Texte intégral
Q - Le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, affirme qu'il dispose de marges de manoeuvre dans le dossier agricole. Jusqu'où la France le suivra-t-elle ?
R - La position de la France n'a pas varié depuis la réunion de Hong Kong, au mois de décembre. L'offre de la Commission du 28 octobre est une offre très généreuse, beaucoup plus ambitieuse que ce qui avait été mis sur la table lors du précédent cycle de négociations, l'« Uruguay round ». Elle entraîne déjà de vrais sacrifices et se traduirait par une plus grande ouverture du marché de l'Union européenne, ce qui ne serait pas sans conséquences pour l'agriculture communautaire. Les pays offensifs dans les négociations doivent comprendre qu'il faut s'en contenter. Il n'y a aucune autre marge de manoeuvre ni de flexibilité au-delà de cette offre.
R - De quels appuis vous êtes-vous assuré ?
R - Comme toujours, ceux de la majorité des Etats membres de l'Union, c'est-à-dire de plus d'une quinzaine de pays. En particulier, la présidence autrichienne et les ministres de l'Agriculture allemand et italien, que j'ai rencontrés récemment, partagent cette position. A chaque Conseil européen, j'observe que ces appuis se raffermissent. Nous maintenons, par ailleurs, des contacts étroits avec les pays importateurs du G10, comme le Japon et la Suisse.
Q - A Hong Kong, la France avait assuré qu'il n'y aurait pas de « saucissonnage » de la négociation agricole. Pourtant, elle a accepté la fin des subventions aux exportations. Quelle est votre crédibilité ?
R - Je ne vois pas quelle crédibilité la France a à démontrer dans cette affaire. Si nous avons accepté, à Hong Kong, la fin des restitutions d'ici à 2013, c'est, d'une part, parce que cette date est cohérente avec la durée du paquet financier qui venait alors d'être décidé à Bruxelles par les chefs d'Etat et de gouvernement, et, d'autre part, parce qu'il y avait, en contrepartie, d'importantes concessions de nos partenaires dans le domaine agricole. Cette proposition de mettre fin aux restitutions européennes n'a en effet de valeur que si, parallèlement, il y a bien une mise en oeuvre de mesures sur la fin de l'aide alimentaire américaine en nature et des grands monopoles d'exportation. Depuis le début, l'agriculture absorbe tout le choc de la négociation. Et rien ne bouge chez nos partenaires, qu'il s'agisse des Etats-Unis sur l'agriculture ou des pays émergents dans les domaines de l'industrie et des services. L'Europe est déjà le membre de l'OCDE qui importe le plus de produits agricoles en provenance des pays en développement et notamment d'Afrique. Elle ne doit pas accepter d'être le seul « banquier » du cycle de Doha. Et cela d'autant qu'il y a des volets entiers de la négociation, importants pour nous, tels que les indications géographiques, qui n'ont pas été abordés.
Q - Comment réagissez-vous face aux signaux de flexibilité affichés, la semaine dernière, par le président George W. Bush ?
R - J'attends de les voir à Genève, lorsqu'ils auront traversé les Alpes ! Les Etats-Unis tiennent effectivement un langage d'ouverture. La réalité est peut-être différente, avec la contrainte des élections de mi-mandat à l'automne et le poids du monde agricole au Congrès. Il existe des signes qui ne trompent pas : plus de la moitié des sénateurs américains se sont prononcés contre toute ouverture agricole. Si les Etats-Unis faisaient, cette semaine, des efforts sur leurs soutiens internes ou leurs soutiens à l'exportation et modéraient leurs demandes irréalistes en matière d'accès au marché agricole, alors nous en tiendrons bien sûr compte. Mais j'ai bien précisé lors du dernier Conseil agricole qu'il faut être attentif au risque d'une nouvelle offre agricole américaine qui serait purement cosmétique et à laquelle on nous demanderait de répondre. Nous n'allons pas échanger l'or de la Banque de France contre un caramel mou !
Q - L'absence d'accord vous semble-t-elle préférable ?
