Interview de M. Pascal Clément, ministre de la justice, et de M. Robert Badinter, sénateur et ancien ministre de la justice, à France Inter le 20 octobre 2006, sur les conditions de vie dans les prisons.

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Circonstance : Publication des résultats de l'enquête menée par l'Observatoire international des prisons (OIP) sur l'état des prisons en France

Média : France Inter

Texte intégral

Q- N. Demorand : Comment recevez-vous cette enquête sur l'état des prisons ?
R- P. Clément : Eh bien, d'abord, je la reçois parce que je l'ai souhaitée d'une certaine manière, car je vous rappellerais que ce questionnaire envoyé par l'OIP [Observatoire international des prisons], dont je ne partage pas du tout la philosophie puisque, je vous rappelle, qu'il considère que l'enfermement est contraire à la digité humaine. Il se pose d'entrée de jeu comme étant opposé à la prison. Ils ont souhaité envoyer ce questionnaire à tous les élus de France, j'aurais pu les en empêcher. Qu'ai-je souhaité faire ? J'ai souhaité jouer le jeu, sans encouragement, sans découragement et j'ai eu l'idée de demander au médiateur de la République de s'en charger, ce qu'il a fait. Et, à la satisfaction, en tout cas de l'OIP, puisque grâce à moi - si je me permets de le dire de manière aussi brutale, c'est que je ne l'ai pas entendu jusqu'à ce matin -, ils ont aujourd'hui des réponses et la possibilité, effectivement, de faire un certain nombre de commentaires sur lesquels nous allons revenir sans doute.
Q- N. Demorand : Vous avez fait cette précision : dans les résultats de l'enquête, c'est le respect de la dignité humaine qui semble être la principale, qui est la principale revendication des détenus. Respect de la dignité humaine ; on part de très, très loin !
R- P. Clément : Ce qui me distingue d'un certain nombre de gens, c'est que j'aime beaucoup la philosophie, comme vous, parait-il. J'en ai même fait un peu moins que vous mais j'en ai fait un peu, trois ans. Et je préfère les réalisations concrètes. La main sur le coeur qui dénonce l'état de nos prisons et qui quand ils sont aux affaires ne font pas grand-chose ou rien... Je voudrais vous raconter l'historique des vingt-cinq dernières années : il y a eu trois programmes prison depuis la Vème République, 1958. Le premier programme prison, qui a fait 13.000 prisons, c'est le "programme Chalandon 1986-1988", le second c'est le programme Méhaignerie, c'est 4.000, et le programme Perben, mon prédécesseur, c'est 13.300. Avec toute l'honnêteté de la terre, vous pouvez chercher mais vous ne trouverez pas d'autre programme prison. Mais vous trouverez effectivement des beaux sentiments à la pelle. La dignité c'est quoi ? C'est une cellule, c'est une douche par détenu, c'est ce que nous faisons justement dans les maisons modernes, que nous sommes en train de construire, qui sortiront de terre entre 2008 et 2010, et vous pouvez me dire avec un peu d'espièglerie, "ce n'est probablement pas vous qui serez là", et vous aurez raison. Autre est le semeur, autre est le moissonneur, et ceux qui l'inaugureront auront peut-être le culot de laisser croire que ce sont eux qui l'ont fait. Nous aurons effectivement des prisons qui seront dignes de ce que nous imaginons, les uns et les autres, tous bans réunis, de ce que doivent être des prisons dans un pays développé. Voilà ce que je tiens à dire, j'en suis assez fier et je voudrais terminer. Le président de la République, il y a cinq ans, s'était engagé à faire que la justice soit une priorité pour la France, nous avons augmenté le budget de la justice de 38 % en cinq ans. Je suis aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, le premier budget en termes de croissance de tous les ministères. J'ai l'application de la loi d'orientation et de programmation pour la justice qui prévoit en particulier ces places, j'ai actuellement fin décembre 2006, plus de 750 magistrats nets créés, j'ai plus de 4.000 fonctionnaires créés. Bref, nous avons tenu parole. Et quand j'entends dire toujours, "les promesses ne sont jamais tenues", en voilà une qui est vraiment tenue. Grâce soit rendue au président de la République J. Chirac. Et nous avons, en matière de justice, honnêtement pris les décisions qui feront que dans quelques mois, années - j'aimerai pouvoir être plus long dans quelques instants -, nous serons peut-être fiers des conditions de détention françaises. Je veux bien la critique, mais...
