Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur la recherche de solutions euro-africaine au défi migratoire entre l'Europe et l'Afrique, Rabat le 10 juillet 2006.

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Circonstance : Conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement les 10 et 11 juillet 2006 à Rabat

Texte intégral

Monsieur le Ministre des Affaires étrangères du Royaume du Maroc,
Monsieur le Président du Conseil des ministres de l'Union européenne,
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères de la République du Sénégal,
Madame la Membre de la Commission européenne,
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères du Royaume d'Espagne,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations internationales et régionales,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

Nous sommes aujourd'hui nombreux, responsables politiques de pays africains et des pays européens, d'organisations internationales et régionales, présents au rendez-vous de Rabat. Il s'agit d'un rendez-vous majeur pour élaborer, ensemble, une réponse concrète au défi migratoire qui nous est commun.
Je veux en remercier sa Majesté le Roi du Maroc, notre hôte, ainsi que le président du gouvernement espagnol, pour avoir pris à l'automne dernier l'initiative de cette Conférence. C'est avec détermination et enthousiasme que la France, vite rejointe par d'autres, Européens et Africains, a prêté son concours actif au lancement du partenariat de Rabat pour la migration et le développement.
Il faut prendre la mesure de ce moment historique. C'est la première fois que les pays unis par les routes migratoires entre l'Afrique centrale, occidentale et du Nord et l'Europe se rassemblent autour de la même table. Que nous soyons pays d'origine, de transit ou de destination, et souvent les trois à la fois, nous avons décidé pour la première fois de travailler en commun sur la question des migrations, phénomène majeur de la mondialisation que nous partageons tous.
Nous le faisons d'une manière totalement moderne ; dans un esprit d'écoute, de dialogue, d'échange ; avec la conviction que la migration est d'abord un trait d'union positif entre nous, que tout doit être fait, par chacun d'entre nous, pour éviter les drames humains qui jalonnent le parcours de la migration illégale et pour organiser ensemble, les règles et les conditions d'une migration mutuellement profitable, d'une migration concertée.

La grande nouveauté de ce que nous allons construire pendant ces deux journées de Rabat, c'est la volonté de prendre en compte la question migratoire dans sa globalité :

  • en changeant, par le développement durable et le co-développement, ce qui conduit des hommes et des femmes à vouloir s'expatrier dans des conditions qui mettent en péril, le long de leur voyage, leur intégrité. Ces atteintes aux Droits de l'Homme, personne, et surtout pas la France, ne peut s'y résigner ;
  • en organisant ensemble la mobilité des migrants, l'accès à la migration légale qui constitue une source d'enrichissement mutuel, une respiration indispensable à nos sociétés désormais ouvertes ;
  • en combattant ensemble, de manière résolue, les migrations irrégulières, source de tant de maux, de dérives, de frustrations, d'incompréhensions.

