Texte intégral
Q - Beaucoup d'hommes politiques s'ennuient en vacances. A quoi ont
servi les vôtres ?
R - Pas à m'ennuyer ! J'ai pris quinze jours de rupture, dans mon pays
des Pyrénées, en Béarn, avec ma famille, mes livres, les chevaux. J'ai
beaucoup écrit.
Q - Depuis trois ans s'était constitué un squat à Cachan. En 2004, le
tribunal administratif de Melun ordonne l'évacuation. Une tentative d'
examen individuel des cas échoue. Plus de 500 personnes, dont une
minorité de clandestins, ont été évacués sur décision de Nicolas
Sarkozy. Est-ce un choix logique ?
R - Une décision de justice doit être exécutée, autrement une société
se défait. Sur la forme, j'aurais préféré qu'un calendrier transparent
soit fixé, que tout le monde sache à quoi s'en tenir. L'exécution d'une
décision de justice ne doit pas être transformée en opération coup de
poing médiatique. Mais, sur le fond, je suis pour appliquer sans
faiblesse les décisions de justice.
Q - A l'aune de la crise libanaise, estimez-vous que la France a touché
les limites de sa puissance en tant que nation ? Et, si c'est le cas,
comment estimez-vous qu'elle puisse se donner un nouveau rôle dès lors
que les mécanismes européens fonctionnent mal ?
R - J'ai été d'accord pour l'essentiel avec la ligne fixée par Jacques
Chirac et j'ai soutenu cette ligne. Ce qui m'a stupéfait, en cours de
crise, ce sont les signes de connivence à l'égard de l'Iran. Ils m'ont
paru dangereux et je l'ai dit. On n'a rien à gagner à rompre le front
occidental à l'égard de l'Iran, dont les déclarations de haine anti-
israélienne et d'appel à la destruction d'Israël s'accompagnent d'une
obsession nucléaire chaque jour réaffirmée. Il y a là un nuage si noir
qu'on ne peut pas l'ignorer. Et comme chaque fois, j'ai trouvé que l'on
ne songeait à l'Europe qu'après que chacun eut joué sa propre carte et,
d'ailleurs, mesuré ses propres limites. Ces retours à la diplomatie du
XIXe siècle nous empêchent de construire la diplomatie du XXIe siècle.
Q - Vous vous êtes montré très réservé sur le projet de loi permettant
la fusion GDF-Suez car vous vouliez « sauvegarder la possibilité de
rendre à EDF son statut public, grâce à GDF ». Le groupe UDF votera-t-
il contre ?
R - La planète vit avec deux épées de Damoclès au-dessus de la tête,
qui sont comme attachées l'une à l'autre : l'épuisement ou, en tout
cas, la raréfaction programmée des énergies fossiles et le
bouleversement du climat en raison des gaz à effet de serre. La seule
question est de savoir si, face à ces deux immenses risques, la
puissance publique doit conserver de vrais instruments de politique
énergétique ou y renoncer. Je suis pour que la puissance publique ait
les moyens de faire face à ces obligations pour l'avenir. L'entreprise
privée a une tout autre logique, le bénéfice des actionnaires, et c'est
normal. Je trouve désastreux que nous nous désarmions ainsi.
Q - La situation économique s'améliore. Cela change-t-il durablement la
donne ?
R - L'évolution économique, identique dans tous les pays de la zone
euro, reste un point d'interrogation. Nous ne saurons qu'à la fin de
l'année quelle est vraiment la tendance.
Q - Est-il du ressort du gouvernement ou des entreprises d'améliorer le
pouvoir d'achat ? Quelle est la piste que vous privilégiez ?
R - La fin du mois, c'est une question qui taraude les Français.
Autrefois, avec un salaire moyen, on vivait et on mettait un peu d'
argent de côté. C'est comme cela que s'est constituée l'épargne des
Français. Aujourd'hui, on a beaucoup de mal, plus de mal qu'on ne le
pense, à joindre les deux bouts. Si l'on augmente brutalement le prix
du travail, comme l'annoncent les socialistes, on fera encore
disparaître des emplois. Il faut donc, que sur le prix du travail
assumé par l'entreprise, le salaire direct ait une plus grande part. Et
que ceux qui veulent travailler plus soient libres de le faire sans
charges supplémentaires.
