Texte intégral
F. Laborde - Avec L. Parisot, ce matin, nous allons parler, évidemment, économie et puis nous allons d'abord faire un petit tour par Deauville où se tient toujours, que je ne me trompe pas, le "Forum Mondial des femmes ". Bonjour L. Parisot... Vous faisiez partie des invitées et des intervenantes à ce forum mondial. Est-ce que ce n'est pas un peu paradoxal de voir que c'est en France que se tient un Forum mondial des femmes, alors que, franchement, on n'est pas le pays le mieux placé en ce qui concerne la situation des femmes à des postes de responsabilités ?
L. Parisot - Ecoutez, le " Women's forum " est un évènement tout à fait extraordinaire, qui a été inventé, conçu, par une française, Aude de Thuin, qui s'est dit un jour : " pourquoi ne pas rassembler, en France - et c'est plutôt bien pour notre pays - des décideurs femmes, du monde politique, du monde économique, du monde universitaire, pour échanger sur notre vision du monde ?" Alors, je ne sais pas si c'est un paradoxe que cet événement ait lieu en France, c'est en tout cas une fierté et dans les discussions que nous avons eues hier, nous avons constaté toutes et tous, parce que les hommes sont évidemment invités à participer et à échanger, que la misogynie était présente encore partout dans le monde, bien sûr en France, et je crois qu'il faut être très vigilant, mais partout dans le monde et il y a de gros efforts à faire, notamment dans les pays en voie de développement.
Q - Est-ce que le plus que peuvent apporter les femmes dans la vie de l'entreprise, de la politique, etc., c'est, comment dire, un pragmatisme, un sens du quotidien que peut-être les hommes perdent de vue ? C'est d'ailleurs, j'allais dire, ce que l'on reproche parfois à S. Royal, d'être un peu trop au "ras des pâquerettes", pour employer une expression familière.
R - Vous avez raison et dans les discussions d'hier après midi, c'était tout à fait frappant de voir à quel point nous recherchions, toutes, la finalité des choses : le résultat ; comment arriver à obtenir quelque chose de très concret. Mais, ce que nous souhaitons avant tout, c'est une société mixte, c'est une société qui intègre pleinement la diversité, la diversité hommes/femmes bien sûr, mais pas seulement, la diversité selon les générations, la diversité selon les origines et d'ailleurs, au Medef, nous sommes très très attentifs à porter cette diversité.
Q - Est-ce que vous avez le sentiment - on va faire un peu de climatologie économique, sociale, voire politique - que la France, aujourd'hui, a envie justement d'un renouvellement, d'un changement, que le pays a besoin d'un nouvel élan, pour employer une formule qui a fait florès en son temps ?
R - Oui, je crois que, confusément, les Français sentent que notre pays est à un point d'inflexion et qu'il y a, dans de nombreux domaines, peut-être des nouvelles orientations à prendre. Alors, puisqu'on parlait de la diversité, la première chose c'est d'être capable de se regarder tels que nous sommes et non pas tels que nous étions dans les années 60.
Q - C'est-à-dire moins puissants, moins riches, moins industrieux ?
R - Ecoutez, ce n'est pas forcément du "moins", c'est d'abord "plus divers", puisque la population française a beaucoup changé et puis nous sommes un pays qui doit s'ouvrir sur le monde aujourd'hui et je crois que la chose, peut-être, la plus importante, et je souhaite que ça soit au coeur des débats de la campagne présidentielle, c'est de comprendre la mondialisation et de se demander " mais comment on peut être un joueur important dans cette mondialisation ". Tout a changé, la vitesse, l'espace, il est temps d'intégrer ces nouvelles données et d'en mesurer les opportunités et ça je crois que les Français commencent à le comprendre. Ce qui leur manque, c'est comment on fait, c'est la méthode.
Q - Alors la méthode. Vous, vous lancez quelques pistes qui sont un peu, j'allais dire, iconoclastes qui vont faire grincer quelques dents. Par exemple vous dites : " pourquoi ne pas réfléchir à la rupture d'un contrat de travail d'un commun accord entre le salarié et l'entreprise " un peu comme ça se fait dans un couple, séparation par consentement mutuel. Les syndicats vont s'étrangler...
