Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, exposant les raisons de son opposition au projet de loi relatif à l'énergie qui prévoit notamment la privatisation de Gaz de France pour permettre sa fusion avec Suez, à Paris le 3 octobre 2006.

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Circonstance : Explication de vote lors du débat à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, Paris le 3 octobre 2006

Texte intégral

Monsieur le président, Messieurs les ministres, chers collègues,
Après vingt-et-un jours de débats, notre Assemblée est invitée, solennellement, à accepter ou refuser de sacrifier notre indépendance énergétique aux appétits des marchés financiers. Sacrifier, oui, car pendant tous ces débats, et encore il y a quelques instants durant les questions d'actualité, le gouvernement a été bien incapable de justifier ce projet de privatisation de GDF. Les députés communistes et républicains vous ont parlé de droit à l'énergie. Combien de fois Daniel Paul vous-a-t-il dit que l'énergie était la condition même du développement économique et social ? Combien de fois nous vous avons rappelé qu'il n'y a pas de vie sociale sans éclairage, sans chauffage, sans droit à se déplacer ?
M. Sarkozy nous a parlé tout à l'heure des " malheureux " avec le mépris de la grande bourgeoisie des siècles passés, mais c'est sa politique, c'est le reniement de sa parole qui génèrent la pauvreté dans notre pays. Nous, nous demandons une véritable reconnaissance de ce droit. A cette exigence fondamentale, vous n'avez pas répondu. Ce ne sont pas les quelques avancées, floues, en matière de tarification sociale qui permettront de garantir ce droit à l'énergie. Ce droit, il sera remis en cause par les augmentations de tarifs, que nous savons inéluctables si cette loi devait être votée.
Les prix vont augmenter, notre indépendance énergétique est menacée
Avec ce projet, vous faites le choix de poursuivre la déréglementation du secteur de l'énergie. Vous faites le choix d'occulter le bilan terrible de cette libéralisation. Combien d'entreprises qui avaient fait le choix du marché, cherchent aujourd'hui, par tous les moyens, à revenir dans le secteur réglementé ? Et combien de milliards d'euros ont été gaspillés dans toutes ces fusions-acquisitions ? Monsieur le ministre, vous parlez du pouvoir d'achat des Françaises et des Français, il faut avoir l'honnêteté de leur dire que les prix du gaz vont augmenter. Ils vont augmenter car les actionnaires du groupe issu de la fusion Suez-GDF vont exiger, à l'instar de tous les actionnaires, de fortes rémunérations. Les prix vont aussi augmenter parce qu'au nom de la concurrence, la commission européenne veut remettre en cause l'existence de contrats d'approvisionnement à long terme, qui sont autant de garanties pour notre sécurité énergétique que pour la stabilité des prix. Le modèle de régulation du secteur énergétique de la Commission européenne est celui d'Enron. Le nôtre est celui du service public.
Avec cette privatisation, c'est bien notre indépendance énergétique qui est menacée, cette indépendance construite par les forces de la résistance à la Libération. Toute la maîtrise de notre politique énergétique sera bientôt transférée à des groupes privés, dont l'objectif n'est pas de garantir le droit à l'énergie, mais bien de faire des profits. Le ralliement tardif d'Albert Frère, actionnaire majoritaire de Suez, à cette fusion, ne peut à ce titre que nous inquiéter : quelles promesses de dividendes et de plues-values futures, avec tout ce que cela implique en suppressions d'emplois et en compressions de dépenses d'investissement, lui ont-elles été faites ? Amputé par l'absence de partenaire gazier, EDF sera clairement fragilisé par ce nouveau concurrent. En absorbant GDF, Suez met la main sur un portefeuille de 11 millions de clients. 11 millions de clients à qui le groupe fusionné pourra proposer une offre duale gaz et électricité au détriment d'EDF.
La compétition qui naîtra de l'existence de ces deux groupes les poussera également, pour capter des marchés nouveaux, à rogner sur leurs dépenses de sécurité et d'investissement, ces investissements dont nous avons tant besoin pour développer les énergies du futur, cette sécurité vitale pour des groupes qui ont fait le choix de l'énergie nucléaire ! A ce titre, l'annonce de la cession par Suez d'une partie de son parc nucléaire belge ne peut que soulever les plus vives inquiétudes. Dans quelles conditions de sécurité ces centrales seront-elles bientôt exploitées, après leur cession à d'autres multinationales ?
C'est tout le développement futur de notre pays que vous menacez !
