Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale et vice-président de l'UDF, à LCI le 27 juin 2006, sur la présentation faite par le président de la République de l'action gouvernementale et de la situation industrielle et intérieure.

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Circonstance : Intervention télévisée de Jacques Chirac, président de la République, à France 2 le 26 juin 2006

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- H. Morin, bonjour, après avoir entendu le président de la République s'exprimer hier soir chez nos confrères de France 2, est-ce que vous avez compris pourquoi le chef de l'Etat, trois semaines avant son intervention traditionnelle du 14 juillet, a choisi de s'exprimer ?
R- Eh bien, on peut se poser encore plus la question après l'intervention, puisque grosso modo le président de la République a été dans le commentaire : le commentaire de l'action gouvernementale, le commentaire sur la situation industrielle, le commentaire sur la situation intérieure française. Et donc trois semaines avant le 14 juillet, on se dit que, hormis la série d'articles et notamment avec comme point d'orgue un article du Monde assez ravageur de vendredi dernier, parlant des absences du président de la République, on se dit que la seule raison qui peut avoir motivé une telle intervention, c'est celle-ci. Parce qu'on a été dans le virtuel en la matière.
Q- Donc manifester qu'il va bien et qu'il est présent ?
R- Oui, parce que quand il parle des résultats du Gouvernement, on va en prendre deux. Il parle du chômage...
Q- Il diminue !
R- Oui, mais vous avez vu les chiffres qui sont sortis de l'Insee, la semaine dernière. La réalité c'est qu'on crée très peu d'emplois dans le secteur marchand, 50 à 60.000, que le reste des emplois pour l'essentiel ce sont des emplois aidés ou ce sont des radiations liées à la nouvelle politique menée par l'ANPE. Donc on voit très bien que la réalité n'est pas celle qu'il décrit. Deuxième élément, il parle de la situation de l'endettement du pays. La réalité là aussi est tout à fait différente, puisque, cette année encore, en 2006, selon ce que nous a présenté le Gouvernement cette année, on va avoir encore une augmentation de l'endettement, on continue à jouer dans les artifices budgétaires pour montrer les choses et la réalité c'est que la France est le deuxième mondial aujourd'hui en matière de dépenses publiques, il n'y a que la Suède qui nous bat ! Et les prélèvements obligatoires vont continuer à augmenter...
Q- Il fait confiance au Premier ministre pour réduire cette dette l'an prochain.
R- Oui, eh bien, on aurait pu le faire depuis quatre ans. Mais ce qui est vrai c'est qu'on va avoir encore 50 milliards d'euros d'endettements supplémentaires à la fin de l'année prochaine. Et donc, quel est le sens de tout cela, sinon qu'on a eu un président de la République qui est venu soutenir le Premier ministre et en plus les institutions sont inversées. C'est-à-dire qu'on est dans un système où ce n'est pas le Premier ministre qui a priori sert à protéger le président de la République - c'est au président de la République qui dit aux Français : vous savez on a un bon Gouvernement et un bon Premier ministre.
Q- Mais commençons par la fin de son intervention, lorsque, interrogé par A. Chabot, il garde le suspens sur ce que sera sa décision au moment où chacun partira en campagne présidentielle, il n'exclut pas, donc, à nouveau d'être candidat - comment est-ce que vous interprétez cela ?
R- Eh bien c'est encore le virtuel !
Q- C'est plausible pour vous ?
R- C'est encore le virtuel. On comprend très bien qu'il veuille présider jusqu'au bout et que, plus on s'approche de la fin, plus le risque de ne plus avoir d'autorité est important. Mais honnêtement, moi je ne connais pas de Français qui souhaite que J. Chirac soit à nouveau candidat l'année prochaine. Il n'y a, à priori qu'à peu près que lui-même qui le souhaite !
Q- Comment est-ce que vous avez interprété la distribution de prix à J.-L. Borloo, à M. Alliot-Marie, voire à N. Sarkozy sans d'ailleurs prononcer son nom ?
R- Sans le citer ! Eh bien écoutez, non, je vous dis, on était dans le commentaire. Je vais vous prendre un exemple, il nous parle d'un début de réforme de la justice, les magistrats ont connu, je crois de mémoire vingt-deux modifications du code de procédure pénale en vingt-trois ans. Ils vont donc en connaître une nouvelle avant la de l'année, qui avait déjà été annoncée par le garde des sceaux. Mais tout en nous expliquant que la grande réforme de la justice et grande modification dont la France a besoin n'interviendront que lors du prochain mandat. Et donc on voit très bien qu'on va encore modifier ce qui sera modifié demain et que, globalement le temps qui s'ouvre devant nous est un temps perdu.
Q- Alors vous n'êtes pas un homme politique qui ne fait que du commentaire vous non plus. Vous êtes partisan de l'action, comment à votre avis pourrait-on pallier les difficultés actuelles ? Premièrement, est-ce qu'il fallait ou est-ce que vous attendiez que le président de la République changeât de Premier ministre ?
