Texte intégral
A la demande de plusieurs dentre vous, le Département a décidé dorganiser cette journée de travail qui permettra dévoquer lélargissement de lUnion européenne dans ses différents aspects - politiques et pratiques.
Je souhaite que ce type de rencontre ait lieu périodiquement, par exemple une fois sous chaque présidence de lUnion. Cest loccasion pour nous de vous faire passer un certain nombre de messages et dentendre, en retour, vos observations fondées sur une analyse plus proche du terrain.
Je voudrais men tenir à une rapide présentation, à la suite de laquelle je serai prêt à répondre à vos questions.
1 - Le souci légitime de nos Ambassadeurs dans les pays candidats est de rendre la position de la France sur lélargissement intelligible pour les autorités et les opinions publiques de ces pays.
Comme je lavais indiqué lors de la Conférence des Ambassadeurs, en août dernier, notre ligne est désormais claire et constante : nous ne sommes pas restrictifs, mais nous ne serons pas démagogues. Jobserve que cette attitude est aujourdhui largement partagée par nos grands partenaires de lUnion, y compris lAllemagne dont le nouveau gouvernement adopte un discours plus réaliste.
Cest la raison pour laquelle nous expliquons à tous nos interlocuteurs des pays candidats que le débat sur la date de leur adhésion serait, pour lUnion, artificiel et stérile. Sil peut être utile - et même souhaitable - que ces pays mettent en avant, sur le plan interne, un objectif de nature à mobiliser leurs administrations et leurs opinions publiques, il serait dangereux que lUnion se livre au même exercice. Une telle date, surtout si elle était inscrite dans les conclusions du Conseil européen, nous deviendrait opposable, quelle que soit lévolution des réformes internes à lUnion. Elle serait, par ailleurs, très ambiguë : à quels pays candidats lappliquer ? Comment concilier le principe de différenciation et la définition dun seul et même objectif dans le temps ?
2 - Il nous faut donc dépasser cette question de calendrier et entrer dans la réalité des dossiers.
Plusieurs constatations simposent à nous.
La première est que, depuis le milieu de lannée 1997, les dossiers européens, celui de lélargissement en particulier, ont beaucoup progressé.
Il y a vingt mois, les négociations de la CIG nétaient pas conclues, le passage à leuro et la qualification de la France pour cette échéance restaient incertains, le lancement des négociations dadhésion nétait quune hypothèse.
En vingt mois, le paysage sest transformé :
- le traité dAmsterdam, certes imparfait, a été signé et le processus de ratification devrait être achevé, dans notre pays, en mars. Le Conseil européen de Vienne a confié à la présidence allemande le soin de définir, à Cologne, la manière dont devront être traitées les questions institutionnelles non résolues, ainsi que le calendrier correspondant. Cest dire que les travaux en vue de la réforme institutionnelle sengageront, sous une forme ou une autre, à partir du mois de juin prochain. Cet élément est de nature à rassurer les pays candidats qui mettent en avant leur crainte dun retard dans ce domaine,
- le lancement de leuro est devenu réalité au début de cette année. Il aura évidemment des conséquences très fortes pour les pays candidats, dont lessentiel des échanges se fait avec lUnion européenne. Certains candidats ont déjà exprimé leur ambition de rejoindre leuro en 2006. Sans tomber une nouvelle fois dans une querelle de dates, cette volonté des candidats doit être encouragée, pour autant quils accomplissent au préalable leffort de convergence de leurs politiques économiques quimplique la participation à la zone euro,
- le processus délargissement a été lancé à Luxembourg en décembre 1997. Les conférences intergouvernementales se sont ouvertes en mars 1998 et les négociations proprement dites, sur les premiers chapitres de lacquis, ont été engagées en novembre. La Présidence allemande a lintention de poursuivre sur le même rythme, en tenant deux réunions au niveau des suppléants et une au niveau des ministres, en juin prochain. Au total, 15 chapitres auront été ouverts à la négociation à la fin du semestre : cela représente la moitié des 29 chapitres de lacquis - si lon exclut les chapitres « Institutions » et « Divers ».
3 - Ces éléments montrent que la dynamique des réformes internes à lUnion et du processus délargissement est une réalité, contrairement à ce que lon pense parfois en Europe centrale.