Monsieur le ministre, le réchauffement climatique ou la fin du pétrole ne sont pas des questions mineures. Ce sont au contraire des questions qui interpellent toute l'organisation de notre société. Ce sont des questions qui ne pourront être résolues par des groupes contraints, de par leur mode d'organisation même, de privilégier, avant toute autre chose, leur rentabilité financière. Ce sont donc des questions fondamentales qui ne pourront être traitées par des entreprises privées et qui rendent d'autant plus vitale l'existence de forts services publics concentrés sur ces seuls enjeux de long terme. Le seul argument, au final, qui est le vôtre, est bien que l'on ne pourrait faire autrement. Que telles sont les lois du marché. Que cette fusion serait un pis-aller, imposée par le fonctionnement des marchés financiers et les directives communautaires. Bien sûr, personne ne conteste que le démantèlement de nos services publics satisfasse les ultralibéraux de la Commission ou d'ailleurs. Bien sûr, nous savons pourquoi ils ne veulent pas d'un grand pôle public de l'énergie qui réunisse EDF et GDF et encourage la coopération entre toutes les entreprises intervenant aujourd'hui dans le secteur de l'énergie et de l'environnement. Mais parce qu'ils n'en veulent pas, l'Etat français devrait céder ? Alors que leurs dogmes menacent l'indépendance énergétique de toute l'Europe, qu'ils sont incapables d'appréhender les questions écologiques, il faudrait que la République se soumette ? Mais c'est notre avenir, celui de nos enfants, qui est en jeu ! C'est tout le développement futur de notre pays que vous menacez ! Face à de tels enjeux, le seul courage qui soit, c'est bien de résister !
Le courage, c'est de mener la bataille au sein des institutions européennes pour faire respecter le Non des Françaises et des Français à l'Europe telle qu'elle est organisée aujourd'hui. Le rejet franc de ce projet de constitution libérale n'aurait pour vous aucune signification ? Le courage consiste donc à faire arrêter, tout de suite, le déferlement de ces directives ou plutôt de ces lettres de requête, toutes aussi libérales les unes que les autres. Le courage suppose de se battre avec fermeté à Bruxelles pour imposer un nouveau traité respectueux des droits des peuples européens et de l'intérêt général. Le courage est de chercher à réorienter profondément la construction européenne, afin de l'émanciper de la tutelle des marchés et des logiques libérales. Il est de défendre pied à pied, à Bruxelles, le seul projet qui soit en capacité de garantir à long terme notre souveraineté énergétique. Je pense évidemment à la fusion entre EDF et GDF.
J'en appelle, Monsieur le ministre, mes chers collègues, à votre sens des responsabilités. A se mettre ainsi dans le sens du vent, vous donnez à la France l'avenir d'une feuille morte ! Je vous invite donc à ouvrir les yeux. Et, à moins de courir à la catastrophe, de prendre enfin conscience que les entreprises et les services publics ont de l'avenir. Pas par dogmatisme ! Mais parce que ce modèle économique a fait ses preuves et répond parfaitement aux enjeux qui nous sont posés à l'avenir. Alors bien sûr, on entend souvent que ces entreprises sont démunies et que leur développement est entravé par leur manque de moyens financiers. Et que ces moyens, seuls les marchés financiers seraient en mesure de les donner. C'est bien ce que vous avez dit, Monsieur le ministre, en déclarant que cette privatisation allait " permettre à GDF d'ouvrir son capital afin de se développer sans s'endetter. "
Ces contraintes sont réelles. Mais là aussi, il n'est aucune raison de nous y soumettre. Il est possible de les dépasser, comme nous le proposons, en constituant un pôle financier public dont une des missions serait justement de financer l'activité et les investissements dont notre pays a besoin. Trop d'arguments, dans ce débat, ont dissimulé les enjeux les plus profonds. L'histoire ne retiendra pas le nombre d'amendements déposés par l'opposition. Elle ne se souviendra pas des querelles intestines à la majorité. Elle retiendra qu'aujourd'hui, si vous deviez effectivement voter ce texte, la France a, par pur dogmatisme, choisi de mettre en péril son indépendance énergétique. Elle retiendra que la France a, pour des années, handicapé son développement économique et social en faisant le choix du renchérissement durable du coût de l'énergie.
Mes chers collègues, ayez bien à l'esprit que c'est uniquement sur ce point que nous avons à nous prononcer. Mes chers collègues, je tiens, en conclusion, à vous dire que la bataille pour le droit à l'énergie que nous avons menée pendant ces longues semaines, ne s'achèvera pas ce soir. L'enjeu est bien trop grave pour que nous vous laissions continuer votre route, sans la moindre résistance de notre part. Oui, je fais confiance en nos collègues au Sénat pour continuer le débat parlementaire. Peut-être qu'avec le temps, réussirons-nous à vous ouvrir les yeux ! De la même façon, je sais que les gaziers ne sont pas résignés au démantèlement de leur entreprise, de ce bel outil qu'ils ont construit, par leur travail, depuis tant d'années. Ils ont annoncé une nouvelle journée de mobilisation le 14 octobre prochain. Ils ont déjà conquis le soutien de l'opinion. Je leur fais confiance, je fais confiance à notre peuple pour relayer les parlementaires et, je l'espère, pour vous arrêter. Il en va de l'avenir de notre pays. Bien évidemment, vous l'avez compris, les députés communistes et républicains voteront contre ce texte !Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 6 octobre 2006