R- Le changement de Premier ministre n'aurait rien modifié, la légitimité du pouvoir est extrêmement faible, le crédit du président de la République est extrêmement faible, on est à la veille d'élections présidentielles - et quel que soit le Premier ministre en poste, il ne faut pas rêver, il ne se passera, grosso modo rien. Vous enlevez les vacances, vous enlevez le mois de janvier et vous voyez bien qu'il reste les exercices obligés, le budget, qui est un budget qui sera modifié.
Q- Pardonnez-moi, mais vous apportez de l'eau au moulin du chef de l'Etat, quand il dit : on ne peut pas perdre une année !
R- Oui, eh bien écoutez non.
Q- Sous prétexte qu'on approche de la fin du quinquennat.
R- La réalité, c'est que si on avait été dans une démocratie normale, et si on avait été dans la logique de la 5ème République, le président de la République aurait démissionné après l'échec du référendum européen. Il est responsable devant le peuple, et il aurait du démissionner dans la foulée. Et on aurait eu une nouvelle équipe et un nouveau départ. Et donc, grosso modo, c'est cela la logique de la 5ème République, c'est que le président de la République concentre les pouvoirs, il les concentre et il est responsable devant le peuple, parce qu'il est élu par le peuple. Or, on a totalement dénaturé ce système et à tel point qu'on en est là, où on se trouve aujourd'hui.
Q- Mais est-ce que vous ne participez pas, finalement, comme le dit le président de la République, à une certaine ébullition qui ne correspond pas à la réalité, puisque, encore une fois, bon, vous le contestez, mais il 'a rappelé, le Gouvernement a des résultats et il a rempli la feuille de
mission que lui avait fixée le chef de l'Etat lorsqu'il l'a envoyé à Matignon.
R- Mais si les résultats étaient là, ça se verrait, ça se verrait concrètement. Cela se verrait quand vous interrogez les chefs d'entreprise. Cela se verrait quand vous interrogez les salariés, cela se verrait par toute une série de réformes. Je vous parlais du niveau de la dépense publique, la réalité c'est que la dépense publique continue à augmenter. On nous parle de réduction de la dépense publique en supprimant 7.000 postes de fonctionnaires, comme si cela devait être la...
Q- Dans l'Education nationale, 15.000 en tout.
R- 15.000 en tout, oui, mais ce qu'on oublie de dire c'est qu'on en crée 25.000 dans la fonction publique territoriale et que, au lieu de remettre les choses à plat et de revoir l'architecture de la décentralisation et de simplifier le système pour faire en sorte qu'on ait un système plus efficace, moins complexe et moins coûteux, eh bien on continue à jouer sur des annonces qui n'ont pas de sens.
Q- La fusion SUEZ/GDF, vous la voterez, ou en tout cas vous voterez la disposition qui permet à l'Etat de descendre en dessous des 70 % de participation dans le capital ?
R- On attend les réponses du Gouvernement aux questions que nous avons posées. Nous avons dit au Gouvernement : qu'est-ce que demandera la Commission européenne à cette concentration ? On n'en sait rien ! Quels seront les intérêts des consommateurs en la matière, et comment seront protégés les consommateurs à travers la création de ces grands oligopoles qui dominent les marchés ? On n'en sait rien ! Il y a la question du personnel commun à GDF/EDF et comment les choses vont se régler ? On ne sait pas. On prendra notre position à terme. Je voudrais simplement vous faire observer qu'il y a une contradiction énorme dans : comment les choses ont été annoncées en la matière ? A la fois on a un Premier ministre et un président de la République qui s'appelaient L. Jospin et J. Chirac qui signent la libéralisation des marchés de l'énergie et donc la création d'un grand marché européen et qui, quelques années plus tard, contestent l'idée que des entreprises européennes puissent acheter des entreprises françaises. Si on considère qu'on est sur des marchés européens libres, on accepte que la France aille acheter des entreprises étrangères, mais aussi que des entreprises étrangères, européennes aillent acheter des entreprises françaises. Parce que sinon, il y a une espèce de décrochage complet entre les deux.
Q- Est-ce que, comme votre collègue, député européen, J.-L. Bourlanges, vous trouvez que F. Bayrou exploite mal la situation en critiquant la gauche, en critiquant la droite, en souhaitant le centre, mais en ne présentant pas un véritable programme de centre ?
R- Eh bien écoutez, si vous voulez bien avoir un peu un regard objectif sur la situation, vous verrez que tous les 15 jours, F. Bayrou, sujet par sujet décline, nous l'avons fait encore la semaine dernière sur la défense - nous l'avons fait la semaine dernière sur le logement, nous l'avons fait sur la réforme de l'Etat, nous l'avons fait sur les institutions, nous l'avons fait sur l'immigration - chaque semaine ou presque, F. Bayrou présente un certain nombre de propositions. Donc après soit on a envie de les lire, soit on n'a pas envie de les lire, mais ce procès-là, s'il y a bien un procès que je n'accepte pas, c'est celui-là, car il n'y a pas plus proposant que l'UDF depuis quatre ans, même sur des réformes aussi essentielles que les 35 heures où j'ai vu que N. Sarkozy reprenait mot pour mot nos propositions.
Eh bien ça, on verra les résultats dans onze mois, H. Morin, merci beaucoup, bonne journée !Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 juin 2006