Seules, cette réponse globale, cet équilibre, seront de nature à répondre aux intérêts fondamentaux de tous les pays européens et africains représentés à Rabat. Nous ne travaillerons efficacement que si nous travaillons dans un esprit de partenariat, sur une logique d'intérêt mutuel.
Car le développement est l'affaire de tous, même s'il relève avant toute chose de choix souverains des Etats et des organisations internationales et régionales auxquels ils appartiennent.
La sécurité est aussi l'affaire de tous. Quel Etat africain, quel Etat européen, quel citoyen africain, ou européen, peut se satisfaire des maux que provoque la migration irrégulière : la criminalité organisée, les filières qui exploitent les individus depuis les pays d'origine jusqu'aux pays de destination en passant par les pays de transit, les dangers qui attendent celles et ceux qui tentent la traversée dans des conditions terribles, les déséquilibres économiques et sociaux et notamment la fuite des cerveaux, l'atteinte à la souveraineté des Etats et à la construction librement consentie d'intégration régionale.
Ce sont les routes migratoires qui nous réunissent aujourd'hui. D'abord et avant tout pour le meilleur, lorsque nous organisons ensemble la migration au bénéfice de tous. Et c'est d'abord cela que je veux retenir ici à Rabat : les magnifiques richesses que procurent aux Européens et aux Africains l'échange mutuel lié à la migration. La France, pays d'ouverture, d'accueil et d'intégration, y est particulièrement sensible.
Mais ces routes nous unissent aussi parfois pour le pire lorsque l'aventure de la migration irrégulière s'achève dans de terribles drames humains sur les rives communes de l'Atlantique et de la Méditerranée.
Cela ne peut pas durer.
Certes, personne ne peut croire que nous pourrons en deux jours mettre un terme à des difficultés dont les origines sont anciennes et profondes.
Mais notre présence à tous ici marque le refus de la fatalité ou du cynisme.
Une perspective se met en place, en même temps que se construit l'esprit de Rabat. Un esprit marqué par une commune volonté de s'écouter, d'agir ensemble pour changer la réalité des choses et revenir à ce qui fait l'essence de la migration : un droit individuel fondamental, un lien irremplaçable entre l'Europe et l'Afrique, un espace d'échanges humain, culturel et social. En disant cela, je pense d'abord aux jeunesses de nos pays, qui ont si profondément soif de se connaître, à cette "jeunesse sans frontière" qui est désormais celle du XXIe siècle.
Pour cela, il nous faut nous donner, ici à Rabat, les moyens d'agir. Rien ne se fera sans la volonté de chaque Etat, de chaque organisation internationale et régionale. Je pense tout particulièrement à l'Union européenne à laquelle la France appartient, mais aussi à l'Union africaine, dont je salue la présence, ou encore à la CEDEAO et à la CEMAC qui sont pour nous des interlocuteurs fondamentaux.
Permettez-moi d'insister ici sur l'engagement de l'Union européenne dans le lancement du partenariat de Rabat, engagement voulu par le Conseil européen et marqué par la présence aujourd'hui à Rabat au plus haut niveau de la présidence de l'Union, de la Commission de l'Union européenne et des Etats membres, que je salue. Permettez-moi de citer un seul chiffre : aujourd'hui, l'Europe - Union et Etats membres - met en oeuvre près de 15 milliards d'euros pour le développement du continent africain.
Ces moyens d'action concrets feront l'objet de nos travaux pendant ces deux journées. Travaillons donc ensemble, avec la volonté de construire un partenariat nouveau, à approuver une déclaration politique et un plan d'action qui nous permettront d'agir ensemble. Rien ne se fera sans la volonté de chacun d'entre nous, de s'engager aujourd'hui dans une ambition politique commune et de mettre en oeuvre de manière concrète, demain, ce que nous aurons décidé ensemble.

Nous allons, tout au long de ces deux jours, travailler sur de nombreux sujets, qui tous convergent vers le même objectif. J'en retiendrai deux, qui me paraissent particulièrement importants.

  • Le premier, c'est la nécessité de mettre en place les instruments financiers adéquats de nature à la fois à mieux utiliser l'épargne des diasporas et des migrants et à renforcer les mécanismes de micro-crédit, qui est passé de 6 millions de bénéficiaires il y a 5 ans, à 100 millions aujourd'hui.

Plus généralement, il me parait essentiel de favoriser le développement du secteur privé, et un partenariat actif entre secteurs privés européen et africain, dont le potentiel en termes de ressources est considérable. Travaillons ensemble à renforcer son intégration dans les circuits commerciaux et financiers mondiaux. Travaillons à mettre en place des politiques d'éducation et de formation susceptibles de déboucher sur un emploi, de préférence sur le continent africain.

  • Le second, c'est la santé. C'est le premier facteur d'incitation au départ. Comment supporter de ne pas pouvoir guérir un enfant qui risque de mourir, alors que les médicaments existent au Nord ? Fournir aux pays du Sud les médicaments dont ils ont besoin, c'est l'objectif premier du projet UNITAID qui vient d'être mis en place. Construire des pôles d'excellence régionaux en matière de santé, c'est un des objectifs de notre politique de développement.

Beaucoup commence ici à Rabat. J'ai la conviction que ce que nous construirons aujourd'hui autour des routes migratoires peut et doit servir de référence. Nous sommes notamment à la disposition de celles et de ceux qui le souhaitent pour s'engager dans une démarche similaire avec les pays d'Afrique orientale. Nous souhaitons surtout mettre en oeuvre un partenariat continental entre l'Europe et l'Afrique sur la migration et le développement, comme l'ont souhaité l'Union européenne et l'Union africaine, en bénéficiant de l'expérience acquise ici à Rabat.
Je veux enfin me tourner vos nos hôtes marocains, pour saluer leur vision politique et leur courage. Le Royaume du Maroc est une nouvelle fois fidèle à sa tradition de pont entre l'Europe et l'Afrique : pleinement africain, engagé dans le partenariat avec l'Europe, avec une claire conscience de ses intérêts nationaux, sans complaisance mais avec une volonté de construire la confiance avec les partenaires. C'est bien ici, à Rabat, grâce à l'appui de l'ensemble des partenaires, et notamment du Sénégal, dont je veux tout particulièrement saluer la contribution, comme celle des pays européens et africains qui ont préparé activement nos travaux, que nous devons lancer des réponses modernes qui soient à la hauteur du défi contemporain des migrations.
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2006