Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur la police judiciaire de proximité et les apports de la police de proximité à la justice, Paris le 30 mars 2000.

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Circonstance : Assises nationales de la police de proximité à Paris (La Villette) le 30 mars 2000

Texte intégral

La sécurité c'est l'affaire de tout le gouvernement.
Dans son discours de politique générale, le 19 Juin 1997, le Premier Ministre a désigné les priorités de l'action gouvernementale au premier rang desquelles figuraient l'emploi et la sécurité.
Cette volonté de combattre l'insécurité, et de restaurer la sécurité pour tous nos concitoyens s'est traduite très concrètement dans les contrats locaux de sécurité et par la mise en place progressive de la police de proximité.
L'expérimentation a lieu dans 67 sites et ces assises ont pour objet de dresser un bilan de ces expériences.
La police de proximité va donc prendre place progressivement dans le paysage de la sécurité par sa présence plus prégnante et par son implantation géographique plus large. C'est une excellente chose.
La police de proximité va aussi devoir s'intégrer parmi les autres forces de sécurité de la police nationale.
Cette arrivée de la police de proximité dans le paysage policier constitue aussi un événement important pour la justice.
En effet, la police de proximité n'est pas une police dédiée exclusivement à la police administrative, elle est et elle sera aussi une police qui exerce des missions de police judiciaire. A ce titre, elle est un sujet constant d'intérêt pour les magistrats du parquet bien sûr, mais aussi pour ceux du siège.
Parce qu'elle est aussi et surtout une police de proximité, elle viendra participer dans une nécessaire complémentarité au fonctionnement de la justice. Il est donc important que leurs rôles respectifs soient bien précisés pour que les attentes de nos concitoyens soient pleinement satisfaites :
1- la police judiciaire de proximité
2- les apports de la police de proximité à la justice.
1 - La police judiciaire de proximité
La police de proximité est appelée à jouer un rôle important dans la lutte contre la délinquance et elle est accueillie avec beaucoup d'intérêt par les magistrats. Elle présente de nombreux avantages qui ont été soulignés par les procureurs de la République dans les rapports qu'ils m'ont adressés.
En effet, la présence accrue de policiers dans les zones sensibles permettra notamment de recueillir des informations favorisant une meilleure connaissance des manifestations de la délinquance au plan local. Elle favorisera aussi l'accueil des victimes.
Comme tout nouveau venu, elle suscite aussi des interrogations et des questions qui sont inspirées par le souci constant de tous les acteurs de la lutte contre la délinquance de rechercher les outils les mieux appropriés et les plus performants.
De ces questions, est né un groupe de travail interministériel créé à l'initiative de JP CHEVENEMENT et de moi-même.
Ce groupe de travail, qui est piloté par nos deux directeurs de cabinet, a été installé le 17 Mars dernier et qui devra remettre ses conclusions le 19 Mai prochain, est composé de représentants des deux administrations centrales, mais aussi d'hommes et de femmes de terrain: magistrats du siège ou du parquet, préfets et directeurs départementaux de la sécurité publique.
Il est chargé d'examiner les missions de police judiciaire exercées par la police de proximité et les relations en ce domaine avec l'autorité judiciaire.
Ses travaux permettront sans aucun doute de répondre aux interrogations et préoccupations qui m'ont été exprimées par les chefs des parquets dans les rapports qu'ils m'ont adressés.
Ces questions, essentielles et déterminantes, pour l'efficacité de la réponse judiciaire et pour assurer une mise en place harmonieuse de la police judiciaire de proximité ont été exprimées de la manière suivante:
- Dans quel périmètre d'intervention de police judiciaire le policier de proximité exercera-t-il ses fonctions ?
- Comment concrètement les missions de police judiciaire du policier de proximité seront -elles mises en oeuvre et articulées avec les compétences des services spécialisés ?
- Quelles relations les policiers de proximité entretiendront-ils avec les parquets dans le cadre du traitement en temps réel notamment ?
La réponse à ces questions est d'autant plus importante que l'efficacité de la réponse judiciaire dans tous les domaines de la délinquance en dépend.
Parallèlement, il me semble essentiel de rappeler, qu'au delà de ces réponses, l'action de la justice et de la police judiciaire doit s'inscrire en permanence dans le respect absolu de principes fondamentaux de notre droit pénal et de notre procédure pénale tels que la légalité des délits et des peines.
Au nom de ce principe qui garantit nos concitoyens contre l'arbitraire, et qui fonde notre Etat de droit, il ne peut y avoir de réponse pénale en l'absence d'infractions. Celles-ci ne recouvrent pas nécessairement les incivilités, sources d'un sentiment d'insécurité dont le policier de proximité est très souvent le témoin mais qui ne peuvent légalement recevoir de réponse pénale.
Par ailleurs, l'exercice de l'action publique ne saurait s'entendre sans une police judiciaire de qualité.
La réponse pénale de la justice peut être considérée comme l'aboutissement d'une chaîne dont les maillons sont ancrés sur la qualité de l'activité des officiers et agents de police judiciaire.
Il convient de souligner que très souvent la qualité des premières constatations effectuées par les enquêteurs est déterminante pour la suite d'une enquête et pour l'administration de la preuve. De plus, toute nullité entachant un procès verbal est de nature à vicier une procédure dans son ensemble.
