Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à "Europe 1" le 13 février 2001, sur la recherche en matière de génétique, la reprise des relations avec l'Algérie, la campagne des élections municipales à Paris et le projet gouvernemental sur la Corse.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Comment vous êtes-vous réveillé ce matin, sachant que votre patrimoine génétique est le double de celui de la mouche, moins que celui du riz et qu'il n'explique ni résout tous les mystères l'homme ? Cela fait un choc ?
- "Cela n'a pas vraiment été la préoccupation de ma nuit, mais c'est un formidable espoir. Je pense à toutes les familles qui ont un enfant, un proche avec une maladie génétique. Je pense à toutes ces formidables promesses. Vraiment, on se dit que l'on va vers de nouvelles aventures formidables pour l'être humain."
On peut tous avoir de l'admiration et de la fierté.
- "Surtout que la France y est pour beaucoup. Vous vous souvenez de D. Cohen, etc."
Oui, justement il y a une concurrence mondiale effrénée en raison des retombées probables. Mais êtes-vous partisan de renforcer les moyens de la recherche publique ou d'encourager le privé et les start-up de biotechnologie privée ?
- "Tout le monde dit qu'il y a là une saine émulation, qu'on a besoin de la recherche publique, ne serait-ce que parce que le patrimoine génétique est un patrimoine commun à toute l'humanité, mais qu'on a aussi besoin de l'aiguillon du privé. Donc, l'équilibre est bon, et en tout cas on va vite. Et plus on ira vite, plus on ramènera l'espoir dans beaucoup de familles."
On n'en sort pas : l'Etat ou le privé...
- "En l'occurrence, la concurrence fait du bien."
Mais vous dites l'Etat et le privé, pas l'un ou l'autre ?
- "L'Etat et le privé, depuis que le monde existe, vous avez forcément à la fois des initiatives privées et en même temps une recherche publique. En France, la recherche génétique a commencé par la formidable initiative du Généthon, d'une recherche privée, et le public l'a accompagné et a pris le relais. C'est très bien."
Il faut les deux. H. Védrine est quelques heures à Alger, il va rencontrer le président algérien Bouteflika. Faut-il aider l'Algérie, coopérer avec elle ?
- "Avec une longue cuillère, pour dîner avec le diable..."
Où est le diable ?
- "Le diable, pour moi, est dans un pouvoir encore un peu obscur en Algérie. Je souhaite pour l'Algérie qu'elle retrouve le chemin de la paix civile, de la démocratie et de la prospérité."
Mais quand on a dit cela, qu'est-ce qu'on a dit ? On n'a rien dit !
- "On a simplement dit qu'il y a un régime algérien pour lequel j'aimerai avoir de la sympathie mais je ne réussis pas."
Et les barbus, ce n'est pas le diable ?
- "Bien sûr, c'est la priorité absolue."
Entre deux formes de diable...
- "Entre deux formes de diable... Mais il faudrait toutes les responsabilités de la France, toutes les responsabilités d'un régime socialiste corrompu, qui interdit toute démocratie et qui a fait que l'opposition n'a eu d'autres choix que de se réfugier dans les mosquées, ce qui a provoqué cette abomination qu'est encore aujourd'hui cet intégrisme islamiste barbare, qui massacre des hommes, des femmes et des enfants. Je souhaite une évolution de l'Algérie vers toujours plus de transparence, toujours plus de démocratie."
On l'aide ou pas ?
- "Sous les conditions que je viens d'évoquer..."
Paris : madame B. Chirac a donc soutenu hier P. Séguin. Elle visitera plusieurs candidats, c'est son tempérament, elle veut sauver des chiraquiens. Pour la droite, c'est devenu un formidable agent électoral ?
- "Je suis allé à Paris dimanche, dans des quartiers populaires, dans le 10ème arrondissement..."
On l'a moins remarqué !
- "... soutenir de bons candidats. Il y a un besoin d'un peu d'air frais et ce que veut faire P. Séguin, à savoir une vraie rupture avec ce qui s'est passé avant, est la bonne ligne. A Paris, il ne faut pas se cacher : il y a un 'blème (sic) ! On a demandé à Séguin d'être chef de file de l'opposition. Mais, dans le même temps, on n'a pas su, on n'a pas voulu, on n'a pas pu retiré Tiberi. Moralité : cela patine un peu ! Tout le monde sait très bien - on a encore vu les menaces de monsieur Tiberi - que Tiberi-Chirac, c'est "je te tiens, tu me tiens, par la barbichette."..
Vous dites qu'on aurait dû enlever Tiberi. Mais croyez-vous qu'un couple Tiberi comme cela, cela s'enlève sur commande ?!
- "Apparemment, non ! Mais tout le monde sait très bien aussi les liens qui unissaient J. Chirac et J. Tiberi. Peut-être que l'on aurait pu procéder autrement ; en tout cas ne pas envoyer Séguin dans ce coupe-gorge. Ou alors, il aurait fallu que le RPR, que Chirac soutiennent franchement Tiberi, et qu'on fasse franchement une liste alternative par rapport à cette liste de la continuité."
De tous côtés, on découvre que le Président de la République s'engage dans la campagne de Paris. Est-ce logique de sa part, à son niveau, ou pensez-vous que c'est courageux de prendre et partager le risque de la défaite de son camp ?