R - Non, non, ils ne s'étranglent pas du tout, ils sont dubitatifs mais prêts à réfléchir. Moi, vous savez, je crois que dans beaucoup de domaines et y compris dans cette question délicate du droit du travail, il faut que les uns et les autres nous entendions nos arguments. Peut-être le grand public pense que nous nous comprenons rapidement et qu'il y a des négociations, mais qu'elles se bloquent pour des raisons idéologiques. Moi, je crois qu'il faut être un peu plus réaliste et bien savoir que finalement parfois on ne sait pas pourquoi les entreprises demandent ça et nous, nous ne savons peut-être pas toujours pourquoi les syndicats demandent autre chose. Pourquoi est-ce que je propose de faire évoluer le contrat de travail ou en tout cas de lui en donner une dimension supplémentaire ? Parce que le premier objectif que nous devons nous donner, tous en France - " tous " c'est décideurs politiques, décideurs économiques, décideurs sociaux - c'est de faire baisser le chômage. C'est un impératif économique, moral, c'est un impératif de bien-être, c'est un impératif pour refabriquer la croissance. Et pour faire baisser le chômage, tous les économistes peuvent vous le démontrer, il faut...
Q - Il faut assouplir les règles.
R - Il faut un peu plus de flexibilité dans le domaine du travail, parce qu'il n'y a pas de fluidité, parce que les dysfonctionnements sont trop nombreux. Donc, je propose d'ajouter une nouvelle dimension au contrat de travail, qui est de prévoir une modalité de séparation à l'amiable, c'est-à-dire sans passer par la logique de faute.
Q - On comprend l'intérêt de l'entreprise, mais quel et l'intérêt du salarié dans une affaire comme ça ? Il aura quand même des indemnités ...
R - Bien sûr. C'est ça qui est à définir et on peut très bien imaginer une logique d'indemnités forfaitaires qui soit peut-être, pourquoi pas, c'est à estimer, même peut-être plus favorable que dans d'autres circonstances.
Q - Parce qu'en général, dans le couple, on se met d'accord parce qu'il y a des enfants. Là, dans l'entreprise, entre salarié et patron, c'est quoi ?
R - On se met d'accord parce qu'on sait bien qu'à un moment...
Q - Il y a des actions en commun, des intérêts ?
R - On se met d'accord parce qu'on sait qu'il y a un moment où ça ne marche plus. Figurez-vous que dans l'entreprise, parfois, c'est également de la même façon que les choses se passent. Pourquoi rentrer dans une logique qui est très culpabilisatrice ? Il faut forcément que ça soit la faute de quelqu'un. Alors, ça peut être à un moment la faute du salarié, après ça va devenir la faute de l'employeur parce qu'on va rentrer dans une procédure judiciaire extrêmement coûteuse, douloureuse et longue. Pacifions tout ça. Pacifions.
Q - Vous dites aussi que l'idée que l'Etat doit tout mener est une conception aujourd'hui ringarde. En même temps, on voit que l'Etat, en tout cas, quand il n'intervient pas partout, mais dans la Sécurité sociale, ça pèse plus lourd aujourd'hui que les impôts. Est-ce qu'aujourd'hui vous considérez en France qu'on a trop d'Etat ou l'Etat se mêle de trop de choses ou qu'il s'en mêle trop mal ?
R - On attend de l'Etat qu'il soit très présent dans des domaines essentiels qui sont vraiment de sa compétence absolue et totalement légitime, comme par exemple l'éducation, comme par exemple la justice. Sur l'éducation, je ne serais pas choquée que l'Etat intervienne plus encore, notamment sur le bilan financier, pour nos universités, qui sont dans un état déplorable.
Q - Ou la recherche.
R - La recherche, évidemment, vous avez tout à fait raison. Mais dans le domaine économique, souvenez-vous de ce qui s'est passé au moment où les 35 heures ont été conçues. Passons encore que le législateur cherche à déterminer la durée légale du travail, ce qui est un cas unique en Europe, partout, dans les autres pays européens, c'est par les relations contractuelles que l'on choisit la durée du travail. Mais qu'est-ce que ça veut dire quand au moment de ces débats-là, on a vu le législateur discuter, savoir s'il fallait intégrer le temps d'habillage, le temps de pause, etc. Mais non, laissons les partenaires sociaux, c'est-à-dire les représentants des entreprises et les représentants des salariés, confronter leurs points de vue et aboutir à un accord. C'est comme ça qu'il y aura une pleine responsabilité des acteurs économiques et sociaux et que l'Etat pourra se concentrer sur ses tâches essentielles.
Q - Une toute dernière question : votre sentiment, aujourd'hui, sur l'état du pays. Vous êtes inquiète ?
R - Comme je vous l'ai dit au tout début de cet entretien, je crois que nous sommes à un point d'inflexion. Il est certain qu'il y a une petite embellie de la croissance, mais rien ne nous dit qu'elle sera durable. Il y a beaucoup de fragilités dans notre système et si on veut vraiment construire une France riche pour les générations futures, il y a beaucoup de questions essentielles à se poser et d'abord comment crée-t-on plus de richesses.
