Texte intégral
Q- Est-ce que l'on en fait trop sur le premier anniversaire des émeutes
de novembre 2005 en banlieues ?
R- Oui, déjà, je trouve qu'on en fait trop. Parce que on parle de
"commémoration", on parle d' "anniversaire", je ne sais pas ce que c'
est, chez vous, un anniversaire, mais chez moi, c'est une fête, on
célèbre ce qui vient de se passer, et puis on prévoit ce qui se passera
l'année prochaine. Donc, il ne faut absolument pas célébrer ni
commémorer quoi que ce soit. Il faut juste tenter d'apporter des
réponses, éventuellement, de faire parler des centaines de mesures que
le Gouvernement a prises pour faire avancer cette situation des
banlieues.
Q- Si on commémore, c'est aussi parce qu'on a l'impression que depuis
un an rien n'a changé. Est-ce que c'est votre sentiment ?
R- C'est terrible ça ! Cela me rend malade ! Je bosse 12 heures par
jour depuis dix-huit mois et j'ai le sentiment que tout ce que l'on
fait ne parvient pas aux oreilles ni aux pieds des immeubles HLM. La
transmission de l'information, c'est vraiment quelque chose d'énorme
dans cette société. On n'arrive pas à dire aux gens qui ont besoin de
la Halde, qui ont besoin du tour de la diversité...
Q- C'est la Haute autorité de lutte contre la discrimination...
R- Oui, il faut presque le dire parce que le dire parce que ce n'est
pas encore entré dans les... Il faut parler de L. Schweitzer partout
dans ce pays, il faut dire à tous les gens qui ont le sentiment de
vivre une discrimination, d'être humiliés, de ne pas trouver leur place
dans cette société, qu'on est en train de mettre en place des trucs
incroyables depuis un an, et notamment en matière de lutte contre les
discriminations, une loi pour égalité des chances du 31 mars 2006.
Q- Et pourtant, on a l'impression que malgré tous ces efforts, sur le
terrain, la situation reste explosive. Vous-même, il y a quelques
semaines vous avez dit qu'une étincelle peut embraser à nouveau les
quartiers ; les Renseignements Généraux sont alarmistes. On a raison
d'être inquiets tout de même ?
R- Depuis vingt-cinq ans, on a raison d'être inquiets ! Dans la
banlieue de Lyon, où j'étais en 1975, le caillassage des véhicules de
policiers était en marche, le caillassage des pompiers même, le
caillassage de tout ce qui porte un uniforme. Donc, aujourd'hui pas
plus qu'avant, ni plus que demain. On est dans une situation toujours
tendue, dans les milieux, où les gens sont pauvres, vulnérables, et où
la croyance en les valeurs républicaines est insuffisante.
Q- La gauche accuse le ministre de l'intérieur, justement, de faire
monter la pression, en ce moment, alors qu'en effet, la situation est
comme cela depuis vingt-cinq ans. Vous partagez ?
R- J'accuse la gauche, depuis 1981, la gauche qui a promis la France
"black, blanc, beur", la gauche qui a dit qu'elle [allait] faire cette
France de la diversité, et aujourd'hui, il n'y a pas un Arabe, il n'y a
pas un Noir, il n'y a pas un Asiatique, il n'y a pas un Turc à
l'assemblée nationale ! C'est simple. Si on avait pu tirer de ces
banlieues des représentants légitimes de ces quartiers, de ces
problèmes, des souffrances de ces gens, et en faire aujourd'hui des
députés susceptibles de parler et de défendre la cause des banlieues,
on n'en serait pas là, je crois !
Q- L'an passé, vous aviez un peu fait votre mea culpa, vous ne vous
trouviez pas assez offensif ; vous avez changé visiblement.
R- Oui, maintenant, ça va, j'ai compris ce que c'est la politique. La
politique, c'est prendre la parole, c'est se défendre, c'est faire
valoir le droit à exprimer sa sensibilité. Et je dis, en matière de
sensibilité, que la question des mots, la question sémantique est
essentielle dans ces quartiers. Il faut faire attention à ce qu'on dit,
aux mots qu'on utilise.
Q- Alors justement, quand N. Sarkozy, l'an passé, parlait de "Karcher"
ou de "racaille", vous l'avez critiqué. Aujourd'hui, êtes-vous
réconcilié
avec lui ?
R- Non, pas particulièrement, mais je travaille...
Q- Vous êtes toujours en désaccord ?
R- ...Je travaille au plus près avec le Premier ministre, et c'est la
ligne du Premier ministre, notamment cette ligne qu'il s'est donnée
depuis seize mois : tout contre le chômage ; tout pour résorber les
différentiels de taux de chômage entre les banlieues et le reste de la
ville.