Q- N. Demorand : Mais ça veut dire qu'aujourd'hui, on n'a pas de quoi...
R- P. Clément : Cela veut dire qu'aujourd'hui, il y a quelques prisons qui sont de l'ancien programme Méhaignerie et qui sont très bien, Sequedin près de Lille, vous avez Toulon, vous avez près d'Avignon. Les prisons modernes sont remarquablement modernes. Et puis, il y a toutes celles qui sont indignes encore et que nous sommes en train de réparer. Parce qu'au-delà des 13.300 places ce sont aussi 5.000 places lourdes de réhabilitation. Et si vous me voyez avec un peu de véhémence, c'est que jamais personne n'a l'air de se souvenir ou de savoir ce que ce Gouvernement et le Gouvernement précédent ont fait depuis cinq ans. Alors, oui, la situation n'est pas encore parfaite et je suis le premier à pouvoir le dire - toutes les semaines, ou presque je visite une prison. En revanche, les décisions sont prises et je dis qu'entre 2007 et 2010, la France pourra être fière de ses conditions pénitentiaires.
Q. Badinter : Vous avez dit vingt-cinq ans, M. Clément ; vingt-cinq ans, cela me met directement en cause. Je dois quand même vous rappeler, puisque vous êtes là à porter condamnation, que quand j'étais garde des Sceaux, avec toute la droite française, qui était comme un bande de loups à critiquer et à combattre la politique que je conduisais, je n'en tirais pas fierté. Mais on a construit, aménagé, amélioré plus de places que dans les vingt années précédentes et je ne m'en glorifiais pas....
R- P. Clément : Vous avez fait une prison M. Badinter...
Q-. Badinter : Je ne m'en glorifiais pas, monsieur Clément. Je ne faisais pas mon auto-promotion !
[inaud]
Q- N. Demorand : Pas tous en même temps ! On va faire circuler la parole.
R- R. Badinter : Pardonnez-moi de vous dire que je ne pensais pas que quand le garde des Sceaux viendrait, cela se transformerait pour lui une sorte de pré-meeting électoral. Moi je pensais que l'on parlerait aujourd'hui de la condition des détenus d'aujourd'hui, je n'avais pas besoin de rappeler tout ce que j'ai fait à cette époque. Ce n'est pas ça, la question, ce n'est pas seulement construire des murs, ce n'est pas seulement fabriquer des prisons, c'est aussi veiller à d'autres choses. L'atteinte à la dignité humaine, vous le savez comme moi, elle tient d'abord à la promiscuité, à la surpopulation pénale. Et la surpopulation pénale dans une politique de courte vue et d'annonce, c'est ce que vous n'avez pas cessé de faire depuis cinq ans ! On en reparlera le jour de la campagne électorale. Aujourd'hui, ce qui importe, ce sont les conditions de vie, les revendications humaines des détenus, même si cet adjectif ne semble avoir pour vous qu'un intérêt relatif.
Q- N. Demorand : On est là pour avoir ce débat sur la dimension humaine, le respect de la dignité humaine, je vous posais la question, tout à l'heure, P. Clément : c'est la principale revendication des détenus, est-ce que vous l'entendez ?
