Interview de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, à RTL le 18 janvier 2001 sur l'affaire des faux passeports dans le football professionnel, la violence dans les stades, le Tour de France et la candidature de Paris pour les Jeux Olympiques 2008.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Concernant l'affaire des faux passeports qui touche les clubs de Saint-Etienne, de Metz, de Monaco, croyez-vous encore en l'honnêteté du championnat de France de football de première division ?
- "C'est une affaire grave et importante. La Ligue a pris des premières décisions. D'autres suivront parce qu'on touche à l'éthique du sport. Alors, bien sûr, le mouvement sportif a établit des règles pour protéger le sport national par rapport à l'arrêt Bosman en disant qu'il ne faut pas plus de trois joueurs extra-communautaires. Il établit ces règles et certains trichent. Je suis avec attention cette affaire."
Quand vous voyez que les dirigeants et le club dans l'histoire de Saint--Etienne ont été plus sanctionnés que les joueurs eux-mêmes, trouvez-vous cela légitime ?
- "Je le pense parce que quelque part les joueurs ont quand même été un peu manipulés."
Les dirigeants de Saint-Etienne se plaignent en disant que la décision a été trop rapide et qu'après tout les tribunaux ne se sont pas encore prononcés.
- "Il faut laisser la justice agir et je sais que les dirigeants de Saint-Etienne ont fait appel. Il faut attendre les résultats de cet appel."
L'ouverture à tous les joueurs étrangers, quelque soit leur nationalité et sans limite, vous paraît-elle être une bonne solution pour éviter la triche justement ?
- "Non, surtout pas, parce qu'on a quand même besoin que les jeunes joueurs, issus de nos centres de formation, puissent trouver dans nos clubs des perspectives, puissent y jouer. Il faut préserver des championnats nationaux. De nombreux pays dans l'Union européenne veulent protéger leurs structures. Le sport se développe à partir de ses racines nationales, de ses clubs. Vous savez que si on a adopté la déclaration sur la spécificité au Sommet de Nice de l'Union européenne, c'est justement pour protéger cette singularité du sport à qui on ne peut pas appliquer la libre concurrence et la libre circulation. Le sport n'est pas une entreprise."
Que pouvez-vous dire aux supporters français du football qui constatent qu'on fait venir des joueurs, qui ne sont pas de première catégorie, avec de faux passeports, tandis que les meilleurs joueurs français, eux qui sont champions du monde, s'en vont jouer dans des clubs étrangers. Il y a quelque chose qui ne va pas, la France n'est pas à jour !
- "Que des joueurs français aillent jouer à l'étranger ou que certains clubs fassent venir des joueurs étrangers, je n'y suis pas opposée a priori."
Vous savez pourquoi ils le font : pour des raisons fiscales.
- "Non ce n'est pas que cela. C'est aussi un besoin d'expérience, un besoin de jouer dans des grands clubs. Concernant les raisons fiscales, on a mis en place un groupe de travail avec M. Parly sur la façon de gérer le pécule que pourrait se faire les joueurs. Cela existe déjà en partie dans le foot. On veut l'élargir à d'autres sports professionnels. Je ne pense pas que ce soit la principale raison. Ce qu'il faut, c'est qu'il y ait des échanges. Je ne suis pas contre les échanges entre différents pays au niveau du sport, mais il faut également faire en sorte que les joueurs issus de nos centres de formation trouvent leurs places dans nos clubs."
Mais la France parviendra-t-elle à se faire entendre ? Parce qu'on voit que finalement, dans les pays voisins de la communauté européenne encore une fois, les problèmes fiscaux et autres sont beaucoup moins draconiens qu'ici et donc nos joueurs s'en vont.
- "J'ai l'impression que la France s'est faite entendre à travers la déclaration sur la spécificité du sport. Vous savez que c'est un combat de plusieurs années de faire entendre qu'on ne peut pas laisser la loi de la jungle régner dans le sport au niveau de l'Union européenne et qu'il faut se donner des mesures de protection. J'espère qu'on aboutira par exemple sur une mesure concernant l'interdiction des transactions commerciales sur les jeunes mineurs. Cela me paraît une évidence. Cela existe déjà dans la loi française. C'est une des propositions qui est en train d'avancer au niveau de l'Union européenne. Prenons l'Italie comme exemple, puisqu'on parle foot : en Italie, aujourd'hui, beaucoup de voix s'élèvent pour dire : "attention, on est en train de perdre ce qu'était le foot italien, de faire en sorte que nos joueurs ne trouvent plus leurs places dans les clubs italiens." En Espagne aussi, ce débat commence à venir. La France a pris des initiatives qui vont être suivies."