- "Pardonnez-moi, je n'y comprends rigoureusement rien."
A ma question ?
- "Non, mais à ce qui se passe entre l'Elysée et la campagne de Paris. Je n'y comprends rien, je n'ai donc pas de commentaire à faire. D'un côté, je vois B. Chirac aux côtés de monsieur Séguin ; de l'autre, les journalistes rapportent régulièrement qu'à l'Elysée monsieur Monod et d'autres préparent un candidat autre que Séguin pour le deuxième tour..."
Non, J. Monod, on l'a vu, paraît-il à un meeting...
- "Bien sûr, mais vous avez écrit à longueur de colonnes - "vous", les journalistes - sur la foi de rumeurs venues de l'Elysée, que l'on préparait un autre candidat que P. Séguin... Je n'y comprends plus rien !! Donc pour moi, le problème est relativement simple : il faut voter utile, faire bloc autour de P. Séguin, pour essayer de changer d'air."
Est-ce que vous dites aussi qu'il n'y a pas que Paris qui se joue à Paris ?
- "Oui, bien sûr, la maladie de l'opposition a un nom : c'est Paris."
Qui va la guérir ? Est-ce que le mal va se répandre ?
- "Je ne sais pas. C'est vraiment le besoin de changer d'air. Aujourd'hui, l'opposition, ce n'est pas seulement un problème d'union, parce que l'union existe sur Paris et existe dans un certain nombre de grandes villes. Le problème de l'opposition est de donner le sentiment qu'elle épouse son époque, la modernité, qu'elle n'est pas aussi coupée de la vie qu'elle peut l'apparaître parfois."
La Corse...
- "Voilà un bon exemple !"
La Corse, ce n'est l'Ile-de-France et ses 12 millions d'Iliens. Pourquoi tenez-vous tant à traiter de cette île de 250 000 habitants ?
- "D'abord parce que c'est un problème national. Je rencontrerai tout à l'heure les élus corses que j'ai invités à déjeuner pour préparer le prochain débat."
Tous les élus corses ? Y compris les nationalistes ?
- "Je ne sais plus, j'ai invité très largement les élus corses de l'opposition, qui sont d'abord mes amis, pour essayer de discuter avec eux. Le projet de loi du Gouvernement, il faut rappeler qu'il n'est pas venu là par hasard : il est venu à la suite de l'échec du Gouvernement. On n'a pas réussi à arrêter tous les assassins du préfet Erignac - il y a un présumé coupable qui court encore -, l'affaire du préfet Bonnet et ce ridicule incendie des paillotes... Le Gouvernement a été obligé d'engager des discussions avec les élus corses. Le résultat des discussions, premièrement, est bon pour la Corse, et deuxièmement, va dans le bon sens, celui que je souhaite pas seulement pour la Corse, mais pour l'ensemble des régions françaises : le renforcement d'un vrai pouvoir régional. La France a besoin d'une vraie régionalisation. La maladie française, le mal français, c'est cette hyper-centralisation, au sommet de l'Etat à Paris. Il est temps d'aérer la démocratie française, la Vème République est en train de mourir, étouffée par la centralisation et par la cohabitation."
Il faut même aller plus loin que ce que propose Jospin et Vaillant ?
- "Oui, en réalité, il faut aller beaucoup plus loin, parce que ce qu'ils proposent pour la Corse est extrêmement timide au regard de ce qui se fait maintenant partout autour de nous en Europe. Dans le domaine de l'urbanisme, du logement, de l'environnement, de la culture, de l'éducation, de la sécurité, des transports etc., on doit aller vers un très large pouvoir régional. Parce qu'un pouvoir régional, c'est un pouvoir plus attentif, plus économe, plus proche des gens..."
Donc, le projet de loi et le processus de Matignon ne sont que des étapes, des premiers pas ?
- "Je fais une critique à ce projet. C'est celle que j'ai faite notamment face à L. Jospin lorsque nous avons eu - il y a quinze jours maintenant - un débat à l'Assemblée nationale sur la décentralisation, la régionalisation : c'est de vouloir faire de la Corse un laboratoire de la décentralisation. En réalité, il faudrait faire une politique audacieuse de régionalisation pour l'ensemble des régions françaises. Puisque la Corse est quand même un peu à part, compte tenu de son insularité, un statut spécifique pour la Corse, mais dans le cadre de règles valables pour toutes les régions."
Puisque ce projet de loi n'est pas mauvais, voterez-vous "pour" au Parlement ?
- "On va le regarder d'un peu plus près. Par exemple, je suis très contre..."
Mais voterez-vous "pour" ? Il est bon, c'est un premier pas, il faut aller plus loin ?
- "Sous réserve, par exemple, qu'il n'y ait pas d'obligation de droit ou de fait d'apprendre le corse. On doit avoir la liberté d'apprendre le corse en Corse, mais pas l'obligation."
Le Président de la République devrait se prononcer demain sur le projet de loi issu de la discussion entre le Gouvernement et les élus corses. Est-ce qu'il faut qu'il l'encourage, qu'il le bloque ?
- "Sûrement pas le bloquer. Peut-être mettre éventuellement des limites. Il faut avoir une attitude sereine et responsable. Le rôle des responsables politiques, surtout après tant de décennies de bêtises en Corse, c'est de mettre de l'huile dans les rouages, pas de l'huile sur le feu."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 février 2001)