Q- Vous, c'est le Premier ministre et pas le ministre de l'intérieur
qui est votre chef ?
R- Oui, je crois, c'est même pour tout le Gouvernement ; c'est le chef
du Gouvernement !
Q- Et quand N. Sarkozy dit qu'il faut envoyer les agresseurs des
policiers, des pompiers devant les Assises, est-ce une provocation ou
a-t-il raison d'être ferme ?
R- De toute façon, il n'y a aucune ambiguïté : les types qui attaquent,
qui tendent des guets-apens à la police nationale, ce n'est pas
pensable ! Ce n'est plus pensable ! Aujourd'hui, s'il y a un minimum à
respecter dans ces quartiers, c'est le service public qui s'appelle la
sécurité, le service public. Et les types qui sont là, ce sont les
fonctionnaires du service public. Plus il y aura de diversité dans la
police nationale et dans la gendarmerie qui iront intervenir dans ces
quartiers, et plus les fonctionnaires seront légitimés dans ces
quartiers.
Q- "Traiter les délinquants de seize ans comme s'ils avaient dix-huit
ans", ce que prévoit le prochain projet de loi, est-ce une bonne idée ?
R- En tous les cas, aujourd'hui, avoir seize ans et mesurer 1,90 m et
peser 120 kg, c'est faire preuve d'une virilité et d'être déjà dans le
monde des adultes, qui n'existait pas il y a vingt ans. Donc, aujourd'
hui, je pense que faire descendre l'âge des responsabilités, c'est
important. Aujourd'hui, les mineurs c'est un vrai problème, je ne le
cache pas, c'est un vrai problème.
Q- Quand J. Starr, hier, à l'Olympia chante une chanson intitulée
"Sarkozy" et dit : "Cerveau de facho, tiens ta femme et tu tiendras la
France", comment réagissez-vous ? C'est un artiste, il a tous les
droits ?
R- Non. Là, j'ai envie de parler - vous me branchez - de la Charte de
la diversité, j'ai envie de parler de mon travail...
Q- On y vient. Mais là, c'est un propos un peu virulent. A-t-il tort J.
Starr... ?
R- C'est comme pour Redeker, le philosophe, qui parlait de l'islam dans
un de ses articles, il n'y a pas longtemps. Je dis : la liberté d'
expression, oui, à condition de la faire converger vers plus de
fraternité, d'essayer d'utiliser la liberté d'expression pour
construire un monde meilleur. La liberté d'expression pour la guerre,
je n'en ai pas envie.
Q- Redeker, J. Starr, deux excès comparables ?
R- Liberté d'expression pour la guerre, je n'en ai pas envie ! Liberté
d'expression pour la fraternité, oui !
Q- Alors, la fraternité, la diversité, "tour de France de la
diversité", jusque au 30 novembre, 17 étapes. Trouvez-vous sur votre
chemin, dans ce tour de France, une société bloquée par rapport aux
immigrés ? Les Français n'en veulent plus, il y en a trop ?
R- Non, pas du tout, au contraire. Je trouve que les chefs d'
entreprise, des milliers de chefs d'entreprise, qui se nourrissent de
diversité, qui se disent "nous, ces jeunes des quartiers, pourvu qu'ils
aient les compétences que l'on requiert, et pourvu qu'ils aient la
"niac" (sic), pourvu qu'ils aient envie de bosser, pourvu qu'ils aient
de la motivation, on en aura largement besoin dans les cinq années à
venir avec le papy-boom". Ce sont des gens, ces entreprises, qui sont
complètement assurées du fait que, la diversité, pour eux, c'est une
source de rentabilité sociale, elle colle à leur environnement, et c'
est une source de rentabilité économique. Ces jeunes qui sont là,
largués, oubliés de l'égalité des chances, quand on leur tend la main
pour les faire entrer dans la boîte, ils bossent plus que les autres.
Q- On a besoin de ces jeunes aussi sur les listes électorales. Vous
dites que vous [sentez] poindre une vague d'inscriptions. N'êtes-vous
pas un peu optimiste ?
R- Je suis ces questions depuis vingt-cinq ans. Je sens depuis un an,
un an et demi, une montée en puissance de la citoyenneté, et le
sentiment que le seul moyen de pouvoir transformer la société, de faire
entendre sa voix en tant qu'individu, c'est d'aller voter. Je le sens
partout, et je fais la France toutes les semaines.
