Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'enjeu de la réduction de la fracture sanitaire entre le Nord et le Sud, le choix français du multilatéralisme en matière de coopération sanitaire ainsi que le maintien des actions bilatérales dans le domaine de la santé, Paris le 21 juin 2006.

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Circonstance : Ouverture de la table ronde sur la santé et la coopération à l'Assemblée nationale à Paris le 21 juin 2006

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Le sujet qui nous intéresse ce matin est un enjeu de premier ordre, un enjeu moral mais aussi - j'insiste sur cet aspect - un enjeu politique et diplomatique. L'état des lieux est connu : 40 millions de personnes sont touchées par le VIH sida dont 25 millions en Afrique ; 5 millions de nouvelles infections sont constatées chaque année, soit une toutes les six secondes. Sur 6 millions de malades ayant besoin d'un traitement urgent - c'est-à-dire dans les trois mois ! - seul 1 million y a accès. 1 à 3 millions de gens meurent du paludisme chaque année. Quant à la tuberculose, ce sont 9 millions de nouveaux cas par an et 2 millions de morts pour une maladie que l'on sait prévenir et qui se traite en six mois.
Parmi les trois ou quatre grands enjeux mondiaux, la "fracture sanitaire" entre le Nord et le Sud est ainsi un élément décisif pour la paix et la stabilité des Etats. Un pays qui n'a pas de système de santé, de politique de prévention, ou d'accès aux médicaments est un pays fragilisé, un pays qui peut être sujet à toutes les déstabilisations, à tous les conflits. La santé est au coeur de l'aide au développement.
Le rapport remis au Conseil économique et social par le professeur Gentilini ("La coopération sanitaire française dans les pays en développement") nous fournit un état des lieux de la politique de coopération en la matière. Je crois, comme lui, qu'il convient de sanctuariser le domaine de la santé, d'accentuer les actions communes menées par les instituts qui travaillent en Afrique, et de livrer une véritable bataille pour l'accès aux soins et aux médicaments, en associant - j'y reviendrai - tous les acteurs, les ministères de tutelle, mais aussi les acteurs privés.
La France a fait le choix de privilégier le multilatéralisme, non par idéologie mais par réalisme et pragmatisme. Certains le contestent, d'autres le récusent. Une chose est claire aujourd'hui : revenir à une conception uniquement bilatérale de notre coopération sanitaire serait peu conforme à nos engagements internationaux, mal perçu et mal compris. Ce choix, je le crois, nous a permis d'être beaucoup plus visible au niveau international, sans abandonner pour autant nos actions bilatérales. La France est maintenant au deuxième rang pour le financement du Fonds mondial contre le Sida, la tuberculose et le paludisme, avec une contribution de 225 millions d'euros en 2006 qui sera portée à 300 millions d'euros en 2007. Michèle Barzach sait bien l'importance que nous accordons à un organisme qui a permis à 400.000 malades du sida de bénéficier des traitements antirétroviraux, dont 225.000 en Afrique. C'est un engagement financier sans précédent. Il procède d'un choix stratégique en matière de gestion du risque sanitaire mondial.
La France sera très prochainement le deuxième contributeur du GAVi (Alliance globale pour la vaccination) à hauteur de 100 millions par an pendant 20 ans. Aux côtés du Brésil, du Chili et de la Norvège, elle est en pointe dans la mise en place d'Unitaid, Facilité Internationale pour l'Achat de Médicaments en direction des pays du Sud. J'ai eu l'occasion de présenter ce mécanisme devant l'Assemblée générale des Nations unies le 2 juin dernier et au Quai d'Orsay le 7 juin. Financé grâce à la contribution de solidarité sur les billets d'avion, qui entre en vigueur le 1er juillet, ce nouveau dispositif travaillera en étroite coordination avec les organismes agissant déjà dans le domaine du médicament : l'OMS, l'UNICEF, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. En France, ce financement innovant doit permettre de rassembler 200 millions d'euros. J'attends de la démarche citoyenne mondiale et de la campagne d'opinion qui est lancée, une mobilisation des Etats autour de cette ambition. Partis à 4, nous sommes désormais 14 pays à avoir fait le choix de la contribution de solidarité sur les billets d'avion. 43 pays ont par ailleurs décidé d'intégrer le "groupe pilote" sur les financements innovants. Cette capacité d'entraînement de la France, j'entends l'accentuer dans les semaines à venir.
