Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à BFM le 8 novembre 2006, sur la place des entreprises dans l'économie française, la durée du travail et sur ses propositions pour aménager la rémunération des heures supplémentaires.

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Média : BFM

Texte intégral

Q- Il y avait un homme, hier, qui nous disait qu'il fallait mettre l'environnement au sommet de la campagne, et sur BFM, il y a beaucoup de patrons qui nous disent qu'il faudrait que l'entreprise soit au sommet de la campagne. Pensez-vous que cela pourrait être sa place ?
R- En tout cas, il faut jouer les forces de la France, et parmi les forces de la France, il y a l'entreprise. Cela fait des mois et des mois, peut-être des années que j'ai fait, sans micro, sans caméra, le tour de dizaines et dizaines d'entreprises françaises, avec un seul critère : c'est de voir ce qui fait que dans la mondialisation qui est difficile, dans le combat de la globalisation, il y a beaucoup d'entreprises qui s'en sortent, qui tirent leur épingle du jeu, qui progressent et qui gagnent des parts de marché. J'ai observé qu'il y avait là des forces beaucoup plus importantes qu'on ne le croit, généralement, dans le monde politique. C'est vrai qu'il y a des difficultés, mais c'est vrai aussi qu'il y a des atouts qu'on ne joue pas assez. Il me semble qu'il faut jouer ces atouts.
Q- On va y venir, mais est-ce que très simplement, vous seriez d'accord ce matin pour dire tout part de là ? Tous les débats sur la croissance, sur le pouvoir d'achat, tout part de là, de l'entreprise ?
R- Tout part de l'entreprise, tout part des entrepreneurs et tout part de l'esprit d'entreprise. Tout part de la création, de l'innovation, et de la recherche. Ce qui est frappant en France, c'est qu'on n'a pas, jusqu'à maintenant, le sentiment que toutes les décisions publiques sont ordonnées pour soutenir, reconnaître, aider l'entreprise et la création. C'est cela, qui, à mon sens, stratégiquement, doit être affirmé. Il n'y a pas de réussite possible, pas de croissance possible, pas d'augmentation du pouvoir d'achat possible, il n'y a pas probablement de stratégie de développement durable sans un tissu d'entreprises fort, très fort, reconnu et aidé.
Q- Deux éléments : que faites-vous des 35 heures ?
R- Avant d'aborder les 35 heures, pour être logique dans le développement de notre affaire, je propose un "small business act" à la française. Vous savez que ces cinquante dernières années, les Etats-Unis ont mis en place - depuis cinquante ans, depuis 1953 exactement - une politique de soutien à la petite entreprise, avec une idée qui est simple mais stratégiquement forte : les entreprises moyennes de demain, ce sont les petites entreprises d'aujourd'hui, il faut dont les protéger et les aider. Et ce "small business act" à la française, à l'européenne, un jour, j'espère - vous savez que je crois aux stratégies européennes - est marqué par deux grands chapitres. Premier chapitre : une simplification, une adaptation de tout ce qui est réglementation, contraintes, contrôle au bénéfice de la petite entreprise qui n'a pas les moyens, qui n'a pas les DRH, qui n'a pas les avocats en droit social, qui n'a pas tous les moyens de la grande entreprise... Et deuxièmement, il y aura les marchés publics.
Q- Il y aura les marchés publics. On va y revenir mais juste un mot...
R- Vous avez tout compris.
Q- Mais juste un mot sur les contrats de travail. Les patrons vous demandent de libérer le travail : est-ce que dans ces simplifications, on va vers un contrat de travail beaucoup plus simple et non pas l'empilement de dix, douze, quinze formes de contrat de travail aujourd'hui ?
R- C'est ridicule et improductif. Au fond, il y a deux contrats de travail nécessaires : le CDD et le CDI. Le CDI doit être beaucoup plus répandu qu'il ne l'est aujourd'hui, ce qui fait qu'il faut régler ce que j'appelle le CDI à droits progressifs, c'est-à-dire une entente par les partenaires sociaux sur ce que doivent être les modalités de la rupture du contrat de travail, si elle est nécessaire, et l'indemnité de licenciement, de manière que tout cela ne soit pas fragilisant en face de la signature d'un CDI. Beaucoup ne les signent pas, parce qu'ils s'inquiètent. Il me semble que l'on peut répondre à ces inquiétudes et il faut le faire en s'en ouvrant clairement aux partenaires sociaux.
