Texte intégral
Bonsoir Charles Pasqua. Merci d'être avec nous en direct de Bruxelles.
Est ce qu'on peut avoir, au fond, votre sentiment après, à la fois les mesures annoncées par le gouvernement et puis aussi on a l'impression d'une ambiance ou en tout cas d'une utilisation politique du débat sur la sécurité.
Alors, à la fois les mesures, et la teneur actuelle du débat, vous en pensez quoi, vous qui avez été, tout le monde le sait, ministre de l'Intérieur ?
Ecoutez, je crois qu'il est à peu près inévitable, qu'à l'approche des élections qui ont lieu dans un an, que la sécurité revienne sur le devant de la scène.
Il n'y avait pas besoin pour cela des incidents de La Défense. C'était prévisible.
D'autant que le sentiment d'insécurité dans la population va croissant, et que le nombre de crimes et de délits augmente.
Je crois que les mesures annoncées par le gouvernement, écoutez, franchement, c'est mieux que rien.
Mais je dirais que c'est un emplâtre sur une jambe de bois. Dans ce type de situation, il faut d'abord faire une analyse de fond et voir les mesures qui devraient être prises pour essayer de résoudre ces problèmes à terme.
On ne va pas les résoudre en six mois ni un an, c'est clair. Et puis, il y a des mesures d'urgence à prendre.
C'est à dire ?
Ces mesures d'urgence, je les avais déjà chiffrées en 1995, lorsque j'avais fait voter une loi sur la réforme de la police. J'avais chiffré à l'époque à 5 000 le nombre de policiers expérimentés qu'il faudrait affecter dans les banlieues.
Et comme naturellement des policiers expérimentés existent, mais actuellement - à l'époque, je ne sais pas quelle est la situation actuelle aujourd'hui, elle n'a pas dû changer beaucoup - je pensais que la mesure à prendre la plus efficace et la plus rapide, consistait à recruter des personnels chevronnés qui sont dans les commissariats où ils exercent des tâches qui peuvent être exercées par d'autres.
Parce que dans les banlieues, naturellement, il ne faut pas envoyer des jeunes policiers sortis des écoles ou des adjoints de sécurité. Cela ne sert strictement à rien.
Mais vous savez qu'après l'affaire de La Défense, il y a deux choses qui ont vraiment frappé les gens, en tout cas l'opinion. C'est premièrement, que deux jours après, ils étaient tous rentrés chez eux, et donc un sentiment extraordinaire d'impunité. Ils arrivent, pendant 3 heures, il y a une gigantesque baston au milieu des familles qui font leurs courses et après il y a un interpellé qui est relâché et tout le monde rentre chez soi.
Oui, cela ne s'est pas passé tout à fait comme cela.
Je veux dire par là qu'effectivement, il y a eu sur l'esplanade de La Défense des affrontements et si le pire a été évité - moi, j'essaie d'être objectif - c'est parce que la Police est intervenue très vite.
C'est parce qu'il y avait des effectifs sur place, ne serait-ce que pour assurer la protection éventuelle du ministre de l'Intérieur qui participait à une réunion à côté. Et donc, ces effectifs ont empêché un affrontement direct.
C'est justement parce qu'ils n'ont pas pu s'affronter sur La Défense qu'ils sont allés dans les galeries intérieures.
A partir du moment où ils sont allés dans une galerie marchande, il est très difficile pour les forces de police d'intervenir dans une galerie marchande.
Et, d'autre part, les autres sont assez intelligents pour abandonner tout ce qu'ils pouvaient avoir comme arme ou tout ce qui pouvait ressembler à une arme, avant de repartir, ce qui fait qu'en définitive, dans le cadre d'une procédure de flagrant délit, on ne peut interpeller les gens que si vraiment il y a affrontement et si on trouve les armes. Dans le cas contraire, on ne peut pas.
Donc, on est confronté à des problèmes sérieux, le développement des bandes en est un.
Alors, là, il y a des problèmes à terme, je ne vais pas les traiter ce soir.
Ce sont des problèmes d'éducation, de formation, il y a des mesures à prendre concernant les parents, concernant l'école, etc Je crois que ça fera certainement l'objet d'un débat de fond.
Et puis, il faut sans attendre - si on veut recruter des adjoints de sécurité, je veux bien. Mais dans ce cas-là, qu'on les affecte dans les commissariats à faire des tâches administratives et qu'on dégage tout de suite le nombre de policiers chevronnés dont on a besoin, pour disposer sur le terrain de policiers au contact de la population, des jeunes, etc... pour renouer cette espèce de dialogue qui est indispensable.
Puis, dans le même temps, il faut que la Justice fasse son ouvrage.