Q- Le PS tient ce soir son deuxième débat télévisé, sur LCI, pour la
primaire. S. Royal propose des jurys populaires pour évaluer le mandat
des élus. Est-ce une bonne idée ?
R- Je pense que c'est une très mauvaise idée, très mauvaise idée. Parce
qu'après, l'élu va coller, va anticiper ce que pourrait dire le peuple
quant à son action, pour offrir une action politique qui soit celle
qu'attend le peuple. C'est tout à fait mauvais cela !
Q- Et cela, c'est populiste ?
R- C'est mauvais. Démocratie, quoi ? Participative ?
Q- Quand le PS propose de régulariser après dix ans de résidence les
sans-papiers, quand il propose de rester fidèle au regroupement
familial, ne vous sentez-vous pas un peu socialiste, quand même ?
R- Non, là, je me sens enfant d'immigrés. Quand mon père est venu d'
Algérie en France, en 1949, et que les lois permettaient à notre
famille de se retrouver et de trouver un minimum d'harmonie et de
fraternité au sein de la France, j'en ai bénéficié, j'étais très
content. Je me dis : ce qui était bon pour moi, pourquoi, tout d'un
coup, ce ne serait pas bon pour les immigrés d'aujourd'hui ?
Q- La réforme de la justice passe au Conseil des ministres tout à l'
heure, il n'y aura pas de système disciplinaire contre les juges qui
commettent des fautes professionnelles. Le regrettez-vous ?
R- C'est une question difficile. Mais en tous les cas, j'ai beaucoup
travaillé aussi dans les tribunaux correctionnels, à Lyon, pour voir
comment, en particulier, souvent les jeunes des banlieues qui passaient
devant ces juges ; ces jeunes des banlieues qui ne comprenaient rien à
ce que racontait le juge parce qu'ils n'ont même pas le même langage !
Et je voyais à quel point le juge avait entre ses mains la vie entière,
la vie, de ces gamins qui passaient devant lui.
Q- Faut-il pouvoir les sanctionner ces juges, quand ils utilisent mal
ce pouvoir ?
R- Je n'en sais rien, c'est une question tellement lourde. Mais en tout
cas, savoir que ces juges ont dans leurs mains la vie de ces jeunes,
c'est important, et qu'ils ne peuvent pas faire n'importe quoi au nom
de leur autonomie. Je crois que c'est très important de faire se
rencontrer le peuple de France autour de cette question.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 octobre 2006
de novembre 2005 en banlieues ?
R- Oui, déjà, je trouve qu'on en fait trop. Parce que on parle de
"commémoration", on parle d' "anniversaire", je ne sais pas ce que c'
est, chez vous, un anniversaire, mais chez moi, c'est une fête, on
célèbre ce qui vient de se passer, et puis on prévoit ce qui se passera
l'année prochaine. Donc, il ne faut absolument pas célébrer ni
commémorer quoi que ce soit. Il faut juste tenter d'apporter des
réponses, éventuellement, de faire parler des centaines de mesures que
le Gouvernement a prises pour faire avancer cette situation des
banlieues.
Q- Si on commémore, c'est aussi parce qu'on a l'impression que depuis
un an rien n'a changé. Est-ce que c'est votre sentiment ?
R- C'est terrible ça ! Cela me rend malade ! Je bosse 12 heures par
jour depuis dix-huit mois et j'ai le sentiment que tout ce que l'on
fait ne parvient pas aux oreilles ni aux pieds des immeubles HLM. La
transmission de l'information, c'est vraiment quelque chose d'énorme
dans cette société. On n'arrive pas à dire aux gens qui ont besoin de
la Halde, qui ont besoin du tour de la diversité...
Q- C'est la Haute autorité de lutte contre la discrimination...
R- Oui, il faut presque le dire parce que le dire parce que ce n'est
pas encore entré dans les... Il faut parler de L. Schweitzer partout
dans ce pays, il faut dire à tous les gens qui ont le sentiment de
vivre une discrimination, d'être humiliés, de ne pas trouver leur place
dans cette société, qu'on est en train de mettre en place des trucs
incroyables depuis un an, et notamment en matière de lutte contre les
discriminations, une loi pour égalité des chances du 31 mars 2006.
Q- Et pourtant, on a l'impression que malgré tous ces efforts, sur le
terrain, la situation reste explosive. Vous-même, il y a quelques
semaines vous avez dit qu'une étincelle peut embraser à nouveau les
quartiers ; les Renseignements Généraux sont alarmistes. On a raison
d'être inquiets tout de même ?
