Texte intégral
S. Paoli - La refondation sociale dont les partenaires sociaux dressent aujourd'hui un bilan d'étapes replace-t-elle l'Etat en position de régulateur ? Dessine-t-elle un nouveau paysage social entre une gauche syndicale et les syndicats dits réformistes ? Un an après, est-ce que la refondation a refondé quelque chose ?
- "Cela avance. Doucement, diront certains, mais sûrement. C'est l'essentiel"
Vous avez entendu M. Blondel ?
- "Oui, j'ai entendu M. Blondel. Je connais ses réflexions sur le sujet. Nous allons aller à la réunion de cet après-midi avec la volonté de redire les raisons pour lesquelles il est important que syndicats et patronat s'occupent de garantir à tous les salariés des conditions de vie, des conditions de travail qui correspondent à de nouvelles réalités économiques et de réelles mutations du travail. Il faut donc que ces changements ne se traduisent pas par plus de précarité, plus d'insécurité, plus d'instabilité pour les salariés. Mais que les changements dans l'économie, l'entreprise et le travail, se traduisent aussi par des protections nouvelles, adaptées à la situation d'aujourd'hui, des garanties nouvelles. C'est le sens des propositions que nous faisons dans chaque négociation."
Syndicats et patronats avec l'Etat en position d'arbitre ou de régulateur ? Parce qu'on a l'impression que le Medef est en train de changer de position là-dessus ?
- "Il faudrait peut-être maintenant en venir au principe de réalité, quitter un peu le registre des représentations et des symboles. Qui imagine, en France, que les partenaires sociaux décident de la loi ? Personne. Nous sommes dans un pays de droit, nous tenons à l'état de droit dans lequel nous vivons. Le Gouvernement, l'Etat, le législateur ont des responsabilités pour définir les principes fondamentaux du droit, les principes fondamentaux des protections, des garanties et aussi les règles du jeu qui vont présider à la négociation collective. Cela existe déjà dans notre système français. Il s'agit donc, non pas de contester à l'Etat son droit et son pouvoir d'intervention. Nous souhaitons au contraire que l'Etat se modernise pour être plus efficace dans son intervention. Mais nous disons aussi que dans l'intérêt des salariés, dans cette nécessité, cette alchimie difficile pour construire des bons équilibres entre ce qu'attendent les entreprises mais ce que nous voulons aussi obtenir pour les salariés, il faut la volonté, la responsabilité, la négociation entre les partenaires sociaux pour que ces droits, ces protections que nous voulons pour les salariés, ne soient pas seulement écrites dans une loi - donc souvent formelles - mais que ces protections soient aussi réelles. Vous voyez vraiment qu'il y a de la place pour tout le monde dès lors que tout le monde fonctionne avec responsabilité."
Mais le Medef a fait du chemin là-dessus. On dit beaucoup que c'est la CFDT qui l'a convaincu de moduler sa position notamment sur le rôle de l'Etat, de ne pas aller contre l'Etat ?
- " Tant mieux si la CFDT l'a convaincu de cela. En tout cas, je crois savoir que le patronat s'aperçoit de lui-même qu'il n'y a pas d'autres possibilités que d'inscrire le champ de l'autonomie de la politique contractuelle dans un cadre plus large qui est celui de l'Etat de droit."
Mais est-ce que cette refondation sociale est en train de réorganiser le paysage social ? Entre la CFDT qu'on a beaucoup vu - pas proche du patronat - parlant, discutant, négociant avec le Medef et d'autres syndicats type FSU, on a l'impression qu'il y a une espèce de réorganisation entre une gauche syndicale et puis des syndicats plus réformistes dont vous êtes ?
