Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec I Télé le 15 juin 2006, sur le programme UNITAID de financement des médicaments à destination des pays pauvres et le soutien apportée par la FIFA (Fédération internationale de football) à sa promotion.

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Média : I-télévision

Texte intégral

Q - Bonjour, Monsieur le Ministre. Merci de nous accueillir dans cette Maison. On connaît, Monsieur le Ministre, votre passion pour l"'ovalie", un petit peu moins celle du ballon rond ; pourquoi UNITAID s'engage avec la FIFA ?
R - Parce qu'UNITAID, c'est "Unis pour aider", "Unis pour soigner". Dans cette maison, dans ce bureau au Quai d'Orsay, on s'aperçoit très vite que parmi les grands sujets les plus dangereux, qui remettent en cause la stabilité de la planète, il y a l'appauvrissement, la pauvreté extrême qui gagne du terrain dans les pays du Sud et des pays riches qui deviennent de plus en plus riches.
La première conséquence de la pauvreté, c'est l'absence de système de santé publique et le développement de graves maladies comme la tuberculose, que l'on croyait à jamais vaincue, le sida et le paludisme.
Aujourd'hui, sur 6 millions de personnes qui ont besoin d'un médicament pour ne pas mourir dans les trois mois, 5 millions n'en auront jamais. Nous avons pensé que, grâce à une contribution d'un euro par billet d'avion pour aller dans une ville française, ou dans une ville européenne, et de 4 euros pour une autre destination, nous pourrions rassembler beaucoup d'argent et créer une Centrale d'achat de médicaments afin d'acheter des médicaments à bas prix pour les pays du Sud.
Nous avons voulu le faire savoir et le président de la FIFA, M. Blatter, a accepté l'idée qu'UNITAID, avec ce ballon...

Q - ... cette balle qu'on voit sur les terrains du Mondial avant chaque match ? Alors que va-t-il se passer autour de ce ballon que l'on voit depuis le début de la Coupe du Monde ?
R - On voit, au début de chaque match, un échange de ballons UNITAID entre les deux capitaines et ce qui est le plus important pour nous, c'est qu'il y ait une prise de conscience planétaire. On ne peut pas continuer à abandonner les quatre cinquièmes de la population mondiale qui sont de plus en plus pauvres et qui ne se partagent qu'un cinquième des richesses.

Q - Monsieur le Ministre, l'engagement de la France, l'engagement du Brésil, sous l'impulsion des présidents de la République, et puis l'engagement de l'ancien président des Etats-Unis, M. Clinton.
(Propos de M. Clinton)
Q - Monsieur Douste-Blazy, Bill Clinton n'est pas le seul à s'engager, de multiples champions s'engagent, des sportifs et des politiques. Concrètement, comment cela va-t-il se passer pour permettre justement à ces pauvres de pouvoir bénéficier de l'apport de tous ces médicaments ?
R - L'idée au départ appartient au président Lula et au président Chirac ; ensuite le Chili et la Norvège les ont rejoints. Maintenant, nous sommes 14 pays, et 43 pour le groupe pilote sur les financements innovants - je viens d'apprendre que le Royaume-Uni et l'Autriche allaient venir nous retrouver dans ce club des pays qui veulent aider les pays pauvres.
Alors, nous avons demandé à l'ONU, à travers le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, à l'Organisation mondiale de la Santé de pouvoir gérer ce fonds, parce que, rien que pour la France, cela va représenter 200 millions d'euros par an, 300 millions de dollars. Et nous pensons que tout cela représentera un milliard de dollars.
Donc, nous avons demandé à l'industrie pharmaceutique de casser les prix pour les pays les plus pauvres qui ne peuvent pas, aujourd'hui, payer les médicaments nécessaires. Prenons un exemple : il y a des médicaments aujourd'hui qui ne sont même pas fabriqués : les médicaments pour les enfants ne sont pas faits parce que nous avons peu d'enfants infectés dans le Nord et que cela n'est pas rentable de produire ces médicaments ; résultat, il n'y a pas les formes pédiatriques, les formes pour enfants ne sont pas faites. En fait, en soignant les 2.000 enfants contaminés par jour par le sida avec des comprimés d'adultes, on les rend malades.

Q - Monsieur Douste-Blazy, est-ce qu'il fallait attendre un événement mondial comme la Coupe du Monde pour s'activer ?
R - Nous nous sommes activés. Je fais le tour de monde pour en parler, on me dit que c'est une excellente idée et puis, au bout d'un moment, on me dit aussi que c'est quand même compliqué, qu'on ne va pas demander au Parlement d'approuver un texte pour cela, que c'est une contribution de plus, et puis cela ne se fait pas.
Donc, je me suis dit que le mieux était de passer par l'opinion publique, par les peuples qui ne peuvent pas être insensibles à ce drame : un enfant meurt toutes les 30 secondes en Afrique. Ce n'est pas de l'humanitaire, ce n'est pas du sanitaire, c'est de la politique, de la vraie politique ; est-ce que ce garçon ou cette fille qui est en train de mourir en Afrique a la même valeur que votre fils ou le mien ? La réponse, aujourd'hui sur la planète, est "non, il n'a pas la même valeur".
Mais je crois qu'il faut profiter de moments de communion mondiale, comme celui auquel nous assistons aujourd'hui avec la Coupe du Monde, pour poser la question, non pas pour culpabiliser mais pour poser la question. C'est UNITAID. Mais on va continuer aussi dans d'autres manifestations, croyez-moi on ne va pas s'arrêter à la Coupe du Monde.

Q - Comme Samuel Eto'o, Monsieur le Ministre, bon nombre de joueurs de la Coupe du Monde, à commencer par notre Zizou national, portent ce petit bracelet qui est tout simplement le symbole de l'engagement des sportifs au travers d'UNITAID.
R - Je voudrais remercier Samuel Eto'o tout d'abord parce que, dès l'instant où il a appris qu'UNITAID existait, il est venu ici de Barcelone avec son propre avion, et nous avons passé deux heures ensemble, nous avons évoqué tout le dossier. Lui-même, Camerounais, est très impliqué dans l'action de toutes les ONG camerounaises, les plus pauvres au Cameroun ; j'ai été touché par la discussion que nous avons eue et je le remercie. Il ne participe pas à la Coupe du Monde, parce que le Cameroun n'est pas sélectionné et il va profiter de ce temps libre pour expliquer ce qu'est UNITAID.
Eh bien oui, ce bracelet sera une sorte de reconnaissance au fil des mois. Pour un footballeur, c'est intéressant parce qu'on ne donne absolument aucun argent pour le mettre, c'est quelque chose qui n'a absolument pas de valeur marchande ; il sert uniquement, au contraire, à dire qu'il y a des gens auxquels on pense, qui aujourd'hui sont sur la même planète que nous mais qui n'ont pas la chance que nous avons, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de système de santé, qu'ils n'ont pas de médicaments.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 2006