Q - Alain Juppé veut retrouver son fauteuil de maire de Bordeaux. L'UDF
présentera-t-elle une liste contre lui ?
R - Non. Je soutiendrai Alain Juppé, parce qu'il est une personnalité
forte et un bon maire pour la ville. Partout où il y a de bons maires
avec des majorités équilibrées, pourquoi rompre cet équilibre ? Je ne
réduis pas l'action publique à des problèmes d'étiquette.
Q - « Il y a autant de légitimité chez les citoyens que chez ceux qui
exercent le pouvoir », disiez-vous au printemps. On croirait entendre
Ségolène Royal... L'homme politique, aujourd'hui, doit-il s'excuser de
vouloir entraîner les Français et se contenter de les accompagner ?
R - Si un homme politique est un suiveur, il n'est plus un homme
politique. Mais entraîner, dans mon esprit, ce n'est pas considérer les
citoyens comme des sujets, au contraire. On n'entraîne bien que si l'on
tire les citoyens vers le haut. Et mépriser leur expérience de la vie,
c'est ne rien comprendre. En France, le pouvoir, constamment, se
déconnecte du peuple. Les cartes ne sont pas sur la table, mais
dissimulées. Le pouvoir s'exerce par des décisions en milieu clos et le
Parlement, censé représenter les citoyens, n'a même pas droit à la
parole. La maladie de la Ve République est là.
Q - Vous paraît-il normal et souhaitable pour la démocratie que Jean-
Marie Le Pen puisse se présenter en 2007 et qu'il obtienne donc les 500
signatures de parrainage ?
R - Les élus locaux ont été frappés par 2002. C'est cela qui les guide.
J'avais proposé pour éviter cette crise, que le second tour de la
présidentielle ne soit plus réservé seulement aux deux candidats
arrivés en tête, mais soit ouvert, comme pour tout autre élection, aux
candidats obtenant plus de 10 % des inscrits. Il faudra bien y
réfléchir, mais je vous le dis solennellement : on ne peut pas
continuer à exclure de la représentation des millions de Français, même
si je combats leurs choix. Je suis partisan que l'on change le mode de
scrutin pour qu'une proportionnelle juste désigne, par exemple, 50 %
des députés et, donc, que tous les courants à plus de 5 % soient
représentés à l'Assemblée.
Q - L'été a-t-il permis de décanter la situation à droite et à gauche ?
R - La situation du centre est claire. Mais à droite et à gauche, c'est
le contraire de la décantation. Nicolas Sarkozy mène, mais Jacques
Chirac a bien géré la crise au Proche-Orient. Dominique de Villepin s'
est quelque peu rétabli. Au PS : c'est la foire d'empoigne : Ségolène
Royal a de bons sondages, mais elle ne convainc pas tous ceux qui l'
écoutent et veulent aller au-delà de la photo.
Q - Quel reproche principal faites-vous au PS ?
R - De recommencer dans le mensonge d'Etat. De faire croire que l'on
peut abroger la loi sur les retraites ou qu'il suffit d'une décision
politique pour augmenter massivement le SMIC. De faire croire qu'il
suffit d'impôts nouveaux pour sortir la France de la crise. Je trouve
cette approche désespérante.
Q - La France telle que l'imagine ou la veut François Bayrou est-elle
très différente de celle de Nicolas Sarkozy ?
R - Ce qui me frappe, c'est la ressemblance des projets de Nicolas
Sarkozy avec ceux d'Aznar ou de Berlusconi. Une grande connivence avec
les puissances d'argent - même à l'UMP, Méhaignerie a trouvé le slogan
« tout pour les riches » - et la mise en scène des confrontations dures
dans la société. Au moins Chirac avait un tissu d'humanité qui mettait
la société à l'abri des ruptures brutales. Mon approche est
profondément différente de celle de Sarkozy. La société française a
devant elle des défis comme elle n'en a jamais rencontré - dette avec
dévaluation interdite, climat, pouvoir d'achat, immigration, chômage et
inactivité de masse, exclusion. Aucun de ces défis ne sera relevé camp
contre camp. Cela impose une union complètement nouvelle de la part de
ceux qui veulent les mêmes priorités, et qui sont compétents, quel que
soit leur camp d'origine. Dans la société, pour moi, la priorité des
priorités, c'est l'éducation, la recherche, la connaissance. Et je ne
suis pas pour couper dans les moyens de l'éducation, mais au contraire
pour les garantir, pour investir dans ce domaine en définissant les
objectifs les plus exigeants.