- "Ce qui est sûr, c'est que les problèmes auxquels nous sommes confrontés - et quand je dis "nous" je parle des les salariés qui sont en priorité confrontés à un certain nombre de problèmes -, ces problèmes bousculent parce que cela interroge la manière dont on conçoit aujourd'hui de faire du syndicalisme et donc de défendre les salariés et les chômeurs d'aujourd'hui. Nous disons qu'on ne défend plus les salariés d'aujourd'hui, dans le contexte d'aujourd'hui qui a changé, dans les mêmes conditions qu'on les défendait il y a 50 ou 40 ans, qui était un autre contexte. Nous disons qu'il faut moderniser, adapter, créer de nouvelles garanties collectives et de nouvelles protections pour mieux protéger les salariés. Pas pour les menacer par rapport à des acquis qui, si nous les laissons en l'état, risquent au contraire de fragiliser les réalités et les situations des salariés. Nous voulons le mouvement, nous voulons la réforme pour mieux garantir et apporter de la sécurité dans les conditions de vie et de travail des salariés. Nous disons que si nous ne bougeons pas, si nous prônons le statu quo, alors il y aura danger et menaces pour les salariés. Cela fait débat à l'intérieur du paysage syndical ; cela fait peut-être débat à l'intérieur de toutes les organisations syndicales. D'ailleurs, certaines ont une majorité qui tire davantage dans un sens plutôt que d'autre. C'est peut-être simplement le fait qu'il y a nécessité de continuer entre nous d'approfondir ce qui fait encore différences, divergences, et progressivement je l'espère, trouver les voies et les moyens de convergence plus fortes."
Mais pas de remise en cause de ce qui constituait le socle syndical, notamment dans les mécanismes de négociation ? Par exemple, le principe de faveur qui consiste à dire qu'on applique toujours l'accord qui est le plus favorable aux salariés, n'est-il pas remis en cause ?
- "Ce serait extraordinaire que des syndicats aillent demander un principe moins favorable pour les salariés."
Vous avez l'air d'être étonnée mais prenez donc les quotidiens ce matin ! La question se pose partout. Il semblerait qu'à l'intérieur des syndicats, on s'en soit posé la question et qu'on se soit demandé si certains - vous notamment et la CFDT - n'étaient pas plus proches du Medef sur certains points, et qu'on puisse remettre en cause ce principe de faveur.
- "Laissons les commentateurs juger comme ils le veulent. Je souhaite que ce soit les salariés et les chômeurs qui soient témoins de cela. Quand la CFDT dit que nous voulons pour les chômeurs - et c'est ce que nous avons obtenu avec le Pare - de nouveaux droits, l'indemnisation toujours présente, mais en plus des droits pour le retour à l'emploi, j'ai du mal à penser que ce soit considéré comme une régression. Quand nous disons pour les retraites qu'il faut la réforme pour garantir les retraites de demain, parce qu'il y a moins d'actifs pour les financer, parce que l'espérance de vie augmente, il faut une réforme dans la justice. Nous voulons que la durée de cotisation prime sur l'âge. Pourquoi ? Parce que c'est plus juste. Aujourd'hui, quelqu'un qui a payé quarante année de cotisation, même s'il n'a pas encore 60 ans, il est obligé d'attendre 60 ans pour avoir sa retraite pleine et entière. Eh bien nous disons que dès qu'il y a quarante ans de cotisation, accès à la retraite. Une régression sociale ? Je pense que les salariés ne vont pas le vivre comme ça. Pour la formation professionnelle, quand nous disons aujourd'hui qu'il faut que cela devienne concret pour tous les salariés, qu'il y ait un droit à la formation réelle tout au long de la vie ; là encore, c'est un plus pour les salariés. Alors regardons les choses en face ! Nous verrons qu'il s'agit de concevoir un progrès social adapté pour les réalités d'aujourd'hui, pas une régression sociale."
Mais sur la formation professionnelle, point important, le Medef dit que c'est très bien, mais en dehors du temps de travail. Que répondez-vous ?
- "Il peut toujours avoir des revendications, le Medef est peut-être dans son rôle... Il y a déjà de nombreuses années de cela, nous avons convenu d'une chose dans un accord interprofessionnel : la formation est en règle générale sur le temps de travail, mais lorsqu'il y a des formations longues qui permettent aux salariés d'accéder à une vraie qualification nouvelle - donc aussi à une rémunération nouvelle -, il est alors admis que pour un quart du temps de la formation, cela puisse se dérouler en dehors du temps de travail. Restons en là et appliquons déjà cela, ce qui veut dire qu'il y aura enfin des salariés qui accèdent vraiment à de nouvelles qualifications par la formation."
Un mot du dossier chaud des heures à venir : les négociations de salaires dans la fonction publique. M. Sapin vous a dit 0,5% de hausse sur la valeur du point d'indice, pas plus.
- "Ce n'est pas une négociation puisque l'Etat employeur est entré dans la négociation en ayant déjà connaissance du résultat. En générale, le résultat est le fruit d'un compromis, d'une confrontation. Je crois qu'il est temps que l'Etat employeur s'interroge sur la manière dont il est lui-même en capacité d'être un véritable interlocuteur pour les syndicats et de jouer vraiment le jeu de la négociation."
