Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères et président du Conseil d'administration d'UNITAID, sur le projet UNITAID, son organisation, son fonctionnement et son financement des programmes de lutte contre les pandémies ainsi que sur sa contribution au service du développement dans le domaine de la santé, Bruxelles le 15 novembre 2006.

Prononcé le

Circonstance : Intervention de Ph. Douste-Blazy, président du Conseil d'administration d'UNITAID aux Journées européennes du développement le 15 novembre 2006 à Bruxelles

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Commissaire européen,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de participer à vos côtés à cette première édition des Journées européennes du développement.
Ces journées s'inscrivent dans une tradition européenne très ancienne, qui place depuis 1957 l'aide au développement au coeur des compétences partagées entre la Communauté et les Etats membres. Le Commissaire Louis Michel le rappelle volontiers : l'Union européenne représente plus de 50 % de l'aide internationale. Et pourtant force est de le constater : dans ce domaine, l'action de l'Europe reste encore peu visible et peu lisible ; il était donc urgent qu'une nouvelle initiative, collective et ambitieuse, vienne répondre à ce déficit de visibilité.
Je me félicite qu'avec les Journées européennes du développement, l'Europe dispose enfin d'un événement capable de rassembler, chaque année, les acteurs majeurs du développement. Plus que jamais, l'Europe doit jouer collectif ; plus que jamais, nous devons sensibiliser nos concitoyens, dans les différents pays de l'Union, aux enjeux mondiaux de la solidarité.
Cette première édition m'offre également l'occasion, en tant que président du Conseil d'administration d'UNITAID, de vous présenter les progrès que nous avons réalisés au service de la facilité internationale d'achat de médicaments.
A cet égard, permettez-moi de le rappeler : UNITAID, c'est d'abord une formidable initiative citoyenne au service de la solidarité entre le Nord et le Sud. Je lance donc un appel, au nom de l'ensemble des membres d'UNITAID, pour que tous les pays qui n'en font pas encore partie nous rejoignent dans cette entreprise. Je suis naturellement tout disposé à répondre à vos questions sur ce sujet, une fois mon intervention terminée.
UNITAID, chacun ici le sait, a été lancée le 19 septembre dernier à New York par cinq pays fondateurs - le Brésil, le Chili, la France, la Norvège, le Royaume-Uni - ainsi que par l'OMS, en présence du Secrétaire général des Nations unies. Le premier conseil d'administration s'est tenu à Genève, au début du mois d'octobre. A cette occasion, nous avons validé l'architecture d'UNITAID et surtout décidé de lancer, sur le budget 2006, de premières actions concrètes de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Autant le dire d'emblée : ce projet historique, et que certains tenaient parfois pour idéaliste ou utopique, est aujourd'hui devenu réalité.
Le constat, vous le connaissez : c'est le drame quotidien que constituent les trois pandémies de sida, de paludisme et de tuberculose. Nous vivons aujourd'hui un état d'urgence mondial. Plus de 40 millions de personnes sont infectées par le virus du sida. Le paludisme a déjà tué 2 millions de personnes en 2006, dont un million d'enfants de moins de 5 ans. Plus de 8 millions de personnes, enfin, contractent chaque année la tuberculose. L'effet est d'autant plus dévastateur que les épidémies conjuguent leurs effets : la tuberculose est ainsi la première cause de mortalité des malades atteints par le VIH/sida.
Devant ce drame planétaire, indigne de notre époque marquée par tant de conquêtes scientifiques, tous les pays ne sont pas sur un pied d'égalité. Les plus pauvres, les plus vulnérables d'entre eux sont aussi les premières victimes. 95 % des patients atteints par le VIH vivent ainsi dans les pays à faible revenu. La courbe des infections augmente dramatiquement en Asie. Quant à l'Afrique sub-saharienne, qui représente 10 % de la population mondiale, elle compte 70 % des personnes infectées par le VIH, 80 % des nouveaux cas de paludisme et 25 % des cas de tuberculose.
Le constat est d'autant plus accablant que nous savons comment traiter ces maladies. Comment, dès lors, donner accès aux médicaments aux populations les plus pauvres, qui sont aussi les plus touchées ?
Répondre à cette question, c'est la raison d'être d'UNITAID. La facilité internationale d'achat de médicaments a été créée sur la base de 2 idées simples, en tenant compte des efforts de chacun : pays du Sud, pays de l'OCDE, organisations internationales.
La première idée, c'est que les programmes de lutte contre la tuberculose, le paludisme et le sida, nécessitent des financements de long terme, stables et prévisibles. Il est possible, nous le savons, de financer une campagne de vaccins sur 18 mois. Mais traiter des patients atteints par le sida, cela nécessite des efforts durables et continus, c'est un véritable engagement sur l'avenir. Pour éradiquer le paludisme ou la tuberculose, des programmes de plusieurs années doivent être également prévus. Pour mettre sur pied UNITAID, il était donc impératif de trouver comment garantir des financements d'une durée minimale de 5 ans, sans aucune interruption.