Nous sommes tous donc bien convaincu que la réussite de la police judiciaire de proximité reposera avant tout sur la qualité des hommes et des femmes qui la composent. Grâce à la loi de novembre 1998 que j'ai fait votée et qui a étendue la qualité d'officier de police judiciaire au corps de maîtrise, la mise en place de police de proximité a été rendue possible. Je sais que vous avez entrepris, pour assurer la réussite de cette réforme, une action de formation sans précédent. Cette action est essentielle et de sa réussite dépendra la réussite de la police de proximité.
La mise en place de la police de proximité s'inscrit dans le mouvement général des grands services de l'Etat qui se doit de répondre aux aspirations de la société moderne. Celle-ci se traduisent par une demande accrue de présence et de proximité .
La justice s'est déjà résolument engagée dans cette voie et la police de proximité lui apparaît à ce titre comme un apport précieux.
2 - Les apports de la police de proximité à la justice
La justice pénale a connu une évolution considérable.
La justice depuis 15 ans a connue une formidable évolution.
Une justice plus proche du citoyen s'est développée, capable d'apporter aux faits dont elle est saisie des réponses rapides, efficaces et adaptées.
La proximité de la justice se traduit à la fois dans l'espace et dans le temps.
Dans le temps, la proximité de la justice : c'est une modification des pratiques judiciaires conduisant à une accélération de la réponse pénale, en particulier, par la mise en oeuvre généralisée du traitement en temps réel des procédures pénales.
Dans l'espace, la proximité de la justice: c'est le souci d'assurer "une présence judiciaire".
La justice au quotidien implique à la fois une amélioration de l'accueil et de l'écoute des justiciables dans les sites judiciaires traditionnels : tribunaux d'instance, de grande instance ou juridictions spécialisées, ainsi que le développement de nouveaux sites judiciaires dans les communes ou les quartiers en difficulté.
Pour assurer cette présence judiciaire de proximité, j'ai stimulé la création de maisons de justice et du droit. C'est ainsi que 47 maisons de justice et du droit et 51 antennes de justice réparties dans 18 cours d'appel et couvrant 26 départements.
Dans ces nouvelles structures, aux missions désormais définies par la loi du 18 Décembre 1998 - 1ère loi votée au titre du 1er volet de la réforme de la justice - et placées sous l'autorité des chefs de juridiction, se sont développées au plus près de la population des actions favorisant le règlement amiable des litiges civils, les réponses souples à la petite délinquance, la prévention, l'aide aux victimes et l'accès au droit.
Afin de pouvoir encore diversifier l'offre de justice, je souhaite voir se créer, au cours des années 2000 et 2001, 60 maisons de justice et du droit supplémentaires et pouvoir favoriser la création et le développement d'antennes de justice. Chacune d'entre elles fait l'objet d'un projet soigneusement préparé par les procureurs de la République.
J'ai souhaité que la justice de proximité se développe sur trois axes essentiels pour nos concitoyens , ce sont :
- l'aide aux victimes;
- l'implication de la justice dans les politiques publiques de sécurité que constituent les contrats locaux de sécurité;
- la diversification de la réponse pénale.
Dans ces trois domaines, il est évident que la police de proximité permettra de renforcer l'action de la justice.
J'ai souhaité mettre en place une politique pénale d'aide aux victimes qui s'est concrétisée par les instructions générales que j'ai adressées à l'ensemble des parquets dans une circulaire du 13 Juillet 1998.
Ces directives ont permis d'assurer une meilleure prise en compte des difficultés et des intérêts des victimes à tous les stades de la procédure.
Elles se sont, aussi, traduites par une prise en charge concrète des victimes les plus traumatisées et notamment des victimes de catastrophes collectives.
Par ailleurs, des services de permanence d'aides aux victimes ont été mis en place dans les locaux des tribunaux de grande instance . Ils fonctionnent lors des audiences correctionnelles ou de comparution immédiate.
Ces mesures seront encore renforcées par les dispositions législatives prévues dans le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et le droit des victimes qui sont aujourd'hui en cours de discussion au sénat.
Enfin, l'action en faveur des victimes d'infraction pénale s'appuie sur le réseau associatif d'aide aux victimes, fédéré par l'Institut National d'Aide aux Victimes et de Médiation (INAVEM) et constitué d'environ 150 associations locales.
A l'égard des victimes, la police de proximité doit jouer un rôle important.
Des mesures concrètes sont prévues pour améliorer l'information et l'accueil des victimes dans les commissariats, et pour faciliter le dépôt de plainte des victimes les plus faibles et les plus vulnérables.
En second lieu, la justice a su se manifester dans les politiques partenariales de sécurité.
La contribution apportée par l'autorité judiciaire dans le cadre des contrats locaux de sécurité est, à cet égard, une manifestation vivante de l'ouverture des juridictions dans la cité.
Dans ce domaine encore, la police de proximité, par sa présence sur le terrain et la meilleure connaissance qu'elle apporte de la vie des quartiers, est amenée à tenir une place importante.
En troisième lieu, la justice pénale a su diversifier ses réponses notamment par des réponses alternatives.
La loi du 23 Juin 1999 - 2e loi votée du 1er volet de la réforme de la justice - a en effet permis d'élargir les possibilités d'intervention de l'autorité judiciaire en ayant recours aux alternatives aux poursuites, communément appelées "troisième voie" :
- le rappel à la loi,
- l'orientation de l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle,
-la réparation du dommage ou la médiation,
Ces mesures sont mises en oeuvre sous l'autorité du procureur de la République, par les nouveaux acteurs judiciaires que constituent les délégués du procureur.