Et vous, le jeu du front syndical uni ? La CGT, par exemple, organise une journée de manifestations sur ce thème. Comment vous positionnez-vous ?
- "Les choses ont été claires pour le moment. Là, ce n'est pas très difficile, l'employeur se comportant de telle façon qu'il n'est pas très difficile d'avoir un front uni de tous les syndicat par rapport aux fonctionnaires. Il est uni parce que la décision d'un 0,5% d'augmentation n'est pas acceptable dans les conditions où il a eu lieu. Les fonctionnaires comme les autres salariés ont droit à une augmentation du pouvoir d'achat et pas seulement au maintien de leur pouvoir d'achat. C'est à cela qu'il faut que l'Etat employeur se rende."
(Source http://www.cfdt.fr, le 14 janvier 2003)
G. Morin On va parler de social et un peu d'économie. Alors, patronat et confédérations syndicales ont passé une partie de la nuit à discuter de l'avenir des régimes de retraite complémentaire pour les salariés du privé, ils ne sont pas parvenus à un accord. C'est un échec, une déception ou c'est la marche normale des choses ?
- "Oh, c'est dans l'ordre des choses que ça bloque entre le patronat et les syndicats sur des sujets où ce que veulent les entreprises et ce que veulent les salariés, ne coïncide pas automatiquement. C'est bien normal. Cette nuit, c'est une situation un peu de blocage au sens où mon sentiment est que la partie patronale est restée très rigide, très bloquée sur ses positions, un peu comme si elle n'était pas vraiment dans la recherche d'un compromis. Bon, eh bien il faudra attendre, attendre un petit peu, en tout cas ce n'est pas une rupture des négociations, il faut continuer car les salariés attendent bien évidemment des garanties pour leurs retraites de demain."
Vous pensez que votre proposition de maintenir la durée de cotisation à 40 ans, et pas au-delà, pourrait être acceptée par le patronat et les autres salariés ou bien il faudrait que vous-même vous alliez un peu au-delà de 40 ans dans les cotisations à venir ?
- "Il y a des principes sur lesquels on ne peut pas transiger. Aujourd'hui, on le sait, il faut une réforme des retraites sur le plan complémentaire comme sur le régime de base Sécu aussi - l'un ne va pas sans l'autre. Or, cette réforme elle doit avant toute chose garantir le niveau de pensions - le revenu des retraités de demain puisqu'aujourd'hui il s'agit de penser à ceux qui seront retraités demain. Et pour cela il y a des inégalités actuelles qu'il faut arriver à réduire. Par exemple tout le monde sait que la retraite à 60 ans dont on parle, elle est à 60 ans, oui, pour ceux qui ont en même temps 40 années de cotisations. Ceux qui ne les ont pas doivent continuer à travailler plus. Mais ceux qui les ont avant, doivent quand même attendre 60 ans. Ce n'est pas normal, il faut faire de la durée de cotisations le critère qui prime sur l'âge et permettre à ceux qui n'ont pas encore 60 ans mais qui ont déjà leurs 40 années de cotisations, de pouvoir partir à taux plein. Voilà la condition, le préalable, je dirais, que nous souhaitons, avant d'envisager d'autres évolutions demain."
D'une manière générale, tous ces chantiers dits de refondation sociale que vous avez vécus en l'an 2000 - il y en a eu 4 qui ont été lancés sur les 8 prévus - pensez-vous que ça s'est globalement bien passé ou bien vous pensez qu'on aurait pu avancer davantage ?
- "Ce qui me semble important c'est que les choses avancent. On peut se dire qu'elles avancent doucement mais après tout si elles avancent sûrement ce n'est pas un gros problème. Je crois que ce qui compte c'est que nous, nous soyons remis en mouvement avec le patronat, les syndicats, pour discuter d'un certain nombre de choses qui intéressent bougrement les salariés."
Et malgré le Gouvernement ou avec le Gouvernement, ou avec l'Etat ?
- "Dans la négociation, il s'agit de fonctionner entre partenaires sociaux car les revendications que nous portons, nous les portons devant la partie patronale, c'est bien normal."
Oui mais il y a un moment où l'Etat entre dans le jeu parce qu'on lui demande de l'argent, parce qu'il a un côté réglementaire à assurer.