La deuxième idée découle de la première. Les crédits traditionnels de l'aide sont soumis chaque année aux aléas économiques, aux votes des Parlements et aux incertitudes des conférences de "replenishment". Nous devions donc trouver des financements innovants, complémentaires et additionnels, qui puissent garantir la stabilité et la prévisibilité des programmes. Pour cela, un grand nombre d'options a été examiné en réunion par des experts internationaux.
Il est apparu qu'une des meilleures sources de financement pour garantir ces programmes, c'est la contribution sur les billets d'avion. En France, une loi a été votée et, depuis le 1er juillet 2006, un forfait variable est instauré en fonction des tickets, à savoir : un euro pour les vols européens en classe économique et dix euros pour les vols internationaux en classe économique.
Au départ, les compagnies aériennes étaient très réticentes. Mais les enquêtes ont montré depuis lors que cette contribution était indolore. Aujourd'hui, nous n'avons plus aucune plainte des compagnies aériennes. Bien au contraire, plusieurs agences de voyage ont décidé de communiquer sur UNITAID dont les objectifs de solidarité sont devenus, en quelque sorte, de nouveaux arguments éthiques de vente.
UNITAID, c'est aussi et peut-être avant tout une volonté politique collective. Grâce aux efforts des Etats fondateurs et des organisations partenaires, l'OMS, l'ONUSIDA, l'UNICEF, le Fonds mondial, grâce au soutien des ONG et de fondations, comme la fondation Clinton, UNITAID a été mise en place en un temps record et nous avons tout lieu de nous en féliciter.
Des principes très clairs ont été établis pour améliorer l'accès des patients aux médicaments et aux traitements de qualité qui permettent de lutter contre la tuberculose, le paludisme et le sida.
Je pense tout d'abord aux programmes que nous finançons, en fonction de "niches" spécifiques, en complémentarité avec les autres donateurs. UNITAID a pour vocation de concentrer ses efforts sur les marchés où son impact sera le plus important, c'est-à-dire là où la baisse des coûts des médicaments et l'amélioration de l'approvisionnement en produits de qualité seront les plus fortes et les plus importantes. 85 % des fonds recueillis par UNITAID seront donc alloués, et c'est bien compréhensible, aux pays aux plus faibles revenus.
Ensuite, UNITAID vise à mettre en place, pour chacun de ces programmes, un partenariat ad hoc avec une organisation existante, comme le Fonds mondial, l'OMS ou encore la Fondation Clinton. Pour les nouveaux médicaments contre le paludisme, UNITAID travaille ainsi notamment avec l'UNICEF, qui en assurera l'approvisionnement sur le terrain.
Enfin, UNITAID n'a pas vocation à donner naissance à une nouvelle bureaucratie, bien au contraire. Son fonctionnement est extrêmement souple, et doit le rester : son fonds fiduciaire est adossé à l'Organisation mondiale de la Santé ; son secrétariat exécutif comptera à terme une quinzaine d'experts à Genève ; son Conseil d'administration réunit enfin les principaux contributeurs et des ONG, des communautés de personnes vivant avec les maladies, mais aussi, et je tiens à le souligner, des représentants des continents africain et asiatique.
En effet, UNITAID est le fruit d'une véritable concertation entre pays du Nord et pays du Sud. Deux des cinq pays fondateurs sont des pays en développement. Avec l'arrivée prochaine de la Côté d'Ivoire, de Maurice, de Madagascar entre autres, les pays du Sud pourraient ainsi être plus nombreux à financer UNITAID que les pays de l'OCDE. J'y vois là un exemple de responsabilité et de courage qui inspirera, je l'espère, l'ensemble de nos partenaires du Nord.
Je vous le disais tout à l'heure, de premières actions concrètes, de terrain, sont en train d'être lancées. Nous le devons tout d'abord aux contributions des 5 pays fondateurs, puisque le budget, qui atteint 65 millions d'euros en 2006, devrait dépasser 300 millions d'euros à partir de 2007 et s'élever à 500 millions d'euros en 2009, étant donné la montée en puissance des mécanismes innovants et l'arrivée de nouveaux contributeurs.