Vous dites, il y a une seule personne interpellée qui a été déférée, c'est vrai. Mais lorsqu'on arrête des gens qui se sont livrés à des délits, que les faits sont là, qu'ils sont constatés, il arrive souvent également qu'on les relâche. Alors, là, il y a aussi un problème au niveau de la Justice. Il y a des dysfonctionnements.
Est ce que vous seriez partisan - parce que vous savez, ça fait partie des débats qui ont été évoqués des derniers temps - de la tolérance zéro, première question, et avant de vous soumettre les questions des auditeurs
Oui, ma réponse est oui.
Parce qu'il y a un grand débat autour de cette question.
Oui, mais ma réponse est "oui". Je crois qu'à partir du moment où on tolère de premiers délits quel que soit l'âge, sans réprimer, ne serait ce qu'au travers de travaux d'intérêt général etc il est bien évident que le sentiment d'impunité l'emporte.
Et la deuxième question, pardonnez moi Charles Pasqua, c'est vraiment la situation des maires en France, qui déplorent tous de n'avoir strictement aucune fonction, je dis pas de fonction de police directe, mais c'est vrai que ce soit le maire de Nanterre, que ce soit le maire de Meaux, le maire de Périgueux, on leur apprend ce qui se passe - en général, ils ont de bonnes relations avec leur commissaire de police, mais ils n'ont aucun pouvoir pour régler
Oui, mais enfin, ils auraient des pouvoirs que cela ne changerait pas grand chose. Je veux dire que par là il est normal que les maires soient, vis-à-vis de la population, en première ligne. Parce que la population ne se pose pas la question de savoir si c'est la faute de l'Etat, du département, de la commune.
Celui qui est le plus proche de la population, c'est le maire, c'est donc à lui qu'on s'adresse. Que le maire ait son mot à dire, qu'il soit consulté, qu'on installe une sorte d'organisme - je crois qu'il y a diverses propositions d'organismes de concertation etc c'est tout à fait logique - mais les maires ont un moyen simple.
Je crois qu'à l'heure actuelle, on ne peut pas tout attendre de l'Etat.
La sécurité est l'affaire de tous, elle est aussi l'affaire des maires. Et on n'évite n'évitera pas le développement des polices municipales.
Justement, je voudrais vous poser une dernière question avant qu'on marque une pause de publicité et qu'on puisse vous soumettre les réflexions des auditeurs. D'une certaine manière, Lionel Jospin vous a rendu hommage, contrairement aux critiques qu'il a adressées à Jean-Louis Debré, qui a beaucoup insisté sur la faillite de la gauche en matière de sécurité.
D'après vous, est-ce qu'il y a une faillite politique de la gauche dans ce domaine, et comment appréciez vous le fait que, finalement, Lionel Jospin vous rende hommage ?
Je n'ai pas entendu l'hommage de Lionel Jospin
"Hommage", c'est un grand mot.
Je le regrette, parce que c'eût été pour moi un grand moment quand même ! Cela étant, je crois que sur ces affaires de sécurité, chacun doit essayer de tenir des propos responsables.
Ce n'était pas le cas de Debré ?
Non, non, mais ce n'est pas le cas non plus du Premier ministre ! Je veux dire que le Premier ministre ne peut pas considérer tout d'un coup que le gouvernement a fait tout ce qu'il devait faire pour régler les problèmes de la sécurité, ce n'est pas vrai.
Quand on recrute des adjoints de sécurité qu'on engage et qui, pratiquement, commencent leur activité au même niveau de salaire que des gardiens de la paix stagiaires, que dans le même temps, on sait que dans les 4 ou 5 années qui viennent, il y aura un déficit de 15 ou 20 000 gardiens de la paix, on ne peut pas dire qu'on s'est réellement saisi des problèmes. Il faut être sérieux.
Donc, quand il dit que le gouvernement a fait son devoir, vous lui répondez "non".
Non, je crois que très honnêtement, le gouvernement a fait ce qu'il a cru devoir faire mais il n'a pas pris les mesures nécessaires. C'est clair.
C'est l'heure des questions : Nous vous écoutons et Charles Pasqua vous écoute.
"Voilà, je vais "essayer" de me contenir pour ne pas pousser un coup de gueule.
Depuis trois jours que vous abordez ce sujet très important, j'ai entendu quelques propos xénophobes sur l'antenne qui me chagrinent.
C'est bien joli d'essayer de mettre cela sur les immigrés -je ne le suis pas du tout - mais cela me choque. J'étais à La Défense samedi quand les choses se sont passées.
