Interview de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, sur RMC Info le 19 juillet 2006, sur les actions de prévention des dangers de la canicule mises en oeuvre en direction des personnes agées et des enfants depuis l'été 2003.

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Texte intégral

G. Cahour - Vous dites qu'on ne connaîtra pas la catastrophe de 2003. Vous adoptez un ton très affirmatif, vous êtes vraiment sûr de vous. On se souvient, vous vous souvenez de F. Mattéi, en bras de chemise, à la télé : « chers Français, tout va bien », et on a vu la suite...
R - Soyons sérieux. La vérité, c'est qu'avant tout, on a tiré les leçons de 2003. Qu'est-ce qui s'est passé depuis 2003 ? C'est qu'on est davantage aujourd'hui dans la prévention - on le voit d'ailleurs, même les médias, et RMC, sans cesse, vous passez ces messages de prévention, ces conseils - et c'est aussi la différence. On ne découvre pas aujourd'hui les risques liés à la chaleur, on en a pleinement conscience. C'est le premier point. Le deuxième point c'est que, les maisons de retraite, aujourd'hui, on y travaille différemment de ce que l'on faisait en 2003. Il y a aujourd'hui plus de personnels, même s'il y a toujours des demandes pour avoir davantage de personnels pour le confort des patients. Et puis, il y a aussi les pièces rafraîchies, les pièces climatisées, qui sont dans la quasi-totalité des maisons de retraite aujourd'hui - près de 97% des maisons de retraite - qui permettent justement aux personnes qui sont là de se rafraîchir et de se reposer. Parlons des urgences. Les urgences, également depuis 2003, il y a plus de personnels : 4.500 personnes de plus dans les services d'urgence, et on a 130 services d'urgence...
Q - 4.500 personnes de plus pendant l'été ou de manière générale ?
R - Non, non, tout le temps. Parce que pendant l'été, j'ai pris des mesures particulières pour qu'on puisse faire des heures supplémentaires sans problème. Donc, vous voyez. Les messages de prévention de façon à aussi avoir ces messages sanitaires et ces messages solidaires dans les maisons de retraite et aussi dans les hôpitaux. Maintenant, ce que nous savons, c'est que si nous avons une vague de chaleur qui dure, si elle est très importante, cela a des conséquences parce que ça affaiblit l'organisme, c'est vrai.
[Question aux auditeurs]
Q - On parle beaucoup des personnes âgées. Hier, je me souviens d'un témoignage d'un auditeur qui nous racontait, désespéré, qu'il avait vu sa maman à l'hôpital, 82 ans, dans un service de gérontologie sans la moindre climatisation ! Ça existe encore malgré tout !
R - Ça existe encore. Voilà pourquoi il faut, quand il n'y a pas de « clim », mettre des ventilateurs dans les services où il y a des personnes âgées, et puis aussi, il faut refaire les services hospitaliers qui ont besoin d'aide. On a mis en place un plan « Hôpital 2007 », qui a permis de faire des travaux comme jamais, comme dans aucun pays d'Europe, mais la vérité c'est qu'on avait pris beaucoup de retard. J'étais hier...
Q - C'est-à-dire qu'ailleurs, en Europe, tous les hôpitaux sont climatisés ?
R - Non, pas partout. Et puis il faut savoir aussi que dans les pays d'Europe du Nord, on n'a pas tout à fait les mêmes contraintes que celles que l'on peut avoir chez nous. Mais ce que je voulais vous dire, c'est qu'on a fait des investissements importants depuis maintenant quatre ans, mais il y a aussi beaucoup de retard et il y a des projets qui sont maintenant à mener après l'année 2007. J'étais hier et pendant quelques jours en déplacement en Corse pour visiter les établissements de santé dans l'Île de beauté. On s'aperçoit notamment qu'à Ajaccio, il ne faut pas bien de temps en sortant de sa voiture pour voir que cet hôpital a besoin d'être reconstruit totalement ; qu'il n'y a pas aujourd'hui de climatisation dans les services, qu'il n'y a même pas assez de places dans les urgences, et qu'on a beau chercher toutes les solutions du monde, la meilleure des solutions c'est de reconstruire. Voilà pourquoi après le plan « Hôpital 2007 », je travaille pour présenter avant la fin de l'année un plan « Hôpital 2012 » pour refaire les services qui en ont besoin, et je fais une priorité des urgences. Certains me reprochent même de trop parler des urgences et de trop penser aux urgences. Eh bien je ne vais certainement pas changer d'avis.
Q - Mais cet argent où est-ce qu'on le trouve ? Etant donné qu'on ne le trouvait pas avant, où est-ce que vous le trouvez aujourd'hui ?