- "Mais évidemment que les pouvoirs publics ne sont pas hors jeu. Les partenaires sociaux se situent dans le cadre d'un certain nombre de projets légaux, se situent dans un Etat de droit et la puissance publique intervient. C'est toujours un peu, je dirais, un jeu à trois. Mais il ne faut pas que le patronat s'exonère de ses propres responsabilités au motif que l'Etat, de toutes façons, arrive en roue de secours."
Quel sera le plus gros dossier, le plus difficile en 2001 ? Ce sera celui des retraites qui n'est pas achevé ou bien il y en aura d'autres encore plus durs à venir ?
- "Encore plus durs je ne sais pas mais en tout cas de très sérieux - je pense à la formation professionnelle. Voilà un domaine où l'on sait bien aujourd'hui que face à des changements énormes que connaissent les salariés dans leur travail, dans leur emploi, la formation devient un élément de protection contre des changements qui pourraient conduire à de la précarité, en tout cas de l'insécurité dans leur processus de carrière. La formation doit devenir un droit pour tous. Nous demandons un passeport-formation qui garantisse à chacun un temps de formation obligatoire. Nous disons 5 % aujourd'hui dans la perspective d'aller vers 10 %, garanti pour un salarié sur toute sa vie active."
C'est un peu une formation à la carte comme le suggère le Medef, ça, non ?
- "C'est un socle commun à tous et ensuite bien sûr il s'agit que les formations elles soient adaptées à la réalité de chaque salarié. Il ne s'agit pas de faire entrer tout le monde dans des modèles standard qui ne correspondraient pas à leurs attentes et à leurs besoins."
Deux choses d'actualité aussi : prévisions économiques de l'INSEE bonnes pour le premier semestre - croissance de 3 %, amélioration de l'emploi toujours. Est-ce que ça va amener à des revendications de pouvoir d'achat et de salaires à votre avis ?
- "Quand la situation économique, la situation des entreprises va mieux, que l'emploi n'est plus aussi dramatiquement une denrée rare qu'il ne l'a été dans les années passées, bien évidemment et c'est normal que les revendications salariales reviennent sur le devant de la scène. Il faut les porter dans ces conditions nouvelles. En même temps, il ne faut pas perdre de vue la priorité emploi. La croissance fait du bien, le chômage diminue mais il y a encore un nombre très important de chômeurs. Nous n'en viendrons pas à bout sans des actions très pensées, très réfléchies, pour garantir le plein emploi demain."
Et votre centrale est toujours pour le rétrécissement de l'éventail des salaires puisqu'il y a des inégalités, c'est clair. En ce moment le Gouvernement voulait aider les bas revenus avec une diminution de la CSG. Mais le Conseil constitutionnel a dit "non." A votre avis, quelle autre mesure trouvera-t-on pour justement améliorer le pouvoir d'achat des bas revenus ?
- "Une réponse qui corresponde bien à la question posée. La question posée - que d'ailleurs le Gouvernement avait posé dans de bons termes - c'était : il faut faciliter le passage du chômage à l'emploi parce qu'aujourd'hui, il y a des gens finalement dont on dit, avec un RMI, avec des avantages sociaux, ils peuvent avoir intérêt de rester au RMI plutôt que de reprendre un travail parce qu'ils ne gagnent pas. "
Donc il faut les inciter.
- "Il faut inciter donc il faut une bonne réponse. Le Gouvernement avait fait le choix de ne plus faire payer la CSG. Ce n'était pas une bonne solution. La CSG c'est un financement universel. Il faut lui laisser cette caractéristique car c'est pour financer une protection sociale que nous voulons universelle. Il ne faut pas prendre le risque que demain ce soit en fonction des revenus que l'assurance maladie soit garantie."
Alors, à la place un crédit d'impôts comme le propose le Sénat cette nuit ?
- "En tout cas je crois qu'il faut ouvrir le débat. Le crédit d'impôts - à certaines conditions et s'il permet de répondre à la question - étudions-le ! Ne considérons pas que c'est une question taboue au motif de je ne sais quoi, que par exemple telle personne moins recommandable aurait elle aussi avancé ce crédit d'impôts. Pensons librement dans ce pays et laissons le terrorisme intellectuel au vestiaire."