R - Ne croyez pas que nous jouons la politique du pire. Nous ne sommes pas dans cette négociation pour souhaiter son échec. Mais nous préférons effectivement l'absence d'accord à un accord à sens unique. Il s'agit de défendre nos intérêts. Pas seulement ceux de 3,5 % ou 4 % d'agriculteurs, mais de toute l'industrie agroalimentaire qui est à ses côtés et représente, en termes de population active, autant d'emplois que les industries mécaniques ou l'industrie automobile. C'est aussi un mode de vie que nous défendons, ainsi que la sécurité alimentaire et sanitaire de l'Europe. Nous ne pouvons pas d'un côté imposer à nos éleveurs des exigences sanitaires ou en matière de bien-être animal et importer des produits, à bas prix, qui ne respecteraient pas les conditions de production que nous nous imposons en Europe.
Q - La crise de la viticulture est un des soucis majeurs du monde agricole en France. Quels sont, selon vous, les moyens d'en sortir ?
R - Le plus important désormais est de mettre en oeuvre une vraie réforme structurelle. Nous comptons pour cela sur la segmentation par produits pour répondre aux besoins d'un marché mondial nouveau et en expansion. Cela peut se faire par bassins de production. Il nous faut poursuivre le travail entamé par René Renou, le président de l'Inao, hélas récemment décédé, sur la différenciation des vins selon leur qualité, sur la simplification et la clarification des appellations d'origine. Il faut enfin renforcer les exigences qualitatives des AOC. Pour éviter la surproduction, tous les vignobles doivent participer aux opérations de distillation là où cela est nécessaire. Il faut aussi pouvoir arracher. Les pouvoirs publics doivent, en outre, avoir les moyens d'intervenir sur les rendements lorsque le marché est saturé. C'est le sens de la proposition de loi que les parlementaires vont examiner cette semaine.
Q - Ces mesures vont dans le sens du projet de réforme, présenté la semaine dernière par la Commission européenne, que vous avez vivement critiqué...
R - Oui, parce que Bruxelles a agi avec la délicatesse d'un bulldozer ! Proposer, comme le fait la Commission, d'arracher 400.000 hectares de vigne revient à raser la capacité viticole d'un certain nombre de pays européens. A vouloir tout faire à la fois, arracher, supprimer les instruments actuels de gestion du marché et libéraliser les droits de plantation, la Commission ne pouvait pas provoquer autre chose qu'une réaction générale de rejet. Ce projet est inacceptable en l'état. Mais la France est disposée à travailler à le modifier dans un sens plus réaliste.
Source http://www.rpfrance-ue.org, le 21 juillet 2006
R - La position de la France n'a pas varié depuis la réunion de Hong Kong, au mois de décembre. L'offre de la Commission du 28 octobre est une offre très généreuse, beaucoup plus ambitieuse que ce qui avait été mis sur la table lors du précédent cycle de négociations, l'« Uruguay round ». Elle entraîne déjà de vrais sacrifices et se traduirait par une plus grande ouverture du marché de l'Union européenne, ce qui ne serait pas sans conséquences pour l'agriculture communautaire. Les pays offensifs dans les négociations doivent comprendre qu'il faut s'en contenter. Il n'y a aucune autre marge de manoeuvre ni de flexibilité au-delà de cette offre.
R - De quels appuis vous êtes-vous assuré ?
R - Comme toujours, ceux de la majorité des Etats membres de l'Union, c'est-à-dire de plus d'une quinzaine de pays. En particulier, la présidence autrichienne et les ministres de l'Agriculture allemand et italien, que j'ai rencontrés récemment, partagent cette position. A chaque Conseil européen, j'observe que ces appuis se raffermissent. Nous maintenons, par ailleurs, des contacts étroits avec les pays importateurs du G10, comme le Japon et la Suisse.
Q - A Hong Kong, la France avait assuré qu'il n'y aurait pas de « saucissonnage » de la négociation agricole. Pourtant, elle a accepté la fin des subventions aux exportations. Quelle est votre crédibilité ?
R - Je ne vois pas quelle crédibilité la France a à démontrer dans cette affaire. Si nous avons accepté, à Hong Kong, la fin des restitutions d'ici à 2013, c'est, d'une part, parce que cette date est cohérente avec la durée du paquet financier qui venait alors d'être décidé à Bruxelles par les chefs d'Etat et de gouvernement, et, d'autre part, parce qu'il y avait, en contrepartie, d'importantes concessions de nos partenaires dans le domaine agricole. Cette proposition de mettre fin aux restitutions européennes n'a en effet de valeur que si, parallèlement, il y a bien une mise en oeuvre de mesures sur la fin de l'aide alimentaire américaine en nature et des grands monopoles d'exportation. Depuis le début, l'agriculture absorbe tout le choc de la négociation. Et rien ne bouge chez nos partenaires, qu'il s'agisse des Etats-Unis sur l'agriculture ou des pays émergents dans les domaines de l'industrie et des services. L'Europe est déjà le membre de l'OCDE qui importe le plus de produits agricoles en provenance des pays en développement et notamment d'Afrique. Elle ne doit pas accepter d'être le seul « banquier » du cycle de Doha. Et cela d'autant qu'il y a des volets entiers de la négociation, importants pour nous, tels que les indications géographiques, qui n'ont pas été abordés.