Q - Mais tous ceux qui ont voulu dépasser le clivage droite-gauche n'y
sont jamais parvenus...
R - Et voyez où cela nous a menés ! Je suis persuadé que les esprits
sont mûrs pour une approche nouvelle.
Q - Cela veut-il dire constituer un gouvernement avec les meilleurs de
l'UDF, de l'UMP ou du PS ?
R - Et d'autres, pourvu qu'ils acceptent le contrat de gouvernement :
stabiliser puis réduire la dette, faire de l'exclusion l'ennemi n°1 en
promouvant l'activité universelle et un service civil, faire de l'
éducation le grand axe de l'avenir, créer le statut de la petite
entreprise pour qu'on laisse les gens travailler, assurer le retour de
l'Etat là où il a disparu et l'alléger là où il est trop présent. A l'
Université d'été de l'UDF, j'ai invité Nicolas Hulot, Michel Rocard et
Michel Barnier. Ces trois personnes ont évidemment des visions
compatibles. Pourquoi ne pourraient-elles jamais travailler ensemble ?
Vous le voyez, mon choix, c'est le pluralisme et l'ouverture.
Q - Pour quelles raisons ce qui n'a pas marché en 2002 marcherait-il
cette fois ? Est-ce la situation française qui a changé, ou vous ?
R - Les deux ! Le pays a changé, parce qu'il mesure tous les jours
davantage que les problèmes sont si graves qu'ils sont hors de portée
des politiques classiques. C'est la démarche qui doit changer. Mais moi
aussi : les êtres humains se forgent, se durcissent, se construisent.
Q - Au-delà des projets, quel est le trait de votre caractère qui vous
incite à penser que vous sauriez mieux présider la France que les
autres ?
R - Peut-être deux traits : je suis un rassembleur, parce que je sais
estimer à leur juste valeur même ceux qui ne pensent pas comme moi et
les entendre quand ce qu'ils disent est juste. Et je ne me résigne
jamais.
Q - Mais l'UDF que vous présidez aujourd'hui est plus monolithique que
celle des années 80...
R - L'UDF vivait autrefois sur un grand quiproquo : nombreux en son
sein pensaient qu'elle était une version light du RPR. On sait ce qu'
ils sont devenus à l'UMP... J'ai toujours pensé, au contraire, que nous
n'avions ni les mêmes valeurs, ni le même projet, ni la même démarche.
C'est ce qui explique l'UDF soudée aujourd'hui.
Q - Les cent premiers jours de François Bayrou président, cela
donnerait quoi ?
R - De nouvelles institutions proposées aux Français pour déverrouiller
la République et représenter toutes les sensibilités de la France. Un
gouvernement ouvert à des compétences qui n'ont jamais pu travailler
ensemble. Une loi sur l'activité universelle et le service civil pour
exclure concrètement l'exclusion. Un plan sur dix ans de lutte contre
la dette. Une loi pour permettre à toutes les entreprises de créer deux
emplois nouveaux sans charges. Et la mise en chantier du nouveau
contrat de priorité à l'éducation.
Q - Votre vie après 2007 si vous n'êtes pas élu ?
R - Excusez-moi de le dire ainsi : la vie, pour moi, les valeurs, la
raison de vivre, ce qui fait aimer, ou croire, ou agir, ne dépend pas
de la fonction qu'on occupe. Simplement, élu président, on a plus de
moyens pour changer les choses.
Q - Quel est, pour vous, le plus beau mot de la langue française ?
R - L'espérance. Péguy disait « la petite fille espérance ». Je ne sais
pas pourquoi, mais c'est encore plus beau que l'espoir.