Voilà, est-ce que c'est une idée de droite que L. Fabius ne veut pas prendre en compte sinon on l'accuserait encore de tous les maux, etc. La balle est à Bercy. Merci N. Notat d'avoir apporté ces éclairages.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 décembre 2000)
- "Cela avance. Doucement, diront certains, mais sûrement. C'est l'essentiel"
Vous avez entendu M. Blondel ?
- "Oui, j'ai entendu M. Blondel. Je connais ses réflexions sur le sujet. Nous allons aller à la réunion de cet après-midi avec la volonté de redire les raisons pour lesquelles il est important que syndicats et patronat s'occupent de garantir à tous les salariés des conditions de vie, des conditions de travail qui correspondent à de nouvelles réalités économiques et de réelles mutations du travail. Il faut donc que ces changements ne se traduisent pas par plus de précarité, plus d'insécurité, plus d'instabilité pour les salariés. Mais que les changements dans l'économie, l'entreprise et le travail, se traduisent aussi par des protections nouvelles, adaptées à la situation d'aujourd'hui, des garanties nouvelles. C'est le sens des propositions que nous faisons dans chaque négociation."
Syndicats et patronats avec l'Etat en position d'arbitre ou de régulateur ? Parce qu'on a l'impression que le Medef est en train de changer de position là-dessus ?
- "Il faudrait peut-être maintenant en venir au principe de réalité, quitter un peu le registre des représentations et des symboles. Qui imagine, en France, que les partenaires sociaux décident de la loi ? Personne. Nous sommes dans un pays de droit, nous tenons à l'état de droit dans lequel nous vivons. Le Gouvernement, l'Etat, le législateur ont des responsabilités pour définir les principes fondamentaux du droit, les principes fondamentaux des protections, des garanties et aussi les règles du jeu qui vont présider à la négociation collective. Cela existe déjà dans notre système français. Il s'agit donc, non pas de contester à l'Etat son droit et son pouvoir d'intervention. Nous souhaitons au contraire que l'Etat se modernise pour être plus efficace dans son intervention. Mais nous disons aussi que dans l'intérêt des salariés, dans cette nécessité, cette alchimie difficile pour construire des bons équilibres entre ce qu'attendent les entreprises mais ce que nous voulons aussi obtenir pour les salariés, il faut la volonté, la responsabilité, la négociation entre les partenaires sociaux pour que ces droits, ces protections que nous voulons pour les salariés, ne soient pas seulement écrites dans une loi - donc souvent formelles - mais que ces protections soient aussi réelles. Vous voyez vraiment qu'il y a de la place pour tout le monde dès lors que tout le monde fonctionne avec responsabilité."
Mais le Medef a fait du chemin là-dessus. On dit beaucoup que c'est la CFDT qui l'a convaincu de moduler sa position notamment sur le rôle de l'Etat, de ne pas aller contre l'Etat ?
- " Tant mieux si la CFDT l'a convaincu de cela. En tout cas, je crois savoir que le patronat s'aperçoit de lui-même qu'il n'y a pas d'autres possibilités que d'inscrire le champ de l'autonomie de la politique contractuelle dans un cadre plus large qui est celui de l'Etat de droit."
Mais est-ce que cette refondation sociale est en train de réorganiser le paysage social ? Entre la CFDT qu'on a beaucoup vu - pas proche du patronat - parlant, discutant, négociant avec le Medef et d'autres syndicats type FSU, on a l'impression qu'il y a une espèce de réorganisation entre une gauche syndicale et puis des syndicats plus réformistes dont vous êtes ?
- "Ce qui est sûr, c'est que les problèmes auxquels nous sommes confrontés - et quand je dis "nous" je parle des les salariés qui sont en priorité confrontés à un certain nombre de problèmes -, ces problèmes bousculent parce que cela interroge la manière dont on conçoit aujourd'hui de faire du syndicalisme et donc de défendre les salariés et les chômeurs d'aujourd'hui. Nous disons qu'on ne défend plus les salariés d'aujourd'hui, dans le contexte d'aujourd'hui qui a changé, dans les mêmes conditions qu'on les défendait il y a 50 ou 40 ans, qui était un autre contexte. Nous disons qu'il faut moderniser, adapter, créer de nouvelles garanties collectives et de nouvelles protections pour mieux protéger les salariés. Pas pour les menacer par rapport à des acquis qui, si nous les laissons en l'état, risquent au contraire de fragiliser les réalités et les situations des salariés. Nous voulons le mouvement, nous voulons la réforme pour mieux garantir et apporter de la sécurité dans les conditions de vie et de travail des salariés. Nous disons que si nous ne bougeons pas, si nous prônons le statu quo, alors il y aura danger et menaces pour les salariés. Cela fait débat à l'intérieur du paysage syndical ; cela fait peut-être débat à l'intérieur de toutes les organisations syndicales. D'ailleurs, certaines ont une majorité qui tire davantage dans un sens plutôt que d'autre. C'est peut-être simplement le fait qu'il y a nécessité de continuer entre nous d'approfondir ce qui fait encore différences, divergences, et progressivement je l'espère, trouver les voies et les moyens de convergence plus fortes."
