Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec la revue Pharmaceutiques en juin 2006, sur le programme de financerment international d'achat de médicaments UNITAID.

Prononcé le 1er juin 2006

Texte intégral

Q - Sur quelles données pathologiques, économiques et financières l'idée de la FIAM a-t-elle vu le jour ?
R - L'idée des financements innovants pour l'achat de médicaments, "UNITAID", est l'aboutissement d'un long processus de réflexion de la France avec l'ensemble des pays, inquiets de l'aggravation de la "fracture sanitaire" entre les pays du Nord et du Sud. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres : 90 % des nouvelles infections par le SIDA se déclarent dans les pays en développement ; toutes les 30 secondes, un enfant meurt du paludisme en Afrique ; la tuberculose tue 500.000 personnes par an en Afrique !
La difficulté d'accès aux médicaments couplée à l'évolution dramatique de la situation sanitaire des pays les plus pauvres contient en germe une déstabilisation des Etats. C'est pourquoi ces questions sanitaires constituent aussi une question humanitaire qui concerne l'ensemble de la communauté internationale et exigent une réponse urgente au plus haut niveau.
Conformément aux engagements du président de la République française, la communauté internationale a pris conscience de la nécessité d'améliorer l'accès aux traitements des populations des pays du Sud, atteints par le sida, la tuberculose et le paludisme. Ces trois maladies tuent chaque année six millions de personnes, dont trois millions pour le Sida.
La Facilité internationale d'achat de médicaments devra agir demain, là où existent ces lacunes aujourd'hui. Une bonne coordination, nous le savons, est dans ce domaine une nécessité absolue. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité créer une structure, qui pourrait être adossée au Fonds mondial et à l'OMS.
Par ailleurs, nous maintenons des contacts et nous poursuivons des discussions avec plusieurs organisations ou institutions internationales qui oeuvrent dans le domaine de l'accès aux médicaments telles que la Centrale d'achat de l'Unicef et le service d'approvisionnement de l'OMS, mais aussi les programmes de lutte contre les pandémies (Fonds mondial contre le sida). Ce type de financement pérenne permet de sécuriser et de renforcer l'approvisionnement durable des pays du Sud en médicaments. Les ressources tirées de la contribution sont estimées aujourd'hui, compte tenu des pays qui se sont déjà engagés dans cette initiative, entre 300 à 400 millions d'euros par an, dont environ 200 millions pour la seule contribution française. L'objectif est d'amener davantage de pays à adopter la contribution de solidarité pour atteindre au moins 1 milliard d'euros.
Par cet engagement, il s'agit de financer durablement et efficacement des programmes d'accès aux soins. C'est la clef du développement des systèmes de santé dans les pays du Sud ; c'est aussi, à mes yeux, si vous me permettez d'insister, un des éléments des grands équilibres internationaux.
Q - Quels sont les achats de médicaments susceptibles d'être financés ?
R - En partant des expériences existantes, UNITAID/FIAM nous permettra d'utiliser de nouveaux types d'interventions, en fonction de la situation du marché et de la demande de pays bénéficiaires. Il s'agira tout d'abord, de faciliter l'accès à des produits princeps et génériques pré-qualifiés par l'OMS, qui rentrent dans les protocoles de traitement définis par les Etats.
En outre, UNITAID/FIAM pourra inciter les industriels à la mise au point de formes pharmaceutiques adaptées au contexte de chaque pays (associations de molécules, mise au point de présentations pédiatriques, de formes thermostables) en les assurant de la solvabilité de la demande.
En ce qui concerne son impact sur les prix, UNITAID/FIAM, permettra d'établir des prévisions à moyen et long terme de la consommation et de la production. L'exemple des vaccins, dans le cadre de l'Alliance mondiale pour les vaccins (GAVI), montre qu'en associant l'industrie, il est possible d'obtenir une production adaptée en volume et en qualité à un coût accessible pour les pays du Sud.
Les exemples de négociations menées par la Fondation Clinton illustrent également cette possibilité de réduction des coûts.
En fonction des financements disponibles, les premiers opérateurs pourraient se concentrer sur la satisfaction de besoins urgents comme, par exemple, la mise sur le marché de formulations pédiatriques d'antirétroviraux (ARV) ou les nouveaux antipaludéens.
Q - UNITAID/FIAM prévoit également de fournir des kits de diagnostic : concrètement, comment ces actions vont-elles être mises en place ?
R - La procédure sera identique pour l'ensemble des produits dont UNITAID/FIAM assurera le financement. Il s'agira de demandes formulées par des Etats et approuvées techniquement par les instances internationales concernées (OMS, Fonds mondial). Il ne s'agit pas d'imposer un ordre sanitaire, mais de répondre aux réalités vécues par les populations.
Q - Dans les pays totalement dépourvus de systèmes de soins, comment comptez-vous distribuer les médicaments aux personnes qui en ont besoin et vous assurer que ces produits ne seront pas détournés pour être, par exemple, revendus ?
