sujets - énergie, recherche, éducation, budget européen, migrations - notre pays a été en initiative et a su peser de tout son poids pour entraîner les autres. Je n'ai pas besoin non plus de rappeler à la Représentation nationale tout ce qui a été fait depuis un an pour mieux associer le Parlement, les partenaires sociaux, et tous les Français. Je rappellerai, en revanche, l'adresse du site Internet que nous avons créé et qui permet à tous de s'exprimer : "touteleurope.fr". Monsieur le Sénateur de Montesquiou, vous le voyez, nous entendons faire au moins aussi bien que les pays voisins, et j'invite chacune et chacun à le consulter et à s'y exprimer.
J'en viens à présent aux deux autres grands sujets que vous avez évoqués, les questions institutionnelles et l'élargissement.
2) Avancer sur les questions institutionnelles
Comme les orateurs l'ont souligné, les chefs d'Etat ou de gouvernement aborderont bien sûr cette question de l'avenir du traité constitutionnel au cours du Conseil européen.
Vous avez tous posé la question de savoir où en est le traité constitutionnel. Le ministre des Affaires étrangères vous l'a rappelé : quinze pays l'ont ratifié, la Finlande devrait normalement se prononcer au cours du second semestre 2006. Mais deux Etats l'ont rejeté, par un vote qui s'impose. Et quant à ceux qui ne se sont pas encore prononcés, huit aujourd'hui, nous savons bien que certains d'entre eux auraient des difficultés à le faire, c'est un fait auquel il faut donner l'importance qu'il mérite, ce qu'on ne fait pas toujours suffisamment.
Disons donc les choses clairement et simplement : il n'y a pas aujourd'hui de solution à court terme pour l'avenir du traité. Il n'y a pas non plus consensus, vous l'avez dit Monsieur le Président. Dans ces conditions, les 25 se dirigent vers la prolongation de la période de réflexion ouverte l'an dernier et pour plusieurs années car nous aurons besoin de plusieurs présidences pour que la question institutionnelle trouve une solution adéquate. Le président de la République et la chancelière fédérale l'ont indiqué lors de leur rencontre du 6 juin, la Présidence allemande devrait permettre de faire la synthèse des propositions possibles, et le premier semestre 2007 devrait ainsi être le début d'une séquence, qui se prolongera jusqu'au second semestre 2008 avec la Présidence française et même au-delà. Voilà ce que nous pouvons vous dire aujourd'hui pour vous informer le plus complément possible.
Cela étant, comme vous l'avez dit Monsieur le Sénateur Blanc, cette situation délicate ne remet pas en cause le problème de fond : le besoin d'institutions rénovées reste entier. Nous ne pourrons en rester durablement au traité de Nice. Il faudra un nouveau traité.
La France, par la voix du président de la République, a proposé dans cette attente d'améliorer déjà ce qui peut l'être dans le cadre des traités actuels. C'est pourquoi, avec Philippe Douste-Blazy, j'ai transmis fin avril à nos partenaires européens une contribution à la réflexion commune comportant plusieurs propositions précises et concrètes, que je voudrais citer car elles me semblent rejoindre les préoccupations que vous avez ici exprimées :
- sur la sécurité des citoyens pour l'améliorer en rendant plus facile la prise de décision grâce au passage à la majorité qualifiée dans certains cas décidé à l'unanimité ; il faudra d'ailleurs comme l'a justement souligné le président Haenel, développer d'une façon générale la majorité qualifiée ;
- sur la dimension sociale de l'action de l'Union, qu'il faut mieux faire prendre en compte ;
- sur son action extérieure, pour en renforcer la cohérence, la visibilité et l'unité entre tous les acteurs concernés - Commission, Conseil, SG/HR, Etats membres - ; cependant je dois rappeler au sénateur de Montesquiou que, pour avoir un véritable ministre des Affaires étrangères européen, il faudrait un nouveau traité ... c'était même prévu ;
- sur la coordination des politiques économiques, qui est indispensable pour renforcer notre efficacité collective, comme la France l'a toujours souhaité ;
- sur le rôle des parlements nationaux: c'est une exigence démocratique fondamentale ; je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit le président Haenel, pour dire que le contrôle du principe de subsidiarité et de proportionnalité par les parlements nationaux doit être renforcé. Vous avez fait, d'ailleurs Monsieur le Président, de très intéressantes réflexions, étayées par l'exemple, sur la subsidiarité.
Il est certain qu'un meilleur équilibre doit être trouvé entre harmonisation et subsidiarité. L'une comme l'autre sont nécessaires. D'ailleurs le texte du traité constitutionnel comporte des dispositions précises pour assurer un meilleur respect de la subsidiarité, ce qui prouve que, non seulement notre pays le préconise depuis plusieurs années, depuis que la réflexion s'est engagée sur les institutions, mais que ses partenaires en étaient également convaincus puisque l'accord s'était fait sur ce texte.
Mais n'oublions pas non plus que l'harmonisation est, elle aussi, nécessaire: c'est même l'un des principes de base de l'Union. Et c'est ce qui explique parfois que la même règle s'applique en droit à tous, même si tous ne sont pas concernés dans la même mesure. Quant à la remarque du président Haenel sur les fleuves, elle paraît à première vue fort pertinente ; Philippe Douste-Blazy et moi la prendrons pleinement en compte et l'informerons de la façon dont a été forgée ou non la position interministérielle.
Ceci dit, Monsieur le Président, le gouvernement avait agi en faveur de la subsidiarité, et le traité validait cette ligne. Comme il n'est pas en vigueur, la France continue d'oeuvrer en ce sens. Elle souhaite que les parlements soient mieux associés. Elle a proposé, comme vous le savez des mécanismes précis dans cette contribution adressée à ses partenaires fin avril. Vous soulignez que le président Barroso a repris cette idée, nous le remercions en effet d'avoir bien voulu s'inspirer des idées françaises, sur ce sujet comme sur d'autres, pour l'importante contribution de la Commission européenne du mois dernier.