Mais pas de remise en cause de ce qui constituait le socle syndical, notamment dans les mécanismes de négociation ? Par exemple, le principe de faveur qui consiste à dire qu'on applique toujours l'accord qui est le plus favorable aux salariés, n'est-il pas remis en cause ?
- "Ce serait extraordinaire que des syndicats aillent demander un principe moins favorable pour les salariés."
Vous avez l'air d'être étonnée mais prenez donc les quotidiens ce matin ! La question se pose partout. Il semblerait qu'à l'intérieur des syndicats, on s'en soit posé la question et qu'on se soit demandé si certains - vous notamment et la CFDT - n'étaient pas plus proches du Medef sur certains points, et qu'on puisse remettre en cause ce principe de faveur.
- "Laissons les commentateurs juger comme ils le veulent. Je souhaite que ce soit les salariés et les chômeurs qui soient témoins de cela. Quand la CFDT dit que nous voulons pour les chômeurs - et c'est ce que nous avons obtenu avec le Pare - de nouveaux droits, l'indemnisation toujours présente, mais en plus des droits pour le retour à l'emploi, j'ai du mal à penser que ce soit considéré comme une régression. Quand nous disons pour les retraites qu'il faut la réforme pour garantir les retraites de demain, parce qu'il y a moins d'actifs pour les financer, parce que l'espérance de vie augmente, il faut une réforme dans la justice. Nous voulons que la durée de cotisation prime sur l'âge. Pourquoi ? Parce que c'est plus juste. Aujourd'hui, quelqu'un qui a payé quarante année de cotisation, même s'il n'a pas encore 60 ans, il est obligé d'attendre 60 ans pour avoir sa retraite pleine et entière. Eh bien nous disons que dès qu'il y a quarante ans de cotisation, accès à la retraite. Une régression sociale ? Je pense que les salariés ne vont pas le vivre comme ça. Pour la formation professionnelle, quand nous disons aujourd'hui qu'il faut que cela devienne concret pour tous les salariés, qu'il y ait un droit à la formation réelle tout au long de la vie ; là encore, c'est un plus pour les salariés. Alors regardons les choses en face ! Nous verrons qu'il s'agit de concevoir un progrès social adapté pour les réalités d'aujourd'hui, pas une régression sociale."
Mais sur la formation professionnelle, point important, le Medef dit que c'est très bien, mais en dehors du temps de travail. Que répondez-vous ?
- "Il peut toujours avoir des revendications, le Medef est peut-être dans son rôle... Il y a déjà de nombreuses années de cela, nous avons convenu d'une chose dans un accord interprofessionnel : la formation est en règle générale sur le temps de travail, mais lorsqu'il y a des formations longues qui permettent aux salariés d'accéder à une vraie qualification nouvelle - donc aussi à une rémunération nouvelle -, il est alors admis que pour un quart du temps de la formation, cela puisse se dérouler en dehors du temps de travail. Restons en là et appliquons déjà cela, ce qui veut dire qu'il y aura enfin des salariés qui accèdent vraiment à de nouvelles qualifications par la formation."
Un mot du dossier chaud des heures à venir : les négociations de salaires dans la fonction publique. M. Sapin vous a dit 0,5% de hausse sur la valeur du point d'indice, pas plus.
- "Ce n'est pas une négociation puisque l'Etat employeur est entré dans la négociation en ayant déjà connaissance du résultat. En générale, le résultat est le fruit d'un compromis, d'une confrontation. Je crois qu'il est temps que l'Etat employeur s'interroge sur la manière dont il est lui-même en capacité d'être un véritable interlocuteur pour les syndicats et de jouer vraiment le jeu de la négociation."