R- Depuis vingt-cinq ans, on a raison d'être inquiets ! Dans la
banlieue de Lyon, où j'étais en 1975, le caillassage des véhicules de
policiers était en marche, le caillassage des pompiers même, le
caillassage de tout ce qui porte un uniforme. Donc, aujourd'hui pas
plus qu'avant, ni plus que demain. On est dans une situation toujours
tendue, dans les milieux, où les gens sont pauvres, vulnérables, et où
la croyance en les valeurs républicaines est insuffisante.
Q- La gauche accuse le ministre de l'intérieur, justement, de faire
monter la pression, en ce moment, alors qu'en effet, la situation est
comme cela depuis vingt-cinq ans. Vous partagez ?
R- J'accuse la gauche, depuis 1981, la gauche qui a promis la France
"black, blanc, beur", la gauche qui a dit qu'elle [allait] faire cette
France de la diversité, et aujourd'hui, il n'y a pas un Arabe, il n'y a
pas un Noir, il n'y a pas un Asiatique, il n'y a pas un Turc à
l'assemblée nationale ! C'est simple. Si on avait pu tirer de ces
banlieues des représentants légitimes de ces quartiers, de ces
problèmes, des souffrances de ces gens, et en faire aujourd'hui des
députés susceptibles de parler et de défendre la cause des banlieues,
on n'en serait pas là, je crois !
Q- L'an passé, vous aviez un peu fait votre mea culpa, vous ne vous
trouviez pas assez offensif ; vous avez changé visiblement.
R- Oui, maintenant, ça va, j'ai compris ce que c'est la politique. La
politique, c'est prendre la parole, c'est se défendre, c'est faire
valoir le droit à exprimer sa sensibilité. Et je dis, en matière de
sensibilité, que la question des mots, la question sémantique est
essentielle dans ces quartiers. Il faut faire attention à ce qu'on dit,
aux mots qu'on utilise.
Q- Alors justement, quand N. Sarkozy, l'an passé, parlait de "Karcher"
ou de "racaille", vous l'avez critiqué. Aujourd'hui, êtes-vous
réconcilié
avec lui ?
R- Non, pas particulièrement, mais je travaille...
Q- Vous êtes toujours en désaccord ?
R- ...Je travaille au plus près avec le Premier ministre, et c'est la
ligne du Premier ministre, notamment cette ligne qu'il s'est donnée
depuis seize mois : tout contre le chômage ; tout pour résorber les
différentiels de taux de chômage entre les banlieues et le reste de la
ville.
Q- Vous, c'est le Premier ministre et pas le ministre de l'intérieur
qui est votre chef ?
R- Oui, je crois, c'est même pour tout le Gouvernement ; c'est le chef
du Gouvernement !
Q- Et quand N. Sarkozy dit qu'il faut envoyer les agresseurs des
policiers, des pompiers devant les Assises, est-ce une provocation ou
a-t-il raison d'être ferme ?
R- De toute façon, il n'y a aucune ambiguïté : les types qui attaquent,
qui tendent des guets-apens à la police nationale, ce n'est pas
pensable ! Ce n'est plus pensable ! Aujourd'hui, s'il y a un minimum à
respecter dans ces quartiers, c'est le service public qui s'appelle la
sécurité, le service public. Et les types qui sont là, ce sont les
fonctionnaires du service public. Plus il y aura de diversité dans la
police nationale et dans la gendarmerie qui iront intervenir dans ces
quartiers, et plus les fonctionnaires seront légitimés dans ces
quartiers.
Q- "Traiter les délinquants de seize ans comme s'ils avaient dix-huit
ans", ce que prévoit le prochain projet de loi, est-ce une bonne idée ?
R- En tous les cas, aujourd'hui, avoir seize ans et mesurer 1,90 m et
peser 120 kg, c'est faire preuve d'une virilité et d'être déjà dans le
monde des adultes, qui n'existait pas il y a vingt ans. Donc, aujourd'
hui, je pense que faire descendre l'âge des responsabilités, c'est
important. Aujourd'hui, les mineurs c'est un vrai problème, je ne le
cache pas, c'est un vrai problème.
Q- Quand J. Starr, hier, à l'Olympia chante une chanson intitulée
"Sarkozy" et dit : "Cerveau de facho, tiens ta femme et tu tiendras la
France", comment réagissez-vous ? C'est un artiste, il a tous les
droits ?
R- Non. Là, j'ai envie de parler - vous me branchez - de la Charte de
la diversité, j'ai envie de parler de mon travail...
Q- On y vient. Mais là, c'est un propos un peu virulent. A-t-il tort J.
Starr... ?