Propos recueillis par Eric Mandonnet source http://www.udf.org, le 5 septembre 2006
servi les vôtres ?
R - Pas à m'ennuyer ! J'ai pris quinze jours de rupture, dans mon pays
des Pyrénées, en Béarn, avec ma famille, mes livres, les chevaux. J'ai
beaucoup écrit.
Q - Depuis trois ans s'était constitué un squat à Cachan. En 2004, le
tribunal administratif de Melun ordonne l'évacuation. Une tentative d'
examen individuel des cas échoue. Plus de 500 personnes, dont une
minorité de clandestins, ont été évacués sur décision de Nicolas
Sarkozy. Est-ce un choix logique ?
R - Une décision de justice doit être exécutée, autrement une société
se défait. Sur la forme, j'aurais préféré qu'un calendrier transparent
soit fixé, que tout le monde sache à quoi s'en tenir. L'exécution d'une
décision de justice ne doit pas être transformée en opération coup de
poing médiatique. Mais, sur le fond, je suis pour appliquer sans
faiblesse les décisions de justice.
Q - A l'aune de la crise libanaise, estimez-vous que la France a touché
les limites de sa puissance en tant que nation ? Et, si c'est le cas,
comment estimez-vous qu'elle puisse se donner un nouveau rôle dès lors
que les mécanismes européens fonctionnent mal ?
R - J'ai été d'accord pour l'essentiel avec la ligne fixée par Jacques
Chirac et j'ai soutenu cette ligne. Ce qui m'a stupéfait, en cours de
crise, ce sont les signes de connivence à l'égard de l'Iran. Ils m'ont
paru dangereux et je l'ai dit. On n'a rien à gagner à rompre le front
occidental à l'égard de l'Iran, dont les déclarations de haine anti-
israélienne et d'appel à la destruction d'Israël s'accompagnent d'une
obsession nucléaire chaque jour réaffirmée. Il y a là un nuage si noir
qu'on ne peut pas l'ignorer. Et comme chaque fois, j'ai trouvé que l'on
ne songeait à l'Europe qu'après que chacun eut joué sa propre carte et,
d'ailleurs, mesuré ses propres limites. Ces retours à la diplomatie du
XIXe siècle nous empêchent de construire la diplomatie du XXIe siècle.
Q - Vous vous êtes montré très réservé sur le projet de loi permettant
la fusion GDF-Suez car vous vouliez « sauvegarder la possibilité de
rendre à EDF son statut public, grâce à GDF ». Le groupe UDF votera-t-
il contre ?
R - La planète vit avec deux épées de Damoclès au-dessus de la tête,
qui sont comme attachées l'une à l'autre : l'épuisement ou, en tout
cas, la raréfaction programmée des énergies fossiles et le
bouleversement du climat en raison des gaz à effet de serre. La seule
question est de savoir si, face à ces deux immenses risques, la
puissance publique doit conserver de vrais instruments de politique
énergétique ou y renoncer. Je suis pour que la puissance publique ait
les moyens de faire face à ces obligations pour l'avenir. L'entreprise
privée a une tout autre logique, le bénéfice des actionnaires, et c'est
normal. Je trouve désastreux que nous nous désarmions ainsi.
Q - La situation économique s'améliore. Cela change-t-il durablement la
donne ?
R - L'évolution économique, identique dans tous les pays de la zone
euro, reste un point d'interrogation. Nous ne saurons qu'à la fin de
l'année quelle est vraiment la tendance.
Q - Est-il du ressort du gouvernement ou des entreprises d'améliorer le
pouvoir d'achat ? Quelle est la piste que vous privilégiez ?
R - La fin du mois, c'est une question qui taraude les Français.
Autrefois, avec un salaire moyen, on vivait et on mettait un peu d'
argent de côté. C'est comme cela que s'est constituée l'épargne des
Français. Aujourd'hui, on a beaucoup de mal, plus de mal qu'on ne le
pense, à joindre les deux bouts. Si l'on augmente brutalement le prix
du travail, comme l'annoncent les socialistes, on fera encore
disparaître des emplois. Il faut donc, que sur le prix du travail
assumé par l'entreprise, le salaire direct ait une plus grande part. Et
que ceux qui veulent travailler plus soient libres de le faire sans
charges supplémentaires.