Q- Quand on signe un CDI, on sait exactement à quoi on s'engage, on a de la visibilité ?
R- On sait exactement à quoi on s'engage, on a de la visibilité, et donc on n'a pas peur.
Q- Les marchés publics, alors ? L'idée, c'est d'en réserver une part aux PME-PMI, c'est ça ?
R- L'idée, c'est d'en réserver une part aux PME-PMI, comme cela se fait sur le grand continent américain et comme cela se fera, je le crois, un jour, en Europe.
Q- Revenons aux 35 heures parce que c'est aussi au coeur de la stratégie aujourd'hui, des entreprises, de chercher à libérer le travail. Que fait-on des 35 heures, F. Bayrou ?
R- Vous savez que je pense depuis longtemps et depuis le premier jour que la manière dont les 35 heures ont été organisées en France ce n'est pas seulement une erreur, c'est une faute. Donc, en même temps, on ne peut pas ignorer que beaucoup de salariés ont trouvé un équilibre dans ces 35 heures, et donc, je propose que l'on aille vers une stratégie qui simplement règle la question par des heures supplémentaires, qui soient ouvertes, contractuelles et neutres pour les entreprises, avec une prime beaucoup plus importante pour le salarié. Je vais m'adresser une seconde aux salariés...
Q- Je vous en prie, vous êtes sur BFM, vous êtes là pour cela...
R- Il est absolument injuste et scandaleux que lorsque vous êtes dans une entreprise de moins de vingt salariés et que vous faites une heure supplémentaire, que vous touchiez seulement 10 % de prime, alors que si vous êtes dans une entreprise de vingt-et-un salariés, vous touchez 25% de prime. Je trouve cela scandaleux et choquant. Donc je suis pour que la prime soit égale entre petites et grandes entreprises, je suis même pour qu'on l'augmente jusqu'à 35 %, et que pour qu'elle soit neutre pour l'entreprise, on défalque cette prime des charges sociales payées sur l'heure supplémentaire. Ainsi, si une heure normale rapporte 100 au salarié, elle coûte à peu près 200 à l'entreprise ; je propose que l'heure supplémentaire rapporte 135 au salarié et qu'elle coûte toujours 200 à l'entreprise.
Q- Mais comment trouve-t-on l'argent pour les comptes sociaux ?
R- Deux choses. Premièrement, lorsqu'un salarié a cotisé 35 heures, il a payé sa part de la solidarité nationale et il n'y a pas de raison d'accroître excessivement cette charge. Deuxièmement, comme je pense que l'on fera davantage d'heures supplémentaires, cela fera des rentrées supplémentaires, parce que deux heures supplémentaires qui rapportent 65 de prime, cela fait 130, c'est-à-dire beaucoup plus que les 100 qui sont habituellement...
Q- Mais ça, l'air de rien F. Bayrou, c'est fondamental. C'est-à-dire que vous considérez que le travail n'est pas cette idée du gâteau que l'on devrait se partager, quitte à n'en avoir que les miettes.
R- Je considère que le travail ne se divise pas, cela se multiplie. Ce n'est pas de l'arithmétique, c'est de la dynamique. Les gens qui pensent qu'il faut perpétuellement partager la pénurie n'ont pas la même vision de l'économie que nous avons, et que partout dans le monde, tous ceux qui soutiennent des économies dynamiques et solides, ont.
Q- Une question politique : ce matin, les cheminots vont bloquer le boulot d'un certain nombre d'acteurs économiques, que fait-on face à ces espèces de grèves perpétuelles ?
R- Les cheminots, ce qui est frappant aujourd'hui, c'est que l'on ne voit pas de véritable motif à cette grève. On a le sentiment que la grève a été décidée alors qu'on cherchait le motif. Il y a donc là un déficit de dialogue social. J'ai eu l'occasion de parler avec un certain nombre de responsables de la SNCF, et ce n'est pas sa présidente, qui est mon amie, A.-M. Idrac, que je vise, c'est un certain nombre d'autres responsables de l'entreprise. Il me semble que derrière cette grève, derrière ces derniers épisodes, il y a une perspective de dialogue social plus riche qui est en train de se construire peu à peu. Je suis plutôt plus optimiste - c'est agaçant - mais j'ai l'impression que ce sont les derniers soubresauts dans un dialogue social un peu bloqué.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 novembre 2006