R- P. Clément : Non seulement je l'entends mais je la partage complètement. Qu'est-ce que c'est que la détention ? C'est quelqu'un qui est privé de sa liberté et on espère ainsi que la société sera protégée. Il ne s'agit pas de le maltraiter au sens de la maltraitance, mais c'est là où je reviens sur l'idée qui n'a pas l'air d'être partagée, c'est que pour moi, ce ne sont pas des phrases, c'est avant tout une cellule individuelle, c'est une douche et effectivement, une "kitchenette ?" qui se trouve dans la même douche pour être tout seul. Ce sont des questions basiques. On peut faire des envolées ou on peut faire des bâtiments. Je ne condamne personne avant moi, je dis la vérité. Que l'on m'explique si c'est faux : il y a eu trois programmes de création de prisons depuis 1958, et pas quatre, c'est tout. On peut dire que c'est une prime électorale parce que c'est gênant, mais c'est bien le drame. Il y a deux sortes de gens en France : ceux qui ont la main sur le coeur et qui sont merveilleux pour jouer de l'émotion et ceux qui ont fait les choses. Moi, j'ai appartenu à une majorité qui fait des choses, et en ce moment, je les termine. Je donne un exemple : qui a inventé le concept d'établissement pour mineur, que j'appelle, moi, "une salle de classe entourée de murs" ? C'est la droite, ce n'est pas la gauche avec les grandes belles idées qu'elle pourrait avoir. Nous sommes en train d'en inaugurer sept cette année, soixante places. Trois fois plus d'enseignants, d'éducateurs, de fonctionnaires de la PJJ entourant ces enfants. Nous avons inventé - toujours un concept nouveau - les centres éducatifs fermés ; c'est quoi ? C'est pour justement se substituer aux quartiers mineurs de nos prisons. Là aussi, on est enfermé au sens de la retraite, au sens de faire un point sur soi-même, parce que ce sont des multirécidivistes, ce sont des mineurs dont on ne sait plus quoi faire. Eh bien si, on arrive à des résultats et à hauteur de 60 %, on ne les revoit chez les juges d'instruction. Cela a été critiqué par la gauche, complètement ! Aujourd'hui, c'est un grand succès, et c'est un concept nouveau. Ce n'est justement pas que la prison bête et méchante, c'est au contraire un outil éducatif. Alors arrêtons les procès d'intention, essayons d'avoir l'honnêteté de regarder ce que nous avons fait, et après, discutons calmement, mais pas de procès d'intention, "je ferais", j'ai beaucoup de mal à le supporter, il est vrai.
Q- N. Demorand : Je n'instruis pas de procès, je tiens à le dire, je me fais simplement porte-parole de cette enquête BVA.
R- R. Badinter : Je tiens à rappeler qu'il existe un rapport de la Cour des comptes, j'invite chacun à le lire - il est tout récent. Vous y trouverez, monsieur le garde des Sceaux, si vous l'avez lu, la référence à tout ce qui a été fait par madame Guigou en son temps, continuant et achevant le programme Méhaignerie, investissant - et madame Lebranchu aussi -beaucoup dans l'amélioration des conditions sanitaires dans les prisons. C'est une continuité dans l'action. Vous, vous tenez - et cela se conçoit, vous êtes à la veille de la campagne électorale - à tirer la couverture à vous. Libre à vous. Moi ce qui m'intéresse encore une fois, ce sont les conditions de vie. Et je poserai simplement deux questions : il y a vingt cinq ans, non il y a vingt ans, j'étais encore garde des Sceaux, j'ai introduit la télévision dans les prisons. Nous n'avions pas un sou au budget, nous n'avions plus rien J'ai dit, pour cette année, avant de m'en aller, comme il y avait la Coupe du monde, il fallait immédiatement procéder à la réalisation. On a décidé, à ce moment-là, parce qu'on ne pouvait pas faire autrement, de louer des télévisions. Vingt ans après, elles sont toujours payées par les détenus à des prix prohibitifs ; c'est dans les revendications : "qu'on nous mette la télévision à disposition". Alors je vous pose la question : êtes-vous disposé à le faire ? Même chose pour ce qui concerne, puisque nous sommes dans le concret, les cantines. Vous connaissez le régime des cantines, vous savez dans quelle inégalité c'est ? Vous savez que l'on paye les produits plus chers qu'au dehors ? Est-ce que vous êtes disposé à changer ces choses ?