Et vous, le jeu du front syndical uni ? La CGT, par exemple, organise une journée de manifestations sur ce thème. Comment vous positionnez-vous ?
- "Les choses ont été claires pour le moment. Là, ce n'est pas très difficile, l'employeur se comportant de telle façon qu'il n'est pas très difficile d'avoir un front uni de tous les syndicat par rapport aux fonctionnaires. Il est uni parce que la décision d'un 0,5% d'augmentation n'est pas acceptable dans les conditions où il a eu lieu. Les fonctionnaires comme les autres salariés ont droit à une augmentation du pouvoir d'achat et pas seulement au maintien de leur pouvoir d'achat. C'est à cela qu'il faut que l'Etat employeur se rende."
(Source http://www.cfdt.fr, le 14 janvier 2003)
G. Morin On va parler de social et un peu d'économie. Alors, patronat et confédérations syndicales ont passé une partie de la nuit à discuter de l'avenir des régimes de retraite complémentaire pour les salariés du privé, ils ne sont pas parvenus à un accord. C'est un échec, une déception ou c'est la marche normale des choses ?
- "Oh, c'est dans l'ordre des choses que ça bloque entre le patronat et les syndicats sur des sujets où ce que veulent les entreprises et ce que veulent les salariés, ne coïncide pas automatiquement. C'est bien normal. Cette nuit, c'est une situation un peu de blocage au sens où mon sentiment est que la partie patronale est restée très rigide, très bloquée sur ses positions, un peu comme si elle n'était pas vraiment dans la recherche d'un compromis. Bon, eh bien il faudra attendre, attendre un petit peu, en tout cas ce n'est pas une rupture des négociations, il faut continuer car les salariés attendent bien évidemment des garanties pour leurs retraites de demain."
Vous pensez que votre proposition de maintenir la durée de cotisation à 40 ans, et pas au-delà, pourrait être acceptée par le patronat et les autres salariés ou bien il faudrait que vous-même vous alliez un peu au-delà de 40 ans dans les cotisations à venir ?
- "Il y a des principes sur lesquels on ne peut pas transiger. Aujourd'hui, on le sait, il faut une réforme des retraites sur le plan complémentaire comme sur le régime de base Sécu aussi - l'un ne va pas sans l'autre. Or, cette réforme elle doit avant toute chose garantir le niveau de pensions - le revenu des retraités de demain puisqu'aujourd'hui il s'agit de penser à ceux qui seront retraités demain. Et pour cela il y a des inégalités actuelles qu'il faut arriver à réduire. Par exemple tout le monde sait que la retraite à 60 ans dont on parle, elle est à 60 ans, oui, pour ceux qui ont en même temps 40 années de cotisations. Ceux qui ne les ont pas doivent continuer à travailler plus. Mais ceux qui les ont avant, doivent quand même attendre 60 ans. Ce n'est pas normal, il faut faire de la durée de cotisations le critère qui prime sur l'âge et permettre à ceux qui n'ont pas encore 60 ans mais qui ont déjà leurs 40 années de cotisations, de pouvoir partir à taux plein. Voilà la condition, le préalable, je dirais, que nous souhaitons, avant d'envisager d'autres évolutions demain."
D'une manière générale, tous ces chantiers dits de refondation sociale que vous avez vécus en l'an 2000 - il y en a eu 4 qui ont été lancés sur les 8 prévus - pensez-vous que ça s'est globalement bien passé ou bien vous pensez qu'on aurait pu avancer davantage ?
- "Ce qui me semble important c'est que les choses avancent. On peut se dire qu'elles avancent doucement mais après tout si elles avancent sûrement ce n'est pas un gros problème. Je crois que ce qui compte c'est que nous, nous soyons remis en mouvement avec le patronat, les syndicats, pour discuter d'un certain nombre de choses qui intéressent bougrement les salariés."
Et malgré le Gouvernement ou avec le Gouvernement, ou avec l'Etat ?
- "Dans la négociation, il s'agit de fonctionner entre partenaires sociaux car les revendications que nous portons, nous les portons devant la partie patronale, c'est bien normal."
Oui mais il y a un moment où l'Etat entre dans le jeu parce qu'on lui demande de l'argent, parce qu'il a un côté réglementaire à assurer.