Pour lavenir, trois éléments me semblent importants :
- le premier concerne la négociation de lAgenda 2000, qui va saccélérer durant les prochaines semaines. Une réunion informelle des Chefs dEtat et de gouvernement est envisagée à Bonn, en février. Un Conseil européen extraordinaire se tiendra à Bruxelles les 24 et 25 mars, avec lobjectif de parvenir à cette date à un accord global. La présidence allemande a mis sur la table les différents paramètres de la négociation. Nous avons beaucoup insisté pour que lensemble des éléments, sans exception, soit mis en discussion. Je ne vais pas entrer dans les détails du dossier, mais je souhaite insister sur un élément qui me semble devoir être valorisé auprès des pays candidats : nous considérons que la priorité, pour la période 2000/2006, doit être de rechercher des marges nous permettant de financer lélargissement. Cest la raison pour laquelle nous plaidons, à la différence de certains de nos partenaires, en faveur dune stabilisation des dépenses à Quinze. Il y va de lintérêt de lUnion, mais aussi des pays candidats. Dans le même temps, nous voulons préserver lessence même des politiques communes, ce qui nous conduit à refuser certains artifices, comme le co-financement de la PAC, sans pour autant exclure des économies sur le budget agricole,
- le deuxième aspect porte sur le rythme des négociations dadhésion. Il est clair que nous allons entrer, après la présidence allemande, dans lexamen de chapitres de lacquis bien plus difficiles que ceux qui ont été ouverts jusquà présent : lenvironnement, le troisième pilier, lagriculture, les fonds structurels, la libre-circulation des personnes. Dores et déjà, certains des chapitres dont la négociation est envisagée ce semestre sont loin dêtre simples. Je pense par exemple à la concurrence et aux aides dEtat, ou encore à la politique commerciale extérieure. Il faut donc se garder de céder à une illusion pour lannée 2000 : nous pourrons sans doute, lannée prochaine, avoir une vision densemble des chapitres en négociation et identifier les difficultés majeures. Mais il est difficile denvisager, dès aujourdhui, quun « paquet » final puisse sesquisser, par exemple, sous notre présidence. Léquation comporte, à ce stade, encore trop dinconnues.
- la troisième et dernière incertitude concerne les aspects plus politiques du processus. Comment allons-nous traiter, à lavenir, les pays dits du « deuxième train » ? La Commission doit produire, avant le Conseil européen dHelsinki, un nouveau rapport qui pourrait servir de base à déventuelles décisions des Chefs dEtat et de gouvernement sur la Lettonie, mais aussi la Slovaquie et la Lituanie, ainsi que Malte. Selon nous, cela ne saurait en tout cas conduire à marginaliser des candidats comme la Bulgarie et la Roumanie.
Ces éléments illustrent la nécessité, plus grande que jamais, dune maîtrise politique du processus par le Conseil et le Conseil européen.
4 - Je voudrais, enfin, évoquer la préparation à ladhésion des Etats candidats et la contribution que la France peut y apporter. Les résultats des jumelages en 1998 se sont révélés, dans lensemble, positifs. Notre pays a en effet été retenu comme chef de file ou co-chef de file pour 21 projets et participe à 12 autres projets. Ces chiffres nous placent en deuxième position, assez loin derrière lAllemagne (chef de file ou co-chef de file pour 38 projets), mais très loin devant les autres Etats membres. La répartition géographique est assez satisfaisante, à lexception de la République tchèque et de la Lituanie.
La sélection des projets pour le « second tour 1998 » est en cours dans vos pays de résidence.
Je souhaite que le travail de mobilisation mené dans les postes et à Paris, par le SGCI et le Département, se poursuive. Je compte, pour ma part, présider dici la fin du mois de février une réunion du COCOP afin de dégager nos priorités stratégiques et dutiliser au mieux les moyens humains de nos administrations, qui restent limités pour ce type dopérations.
Je tiens également à rappeler quHubert Védrine et moi-même poursuivons notre « tournée » dans les PECO. Hubert Védrine sera à Budapest dans quelques jours. Moi-même, après une interruption dûe en grande partie au calendrier parlementaire et au calendrier des sommets bilatéraux, je me rendrai en Pologne le 8 février, en Slovénie le 8 mars, puis en Slovaquie le 29 mars.
Ensuite, tout en tenant compte des contraintes du calendrier très chargé de la Présidence allemande, mais aussi de la préparation des élections européennes, jentamerai une nouvelle « tournée » pour revoir les pays candidats et renforcer les bonnes relations que nous avons pu développer avec eux.
Pour conclure cette brève introduction à une journée de travail que je souhaite fructueuse, je voudrais souligner combien cette année sera décisive pour la suite du processus. Nous aurons à naviguer entre deux écueils :
- dun côté, le risque de blocage, par exemple dans lhypothèse, que je veux exclure, dune absence daccord sur lAgenda 2000, selon le calendrier arrêté à Cardiff. Comme vient de le déclarer devant le Parlement européen, le ministre allemand des Affaires étrangères, laboutissement rapide de ces négociations est une « condition sine qua non » dun élargissement rapide vers lEst.
- de lautre côté, céder à la pression de lHistoire, invoquée parfois pour accélérer le processus, cest-à-dire le bâcler, ou ne satisfaire que des objectifs géographiquement étroits de tel ou tel partenaire, sans vision densemble de lEurope de demain.
Je le répète devant vous. Nous veillerons à ce que cet élargissement reste politiquement maîtrisé. Il y va de lintérêt de lUnion européenne et des acquis des Quinze, qui est aussi celui de ses futurs Etats-membres./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)