Q - Comment réagissez-vous face aux signaux de flexibilité affichés, la semaine dernière, par le président George W. Bush ?
R - J'attends de les voir à Genève, lorsqu'ils auront traversé les Alpes ! Les Etats-Unis tiennent effectivement un langage d'ouverture. La réalité est peut-être différente, avec la contrainte des élections de mi-mandat à l'automne et le poids du monde agricole au Congrès. Il existe des signes qui ne trompent pas : plus de la moitié des sénateurs américains se sont prononcés contre toute ouverture agricole. Si les Etats-Unis faisaient, cette semaine, des efforts sur leurs soutiens internes ou leurs soutiens à l'exportation et modéraient leurs demandes irréalistes en matière d'accès au marché agricole, alors nous en tiendrons bien sûr compte. Mais j'ai bien précisé lors du dernier Conseil agricole qu'il faut être attentif au risque d'une nouvelle offre agricole américaine qui serait purement cosmétique et à laquelle on nous demanderait de répondre. Nous n'allons pas échanger l'or de la Banque de France contre un caramel mou !
Q - L'absence d'accord vous semble-t-elle préférable ?
R - Ne croyez pas que nous jouons la politique du pire. Nous ne sommes pas dans cette négociation pour souhaiter son échec. Mais nous préférons effectivement l'absence d'accord à un accord à sens unique. Il s'agit de défendre nos intérêts. Pas seulement ceux de 3,5 % ou 4 % d'agriculteurs, mais de toute l'industrie agroalimentaire qui est à ses côtés et représente, en termes de population active, autant d'emplois que les industries mécaniques ou l'industrie automobile. C'est aussi un mode de vie que nous défendons, ainsi que la sécurité alimentaire et sanitaire de l'Europe. Nous ne pouvons pas d'un côté imposer à nos éleveurs des exigences sanitaires ou en matière de bien-être animal et importer des produits, à bas prix, qui ne respecteraient pas les conditions de production que nous nous imposons en Europe.
Q - La crise de la viticulture est un des soucis majeurs du monde agricole en France. Quels sont, selon vous, les moyens d'en sortir ?
R - Le plus important désormais est de mettre en oeuvre une vraie réforme structurelle. Nous comptons pour cela sur la segmentation par produits pour répondre aux besoins d'un marché mondial nouveau et en expansion. Cela peut se faire par bassins de production. Il nous faut poursuivre le travail entamé par René Renou, le président de l'Inao, hélas récemment décédé, sur la différenciation des vins selon leur qualité, sur la simplification et la clarification des appellations d'origine. Il faut enfin renforcer les exigences qualitatives des AOC. Pour éviter la surproduction, tous les vignobles doivent participer aux opérations de distillation là où cela est nécessaire. Il faut aussi pouvoir arracher. Les pouvoirs publics doivent, en outre, avoir les moyens d'intervenir sur les rendements lorsque le marché est saturé. C'est le sens de la proposition de loi que les parlementaires vont examiner cette semaine.
Q - Ces mesures vont dans le sens du projet de réforme, présenté la semaine dernière par la Commission européenne, que vous avez vivement critiqué...
R - Oui, parce que Bruxelles a agi avec la délicatesse d'un bulldozer ! Proposer, comme le fait la Commission, d'arracher 400.000 hectares de vigne revient à raser la capacité viticole d'un certain nombre de pays européens. A vouloir tout faire à la fois, arracher, supprimer les instruments actuels de gestion du marché et libéraliser les droits de plantation, la Commission ne pouvait pas provoquer autre chose qu'une réaction générale de rejet. Ce projet est inacceptable en l'état. Mais la France est disposée à travailler à le modifier dans un sens plus réaliste.
Source http://www.rpfrance-ue.org, le 21 juillet 2006