Nous arrivions avec mon épouse en voiture dans le parking, pour se garer aux Quatre Temps et il y avait des gens qui couraient dans tous les sens, certains nous disaient "ne montez pas, ne montez pas ! C'est une bagarre en haut "etc
Ma femme est restée dans la voiture et moi, j'ai voulu quand même, non pas par curiosité maladive, mais je me suis demandé : "qu'est-ce qui se passe à ce point là pour voir des enfants, des femmes, des hommes courir dans tous les sens, affolés".
Et je suis monté.
Effectivement, c'était ce que l'on appelle horrifiant, des battes de base-ball, des couteaux, un tas de choses.
La seule chance, c'est qu'ils ne s'en sont pas pris aux personnes qui étaient dans les galeries commerciales pour faire leurs courses, certains magasins y sont passé, c'est vrai et les forces de police, contrairement à ce que j'ai entendu, je ne les ai pas vues, moi.
Je ne les ai pas vues.
Alors, qu'est-ce que cela me donne comme sentiment ? Lundi soir, sur votre antenne, le maire de Chanteloup-les-Vignes m'a fait froid dans le dos. Voilà un homme qui, par des renseignements qui lui sont propres via sa mairie - ce qui prouve quand même qu'il y a de la gestion dans les mairies, quelle que soit la couleur politique - est avisé qu'il va y avoir ce genre d'affrontements le samedi à La Défense.
Il le dit de lui-même lundi sur votre antenne, "je préviens la Préfecture". La Préfecture reçoit le message. Qu'est-ce qu'on a fait ? Rien du tout. C'est vrai, il y avait des forces de police sur place, parce que monsieur Vaillant était à côté et que l'on sait que pour tout homme politique de premier plan, qu'il soit de gauche ou de droite, on déploie des forces de police proprement scandaleuses, malheureusement à l'encontre de ce dont on a besoin pour un minimum de sécurité.
On ne demande pas de la dictature, on ne demande pas du Pinochet, on ne demande pas du Franco, mais il est vrai qu'il faut qu'il y en ait un peu plus. Je vais vous donner un exemple - très rapidement si vous le permettez."
Oui, si vous voulez, pour que Charles Pasqua puisse vous répondre.
"Alors, la veille, de Port Royal en voiture, jusqu'au Pont de l'Alma, je traverse donc plusieurs arrondissements. Je roule, je vais d'un rendez-vous à l'autre. Je me fais arrêter trois fois par, chaque fois, deux flics, donc je traverse plusieurs commissariats contrôles de police, comme un tas de voitures qu'ils arrêtaient au hasard, on ne sait pas pourquoi. On contrôle nos papiers, on est civilisé, on donne nos papiers. Là, par contre, on déploie des forces de police, on ne sait pas pourquoi."
Alors, Alexandre, réponse de Charles Pasqua sur le fait qu'un préfet a été averti comme c'était le cas par les élus qui nous l'ont dit. Il me semble effectivement que la réponse des forces de police était quand même nettement en dessous de ce qu'il fallait. Et sur l'utilisation, ensuite, des policiers.
Ecoutez, que voulez vous que je réponde ? Ce monsieur est représentatif des Français tels que nous sommes.
A La Défense, il trouve qu'il n'y a pas assez de policiers, et lorsqu'il est interpellé pour des contrôles d'identité, il trouve qu'il y en a trop. Je crois que j'aurais à peu près la même réaction que lui.
Mais il n'en reste pas moins que, premièrement, il est faux de dire - et moi, je ne suis pas ministre de l'Intérieur, je suis président du Conseil général des Hauts-de-Seine, qui est le lieu où ont eu lieu les incidents - je ne crois pas du tout que les forces de police savaient à l'avance que cela allait se passer à La Défense.
Ils avaient des informations comme quoi cela pouvait se passer à La Défense ou à la Gare Saint-Lazare ou ailleurs. Manifestement, il n'y avait pas suffisamment de forces de police pour faire face au nombre de jeunes violents qui sont venus, cela c'est indiscutable.
Alors, c'est vrai Charles Pasqua, qu'on a toujours l'impression qu'il y a beaucoup de forces de police dans Paris, dans des cars, pour la moindre manifestation
Non, non !
Attendez la question. On en voit beaucoup dans les rues de Paris, dans des cars de police et on se demande à quoi ils servent.
Je ne sais pas. Ecoutez, honnêtement, je ne sais pas où vous les voyez, parce qu'il m'arrive à moi aussi de traverser Paris. Ce que je vois, c'est très peu de policiers. Et lorsque je vois des policiers, je vois surtout des adjoints de sécurité, et je ne vois pas beaucoup de policiers. Je me demande donc où ils sont et ce qu'ils font.
