Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur les missions et le travail du Conseil d'Etat notamment dans la transposition des directives communautaires et sur la carrière de M. Renaud Denoix de Saint-Marc, Paris le 29 juin 2006.

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Circonstance : Assemblée générale du Conseil d'Etat, à Paris le 29 juin 2006

Texte intégral

Monsieur le Garde des sceaux, cher Pascal,
Monsieur le Vice-président,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis de me trouver parmi vous. Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Vice-président, la présidence de votre assemblée générale par le Premier ministre est une tradition ancienne. Si j'ai tenu à la perpétuer aujourd'hui, c'est avant tout pour marquer le lien essentiel entre le Gouvernement et le Conseil d'Etat. Un lien de proximité, mais aussi de distance. Un lien de loyauté, dans le souci permanent du bien public.
Cette relation unique, entretenue et cultivée depuis trois siècles, permet à votre institution d'exercer sa double tâche avec exigence et rigueur. Elle lui permet de conseiller le Gouvernement avec la science et la fiabilité du juge, et de juger l'administration avec le réalisme et l'efficacité que donne la connaissance du gouvernement de la République.
1. Je voudrais d'abord remercier le conseil du Gouvernement pour la qualité et l'efficacité de son travail.
Je sais qu'il est parfois difficile de concilier le temps politique et le temps de la réflexion. Mais je sais aussi que vous vous mobilisez pleinement pour examiner en profondeur les problèmes soulevés par les textes qui vous sont soumis.
Depuis un an, vous avez étudié des textes et des questions essentiels qui posaient des difficultés juridiques importantes. A chaque fois, vous avez rendu des avis d'une clarté remarquable, qui ont permis d'élaborer une norme juridique solide et efficace.
Dans le même temps, vous avez poursuivi le travail de fond que vous accomplissez chaque jour sur l'ensemble des projets de texte et des demandes d'avis. Vous en avez examiné près de 1 400 l'an passé. Ce travail est indispensable pour améliorer sans cesse la qualité de notre droit.
Votre travail est d'autant plus précieux aujourd'hui qu'il y a « plus de droit et plus de juges ». Les sources du droit se sont multipliées, de même que les juridictions qui sanctionnent sa violation. Il faut prendre en compte à la fois la hiérarchie des normes nationales, avec tous les développements qu'a connus la jurisprudence constitutionnelle, mais aussi les règles internationales. Parmi ces règles, il y a bien sûr les règles communautaires.
A cet égard, je me réjouis que le Conseil d'Etat se soit désormais pleinement approprié le droit communautaire et dispose depuis quelques années d'une cellule spécialisée dont l'activité connaît une croissance impressionnante. Il faut que le Conseil d'Etat contribue à une meilleure connaissance de ce droit au sein de l'administration française. Je serai très attentif aux réflexions et aux propositions que vous ferez sur ce sujet à l'occasion de votre prochain rapport public.
D'autre part, j'attache une importance particulière au respect de nos obligations communautaires. C'est pourquoi j'ai voulu que nous rattrapions très vite le retard pris depuis de nombreuses années dans la transposition des directives. Le Conseil d'Etat s'est pleinement mobilisé pour nous aider à relever ce défi et nous en voyons aujourd'hui les premiers résultats. Nous devons désormais trouver des idées concrètes pour transposer plus simplement et plus rapidement les directives, sans pour autant renoncer à la cohérence de notre droit national. C'est l'objectif de l'étude qui a été confiée à votre section du rapport sur la transposition des directives. J'examinerai avec attention les propositions que vous me ferez à ce sujet.
Enfin, nous devons être à l'écoute du dialogue des juges qui, en adoptant de nouveaux concepts ou en donnant une portée nouvelle à d'anciennes notions, comme le principe d'impartialité, construisent peu à peu un édifice de grands principes communs aux pays d'Europe. A cet égard, la récente décision de votre assemblée du contentieux, qui donne à la sécurité juridique la force d'un principe général du droit, est une avancée significative.
Vous avez également tout votre rôle à jouer dans un contexte de très forte concurrence internationale des modèles juridiques. Ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement l'influence culturelle de la France. C'est aussi sa place dans la compétition économique internationale.
Face à cette concurrence, nous devons d'abord garantir la stabilité et la simplicité du droit français. La sécurité juridique est indispensable si nous voulons renforcer l'attractivité de notre pays et assurer le bon fonctionnement de notre démocratie. Les conclusions de votre dernier rapport public à ce sujet méritent donc une attention particulière.
J'ai demandé qu'un groupe de travail soit constitué pour examiner les suites à donner à ce rapport, qui réunit le secrétariat général du Gouvernement, le centre d'analyse stratégique, la direction du budget et celle de la modernisation de l'Etat. Je remercie le président Bruno LASSERRE et Mme Josseline de CLAUSADE, votre rapporteur général d'avoir accepté d'y participer.
Le groupe de travail examinera la proposition centrale de votre rapport, qui est de rendre constitutionnellement obligatoire la réalisation d'une évaluation avant toute décision de légiférer. Je souhaite qu'il me fasse part de ses conclusions dans les prochaines semaines. J'ai d'ores et déjà décidé de soumettre à étude d'impact certains projets gouvernementaux.