Q - Merci L. Parisot d'être venue nous voir ce matin.
R - Merci.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 9 octobre 2006
L. Parisot - Ecoutez, le " Women's forum " est un évènement tout à fait extraordinaire, qui a été inventé, conçu, par une française, Aude de Thuin, qui s'est dit un jour : " pourquoi ne pas rassembler, en France - et c'est plutôt bien pour notre pays - des décideurs femmes, du monde politique, du monde économique, du monde universitaire, pour échanger sur notre vision du monde ?" Alors, je ne sais pas si c'est un paradoxe que cet événement ait lieu en France, c'est en tout cas une fierté et dans les discussions que nous avons eues hier, nous avons constaté toutes et tous, parce que les hommes sont évidemment invités à participer et à échanger, que la misogynie était présente encore partout dans le monde, bien sûr en France, et je crois qu'il faut être très vigilant, mais partout dans le monde et il y a de gros efforts à faire, notamment dans les pays en voie de développement.
Q - Est-ce que le plus que peuvent apporter les femmes dans la vie de l'entreprise, de la politique, etc., c'est, comment dire, un pragmatisme, un sens du quotidien que peut-être les hommes perdent de vue ? C'est d'ailleurs, j'allais dire, ce que l'on reproche parfois à S. Royal, d'être un peu trop au "ras des pâquerettes", pour employer une expression familière.
R - Vous avez raison et dans les discussions d'hier après midi, c'était tout à fait frappant de voir à quel point nous recherchions, toutes, la finalité des choses : le résultat ; comment arriver à obtenir quelque chose de très concret. Mais, ce que nous souhaitons avant tout, c'est une société mixte, c'est une société qui intègre pleinement la diversité, la diversité hommes/femmes bien sûr, mais pas seulement, la diversité selon les générations, la diversité selon les origines et d'ailleurs, au Medef, nous sommes très très attentifs à porter cette diversité.
Q - Est-ce que vous avez le sentiment - on va faire un peu de climatologie économique, sociale, voire politique - que la France, aujourd'hui, a envie justement d'un renouvellement, d'un changement, que le pays a besoin d'un nouvel élan, pour employer une formule qui a fait florès en son temps ?
R - Oui, je crois que, confusément, les Français sentent que notre pays est à un point d'inflexion et qu'il y a, dans de nombreux domaines, peut-être des nouvelles orientations à prendre. Alors, puisqu'on parlait de la diversité, la première chose c'est d'être capable de se regarder tels que nous sommes et non pas tels que nous étions dans les années 60.
Q - C'est-à-dire moins puissants, moins riches, moins industrieux ?
R - Ecoutez, ce n'est pas forcément du "moins", c'est d'abord "plus divers", puisque la population française a beaucoup changé et puis nous sommes un pays qui doit s'ouvrir sur le monde aujourd'hui et je crois que la chose, peut-être, la plus importante, et je souhaite que ça soit au coeur des débats de la campagne présidentielle, c'est de comprendre la mondialisation et de se demander " mais comment on peut être un joueur important dans cette mondialisation ". Tout a changé, la vitesse, l'espace, il est temps d'intégrer ces nouvelles données et d'en mesurer les opportunités et ça je crois que les Français commencent à le comprendre. Ce qui leur manque, c'est comment on fait, c'est la méthode.
Q - Alors la méthode. Vous, vous lancez quelques pistes qui sont un peu, j'allais dire, iconoclastes qui vont faire grincer quelques dents. Par exemple vous dites : " pourquoi ne pas réfléchir à la rupture d'un contrat de travail d'un commun accord entre le salarié et l'entreprise " un peu comme ça se fait dans un couple, séparation par consentement mutuel. Les syndicats vont s'étrangler...
R - Non, non, ils ne s'étranglent pas du tout, ils sont dubitatifs mais prêts à réfléchir. Moi, vous savez, je crois que dans beaucoup de domaines et y compris dans cette question délicate du droit du travail, il faut que les uns et les autres nous entendions nos arguments. Peut-être le grand public pense que nous nous comprenons rapidement et qu'il y a des négociations, mais qu'elles se bloquent pour des raisons idéologiques. Moi, je crois qu'il faut être un peu plus réaliste et bien savoir que finalement parfois on ne sait pas pourquoi les entreprises demandent ça et nous, nous ne savons peut-être pas toujours pourquoi les syndicats demandent autre chose. Pourquoi est-ce que je propose de faire évoluer le contrat de travail ou en tout cas de lui en donner une dimension supplémentaire ? Parce que le premier objectif que nous devons nous donner, tous en France - " tous " c'est décideurs politiques, décideurs économiques, décideurs sociaux - c'est de faire baisser le chômage. C'est un impératif économique, moral, c'est un impératif de bien-être, c'est un impératif pour refabriquer la croissance. Et pour faire baisser le chômage, tous les économistes peuvent vous le démontrer, il faut...