- "Mais évidemment que les pouvoirs publics ne sont pas hors jeu. Les partenaires sociaux se situent dans le cadre d'un certain nombre de projets légaux, se situent dans un Etat de droit et la puissance publique intervient. C'est toujours un peu, je dirais, un jeu à trois. Mais il ne faut pas que le patronat s'exonère de ses propres responsabilités au motif que l'Etat, de toutes façons, arrive en roue de secours."
Quel sera le plus gros dossier, le plus difficile en 2001 ? Ce sera celui des retraites qui n'est pas achevé ou bien il y en aura d'autres encore plus durs à venir ?
- "Encore plus durs je ne sais pas mais en tout cas de très sérieux - je pense à la formation professionnelle. Voilà un domaine où l'on sait bien aujourd'hui que face à des changements énormes que connaissent les salariés dans leur travail, dans leur emploi, la formation devient un élément de protection contre des changements qui pourraient conduire à de la précarité, en tout cas de l'insécurité dans leur processus de carrière. La formation doit devenir un droit pour tous. Nous demandons un passeport-formation qui garantisse à chacun un temps de formation obligatoire. Nous disons 5 % aujourd'hui dans la perspective d'aller vers 10 %, garanti pour un salarié sur toute sa vie active."
C'est un peu une formation à la carte comme le suggère le Medef, ça, non ?
- "C'est un socle commun à tous et ensuite bien sûr il s'agit que les formations elles soient adaptées à la réalité de chaque salarié. Il ne s'agit pas de faire entrer tout le monde dans des modèles standard qui ne correspondraient pas à leurs attentes et à leurs besoins."
Deux choses d'actualité aussi : prévisions économiques de l'INSEE bonnes pour le premier semestre - croissance de 3 %, amélioration de l'emploi toujours. Est-ce que ça va amener à des revendications de pouvoir d'achat et de salaires à votre avis ?
- "Quand la situation économique, la situation des entreprises va mieux, que l'emploi n'est plus aussi dramatiquement une denrée rare qu'il ne l'a été dans les années passées, bien évidemment et c'est normal que les revendications salariales reviennent sur le devant de la scène. Il faut les porter dans ces conditions nouvelles. En même temps, il ne faut pas perdre de vue la priorité emploi. La croissance fait du bien, le chômage diminue mais il y a encore un nombre très important de chômeurs. Nous n'en viendrons pas à bout sans des actions très pensées, très réfléchies, pour garantir le plein emploi demain."
Et votre centrale est toujours pour le rétrécissement de l'éventail des salaires puisqu'il y a des inégalités, c'est clair. En ce moment le Gouvernement voulait aider les bas revenus avec une diminution de la CSG. Mais le Conseil constitutionnel a dit "non." A votre avis, quelle autre mesure trouvera-t-on pour justement améliorer le pouvoir d'achat des bas revenus ?
- "Une réponse qui corresponde bien à la question posée. La question posée - que d'ailleurs le Gouvernement avait posé dans de bons termes - c'était : il faut faciliter le passage du chômage à l'emploi parce qu'aujourd'hui, il y a des gens finalement dont on dit, avec un RMI, avec des avantages sociaux, ils peuvent avoir intérêt de rester au RMI plutôt que de reprendre un travail parce qu'ils ne gagnent pas. "
Donc il faut les inciter.
- "Il faut inciter donc il faut une bonne réponse. Le Gouvernement avait fait le choix de ne plus faire payer la CSG. Ce n'était pas une bonne solution. La CSG c'est un financement universel. Il faut lui laisser cette caractéristique car c'est pour financer une protection sociale que nous voulons universelle. Il ne faut pas prendre le risque que demain ce soit en fonction des revenus que l'assurance maladie soit garantie."
Alors, à la place un crédit d'impôts comme le propose le Sénat cette nuit ?
- "En tout cas je crois qu'il faut ouvrir le débat. Le crédit d'impôts - à certaines conditions et s'il permet de répondre à la question - étudions-le ! Ne considérons pas que c'est une question taboue au motif de je ne sais quoi, que par exemple telle personne moins recommandable aurait elle aussi avancé ce crédit d'impôts. Pensons librement dans ce pays et laissons le terrorisme intellectuel au vestiaire."
Voilà, est-ce que c'est une idée de droite que L. Fabius ne veut pas prendre en compte sinon on l'accuserait encore de tous les maux, etc. La balle est à Bercy. Merci N. Notat d'avoir apporté ces éclairages.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 décembre 2000)