Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'avenir de la relation transatlantique dans le cadre du changement d'administration aux Etats-Unis et de la transformation du contexte international, Bruxelles le 27 février 2001.

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Circonstance : Réunion ministérielle du Conseil Atlantique à Bruxelles le 27 février 2001

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général,
Chers collègues,
Je voudrais m'associer aux souhaits de bienvenue qui viennent d'être adressés à M. Colin Powell.
La réunion d'aujourd'hui, la première après le changement d'administration à Washington, doit nous permettre de dire ce qui nous paraît être important pour l'avenir de la relation transatlantique. Je me limiterai donc à quelques points essentiels.
I. Si notre Alliance a survécu à la disparition des causes qui avaient justifié sa création, c'est parce qu'il y a eu, de la part des Européens, comme des Américains, la volonté de préserver le lien transatlantique et la conviction que l'Alliance correspondait toujours à un intérêt commun.
II. Notre objectif aujourd'hui doit être de faire en sorte que ce lien soit maintenu et reste vivant dans un monde profondément transformé. En effet :
- le contexte stratégique a changé : il n'y a plus, pesant sur nos pays, la menace d'une agression.
- l'Alliance a évolué : comme en témoignent la conclusion de l'Acte fondateur entre l'Otan et la Russie en 1997, la décision de lancer le processus d'élargissement de l'Alliance et l'adaptation du concept stratégique en 1999.
- l'Europe se construit : l'Union européenne a décidé depuis deux ans de se doter des moyens, y compris militaires, lui permettant d'assumer ses responsabilités sur le plan international et d'être ainsi un partenaire à part entière.
III. Pour que l'Alliance, dans cet environnement transformé, conserve toute sa vitalité, nous devons travailler ensemble à consolider trois éléments principaux : la confiance, la consultation et la coopération.
- la confiance : En construisant l'Europe de la Défense, l'Union européenne ne sert pas seulement ses intérêts. Elle contribue au renforcement du pilier européen de l'Alliance. C'est pourquoi, depuis deux ans, cette entreprise est menée de façon transparente et ouverte, aussi bien à l'égard de l'Alliance en tant que telle que de ses membres. Les décisions prises au Conseil européen de Nice sur la consultation et la coopération avec les alliés vont aussi loin que possible. Elles ont été saluées à notre dernière session ministérielle. C'est dans cet esprit qu'il faut poursuivre le dialogue entre les deux organisations. Il faut faire confiance aux Européens.
- deuxièmement, la consultation : Elle doit être menée entre les membres de l'Alliance, qui reste le fondement de la défense collective, dans la plus grande franchise, notamment sur les sujets sur lesquels il pourrait y avoir un désaccord. L'ouverture d'une réelle consultation sur la problématique de la menace et de la défense antimissiles va dans ce sens.
- troisième élément, la coopération : nous la pratiquons, dans les Balkans, depuis maintenant plus de cinq ans, en Bosnie puis au Kosovo. Nous avons démontré, sur le terrain, la cohésion de l'Alliance, y compris dans des situations très difficiles. Cette cohésion reste nécessaire pour faire échec aux extrémistes de tous bords, qui menacent à nouveau la stabilité, notamment dans la région de Presevo.
IV - Voilà les éléments qui peuvent fonder aujourd'hui, de façon durable, ce que, de part et d'autre de l'Atlantique, nous appelons de nos vux depuis un demi-siècle : c'est-à-dire, un véritable partenariat entre Européens et Américains. A cet égard, pour conclure, je vous ferai part de trois convictions :
- le temps est venu de dépasser, ensemble, une situation où, après avoir été longtemps critiqués parce qu'ils ne faisaient pas assez pour assumer leurs responsabilités, les pays européens risqueraient d'être accusés d'affaiblir l'Alliance parce qu'ils font un effort réel ou alors peuvent être accusés des deux en même temps. Nous avons aujourd'hui l'obligation, à un moment important de l'histoire de l'Europe et de l'Amérique, d'avoir une vision politique, stratégique, de nos intérêts à long terme qui se rejoignent ;
- la construction de l'Europe de la défense est le fait de quinze Etats qui, en matière de sécurité, ont une histoire, une culture et même des statuts différents mais qui ont une aspiration commune, une ambition partagée pour l'avenir de l'Europe et un souci commun de coopération avec l'Alliance.
- loin d'être une menace pour la pérennité de l'Otan, l'Europe de la défense constitue une chance :
- ce qui pourrait affecter la solidité du lien transatlantique, ce serait que l'Union européenne n'ait pas la volonté de se doter des moyens lui permettant d'être un partenaire responsable ;
- ce qui pourrait porter atteinte à la cohésion de l'Alliance, ce serait que les pays de l'Union européenne n'aient pas décidé de développer leurs capacités militaires ;
- ce qui serait contraire, me semble-t-il, à l'intérêt des Etats-Unis, c'est que l'Union européenne renonce à occuper sa place sur la scène internationale et qu'elle n'ait pas la capacité de gérer une crise.
Le risque pour l'Otan, le lien transatlantique et la relation euro-américaine ne vient pas du tout de ce que l'Europe est en train de construire. Le risque serait qu'elle ne le fasse pas. Donc il me semble que nous sommes en train de travailler de façon positive tous ensemble.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2001)