Car le problème auquel on est confronté, en dehors des manifestations violentes pour lesquelles il faut faire intervenir des forces mobiles de sécurité, c'est le fait qu'il y ait davantage de policiers sur le terrain, c'est cela qui est en cause.
D'où l'idée de les faire remplacer, comme vous disiez tout à l'heure, pour les tâches administratives.
Mais bien entendu ! Ce qu'il faut, il faut que dans les villes, dans les quartiers sensibles etc mais pas seulement dans les quartiers sensibles. Partout, il faut renforcer la présence policière, d'ailleurs, c'est ce que vous disait votre interlocuteur il y a quelques instants, partant du principe que la peur du gendarme est le commencement de la sagesse. Mais pour qu'on ait peur du gendarme, encore faut-il les voir !
On remercie Alexandre, on va écouter Anne. Bonsoir Anne.
Oui, bonsoir. J'ai écouté Charles Pasqua. Je n'ai pas l'habitude de partager ses opinions mais je suis contente de l'avoir entendu sur ce sujet. Alors, moi, mon cas est d'une banalité affligeante.
J'ai plusieurs enfants, j'en ai un qui a commis des infractions, vol, effraction de voiture, recel de marchandises.
J'ai donc fait le nécessaire, c'est-à-dire, enfin, je vous résume, j'ai fait perquisitionner mon domicile, je l'ai fait mettre en garde à vue, il en est sorti, rien.
J'ai demandé à ce qu'il y ait des litiges, qu'il puisse faire au moins réparation, rien.
Donc, voilà déjà ce que je voulais dire. Cela étonne un petit peu quand on est un parent ordinaire.
Deuxièmement, j'ouvre le journal ce matin et, concernant les centres éducatifs renforcés, qu'ils vont mettre les délinquants au travail, j'ouvre mon journal régional qui est Ouest France, et sur ce journal une photo, sous la phrase "Centre éducatif renforcé qui met le délinquant au travail", on voit le jeune délinquant qui joue aux échecs.
Alors, je ne veux pas me moquer de cette malheureuse photo à côté de la phrase écrite en caractères gras mais si vous voulez, je pense que quand un, adolescent ou une personne est pris par exemple à faire des graffitis, elle doit être employée, encadrée pour les nettoyer.
Petite question avant d'entendre Charles Pasqua, vous avez eu une conversation avec le juge à propos de votre fils ?
Oui, absolument.
Et alors ?
Comme c'est la première fois, si vous voulez, c'est la tolérance.
Moi, je rejoins l'avis de Charles Pasqua, tolérance zéro. Et on apprend à avoir ce genre d'opinion quand on est confronté au problème, quand on est un parent ordinaire et qu'un des enfants, brusquement, justement disjoncte pour des raisons qui sont peut-être dues à la famille, à X. Cela, ce n'est pas le lieu pour exposer, mais je suis sidérée, si vous voulez.
Quand on fait tout pour que l'enfant se rende compte - quand la Police vient perquisitionner, quand on paye les réparations des voitures, quand on fait mettre en garde à vue pour que l'enfant réfléchisse, enfin l'adolescent réfléchisse - si vous voulez, faute de moyens, il en ressort. Alors, après bien sûr, il peut se dire
Charles Pasqua, c'est la réponse à la fois, voyez, là, c'est les parents"
Vous savez, moi, je suis admiratif en écoutant cette mère de famille, parce que je pense qu'il lui a fallu beaucoup de courage.
Absolument.
Pour alerter elle-même la Police et la Justice. Je crois qu'elle a bien fait, parce que c'est effectivement dès le premier délit, surtout lorsque l'on a affaire à des jeunes gens, qu'il faut intervenir et qu'il ne doit pas y avoir de tolérance. Parce qu'ensuite, les jeunes gens se sentent libres de recommencer, c'est clair.
Alors, j'ajouterai autre chose, c'est que, naturellement, moi, je suis tout à fait de l'avis de madame au travers des travaux d'intérêt général. On peut déjà leur faire un certain nombre de choses pour qu'ils se rendent compte qu'ils qu'ils ne doivent pas faire n'importe quoi.
Des travaux d'intérêt général quoi !
Oui, et puis c'est là aussi, il faut le dire, nous sommes victimes d'un climat général qui est ancien, qui ne date pas d'hier.
Je veux dire par là que l'ordonnance de 1945 a été prévue pour protéger les enfants, les jeunes gens et aujourd'hui, elle joue le résultat inverse. Il faut certainement la modifier et il faut être en mesure, dès le premier délit, de sanctionner sévèrement pour essayer de faire prendre conscience au jeune de la gravité des choses et le remettre dans le droit chemin.
Charles Pasqua, merci.
Merci.