Six programmes mobiliseront les ressources d'UNITAID pour la période 2006-2007 :
- les médicaments anti-sida et anti-paludisme spécifiquement dosés pour les enfants ;
- les anti-rétroviraux de seconde ligne et les médicaments pour les tuberculoses ultra-résistantes, c'est-à-dire des traitements pour des malades atteints du sida ou de la tuberculose dont les virus ont muté ;
- les nouveaux médicaments à base d'artémisinine contre le paludisme, plus coûteux mais beaucoup plus efficaces ;
- le soutien financier au programme de pré-qualification de l'OMS, pour favoriser une sortie plus rapide des nouveaux médicaments contre les pandémies sur le marché ;
- une action spécifique avec l'OMS et l'UNICEF pour appuyer des programmes de prévention contre la transmission des maladies de la mère à l'enfant.
Par ailleurs, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et UNITAID ont conjointement décidé qu'UNITAID financerait une partie des projets du Fonds mondial en 2007, à hauteur de 5 %.
C'est logique étant donné qu'UNITAID n'entend dupliquer aucune initiative existante, mais au contraire appuyer en toute liberté l'acteur qui, dans tel ou tel domaine, est le mieux placé : il en va ainsi du Fonds mondial pour les nouveaux médicaments contre le paludisme, qu'UNITAID a décidé de soutenir pour maximiser l'impact sur le prix des produits.
Certains d'entre vous le savent : lorsqu'UNITAID a été créée, beaucoup d'interrogations sont nées sur ses relations avec le Fonds mondial. Ces interrogations sont légitimes, car UNITAID intervient sur les mêmes pandémies et il serait peu logique de créer de nouveaux mécanismes au moment où les défis et les besoins de financement sont si importants.
En réalité, UNITAID agit de manière étroitement articulée avec le Fonds mondial. Ainsi, UNITAID concentre son action uniquement sur les traitements. Les programmes financés sont très ciblés, l'objectif étant de faire diminuer le coût des médicaments ou de solvabiliser les tests sur des "niches" particulières. Enfin, UNITAID repose sur des financements innovants qui visent à l'établissement de programmes stables sur le long terme. Tout ceci explique qu'UNITAID ait d'emblée établi un partenariat très fort avec le Fonds mondial, comme avec l'OMS, l'UNICEF ou la fondation Clinton.
Complémentaire des autres acteurs, UNITAID entend agir sur le coût, la qualité et l'approvisionnement des traitements contre les grandes pandémies. Cet engagement est aujourd'hui plus que jamais nécessaire. Lors de son lancement le 19 septembre à New York, personne ne s'y est d'ailleurs trompé : comme j'ai pu le constater, l'ensemble de la communauté des bailleurs a salué la naissance d'UNITAID et rendu hommage à son caractère innovant.
Aujourd'hui, UNITAID existe et agit. Mais, pour favoriser un accès toujours plus large aux médicaments, nous avons besoin de l'apport et du soutien concret de bien d'autres pays. Chacun des membres de la communauté internationale est concerné par ce combat. Il serait donc naturel qu'ils viennent y contribuer, en fonction de leurs capacités naturellement, pour que d'autres ressources innovantes viennent alimenter et faire grandir cette nouvelle mondialisation de la solidarité.
Madagascar, un pays pourtant pauvre, vient d'annoncer sa participation. Des pays touristiques, comme Maurice ou Chypre, viennent également de décider de mettre en place une faible taxe sur les billets d'avion. Avec le soutien du ministre Ban Ki-Moon, la Corée du Sud a aussi fait le choix de participer à UNITAID dès le début de l'année 2007. En tout, ce sont donc 18 pays qui ont choisi d'agir au service d'UNITAID, sans oublier les quelque 40 pays qui participent au groupe pilote sur les financements innovants.
Nous comptons aussi sur l'engagement des organisations internationales, qui doivent elles aussi se mobiliser, aux côtés des Etats du Nord et du Sud. Je pense naturellement à la Commission européenne, qui a fait de l'Afrique sub-saharienne le continent prioritaire de sa politique de développement, en accord avec les Objectifs du Millénaire. La Commission européenne a la chance de pouvoir s'appuyer sur des programmations budgétaires sur 7 ans. Je suis convaincu qu'elle peut disposer des moyens de contribuer à UNITAID et je l'encourage d'ailleurs à le faire, dès la période 2007-2013.
Comme l'ont réaffirmé les Nations unies lors du Sommet du Millénaire, la santé est un bien commun à l'ensemble de l'humanité. La santé, c'est aussi, avec l'éducation, la condition première de tout développement. UNITAID fait partie de ces initiatives qui peuvent nous rapprocher des grands objectifs fixés pour l'horizon 2015. Face à l'état d'urgence que nous connaissons, il est plus que temps d'agir. Je forme donc le voeu qu'a son échelle, chaque pays trouve la volonté de contribuer à l'initiative UNITAID, pour un monde plus juste, plus responsable et plus solidaire.
Je vous remercie et suis bien évidemment à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2006