R- C'est comme pour Redeker, le philosophe, qui parlait de l'islam dans
un de ses articles, il n'y a pas longtemps. Je dis : la liberté d'
expression, oui, à condition de la faire converger vers plus de
fraternité, d'essayer d'utiliser la liberté d'expression pour
construire un monde meilleur. La liberté d'expression pour la guerre,
je n'en ai pas envie.
Q- Redeker, J. Starr, deux excès comparables ?
R- Liberté d'expression pour la guerre, je n'en ai pas envie ! Liberté
d'expression pour la fraternité, oui !
Q- Alors, la fraternité, la diversité, "tour de France de la
diversité", jusque au 30 novembre, 17 étapes. Trouvez-vous sur votre
chemin, dans ce tour de France, une société bloquée par rapport aux
immigrés ? Les Français n'en veulent plus, il y en a trop ?
R- Non, pas du tout, au contraire. Je trouve que les chefs d'
entreprise, des milliers de chefs d'entreprise, qui se nourrissent de
diversité, qui se disent "nous, ces jeunes des quartiers, pourvu qu'ils
aient les compétences que l'on requiert, et pourvu qu'ils aient la
"niac" (sic), pourvu qu'ils aient envie de bosser, pourvu qu'ils aient
de la motivation, on en aura largement besoin dans les cinq années à
venir avec le papy-boom". Ce sont des gens, ces entreprises, qui sont
complètement assurées du fait que, la diversité, pour eux, c'est une
source de rentabilité sociale, elle colle à leur environnement, et c'
est une source de rentabilité économique. Ces jeunes qui sont là,
largués, oubliés de l'égalité des chances, quand on leur tend la main
pour les faire entrer dans la boîte, ils bossent plus que les autres.
Q- On a besoin de ces jeunes aussi sur les listes électorales. Vous
dites que vous [sentez] poindre une vague d'inscriptions. N'êtes-vous
pas un peu optimiste ?
R- Je suis ces questions depuis vingt-cinq ans. Je sens depuis un an,
un an et demi, une montée en puissance de la citoyenneté, et le
sentiment que le seul moyen de pouvoir transformer la société, de faire
entendre sa voix en tant qu'individu, c'est d'aller voter. Je le sens
partout, et je fais la France toutes les semaines.
Q- Le PS tient ce soir son deuxième débat télévisé, sur LCI, pour la
primaire. S. Royal propose des jurys populaires pour évaluer le mandat
des élus. Est-ce une bonne idée ?
R- Je pense que c'est une très mauvaise idée, très mauvaise idée. Parce
qu'après, l'élu va coller, va anticiper ce que pourrait dire le peuple
quant à son action, pour offrir une action politique qui soit celle
qu'attend le peuple. C'est tout à fait mauvais cela !
Q- Et cela, c'est populiste ?
R- C'est mauvais. Démocratie, quoi ? Participative ?
Q- Quand le PS propose de régulariser après dix ans de résidence les
sans-papiers, quand il propose de rester fidèle au regroupement
familial, ne vous sentez-vous pas un peu socialiste, quand même ?
R- Non, là, je me sens enfant d'immigrés. Quand mon père est venu d'
Algérie en France, en 1949, et que les lois permettaient à notre
famille de se retrouver et de trouver un minimum d'harmonie et de
fraternité au sein de la France, j'en ai bénéficié, j'étais très
content. Je me dis : ce qui était bon pour moi, pourquoi, tout d'un
coup, ce ne serait pas bon pour les immigrés d'aujourd'hui ?
Q- La réforme de la justice passe au Conseil des ministres tout à l'
heure, il n'y aura pas de système disciplinaire contre les juges qui
commettent des fautes professionnelles. Le regrettez-vous ?
R- C'est une question difficile. Mais en tous les cas, j'ai beaucoup
travaillé aussi dans les tribunaux correctionnels, à Lyon, pour voir
comment, en particulier, souvent les jeunes des banlieues qui passaient
devant ces juges ; ces jeunes des banlieues qui ne comprenaient rien à
ce que racontait le juge parce qu'ils n'ont même pas le même langage !
Et je voyais à quel point le juge avait entre ses mains la vie entière,
la vie, de ces gamins qui passaient devant lui.
Q- Faut-il pouvoir les sanctionner ces juges, quand ils utilisent mal
ce pouvoir ?
R- Je n'en sais rien, c'est une question tellement lourde. Mais en tout
cas, savoir que ces juges ont dans leurs mains la vie de ces jeunes,
c'est important, et qu'ils ne peuvent pas faire n'importe quoi au nom
de leur autonomie. Je crois que c'est très important de faire se
rencontrer le peuple de France autour de cette question.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 octobre 2006