(Source http://www.rpfie.org, le 13 février 2001).
Est ce qu'on peut avoir, au fond, votre sentiment après, à la fois les mesures annoncées par le gouvernement et puis aussi on a l'impression d'une ambiance ou en tout cas d'une utilisation politique du débat sur la sécurité.
Alors, à la fois les mesures, et la teneur actuelle du débat, vous en pensez quoi, vous qui avez été, tout le monde le sait, ministre de l'Intérieur ?
Ecoutez, je crois qu'il est à peu près inévitable, qu'à l'approche des élections qui ont lieu dans un an, que la sécurité revienne sur le devant de la scène.
Il n'y avait pas besoin pour cela des incidents de La Défense. C'était prévisible.
D'autant que le sentiment d'insécurité dans la population va croissant, et que le nombre de crimes et de délits augmente.
Je crois que les mesures annoncées par le gouvernement, écoutez, franchement, c'est mieux que rien.
Mais je dirais que c'est un emplâtre sur une jambe de bois. Dans ce type de situation, il faut d'abord faire une analyse de fond et voir les mesures qui devraient être prises pour essayer de résoudre ces problèmes à terme.
On ne va pas les résoudre en six mois ni un an, c'est clair. Et puis, il y a des mesures d'urgence à prendre.
C'est à dire ?
Ces mesures d'urgence, je les avais déjà chiffrées en 1995, lorsque j'avais fait voter une loi sur la réforme de la police. J'avais chiffré à l'époque à 5 000 le nombre de policiers expérimentés qu'il faudrait affecter dans les banlieues.
Et comme naturellement des policiers expérimentés existent, mais actuellement - à l'époque, je ne sais pas quelle est la situation actuelle aujourd'hui, elle n'a pas dû changer beaucoup - je pensais que la mesure à prendre la plus efficace et la plus rapide, consistait à recruter des personnels chevronnés qui sont dans les commissariats où ils exercent des tâches qui peuvent être exercées par d'autres.
Parce que dans les banlieues, naturellement, il ne faut pas envoyer des jeunes policiers sortis des écoles ou des adjoints de sécurité. Cela ne sert strictement à rien.
Mais vous savez qu'après l'affaire de La Défense, il y a deux choses qui ont vraiment frappé les gens, en tout cas l'opinion. C'est premièrement, que deux jours après, ils étaient tous rentrés chez eux, et donc un sentiment extraordinaire d'impunité. Ils arrivent, pendant 3 heures, il y a une gigantesque baston au milieu des familles qui font leurs courses et après il y a un interpellé qui est relâché et tout le monde rentre chez soi.
Oui, cela ne s'est pas passé tout à fait comme cela.
Je veux dire par là qu'effectivement, il y a eu sur l'esplanade de La Défense des affrontements et si le pire a été évité - moi, j'essaie d'être objectif - c'est parce que la Police est intervenue très vite.
C'est parce qu'il y avait des effectifs sur place, ne serait-ce que pour assurer la protection éventuelle du ministre de l'Intérieur qui participait à une réunion à côté. Et donc, ces effectifs ont empêché un affrontement direct.
C'est justement parce qu'ils n'ont pas pu s'affronter sur La Défense qu'ils sont allés dans les galeries intérieures.
A partir du moment où ils sont allés dans une galerie marchande, il est très difficile pour les forces de police d'intervenir dans une galerie marchande.
Et, d'autre part, les autres sont assez intelligents pour abandonner tout ce qu'ils pouvaient avoir comme arme ou tout ce qui pouvait ressembler à une arme, avant de repartir, ce qui fait qu'en définitive, dans le cadre d'une procédure de flagrant délit, on ne peut interpeller les gens que si vraiment il y a affrontement et si on trouve les armes. Dans le cas contraire, on ne peut pas.
Donc, on est confronté à des problèmes sérieux, le développement des bandes en est un.
Alors, là, il y a des problèmes à terme, je ne vais pas les traiter ce soir.
Ce sont des problèmes d'éducation, de formation, il y a des mesures à prendre concernant les parents, concernant l'école, etc Je crois que ça fera certainement l'objet d'un débat de fond.
Et puis, il faut sans attendre - si on veut recruter des adjoints de sécurité, je veux bien. Mais dans ce cas-là, qu'on les affecte dans les commissariats à faire des tâches administratives et qu'on dégage tout de suite le nombre de policiers chevronnés dont on a besoin, pour disposer sur le terrain de policiers au contact de la population, des jeunes, etc... pour renouer cette espèce de dialogue qui est indispensable.
Puis, dans le même temps, il faut que la Justice fasse son ouvrage.