Q - Il faut assouplir les règles.
R - Il faut un peu plus de flexibilité dans le domaine du travail, parce qu'il n'y a pas de fluidité, parce que les dysfonctionnements sont trop nombreux. Donc, je propose d'ajouter une nouvelle dimension au contrat de travail, qui est de prévoir une modalité de séparation à l'amiable, c'est-à-dire sans passer par la logique de faute.
Q - On comprend l'intérêt de l'entreprise, mais quel et l'intérêt du salarié dans une affaire comme ça ? Il aura quand même des indemnités ...
R - Bien sûr. C'est ça qui est à définir et on peut très bien imaginer une logique d'indemnités forfaitaires qui soit peut-être, pourquoi pas, c'est à estimer, même peut-être plus favorable que dans d'autres circonstances.
Q - Parce qu'en général, dans le couple, on se met d'accord parce qu'il y a des enfants. Là, dans l'entreprise, entre salarié et patron, c'est quoi ?
R - On se met d'accord parce qu'on sait bien qu'à un moment...
Q - Il y a des actions en commun, des intérêts ?
R - On se met d'accord parce qu'on sait qu'il y a un moment où ça ne marche plus. Figurez-vous que dans l'entreprise, parfois, c'est également de la même façon que les choses se passent. Pourquoi rentrer dans une logique qui est très culpabilisatrice ? Il faut forcément que ça soit la faute de quelqu'un. Alors, ça peut être à un moment la faute du salarié, après ça va devenir la faute de l'employeur parce qu'on va rentrer dans une procédure judiciaire extrêmement coûteuse, douloureuse et longue. Pacifions tout ça. Pacifions.
Q - Vous dites aussi que l'idée que l'Etat doit tout mener est une conception aujourd'hui ringarde. En même temps, on voit que l'Etat, en tout cas, quand il n'intervient pas partout, mais dans la Sécurité sociale, ça pèse plus lourd aujourd'hui que les impôts. Est-ce qu'aujourd'hui vous considérez en France qu'on a trop d'Etat ou l'Etat se mêle de trop de choses ou qu'il s'en mêle trop mal ?
R - On attend de l'Etat qu'il soit très présent dans des domaines essentiels qui sont vraiment de sa compétence absolue et totalement légitime, comme par exemple l'éducation, comme par exemple la justice. Sur l'éducation, je ne serais pas choquée que l'Etat intervienne plus encore, notamment sur le bilan financier, pour nos universités, qui sont dans un état déplorable.
Q - Ou la recherche.
R - La recherche, évidemment, vous avez tout à fait raison. Mais dans le domaine économique, souvenez-vous de ce qui s'est passé au moment où les 35 heures ont été conçues. Passons encore que le législateur cherche à déterminer la durée légale du travail, ce qui est un cas unique en Europe, partout, dans les autres pays européens, c'est par les relations contractuelles que l'on choisit la durée du travail. Mais qu'est-ce que ça veut dire quand au moment de ces débats-là, on a vu le législateur discuter, savoir s'il fallait intégrer le temps d'habillage, le temps de pause, etc. Mais non, laissons les partenaires sociaux, c'est-à-dire les représentants des entreprises et les représentants des salariés, confronter leurs points de vue et aboutir à un accord. C'est comme ça qu'il y aura une pleine responsabilité des acteurs économiques et sociaux et que l'Etat pourra se concentrer sur ses tâches essentielles.
Q - Une toute dernière question : votre sentiment, aujourd'hui, sur l'état du pays. Vous êtes inquiète ?
R - Comme je vous l'ai dit au tout début de cet entretien, je crois que nous sommes à un point d'inflexion. Il est certain qu'il y a une petite embellie de la croissance, mais rien ne nous dit qu'elle sera durable. Il y a beaucoup de fragilités dans notre système et si on veut vraiment construire une France riche pour les générations futures, il y a beaucoup de questions essentielles à se poser et d'abord comment crée-t-on plus de richesses.
Q - Merci L. Parisot d'être venue nous voir ce matin.
R - Merci.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 9 octobre 2006