R - Tout certainement, il y a de l'argent dans l'hôpital, que ce soit pour le faire fonctionner tous les jours. Chaque année, nous avons 2 milliards d'euros de plus pour les hôpitaux, dans les hôpitaux. Et puis, il y a la logique des investissements. Nous avons pu dégager pour le plan « Hôpital 2007 », donc qui a couvert 2003-2007, 10 milliards d'euros. Nous avons des moyens à l'hôpital, il faut le savoir, il faut le dire...
Q - Ils étaient mal utilisés ?
R - Nous avons aujourd'hui besoin d'avoir des idées, des priorités, des idées précises. Aujourd'hui, la modernisation de l'hôpital, pour moi, ce sont les services d'urgence en priorité, des locaux hospitaliers qui n'ont pas été refaits depuis 20 ou 30 ans, il est temps maintenant de s'y mettre.
Sophie, auditrice : J'aurais voulu savoir si le ministre de la Santé avait également pensé aux enfants qui sont accueillis tout l'été dans des centres de loisirs ou dans des structures d'accueil qui ne sont pas encore climatisés et qui sont même récentes, si quelque chose avait été mis en place pour eux ?
R - Sur les enfants, vous avez raison de le rappeler, on parle beaucoup des personnes âgées mais il ne faut pas oublier les enfants en bas âge pour les protéger de la chaleur. Et, justement, dans les centres aérés, pendant l'été, il y a des consignes qui sont données pour qu'il n'y ait pas d'activités, notamment sportives, qui se déroulent au moment où la chaleur est la plus importante...
Q - Le problème, c'est qu'en ce moment la chaleur la plus importante, c'est jour et nuit.
R - C'est jour et nuit. Attendez ! La chaleur n'est pas la même. La logique de la canicule, c'est qu'effectivement la nuit, la température ne redescend pas suffisamment et que l'organisme ne peut pas se reposer. Mais dans ces cas-là, dans les centres aérés, dans une journée comme celle d'aujourd'hui, où nous savons que nous allons connaître un pic de chaleur très important, notamment en région parisienne, il ne faut pas qu'il y ait d'activités de plein air qui sollicitent l'organisme des enfants.
Q - Donc, en gros, on les laisse à l'intérieur et on ferme les volets ?
R - On fait d'autres activités qu'une activité sportive, qu'un match de foot, entre 2 heures et 4 heures de l'après-midi. L'auditrice a entièrement raison : il faut non seulement parler des personnes âgées, mais il ne faut surtout pas oublier les enfants avec. Message qui est très clair mais qu'il faut quand même rappeler : même un court moment, il ne faut jamais laisser un enfant, seul, dans une voiture, à l'arrêt, l'été.
Sophie, auditrice : Ça c'est évident, mais moi je vous parle plus précisément, également, des structures d'accueil des plus bas âge, des crèches, certaines récentes, certaines anciennes, comme vous l'avez dit, n'ont pas encore eu la possibilité de se mettre en climatisation. Et dans ces cas-là, quand il fait 35° à l'intérieur d'une structure, c'est encore plus difficilement vivable, parce qu'il n'y a même pas l'air d'une chaleur sèche à l'extérieur. J'habite dans le Sud et je peux vous dire qu'il y a des structures dans lesquelles il fait 33-34 degrés, et les enfants de trois mois dans cette température... Je voulais savoir s'il y avait des mesures mises en place pour aider les petites municipalités qui n'ont pas des moyens énormes...
Q - Oui, parce que simplement dire "ne pas faire de sport", c'est un peu limité.
R - Non mais attendez ! On ne parlait pas initialement des enfants de trois mois, bien évidemment, on parlait des centres aérés. Là, on est dans une logique différente.
Q - Elle est directrice de crèche, Sophie.
R - Vous êtes directrice de crèche ? Combien d'enfants accueille votre crèche ?
Sophie, auditrice : Une trentaine d'enfants.
R - Et vous n'avez pas du tout de ventilateur dans cette crèche municipale ?
Sophie, l'auditrice : Si, la municipalité a mis en place quelque chose, en attendant. Mais c'est lourd pour une collectivité de prendre en charge ces matériaux. Donc, je voulais savoir si l'Etat avait pensé à mettre en place, comme il a été mis en place un plan canicule pour les personnes âgées. J'ai téléphoné à la PMI, j'ai téléphoné à la DDASS, mais rien n'est mis en place pour les petits enfants. Je suis parent également, en plus d'être directrice de crèche ! Donc je voulais savoir ce qu'on a pensé sur le plan ministériel.
Q - [Existe-t-il] un plan canicule pour les enfants ?
