Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur la création de nouveaux mécanismes de financement pour le développement et sur le programme UNITAID d'achat de médicaments à destination des pays pauvres, notamment pour enrayer l'épidémie de sida chez les enfants de moins de 5 ans, Paris le 15 juin 2006.

Prononcé le

Circonstance : Colloque ""Enfance et sida" Faire reculer la maladie dans les pays en développement" à Paris le 15 juin 2006

Texte intégral

Mesdames Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je voudrais d'abord remercier Monsieur Jean-Marc Chataigner, l'Agence française de Développement et tous ceux qui ont organisé ce colloque aux côtés du ministère des Affaires étrangères sur un thème qui est pour moi un enjeu majeur en ce début de siècle : la grande pauvreté et ses conséquences en termes de santé publique, qui touchent des millions de personnes dans les pays du Sud, et naturellement les plus fragiles d'entre eux : les enfants.
Pour évoquer ce sujet qui est éminemment politique, je me félicite de voir ici réunis des représentants de gouvernements, des ONG nationales et internationales ainsi que de grands instituts de recherche. Le secteur privé est présent et je m'en réjouis, car son rôle, dans ce domaine - je pense en particulier à l'industrie du médicament - est tout à fait essentiel. J'en suis, pour ma part, convaincu : ce n'est qu'ensemble, en confrontant nos analyses et en coordonnant nos efforts, dans le cadre d'un véritable partenariat Nord/Sud, mais aussi public/privé, que nous apporterons une réponse à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Un enfant meurt toutes les 30 secondes en Afrique du fait de l'absence de médicaments. Tout le monde le sait, mais a-t-on pris toute la mesure de cette fracture qui n'est pas seulement sanitaire, mais aussi et véritablement politique ?
En dépit de certains progrès, la situation reste révoltante. Plus de 2 millions d'enfants de moins de 15 ans sont porteurs du virus du sida dans le monde. Dans certains pays, plus de la moitié de la mortalité des moins de 5 ans peut lui être attribuée. D'autres pandémies, comme la tuberculose et le paludisme, des maladies que nous savons pourtant soigner, causent chacune 2 millions de décès par an. Cet état des lieux est effrayant lorsque l'on sait que 90% de ces infections surviennent dans les pays du Sud et, essentiellement, en Afrique. Ce n'est pas seulement un problème éthique ou moral, c'est un problème politique.
En effet, vous n'empêcherez jamais quelqu'un qui voit son fils ou sa fille mourir à l'âge de dix ans du sida ou de la tuberculose de franchir les frontières, de faire le chemin pour aller chercher dans les pays du Nord les médicaments dont ils ont besoin au Sud pour les soigner. Cela s'appelle l'immigration. Nous ne sommes qu'au tout début de ce phénomène, qui ne sera réglé ni par des lois, ni par des armées, mais bien par un engagement de tous, un engagement politique obéissant à une logique d'intérêt mutuel.
De plus en plus, la communauté internationale prend conscience de cette réalité, comme en témoigne l'engagement financier sans précédent qui atteint près de 9 milliards de dollars pour l'année 2006, contre 1 milliard disponible en 2001. La France assume à cet égard toutes ses responsabilités : notre pays est le deuxième contributeur du Fonds mondial avec une participation de 225 millions d'euros pour l'année 2006 et de 300 millions pour 2007.
Mais, au-delà de ces financements, au-delà aussi des progrès remarquables qui ont été accomplis dans la prévention et, tout particulièrement, celle de la transmission mère-enfant, nous devons aujourd'hui aller plus loin pour enrayer l'épidémie de sida, passer à ce que M. Peter Piot appelle "la riposte stratégique". Il en va de la stabilité de régions toutes entières.
Nous devons donc mobiliser plus largement et trouver de nouveaux financements qui ne risquent pas d'être remis en cause chaque année par les gouvernements, des financements nouveaux, massifs et durables. Il s'agit là d'une démarche citoyenne mondiale. Cette démarche a été engagée il y a moins de deux ans par les présidents Chirac et Lula, auxquels je veux rendre ici hommage aujourd'hui. Je veux parler de la création de financements innovants pour le développement et de l'instauration d'une Facilité Internationale d'Achat de Médicaments.