Face à la concurrence des modèles juridiques, nous devons également promouvoir notre propre modèle au plan international. Je me réjouis donc de l'importante action menée par le Conseil d'Etat en ce sens. Je souhaite qu'il apporte sa contribution à la Fondation pour le droit continental, dont le Garde des sceaux a lancé les travaux et qui devrait bientôt disposer d'un cadre réglementaire.
2. Je voudrais également profiter de cette occasion pour saluer le travail de la juridiction administrative dans son ensemble.
Vous avez su vous adapter pour faire face à l'augmentation du nombre des recours et mieux répondre aux attentes des justiciables. Vous avez ainsi développé de nouvelles procédures. Je pense notamment à la réforme du référé. Désormais, le juge administratif est mieux connu, il dispose également d'outils plus efficaces qui lui permettent de rendre ses jugements dans des délais plus brefs que par le passé.
En veillant en permanence au respect des exigences de l'Etat de droit et au respect des principes de l'administration républicaine, les juridictions administratives jouent un rôle irremplaçable.
La spécificité de ce rôle et la place originale du Conseil d'Etat au sein de nos institutions sont désormais mieux reconnues grâce à la création, en loi de finances pour 2006, d'un programme « Conseil d'Etat et juridictions administratives » au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ». Cette création a permis de consacrer formellement les droits spécifiques et légitimes de la juridiction administrative dans la négociation et l'exécution budgétaire.
Ce traitement budgétaire particulier, qui responsabilise pleinement l'institution, a bien sûr une contrepartie. C'est la nécessité de se doter d'objectifs de performance précis et de les atteindre. Pour cela, toutes les voies doivent être explorées dès lors qu'elles ne remettent pas en cause la qualité des décisions juridictionnelles. Je pense par exemple aux expériences d'application des télé-procédures au contentieux qui me semblent très prometteuses.
3. Avant de conclure, je voudrais évoquer un point qui n'est pas inscrit à l'ordre du jour.
Monsieur le Vice-président, vous quitterez votre bureau du Palais-Royal cet automne. Cette assemblée générale est aussi l'occasion pour moi de vous exprimer la reconnaissance que doit l'Etat à l'un de ses grands serviteurs.
Tout au long de votre carrière, vous avez fait preuve des qualités essentielles que l'on attend d'un membre du Conseil d'Etat : la perspicacité, l'éloquence et la clarté. Vous avez su conjuguer la sûreté du jurisconsulte et le réalisme de l'administrateur. Mais surtout, vous avez toujours montré un attachement sans faille à l'Etat et à sa modernisation.
Ces qualités, vous les avez manifestées à chacun des postes que vous avez occupés.
A l'assemblée du contentieux, où vous avez excellé comme commissaire du Gouvernement, puis auprès d'Alain PEYREFITTE, dont vous êtes devenu avec la même aisance le directeur adjoint du cabinet avant d'occuper l'emploi prestigieux de directeur des affaires civiles et du sceaux.
Secrétaire général du Gouvernement pendant 9 ans, vous avez accédé en 1995 à la vice-présidence du Conseil d'Etat. Dans toutes ces fonctions, prenantes, délicates, vos interlocuteurs ont été frappés par votre autorité naturelle et vos prises de position ou vos décisions marquées tout à la fois de bon sens et de finesse juridique.
Si aujourd'hui le Conseil d'Etat remplit sa mission avec autant d'efficacité, c'est sans doute aussi grâce à votre humanité et à votre franchise, qui inspirent chez vos interlocuteurs, un profond respect et, permettez-moi de vous le dire, beaucoup de sympathie. A la fin de l'Empire, votre collègue Henry BEYLE regrettait l'affaiblissement du Conseil d'Etat qui manquait, disait-il « de ces honnêtes gens un peu bourrus que rien ne peut empêcher de dire une vérité qui déplaît aux ministres ». Toute votre carrière, si variée, si prestigieuse, est tout entière marquée de ces traits de caractère et de cette singularité. Pendant ces onze années, vous avez su incarner l'essence du Conseil d'Etat, dont la magistrature est universellement reconnue. Votre compétence, vos qualités humaines, votre loyauté, votre humour même ont été mis au service de cette grande institution. Soyez-en remercié au nom du Gouvernement.
Cette carrière prestigieuse, je sais qu'elle ne s'interrompt pas tout à fait, puisque l'année dernière vous avez été élu pour prendre à l'Académie des sciences morales et politiques la suite d'un autre grand serviteur de l'État qui fut Ambassadeur de France auprès de l'ONU. Nul ici ne doute que votre énergie, votre autorité, votre rayonnement personnel trouveront à s'exprimer dans d'autres lieux.
Mesdames, Messieurs,
Le Conseil d'Etat occupe une place unique dans notre démocratie. A la fois juge de l'administration et conseil du gouvernement, il est le gardien vigilant de l'intérêt général et de l'exigence républicaine. Sous la vice-présidence de Renaud DENOIX de SAINT MARC, il a su faire preuve d'une efficacité, d'une compétence et d'une impartialité remarquables dans l'exercice des missions qui lui incombent. Je sais que tous ici, vous saurez vous montrer à la hauteur de cet héritage.
Je vous remercie.Sourrce http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 mai 2006