Q - Alain Juppé veut retrouver son fauteuil de maire de Bordeaux. L'UDF
présentera-t-elle une liste contre lui ?
R - Non. Je soutiendrai Alain Juppé, parce qu'il est une personnalité
forte et un bon maire pour la ville. Partout où il y a de bons maires
avec des majorités équilibrées, pourquoi rompre cet équilibre ? Je ne
réduis pas l'action publique à des problèmes d'étiquette.
Q - « Il y a autant de légitimité chez les citoyens que chez ceux qui
exercent le pouvoir », disiez-vous au printemps. On croirait entendre
Ségolène Royal... L'homme politique, aujourd'hui, doit-il s'excuser de
vouloir entraîner les Français et se contenter de les accompagner ?
R - Si un homme politique est un suiveur, il n'est plus un homme
politique. Mais entraîner, dans mon esprit, ce n'est pas considérer les
citoyens comme des sujets, au contraire. On n'entraîne bien que si l'on
tire les citoyens vers le haut. Et mépriser leur expérience de la vie,
c'est ne rien comprendre. En France, le pouvoir, constamment, se
déconnecte du peuple. Les cartes ne sont pas sur la table, mais
dissimulées. Le pouvoir s'exerce par des décisions en milieu clos et le
Parlement, censé représenter les citoyens, n'a même pas droit à la
parole. La maladie de la Ve République est là.
Q - Vous paraît-il normal et souhaitable pour la démocratie que Jean-
Marie Le Pen puisse se présenter en 2007 et qu'il obtienne donc les 500
signatures de parrainage ?
R - Les élus locaux ont été frappés par 2002. C'est cela qui les guide.
J'avais proposé pour éviter cette crise, que le second tour de la
présidentielle ne soit plus réservé seulement aux deux candidats
arrivés en tête, mais soit ouvert, comme pour tout autre élection, aux
candidats obtenant plus de 10 % des inscrits. Il faudra bien y
réfléchir, mais je vous le dis solennellement : on ne peut pas
continuer à exclure de la représentation des millions de Français, même
si je combats leurs choix. Je suis partisan que l'on change le mode de
scrutin pour qu'une proportionnelle juste désigne, par exemple, 50 %
des députés et, donc, que tous les courants à plus de 5 % soient
représentés à l'Assemblée.
Q - L'été a-t-il permis de décanter la situation à droite et à gauche ?
R - La situation du centre est claire. Mais à droite et à gauche, c'est
le contraire de la décantation. Nicolas Sarkozy mène, mais Jacques
Chirac a bien géré la crise au Proche-Orient. Dominique de Villepin s'
est quelque peu rétabli. Au PS : c'est la foire d'empoigne : Ségolène
Royal a de bons sondages, mais elle ne convainc pas tous ceux qui l'
écoutent et veulent aller au-delà de la photo.
Q - Quel reproche principal faites-vous au PS ?
R - De recommencer dans le mensonge d'Etat. De faire croire que l'on
peut abroger la loi sur les retraites ou qu'il suffit d'une décision
politique pour augmenter massivement le SMIC. De faire croire qu'il
suffit d'impôts nouveaux pour sortir la France de la crise. Je trouve
cette approche désespérante.
Q - La France telle que l'imagine ou la veut François Bayrou est-elle
très différente de celle de Nicolas Sarkozy ?
R - Ce qui me frappe, c'est la ressemblance des projets de Nicolas
Sarkozy avec ceux d'Aznar ou de Berlusconi. Une grande connivence avec
les puissances d'argent - même à l'UMP, Méhaignerie a trouvé le slogan
« tout pour les riches » - et la mise en scène des confrontations dures
dans la société. Au moins Chirac avait un tissu d'humanité qui mettait
la société à l'abri des ruptures brutales. Mon approche est
profondément différente de celle de Sarkozy. La société française a
devant elle des défis comme elle n'en a jamais rencontré - dette avec
dévaluation interdite, climat, pouvoir d'achat, immigration, chômage et
inactivité de masse, exclusion. Aucun de ces défis ne sera relevé camp
contre camp. Cela impose une union complètement nouvelle de la part de
ceux qui veulent les mêmes priorités, et qui sont compétents, quel que
soit leur camp d'origine. Dans la société, pour moi, la priorité des
priorités, c'est l'éducation, la recherche, la connaissance. Et je ne
suis pas pour couper dans les moyens de l'éducation, mais au contraire
pour les garantir, pour investir dans ce domaine en définissant les
objectifs les plus exigeants.