Vous dites, il y a une seule personne interpellée qui a été déférée, c'est vrai. Mais lorsqu'on arrête des gens qui se sont livrés à des délits, que les faits sont là, qu'ils sont constatés, il arrive souvent également qu'on les relâche. Alors, là, il y a aussi un problème au niveau de la Justice. Il y a des dysfonctionnements.
Est ce que vous seriez partisan - parce que vous savez, ça fait partie des débats qui ont été évoqués des derniers temps - de la tolérance zéro, première question, et avant de vous soumettre les questions des auditeurs
Oui, ma réponse est oui.
Parce qu'il y a un grand débat autour de cette question.
Oui, mais ma réponse est "oui". Je crois qu'à partir du moment où on tolère de premiers délits quel que soit l'âge, sans réprimer, ne serait ce qu'au travers de travaux d'intérêt général etc il est bien évident que le sentiment d'impunité l'emporte.
Et la deuxième question, pardonnez moi Charles Pasqua, c'est vraiment la situation des maires en France, qui déplorent tous de n'avoir strictement aucune fonction, je dis pas de fonction de police directe, mais c'est vrai que ce soit le maire de Nanterre, que ce soit le maire de Meaux, le maire de Périgueux, on leur apprend ce qui se passe - en général, ils ont de bonnes relations avec leur commissaire de police, mais ils n'ont aucun pouvoir pour régler
Oui, mais enfin, ils auraient des pouvoirs que cela ne changerait pas grand chose. Je veux dire que par là il est normal que les maires soient, vis-à-vis de la population, en première ligne. Parce que la population ne se pose pas la question de savoir si c'est la faute de l'Etat, du département, de la commune.
Celui qui est le plus proche de la population, c'est le maire, c'est donc à lui qu'on s'adresse. Que le maire ait son mot à dire, qu'il soit consulté, qu'on installe une sorte d'organisme - je crois qu'il y a diverses propositions d'organismes de concertation etc c'est tout à fait logique - mais les maires ont un moyen simple.
Je crois qu'à l'heure actuelle, on ne peut pas tout attendre de l'Etat.
La sécurité est l'affaire de tous, elle est aussi l'affaire des maires. Et on n'évite n'évitera pas le développement des polices municipales.
Justement, je voudrais vous poser une dernière question avant qu'on marque une pause de publicité et qu'on puisse vous soumettre les réflexions des auditeurs. D'une certaine manière, Lionel Jospin vous a rendu hommage, contrairement aux critiques qu'il a adressées à Jean-Louis Debré, qui a beaucoup insisté sur la faillite de la gauche en matière de sécurité.
D'après vous, est-ce qu'il y a une faillite politique de la gauche dans ce domaine, et comment appréciez vous le fait que, finalement, Lionel Jospin vous rende hommage ?
Je n'ai pas entendu l'hommage de Lionel Jospin
"Hommage", c'est un grand mot.
Je le regrette, parce que c'eût été pour moi un grand moment quand même ! Cela étant, je crois que sur ces affaires de sécurité, chacun doit essayer de tenir des propos responsables.
Ce n'était pas le cas de Debré ?
Non, non, mais ce n'est pas le cas non plus du Premier ministre ! Je veux dire que le Premier ministre ne peut pas considérer tout d'un coup que le gouvernement a fait tout ce qu'il devait faire pour régler les problèmes de la sécurité, ce n'est pas vrai.
Quand on recrute des adjoints de sécurité qu'on engage et qui, pratiquement, commencent leur activité au même niveau de salaire que des gardiens de la paix stagiaires, que dans le même temps, on sait que dans les 4 ou 5 années qui viennent, il y aura un déficit de 15 ou 20 000 gardiens de la paix, on ne peut pas dire qu'on s'est réellement saisi des problèmes. Il faut être sérieux.
Donc, quand il dit que le gouvernement a fait son devoir, vous lui répondez "non".
Non, je crois que très honnêtement, le gouvernement a fait ce qu'il a cru devoir faire mais il n'a pas pris les mesures nécessaires. C'est clair.
C'est l'heure des questions : Nous vous écoutons et Charles Pasqua vous écoute.
"Voilà, je vais "essayer" de me contenir pour ne pas pousser un coup de gueule.
Depuis trois jours que vous abordez ce sujet très important, j'ai entendu quelques propos xénophobes sur l'antenne qui me chagrinent.
C'est bien joli d'essayer de mettre cela sur les immigrés -je ne le suis pas du tout - mais cela me choque. J'étais à La Défense samedi quand les choses se sont passées.