Car l'influence des positions françaises dans les grandes organisations internationales est tangible. Aux fractures planétaires, il s'agit de répondre par des moyens massifs ; aux pandémies qui ne connaissent pas les frontières et qui peuvent mettre en péril les systèmes de veille sanitaire les plus avancés, il s'agit de répondre par des compétences partagées. C'est pourquoi je veille à ce que notre présence soit maintenue au sein des grandes instances multilatérales agissant dans le domaine de la santé. Aujourd'hui, nombre de nos assistants techniques sont placés auprès de ces grandes organisations agissant dans le domaine sanitaire : 7 sont en poste auprès de l'OMS, 18 autres devraient les rejoindre au sein de plateformes régionales communes France-OMS. Il ne s'agit pas de diluer notre influence mais de la renforcer au service des objectifs de santé que la communauté internationale s'est fixée pour les années à venir.
Toutefois, ce choix repose sur une exigence : il est indispensable que les financements et l'assistance technique mis en oeuvre par la France au service de ces organisations internationales soient disponibles et visibles sur le terrain, au service des populations malades. Pour faciliter les décaissements du Fonds mondial, 4 plateformes vont être créées dès 2006, 3 en Afrique - Ouagadougou, Libreville, Nairobi - et une en Asie - Bangkok ou Manille. Elles disposeront chacune de 4 assistants techniques français. Par ailleurs, la France vient d'intégrer le secrétariat de l'Alliance pour les ressources humaines en santé, créé récemment par l'OMS. En effet sans systèmes de santé structurés sur le terrain, il n'y a pas d'action efficace et durable pour les grands fonds mondiaux ; sans personnels de santé formés, il n'y pas de systèmes de santé viables.
Enfin, nous devons accentuer la coordination et la mise en oeuvre de nos actions afin de rendre visibles les interventions françaises. C'est dans cet esprit que j'ai lancé le 15 mai dernier l'Alliance pour le Développement, qui a été entérinée par la réunion du Comité interministériel pour la Coopération internationale et le Développement qui s'est tenu à Matignon avant-hier sous la présidence du Premier ministre. Deux grandes entreprises françaises, Sanofi-Aventis et Veolia, actives l'une dans le domaine de la santé, l'autre dans le secteur de l'eau et de l'assainissement, ont accepté de construire avec le Quai d'Orsay ce partenariat public-privé, qui est tout à fait nouveau en France. L'Institut Pasteur, acteur de la recherche mondialement reconnu, ainsi que l'Agence française de Développement, font naturellement partie de cette "alliance" qui rénove en profondeur notre politique de coopération.
Face à ces enjeux de santé publique, il s'agit aussi de mobiliser les autorités nationales des pays en développement, le système hospitalier français, les organisations internationales. A cet égard, je voudrais signaler l'importante activité menée dans le domaine de l'accès au traitement du VIH/SIDA par le GIP ESTHER, présent dans plus de 20 pays.
En cohérence avec les axes majeurs dans notre action, l'Agence française de Développement a renforcé son effort avec 60 millions d'euros par an pour les activités bilatérales dans le domaine de la santé. Sur le terrain, l'AFD conduit l'assistance technique dans ce secteur avec l'appui de près de 80 assistants techniques. Je saisis cette occasion pour dire que notre apport en assistance technique est généralement très apprécié des pays bénéficiaires et des organisations internationales, et saluer la représentante de nos assistants technique en santé, Madame le Docteur Dominique Kerouedan. A mes yeux, il n'y a donc ni dichotomie, ni concurrence entre les missions du Département et celles de l'Agence française de Développement, il y a complémentarité et coordination.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, nous partageons les mêmes préoccupations en matière de santé et de développement. Nous partageons la même volonté de renforcer la spécificité de l'action de la France. Face aux grandes pandémies auxquels sont confrontés des millions d'hommes, face à une fracture sanitaire qui ne cesse de croître, entraînant des migrations continentales et un risque d'instrumentalisation du désespoir et de la misère, nous avons tous un devoir de solidarité internationale. C'est tout l'enjeu du projet Unitaid : par un financement pérenne et durable, il s'agit d'assurer à l'industrie pharmaceutique des débouchés à moyen et long terme et donc de casser les prix. C'est ce qu'a déjà entrepris depuis plusieurs années la Fondation Clinton, en obtenant des résultats significatifs.
Je suis certain que les Etats et les grandes organisations internationales ont pris la mesure de cet enjeu, un enjeu pour le développement, mais aussi un enjeu au coeur des grandes crises géopolitiques qui fragilisent les Etats du Sud. Parce que la santé est une condition du développement, il est dans l'intérêt partagé de tous les Etats d'en faire une "nouvelle frontière" de l'action diplomatique.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2006