Q - Mais tous ceux qui ont voulu dépasser le clivage droite-gauche n'y
sont jamais parvenus...
R - Et voyez où cela nous a menés ! Je suis persuadé que les esprits
sont mûrs pour une approche nouvelle.
Q - Cela veut-il dire constituer un gouvernement avec les meilleurs de
l'UDF, de l'UMP ou du PS ?
R - Et d'autres, pourvu qu'ils acceptent le contrat de gouvernement :
stabiliser puis réduire la dette, faire de l'exclusion l'ennemi n°1 en
promouvant l'activité universelle et un service civil, faire de l'
éducation le grand axe de l'avenir, créer le statut de la petite
entreprise pour qu'on laisse les gens travailler, assurer le retour de
l'Etat là où il a disparu et l'alléger là où il est trop présent. A l'
Université d'été de l'UDF, j'ai invité Nicolas Hulot, Michel Rocard et
Michel Barnier. Ces trois personnes ont évidemment des visions
compatibles. Pourquoi ne pourraient-elles jamais travailler ensemble ?
Vous le voyez, mon choix, c'est le pluralisme et l'ouverture.
Q - Pour quelles raisons ce qui n'a pas marché en 2002 marcherait-il
cette fois ? Est-ce la situation française qui a changé, ou vous ?
R - Les deux ! Le pays a changé, parce qu'il mesure tous les jours
davantage que les problèmes sont si graves qu'ils sont hors de portée
des politiques classiques. C'est la démarche qui doit changer. Mais moi
aussi : les êtres humains se forgent, se durcissent, se construisent.
Q - Au-delà des projets, quel est le trait de votre caractère qui vous
incite à penser que vous sauriez mieux présider la France que les
autres ?
R - Peut-être deux traits : je suis un rassembleur, parce que je sais
estimer à leur juste valeur même ceux qui ne pensent pas comme moi et
les entendre quand ce qu'ils disent est juste. Et je ne me résigne
jamais.
Q - Mais l'UDF que vous présidez aujourd'hui est plus monolithique que
celle des années 80...
R - L'UDF vivait autrefois sur un grand quiproquo : nombreux en son
sein pensaient qu'elle était une version light du RPR. On sait ce qu'
ils sont devenus à l'UMP... J'ai toujours pensé, au contraire, que nous
n'avions ni les mêmes valeurs, ni le même projet, ni la même démarche.
C'est ce qui explique l'UDF soudée aujourd'hui.
Q - Les cent premiers jours de François Bayrou président, cela
donnerait quoi ?
R - De nouvelles institutions proposées aux Français pour déverrouiller
la République et représenter toutes les sensibilités de la France. Un
gouvernement ouvert à des compétences qui n'ont jamais pu travailler
ensemble. Une loi sur l'activité universelle et le service civil pour
exclure concrètement l'exclusion. Un plan sur dix ans de lutte contre
la dette. Une loi pour permettre à toutes les entreprises de créer deux
emplois nouveaux sans charges. Et la mise en chantier du nouveau
contrat de priorité à l'éducation.
Q - Votre vie après 2007 si vous n'êtes pas élu ?
R - Excusez-moi de le dire ainsi : la vie, pour moi, les valeurs, la
raison de vivre, ce qui fait aimer, ou croire, ou agir, ne dépend pas
de la fonction qu'on occupe. Simplement, élu président, on a plus de
moyens pour changer les choses.
Q - Quel est, pour vous, le plus beau mot de la langue française ?
R - L'espérance. Péguy disait « la petite fille espérance ». Je ne sais
pas pourquoi, mais c'est encore plus beau que l'espoir.
Propos recueillis par Eric Mandonnet source http://www.udf.org, le 5 septembre 2006