R - Sur le plan ministériel, les choses sont aujourd'hui précisées, notamment pour les centres aérés et autres, c'est le premier point. Pour les crèches, il faut savoir qu'on a aussi beaucoup de crèches qui ferment l'été, parce que les parents en vacances prennent les enfants avec eux. Mais nous avons relancé l'ensemble des maires de France, c'est-à-dire les 36.000 maires - tous n'ont pas des structures de crèches familiales, de crèches municipales - pour justement les sensibiliser également à cette question. L'idéal, c'est de pouvoir avoir des pièces rafraîchies, également, mais c'est aussi, quand on n'en a pas, d'avoir un système de ventilation. Les mairies, aujourd'hui, ont cette responsabilité, les Conseils généraux avec les PMI. Mais il faut savoir que si nous avions besoin de nous équiper davantage, on serait prêts à le faire parce qu'il ne s'agit de penser à l'un, les personnes âgées, et d'oublier, l'autre, les enfants. Mais c'est vrai que l'approche n'est pas la même. Pourquoi parle-t-on beaucoup des personnes âgées ? C'est parce que les personnes âgées vivent à leur domicile et vivent seules, et qu'aujourd'hui, la priorité des priorités, en matière de lutte contre les vagues de chaleur, c'est la lutte contre l'isolement.
Q - Et parce que ces personnes-là ressentent moins la chaleur...
R - Elles ressentent beaucoup moins la chaleur. On n'a pas le sentiment de soif, donc on boit moins spontanément. Voilà pourquoi il faut parler de ces conseils sanitaires, il faut les répéter sans cesse. C'est vrai que pour les enfants, la logique n'est pas la même, il ne s'agit certainement pas d'oublier les enfants en cette période de forte chaleur.
Q - Est-ce que les personnes âgées sont plus réceptives, depuis ce qui s'est passé en 2003 ? J'ai des souvenirs de témoignages en 2003, c'était "non, je n'ai pas soif", oui mais vous n'avez pas soif mais il faut boire...
R - On est plus sensibilisés, mais il y a encore du travail à faire, on le sait bien, il faut que les messages passent par la radio, par RMC, par la télévision, par les journaux. Mais il y a aussi autre chose : ce sont tous ces relais de solidarité et de proximité. Nous avons décidé, depuis l'an dernier, de travailler, notamment, avec les commerçants de proximité, les boulangers, le boucher, le fleuriste... des personnes qui voient les personnes âgées tous les jours, les bureaux de poste, pour que ces messages soient régulièrement portés au plus près du terrain par celles et ceux qui côtoient les personnes âgées. Il y a aujourd'hui un peu plus de 9 millions de personnes de plus de 65 ans, moins de 700.000 seulement vivent dans une maison de retraite, ce qui veut dire que les autres vivent à leur domicile et, seules, le plus souvent. Donc nous passons ces messages et ceux qui les côtoient au quotidien peuvent nous aider. Les gardiens d'immeuble aussi.
Q - Hier, nous avons entendu le témoignage du maire de Blois qui a mis en place un système de distribution de packs d'eau qui permet aussi de garder le contact avec les personnes âgées. Le cas de Blois est-il isolé ou est-ce que la plupart des communes mettent cela en place ?
R - Beaucoup de communes, aujourd'hui, quelle que soit leur taille, se mobilisent et ont des initiatives importantes.
Q - Mais ont-elles vraiment les moyens d'aller voir les personnes âgées ?
R - Il existe, aujourd'hui, un registre, c'est-à-dire qu'une personne âgée, isolée, peut s'inscrire sur un registre et s'il y a une alerte canicule, on est contacté directement, personnellement par la mairie, tous les jours...
Q - Pas toujours ! Hier, on avait le cas d'une femme qui s'est inscrite et qui crevait de chaud chez elle !
R - Dans quelle commune ?
Q - Elle est en Seine-Saint-Denis.
R - Et elle n'a pas été appelée de la journée ?
Q - Elle n'a pas été appelée.
R - A quelle heure elle vous a appelé ?
Q - Onze heures.
R - Je ne tiens pas à prendre la défense de telle ou telle commune mais il faut savoir que ce registre existe, qu'il est là pour être utilisé, pour aller vers les personnes âgées. Il n'existait pas en 2003. On voit aujourd'hui qu'il y a des dizaines de milliers de personnes qui, dans toute la France sont sur ces registres et je voudrais faire passer un message : il n'est pas trop tard pour s'inscrire sur ce registre pour les personnes âgées.
Q - Peut-on inscrire quelqu'un comme, par exemple, sa grand-mère qui n'a pas envie d'y être mais on l'inscrit quand même quand on part en vacances ?
R - Si on va dans le détail, normalement on n'a pas le droit de le faire à la place de sa grand-mère mais si l'on est inquiet pour sa grand-mère et qu'on veut l'inscrire, je ne pense pas que la grand-mère reprochera d'avoir été contactée par quelqu'un qui vient prendre de ses nouvelles. Ce qui est important, c'est que ce registre existe. Il est toujours temps pour s'inscrire sur un registre. C'est sans engagement de la part de la personne âgée qui s'inscrit, mais en revanche, on aura un contact pour savoir si ça va ou pas.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 19 juillet 2006