Q- N. Demorand : Deux questions de R. Badinter à P. Clément...
R- P. Clément : Merci de tomber dans le concret, parce que sur les détails concrets... Je suis d'accord avec vous : pour les télévisions, je pense que l'on pourrait accéder - et c'est déjà tout à fait dans les tuyaux comme décision - à la gratuité, et s'agissant du fait de continuer d'une façon qui est souvent hors de prix, je suis personnellement choqué, et je souhaite effectivement remédier à cette question-là. Mais vous disiez "moi, j'ai fait des prisons", moi j'aurais la vanité de dire que je suis en train de faire les unités de vie familiale. C'est encore plus important. Ce sont les liens entre les parents, les enfants, entre les compagnes et le compagnons, c'est la capacité pour un détenu de passer quelque fois trois jours dans un
appartement, avec un petit jardinet et une cuisine, certes dans l'enceinte du pénitentiaire, mais de retrouver complètement sa famille. Cela, c'est nous qui l'avons fait et je suis en train de le faire.
R. Badinter : Ce n'est pas vous qui l'avez créé, pardonnez-nous de signaler que quand on a fait Massac en 1985, cela y était déjà. Et ceci, c'est madame Ezra (phon) et moi qui l'avons fait.
R- P. Clément : C'est bien, c'est la seule prison que vous avez faite monsieur Badinter...
Q- N. Demorand : Deux questions de S. Laugénie, spécialiste justice à la rédaction de France Inter.
Q- S. Laugénie : Je reste dans le concret, je vais parler d'une prison dont vous pouvez être fier, puisque c'est une prison qui vient d'être construite, grâce à votre Gouvernement et qui se trouve à Meaux-Chauconin, en Seine-et-marne. Elle était censée remplacer une vieille maison d'arrêt. Elle a été construite il y a deux ans maintenant, avec beaucoup de places, avec des cellules individuelles, au départ en tout cas. Cela n'a duré qu'un an, c'est-à-dire que depuis plusieurs mois déjà, elle est déjà surpeuplée. Taux d'occupation : 144 % ! C'est très propre, c'est vrai. Il y avait au départ, une idée de cellules individuelles, de douches individuelles, aujourd'hui, ce n'est plus possible. Il y a des matelas dans un certain nombre de cellules de maison d'arrêt. Cela veut dire qu'il y a une surpopulation pénale qui pose un vrai problème aujourd'hui.
R- P. Clément : Dans les maisons d'arrêt, il y a incontestablement une surpopulation pénale. Ce que je souhaite que l'on fasse... Qu'il y ait une critique statique, je la partage, qu'il y ait une critique dynamique, c'est-à-dire que va-t-il se passer dans les années à venir, je dis qu'il y a sous-information. Qu'est-ce que j'ai fait tout à l'heure ? Je ne suis pas en train d'essayer de tirer la couverture au niveau de la majorité à laquelle j'appartiens. J'ai dit "je jure la vérité", mais cette vérité gêne, parce que c'est trop facile d'expliquer qu'on ne fait rien quand on est dans l'opposition, pour ceux qui sont dans la majorité. On a fait énormément ! Actuellement, la solution... Tout n'est pas sorti de terre, il faut combien d'année pour ouvrir une prison, l'inaugurer ? Plus de cinq ans. Une législature, cela dure cinq ans. C'est-à-dire qu'elles seront ouvertes après nous. Donc, effectivement, Meaux-Chauconin, ce n'est pas notre programme, c'est le programme Méhaignerie qui était là en 1993-1995. Donc il est évident qu'aujourd'hui, il y a encore surpopulation. Quand nous aurons terminé entre huit et dix, c'est-à-dire dans quelque trois à quatre ans, vous n'aurez plus cette situation que vous condamnez, justement.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 octobre 2006