Nous devons tendre à ce qu'aucun acte de délinquance ne doit être laissé sans réponse judiciaire.

Enfin, cette loi instaure également la mesure de composition pénale qui est aussi une forme d'alternative à la poursuite devant le tribunal.

Les parquets disposent donc désormais des moyens d'apporter une réponse judiciaire à tous les actes de délinquance, réponse dont l'adaptation sera, à l'évidence, favorisée par la police de proximité dont l'objectif est une appréhension meilleure des situations individuelles.

C'est pourquoi, une police de proximité qui s'inscrit dans un mouvement de réforme et de modernisation des politiques locales de sécurité doit être, sans nul doute, dans le cadre d'un dialogue constructif un atout supplémentaire à ces évolutions de la justice qui constituent déjà une réalité.
On voit ce que la police de proximité peut apporter : être plus proche, être en contact, en partenariat avec la population.
La gouvernement démontre que la sécurité n'est pas seulement l'affaire du ministre de l'Intérieur ou d'ailleurs de celui de la justice : c'est aussi la responsabilité de tous le gouvernement, qui conduisent des politiques publiques dans le domaine social, de la politique de la ville, ou du logement etc..
La sécurité est une coproduction. Elle ne peut être que cela : la prévention pour éviter que la police et la justice ne soit noyées sous les plaintes, à ce titre il faut bien distinguer incivilités et actes qui peuvent avoir une qualification pénale. Et qu'à chaque acte de délinquance, qui soit être précisément caractérisé, et dont l'auteur puisse être connu, il puisse y avoir une sanction, diversifiée.
Police et justice doivent faire en sorte, ensemble, qu'il y ait une réponse pénale à tout acte de délinquance. Je considère donc comme stérile le fait, par des remarques ou des critiques, de se renvoyer la balle alors qu'il s'agit d'une responsabilité commune.

Je vous remercie.
(source http://www.intérieur.gouv.fr, le 4 avril 2000)