Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Direct Soir" du 19 juin 2006, sur le classement de l'UDF dans l'opposition par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

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Média : Direct Soir

Texte intégral

Q - Comment vivez-vous votre classement dans l'opposition par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ?
R - S'opposer à ce qui se passe en ce moment en France, c'est un devoir et un honneur. Mais se trouver affecté, à la demande de l'UMP, par une autorité nommée par le pouvoir, contre votre gré, au camp de l'opposition, c'est offensant. De quel droit, en France, vous affecte-t-on d'un côté ou de l'autre ? Si vous voulez juger avec indépendance ce qui se passe au gouvernement, passez-vous pour autant dans le camp du PS ? En réalité, c'est la division gauche-droite avec laquelle on nous casse les oreilles depuis vingt-cinq ans qui ne répond plus aux problèmes brûlants du moment. Vous prenez le réchauffement du climat par exemple, c'est de gauche ou de droite ? La dette sous laquelle on est écrasés, c'est de gauche ou de droite ? Le vieillissement de la population, idem. Les réponses à ces questions ne peuvent plus être trouvées par les affrontements du passé.
Q - N'avez-vous pas un peu cherché à vous retrouver dans l'opposition en votant pour la dernière motion de censure déposée par les socialistes contre le gouvernement ?
R - J'ai voté la motion de censure comme un ultime signal d'alarme. Tous les jours sort un scandale nouveau qui mêle le pouvoir, les affaires, l'argent, l'Etat. Quand les choses vont si mal, il faut bien que les élus du peuple le disent, et prennent leurs responsabilités. Autrement à quoi servent-ils ? De deux choses l'une : soit on choisit de se taire, on baisse les yeux et on va à la buvette comme 200 députés UMP l'ont fait, soit on monte à la tribune et on va le dire face à face au gouvernement : c'est ce que j'ai choisi de faire et j'en suis fier.
Q - En l'occurrence, la décision du CSA nuit plutôt à la gauche. Le temps de parole de l'UDF sera décompté sur celui des socialistes et des communistes.
R - Si mon temps de parole doit être pris sur celui de la gauche, ce n'est pas démocratique. Le temps de parole de l'UDF ne doit être pris sur personne. Il doit être respecté en tant que tel. Gilles de Robien, le seul ministre centriste du gouvernement crée un courant Société en mouvement. Il lance des cercles en région. Pourrat-il rester longtemps à l'UDF ? Les manoeuvres pour ramener l'UDF sous la coupe de l'UMP sont vouées à l'échec. Plutôt que de perdre ainsi son temps, Gilles de Robien devrait défendre les postes à l'Education nationale qui paie un injuste tribut au prochain budget. Pourquoi 60 % des postes de fonctionnaires supprimés sont-ils dans ce ministère et pas dans un autre ? Ce n'est pas bien pour notre pays. Le ministre ne peut pas l'approuver : il devrait se battre contre cette décision. Et dans ce cas, nous l'aiderions.
Q - Quelles sont vos propositions pour l'avenir de la France ?
R - Pour l'intégration : création d'un service civique universel, garçons et filles, à 18 ans pour des tâches d'intérêt commun, notamment à l'école et pour la sécurité. Pour sortir les personnes de l'exclusion, je suis pour que les minima sociaux s'accompagnent d'activités dans la société pour les inclure au lieu de les exclure. Pour la démocratie : vote obligatoire et reconnaissance du vote blanc. Pour changer les institutions : que tous les courants du peuple français soient représentés à l'Assemblée nationale, par un scrutin pour moitié proportionnel, comme en Allemagne ; supprimer le 49.3 pour que le gouvernement ne puisse plus passer en force. Pour en finir avec la dette, imposer une obligation constitutionnelle de présenter un budget en équilibre, au moins de fonctionnement. Pour toutes ces réformes, il faut une démarche d'union nationale.
Q - Quand le député européen centriste Jean-Louis Bourlanges dit : "Le positionnement de François Bayrou est décalé il l'empêche de prendre son envol électoral. J'enrage de voir cette Formule 1 courir après une chimère." Ça vous vexe ou ça vous fait plaisir ?
R - J'aime beaucoup l'auteur de ce jugement, mais je ne suis pas une formule 1. Ce sont des voitures qui vont trop vite et dont le moteur casse trop souvent. Je suis un diesel, capable d'un long effort, qui veut changer les choses dans son pays.
Q - Dominique Strauss-Kahn a déclaré dans nos colonnes qu'il était près à "rassembler très largement, même au-delà de la gauche". Il pense sans doute à vous.
R - Le problème de Dominique Strauss-Kahn en ce moment est de rassembler au sein du PS ! Ségolène Royal lui mange la laine sur le dos et ce n'est pas agréable. Quant à moi, j'ai une certitude : la crise de la France est si profonde qu'il faudra bien, pour redresser le pays, faire travailler ensemble des gens qui pour l'instant on l'habitude de s'opposer.
Q - Vous qui avez une passion pour les chevaux, vous êtes plutôt pur-sang ou cheval de labour ?
R - J'aime les pur-sang, beaucoup, passionnément. Mais moi-même, je suis plutôt un obstiné cheval de labour.
Q - Vos modèles en politique ?
R - Churchill, Gandhi, de Gaulle.
Q - Quelle serait votre première décision en tant que président de la République ?
R - Une mesure pour l'emploi : je permettrais à chaque entreprise française de créer deux emplois sans charges (sauf 10 % pour les retraites). Ce serait un ballon d'oxygène formidable pour les toutes petites entreprises, et un appel d'air pour tous ceux qui piétinent à la porte de l'emploi.
Propos recueillis par Boris Ehrgott source http://www.udf.org, le 21 juin 2006