R - UNITAID/FIAM pourra soutenir des programmes qui seront mis en oeuvre dans ces pays par des structures privées ou associatives dont la compétence et la rigueur sont avérées. La maîtrise de la chaîne du médicament depuis son importation jusqu'à la dispensation au malade, est indispensable. Dans la mesure du possible, on privilégiera les structures nationales avec lesquelles on recherchera une étroite collaboration de façon à pouvoir mieux identifier les lacunes existantes et promouvoir des coopérations bilatérales permettant de renforcer ces structures tout au long de la chaîne du médicament.
Q - Quelles sont les sources de financement dont vous disposez ?
R - UNITAID/FIAM disposera des recettes apportées par les contributions de solidarité en faveur du développement que la France et les pays partenaires mettent progressivement en place. L'intérêt de fonder UNITAID/FIAM sur des sources innovantes de financement réside dans la stabilité et la prévisibilité de ces sources.
L'objectif est d'amener davantage de pays à adopter la contribution internationale de solidarité sur les billets d'avion pour atteindre au moins 1 milliard d'euros de ressources. Elle présente l'avantage de son faible montant par rapport au coût du transport aérien, et peut être mise en oeuvre par les pays, sans pénaliser leur compétitivité. Proposée par la France, elle est une option et non une obligation.
A ce stade, 14 pays ont déjà affiché leur intention de créer cette contribution, parmi lesquels des pays émergents et européens actifs sur le front du développement : Brésil, Chili, Chypre, Congo, Cote d'Ivoire, France, Gabon, Jordanie, Luxembourg, Madagascar, Maurice, Nicaragua, Norvège et Royaume-Uni.
Q - Comment l'industrie pharmaceutique accueille-t-elle votre proposition ?
R - L'industrie pharmaceutique n'a pas attendu UNITAID/FIAM pour organiser sa réponse à la situation de crise que nous constatons. En adossant des recettes pérennes au financement de l'approvisionnement en médicaments, UNITAID/FIAM offre la visibilité à moyen et long terme nécessaire aux programmes de santé publique pour renforcer l'accès à des médicaments de qualité à un prix abordable.
Les contacts privilégiés et le dialogue en vue d'une coopération avec les représentants de l'industrie pharmaceutique que nous avons déjà initiés, montrent un réel intérêt pour le projet et une volonté de travailler ensemble.
Q - Pourquoi avoir choisi de taxer les billets d'avion ?
R - Le transport aérien est l'un des principaux bénéficiaires et vecteurs de la mondialisation, avec une croissance annuelle moyenne de l'ordre de 5 %.
Le fait de retenir comme assiette les billets d'avion est cohérent avec la volonté de redistribuer une partie des fruits de la mondialisation. Une contribution sur les billets d'avion est d'autant plus juste que des taux supérieurs sont appliqués aux passagers voyageant en classe affaire ou en première.
En outre, d'un point de vue pratique, la contribution sur les billets d'avion est très simple à instaurer. Comme pour les taxes et redevances de sécurité et de sûreté aéroportuaire, ce sont les compagnies aériennes qui seront responsables du recouvrement de la contribution. Celle-ci pourra donc facilement être intégrée dans le prix du billet et payée au moment de son achat, quel que soit le lieu d'émission. Comme le démontrent les pays prélevant d'ores et déjà des contributions similaires, les coûts de recouvrement sont minimes (0,1% dans le cas du Royaume-Uni).
Q - Quel accueil avez-vous reçu de la communauté internationale ?
R - Quarante trois pays ont manifesté leur intérêt pour cette initiative dans laquelle la France, qui assure le secrétariat permanent du groupe pilote aux côtés du Brésil, du Chili et de la Norvège, a joué un rôle pionnier. Par ailleurs, les organisations internationales telles que l'ONU, l'OMS et l'UNICEF ont manifesté très nettement leur soutien ainsi que la plupart des grandes ONG qui accueillent très favorablement notre initiative.
Courage de l'innovation et conscience d'une situation d'urgence ont guidé l'action diplomatique de la France qui en a fait une priorité d'action ces derniers mois. Parce que l'avenir de la planète et ses grands équilibres reposent sur notre capacité à définir cette "nouvelle frontière" de l'action internationale, nous espérons prochainement être rejoints par de nouveaux partenaires.
Q - Enfin, pouvez-vous donner un calendrier pour la mise en oeuvre de votre action ?
R - Je reviens de New York, de l'Assemble générale des Nations unies sur le Sida, à l'occasion de laquelle la France a signé avec ses partenaires l'accord de principe sur les missions, les objectifs et le champ d'intervention de UNITAID/FIAM. Maintenant, nous allons nous attacher à avancer sur la mise en place du dispositif afin que les premières recettes de la contribution sur les billets d'avion, qui seront collectées en France à partir du 1er juillet 2006, puissent être utilisées rapidement par UNITAID/FIAM pour mettre en oeuvre une action efficace.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 juillet 2006