Cette initiative, connue aujourd'hui sous le nom d'UNITAID, est portée par la France, le Brésil, le Chili et la Norvège, aux côtés de bien d'autres pays. J'ai eu l'honneur d'en signer l'acte fondateur le 2 juin dernier à New York, en présence de M. Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies.
UNITAID, c'est une démarche citoyenne mondiale, mais c'est aussi une véritable dynamique politique. A ce stade, 14 pays ont affiché leur intention de créer une contribution de solidarité sur les billets d'avion, parmi lesquels Madagascar, Maurice, la Côte d'Ivoire. 43 pays se sont mobilisés au sein d'un groupe pilote pour poursuivre nos travaux. Parmi eux, il y a de nombreux pays du Sud. C'est cela UNITAID : des pays du Sud qui sont aussi en action et en initiative, en parité, en partenariat et non pas en assistanat avec les pays du Nord.
Dès le 1er juillet, la France mettra en oeuvre sa contribution de solidarité sur les billets d'avion. Cela représente 1 euro chaque fois que l'on prend l'avion pour la France ou pour n'importe quelle destination européenne, et 4 euros pour les vols internationaux. Individuellement, cela ne représente pas grand-chose, et pourtant cela va nous permettre de récolter 200 millions d'euros, soit 300 millions de dollars. C'est cela l'esprit d'UNITAID : "tous unis pour aider".
L'accès aux médicaments est aujourd'hui une question prioritaire. Il implique une nouvelle solidarité entre les gouvernements, les industries pharmaceutiques et d'autres acteurs, afin de réduire les prix des médicaments pour les rendre accessibles aux pays en développement. C'est ce qu'a préconisé le rapport présenté à l'Assemblée générale des Nations unies. C'est aussi précisément, et très directement, la réponse que nous souhaitons apporter avec UNITAID, puisque cette initiative doit permettre d'étendre l'accès aux médicaments et ainsi contribuer à faire baisser leur prix.
Des priorités ont déjà été identifiées sur lesquelles nous travaillons, en particulier les médicaments antirétroviraux pédiatriques, aujourd'hui trop peu nombreux, mal adaptés aux besoins des enfants, et trop coûteux. Il y a aussi les médicaments antirétroviraux de "deuxième ligne" pour lesquels les besoins vont croître avec les mises sous traitements.
Nous étudions aussi les modalités d'intervention de UNITAID pour réduire les ruptures d'approvisionnement en médicaments ou en tests, situations malheureusement trop fréquentes dans beaucoup de pays, sans oublier tout ce qui pourrait être entrepris avec UNITAID pour améliorer la prévention de la transmission du sida de la mère à l'enfant.
Aujourd'hui, vos réflexions, vos débats, vont nous permettre d'ouvrir de nouvelles perspectives, d'autant que votre programme se concentre sur les enfants de moins de 5 ans : c'est là une initiative indispensable, tant les plus petits sont souvent absents des politiques de lutte contre le sida. Il y a 2.000 enfants contaminés par jour en Afrique. Si nous ne les soignons pas, ou encore si nous les soignons avec des antirétroviraux pour adultes, les risques secondaires peuvent être dramatiques. Cela n'est pas acceptable. Là encore, UNITAID va nous permettre d'innover en créant des médicaments pour ces enfants-là, avec l'accord de tous.
Je terminerai en vous souhaitant à tous plein succès dans la conduite de vos travaux. Au terme des ces deux journées, je crois important qu'un agenda puisse être proposé, en lien avec les grands rendez-vous de la lutte contre le sida : il faut désormais être animé par un sentiment d'urgence. Nous avons en effet besoin de répondre le plus rapidement possible aux besoins des enfants.
Je sais que je peux compter sur votre soutien pour remédier à ces injustices et persuader ainsi tous les acteurs concernés, en particulier les laboratoires pharmaceutiques, de s'engager fermement en faveur de tous ces enfants qui nous appellent à l'aide. Ensemble, par cette démarche exigeante, rigoureuse et durable, à laquelle je vous invite, nous allons leur tracer le chemin d'un avenir meilleur parce que porteur d'espoir et de vie.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2006