Je peux donc vous assurer, pour répondre à votre question, que la France souhaite que le prochain Conseil européen marque clairement la direction: elle a pour cela le soutien de la Commission et de la Présidence, ce qui est essentiel. Elle l'a redemandé lundi au CAG. J'observe cependant comme vous que les négociations se poursuivent sur les conclusions, pour lever les réticences de quelques Etats membres qui sont prêts à aller moins loin que nous.
D'une manière plus générale, je voudrais rappeler au sénateur Boulaud et au sénateur de Montesquiou qu'en faisant ces propositions à traités constants nous avons avant tout voulu être pragmatiques et efficaces et regarder très concrètement tout ce qui pouvait être amélioré dès maintenant. Non seulement c'est possible mais c'est nécessaire pour rendre la période de réflexion active et utile. C'est tout le contraire d'une pause et c'est tout le contraire de l'inaction. C'est la France qui a fait ces propositions, et aucun autre pays ! Vous le savez bien.
Ce Conseil européen doit permettre d'arrêter des orientations claires pour avancer sur plusieurs de ces propositions et de poser ainsi les jalons nécessaires pour l'avenir.
3) J'en viens à présent au second sujet majeur : l'élargissement
Vous vous souviendrez que la France avait souhaité que cette réflexion occupe davantage de place dans le débat européen. Les Français l'ont aussi clairement demandé et vous vous en êtes fait l'écho à nouveau aujourd'hui.
Je souhaite aujourd'hui devant la Représentation nationale rappeler la position du gouvernement sur cette question.
D'abord n'oublions pas que l'élargissement a été une réussite, je dirai même un accomplissement historique conforme à la vocation première de la construction européenne : bâtir sur notre continent - dont on connaît l'histoire - un espace de paix, de démocratie - nous étions encore divisés il y a quinze ans. Qui voudrait de l'alternative qui eût été de garder le continent divisé en deux ? Qui pourrait croire aussi que dans le monde globalisé d'aujourd'hui, il y ait un autre choix que celui d'unir nos forces pour réussir notre développement économique et social ?
Cela étant, et vous l'avez rappelé Monsieur le Sénateur Blanc, Monsieur le Président Vinçon aussi, beaucoup de nos compatriotes ont pu avoir le sentiment que ce processus leur échappait, même si leurs représentants y ont toujours participé comme il se doit. Ainsi a pu se faire jour le sentiment d'une absence de contrôle politique adéquat sur ce processus. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'on ne fera pas l'Europe sans les peuples. Ce contrôle politique, il faut donc le renforcer.
C'est sur la base de cette conviction que le gouvernement français a demandé - et obtenu - que l'Union engage un débat de fond sur la stratégie d'élargissement avant d'accueillir de nouveaux membres.
L'élargissement concerne bien sûr les pays candidats mais concerne bien évidemment aussi l'Union elle-même. En effet, il a des conséquences tant sur sa nature, sur son identité que sur son fonctionnement. Nous devons donc veiller à ce que ce processus reste une réussite, pour les pays candidats mais aussi pour l'Union elle-même.
C'est en gardant cela à l'esprit qu'il nous faut répondre aux différentes questions concrètes qui se posent : quelles seront les politiques communes d'une Union élargie ? Quel sera son budget et son type de financement ? Quelles seront ses institutions ? Et comment s'assurer du soutien des peuples à ce processus ? Ce que l'on appelle la capacité d'absorption ou d'assimilation doit donc être non seulement rappelée au Conseil européen mais précisée. C'est ce que la France souhaite.
Lors du Conseil européen nous devons donc progresser sur ce point et engager immédiatement la réflexion, tout en demandant qu'elle se poursuive aussi sous les présidences suivantes.
Permettez-moi aussi de vous assurer que nous resterons d'une très grande vigilance dans le suivi au jour le jour des discussions et des négociations en cours, qu'il s'agisse des pays adhérents, des pays candidats ou bien encore des pays des Balkans auxquels a été reconnue une perspective européenne. Le récent rapport de la Commission sur la Bulgarie et la Roumanie vous montre que le processus est conduit avec sérieux. Pour répondre à la question judicieuse posée par le sénateur Badré, le sénateur Boulaud et le sénateur Blanc, je précise ici que les débats s'engageront à l'Assemblée nationale sur la ratification des traités le 27 juin.
Au total, Monsieur le Président, Mesdames et messieurs les Sénateurs, la France se rend à ce Conseil européen en étant une force de propositions et en incitant ses partenaires à aborder ouvertement tous les sujets majeurs concernant l'avenir de l'Europe, même ceux qui sont difficiles. Car c'est ce que demandent nos concitoyens. Les Françaises et les Français restent attachés à l'Europe comme projet politique. Ce projet est porteur de valeurs et profondément respectueux de l'identité des peuples. Il est également porteur d'un idéal, celui de la fraternité et de la raison, celui où les Nations décident librement de faire prévaloir ce qui les unit sur ce qui les divisait. Voilà le cap, Monsieur le Président Vinçon. Gardons-le !
Au moment de conclure cette réponse, je souhaitais le rappeler, afin que personne ne l'oublie, que l'Europe ne sera que ce qu'est notre volonté collective commune. Je partage pleinement la conviction exprimée avec force par le sénateur Badré et m'efforce de le démontrer dans mes fonctions. C'est en étant guidé par cette conviction que le gouvernement agit depuis un an, en étant en initiative pour faire avancer l'Europe et c'est ce qu'il continuera de faire, car c'est son devoir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2006