Nous arrivions avec mon épouse en voiture dans le parking, pour se garer aux Quatre Temps et il y avait des gens qui couraient dans tous les sens, certains nous disaient "ne montez pas, ne montez pas ! C'est une bagarre en haut "etc
Ma femme est restée dans la voiture et moi, j'ai voulu quand même, non pas par curiosité maladive, mais je me suis demandé : "qu'est-ce qui se passe à ce point là pour voir des enfants, des femmes, des hommes courir dans tous les sens, affolés".
Et je suis monté.
Effectivement, c'était ce que l'on appelle horrifiant, des battes de base-ball, des couteaux, un tas de choses.
La seule chance, c'est qu'ils ne s'en sont pas pris aux personnes qui étaient dans les galeries commerciales pour faire leurs courses, certains magasins y sont passé, c'est vrai et les forces de police, contrairement à ce que j'ai entendu, je ne les ai pas vues, moi.
Je ne les ai pas vues.
Alors, qu'est-ce que cela me donne comme sentiment ? Lundi soir, sur votre antenne, le maire de Chanteloup-les-Vignes m'a fait froid dans le dos. Voilà un homme qui, par des renseignements qui lui sont propres via sa mairie - ce qui prouve quand même qu'il y a de la gestion dans les mairies, quelle que soit la couleur politique - est avisé qu'il va y avoir ce genre d'affrontements le samedi à La Défense.
Il le dit de lui-même lundi sur votre antenne, "je préviens la Préfecture". La Préfecture reçoit le message. Qu'est-ce qu'on a fait ? Rien du tout. C'est vrai, il y avait des forces de police sur place, parce que monsieur Vaillant était à côté et que l'on sait que pour tout homme politique de premier plan, qu'il soit de gauche ou de droite, on déploie des forces de police proprement scandaleuses, malheureusement à l'encontre de ce dont on a besoin pour un minimum de sécurité.
On ne demande pas de la dictature, on ne demande pas du Pinochet, on ne demande pas du Franco, mais il est vrai qu'il faut qu'il y en ait un peu plus. Je vais vous donner un exemple - très rapidement si vous le permettez."
Oui, si vous voulez, pour que Charles Pasqua puisse vous répondre.
"Alors, la veille, de Port Royal en voiture, jusqu'au Pont de l'Alma, je traverse donc plusieurs arrondissements. Je roule, je vais d'un rendez-vous à l'autre. Je me fais arrêter trois fois par, chaque fois, deux flics, donc je traverse plusieurs commissariats contrôles de police, comme un tas de voitures qu'ils arrêtaient au hasard, on ne sait pas pourquoi. On contrôle nos papiers, on est civilisé, on donne nos papiers. Là, par contre, on déploie des forces de police, on ne sait pas pourquoi."
Alors, Alexandre, réponse de Charles Pasqua sur le fait qu'un préfet a été averti comme c'était le cas par les élus qui nous l'ont dit. Il me semble effectivement que la réponse des forces de police était quand même nettement en dessous de ce qu'il fallait. Et sur l'utilisation, ensuite, des policiers.
Ecoutez, que voulez vous que je réponde ? Ce monsieur est représentatif des Français tels que nous sommes.
A La Défense, il trouve qu'il n'y a pas assez de policiers, et lorsqu'il est interpellé pour des contrôles d'identité, il trouve qu'il y en a trop. Je crois que j'aurais à peu près la même réaction que lui.
Mais il n'en reste pas moins que, premièrement, il est faux de dire - et moi, je ne suis pas ministre de l'Intérieur, je suis président du Conseil général des Hauts-de-Seine, qui est le lieu où ont eu lieu les incidents - je ne crois pas du tout que les forces de police savaient à l'avance que cela allait se passer à La Défense.
Ils avaient des informations comme quoi cela pouvait se passer à La Défense ou à la Gare Saint-Lazare ou ailleurs. Manifestement, il n'y avait pas suffisamment de forces de police pour faire face au nombre de jeunes violents qui sont venus, cela c'est indiscutable.
Alors, c'est vrai Charles Pasqua, qu'on a toujours l'impression qu'il y a beaucoup de forces de police dans Paris, dans des cars, pour la moindre manifestation
Non, non !
Attendez la question. On en voit beaucoup dans les rues de Paris, dans des cars de police et on se demande à quoi ils servent.
Je ne sais pas. Ecoutez, honnêtement, je ne sais pas où vous les voyez, parce qu'il m'arrive à moi aussi de traverser Paris. Ce que je vois, c'est très peu de policiers. Et lorsque je vois des policiers, je vois surtout des adjoints de sécurité, et je ne vois pas beaucoup de policiers. Je me demande donc où ils sont et ce qu'ils font.
Car le problème auquel on est confronté, en dehors des manifestations violentes pour lesquelles il faut faire intervenir des forces mobiles de sécurité, c'est le fait qu'il y ait davantage de policiers sur le terrain, c'est cela qui est en cause.
D'où l'idée de les faire remplacer, comme vous disiez tout à l'heure, pour les tâches administratives.
Mais bien entendu ! Ce qu'il faut, il faut que dans les villes, dans les quartiers sensibles etc mais pas seulement dans les quartiers sensibles. Partout, il faut renforcer la présence policière, d'ailleurs, c'est ce que vous disait votre interlocuteur il y a quelques instants, partant du principe que la peur du gendarme est le commencement de la sagesse. Mais pour qu'on ait peur du gendarme, encore faut-il les voir !
On remercie Alexandre, on va écouter Anne. Bonsoir Anne.
Oui, bonsoir. J'ai écouté Charles Pasqua. Je n'ai pas l'habitude de partager ses opinions mais je suis contente de l'avoir entendu sur ce sujet. Alors, moi, mon cas est d'une banalité affligeante.
J'ai plusieurs enfants, j'en ai un qui a commis des infractions, vol, effraction de voiture, recel de marchandises.
J'ai donc fait le nécessaire, c'est-à-dire, enfin, je vous résume, j'ai fait perquisitionner mon domicile, je l'ai fait mettre en garde à vue, il en est sorti, rien.
J'ai demandé à ce qu'il y ait des litiges, qu'il puisse faire au moins réparation, rien.
Donc, voilà déjà ce que je voulais dire. Cela étonne un petit peu quand on est un parent ordinaire.
Deuxièmement, j'ouvre le journal ce matin et, concernant les centres éducatifs renforcés, qu'ils vont mettre les délinquants au travail, j'ouvre mon journal régional qui est Ouest France, et sur ce journal une photo, sous la phrase "Centre éducatif renforcé qui met le délinquant au travail", on voit le jeune délinquant qui joue aux échecs.
Alors, je ne veux pas me moquer de cette malheureuse photo à côté de la phrase écrite en caractères gras mais si vous voulez, je pense que quand un, adolescent ou une personne est pris par exemple à faire des graffitis, elle doit être employée, encadrée pour les nettoyer.
Petite question avant d'entendre Charles Pasqua, vous avez eu une conversation avec le juge à propos de votre fils ?
Oui, absolument.
Et alors ?
Comme c'est la première fois, si vous voulez, c'est la tolérance.
Moi, je rejoins l'avis de Charles Pasqua, tolérance zéro. Et on apprend à avoir ce genre d'opinion quand on est confronté au problème, quand on est un parent ordinaire et qu'un des enfants, brusquement, justement disjoncte pour des raisons qui sont peut-être dues à la famille, à X. Cela, ce n'est pas le lieu pour exposer, mais je suis sidérée, si vous voulez.
Quand on fait tout pour que l'enfant se rende compte - quand la Police vient perquisitionner, quand on paye les réparations des voitures, quand on fait mettre en garde à vue pour que l'enfant réfléchisse, enfin l'adolescent réfléchisse - si vous voulez, faute de moyens, il en ressort. Alors, après bien sûr, il peut se dire
Charles Pasqua, c'est la réponse à la fois, voyez, là, c'est les parents"
Vous savez, moi, je suis admiratif en écoutant cette mère de famille, parce que je pense qu'il lui a fallu beaucoup de courage.
Absolument.
Pour alerter elle-même la Police et la Justice. Je crois qu'elle a bien fait, parce que c'est effectivement dès le premier délit, surtout lorsque l'on a affaire à des jeunes gens, qu'il faut intervenir et qu'il ne doit pas y avoir de tolérance. Parce qu'ensuite, les jeunes gens se sentent libres de recommencer, c'est clair.
Alors, j'ajouterai autre chose, c'est que, naturellement, moi, je suis tout à fait de l'avis de madame au travers des travaux d'intérêt général. On peut déjà leur faire un certain nombre de choses pour qu'ils se rendent compte qu'ils qu'ils ne doivent pas faire n'importe quoi.
Des travaux d'intérêt général quoi !
Oui, et puis c'est là aussi, il faut le dire, nous sommes victimes d'un climat général qui est ancien, qui ne date pas d'hier.
Je veux dire par là que l'ordonnance de 1945 a été prévue pour protéger les enfants, les jeunes gens et aujourd'hui, elle joue le résultat inverse. Il faut certainement la modifier et il faut être en mesure, dès le premier délit, de sanctionner sévèrement pour essayer de faire prendre conscience au jeune de la gravité des choses et le remettre dans le droit chemin.
Charles Pasqua, merci.
Merci.
(Source http://www.rpfie.org, le 13 février 2001).