Pour en revenir à la triche : faites-vous confiance aux dirigeants du football français et notamment professionnels ?
- "Je fais plutôt confiance en général aux dirigeants du mouvement sportif français. Je discute avec eux. Il semblerait que la Ligue ait décidé d'aller au bout de cette affaire."
Quand vous entendez ce matin que le président de la ligue justement, G. Bourgoin, est mis en examen dans ses activités professionnelles et industrielles, cela vous gêne-t-il ?
- "Je ne dois pas porter jugement sur une mise en examen. La présomption d'innocence existe. M. Bourgoin a été élu président de la ligue. J'en suis là."
Justement il y a du sport avec lui parce qu'il a une vision très libérale des choses. Il voudrait la cotation des clubs de football en Bourse, les droits de retransmission de télévision pour les clubs etc...
- "J'ai reçu à deux reprises le président de la Ligue et il ne me tient pas ce discours. La volonté de cotation en Bourse est abandonnée parce que chacun a réfléchi et a constaté que dans les pays où cette cotation est ouverte, peu de clubs se précipitent pour y aller parce qu'il y a des expériences plutôt négatives. Et sur les droits télé, c'est une question de bons sens. Si on veut que le sport garde sa cohésion entre sport professionnel et sport amateur, il faut que l'argent qui arrive dans le sport, comme l'argent des droits de télévision, soit redistribué au sein des fédérations. Si c'est donné aux clubs, il n'y aura pas de redistribution."
Autre chose : la violence. On a entendu dans le journal le témoignage d'un arbitre agressé lors d'un match à Strasbourg. Il y aussi toute la violence qui se déchaîne sur les matchs contre les arbitres à l'occasion de matchs de catégories inférieures. Vous, ministre des Sports, pouvez-vous faire quelque chose contre cela ?
- "Oui, on a commencé il y a deux ans en Seine-Saint-Denis lorsque, à juste titre, le district de football avait arrêté les matchs parce qu'il y avait trop de violences. Nous avons mis en place un système, avec le ministère de l'Intérieur, d'officiers référents au Sport qui travaillent de façon très fine avec le mouvement sportif pour prévenir, pour juger les matchs à risques. Et nous avons décidé avec D. Vaillant, il y a quelques semaines, d'élargir ce dispositif à 26 autres départements. Et en février, nous allons mettre une commission nationale de suivi pour voir comment ce dispositif nous permet de faire reculer la violence. Il y a cette violence, il y a ces problèmes de faux passeports, ces problèmes d'argent etc. Mais le sport, ce n'est pas que cela. J'ai envie de dire aux jeunes et aux familles de continuer à venir dans les clubs parce que le sport c'est aussi le plaisir et le bonheur."
Ce n'est pas que cela bien sûr, et d'ailleurs on applaudit souvent aux exploits sportifs. Que répondez-vous à R. Virenque qui dit qu'on lui a dit qu'il fallait qu'il avoue, qu'il a avoué, et que résultat, il est suspendu et ne peut plus faire son métier ? N'y a-t-il que les candides qui soient sanctionnés ?
- "Il est tout à fait normal que le mouvement sportif applique des procédures disciplinaires lorsqu'il y a dopage."
Oui mais il dit que lorsqu'on n'avoue pas, on peut continuer à faire son métier, et quand on avoue, on est sanctionné" ?
- "Il y a d'autres sportifs qui ont connu la même situation. C'est une décision du mouvement sportif. On ne pouvait quand même pas laisser des cas de dopage sans sanction."
Vous savez que les sponsors du Tour de France s'interrogent. Croyez-vous qu'il faut continuer à organiser le Tour de France, malgré tous les soupçons qui pèsent sur cette course ou sur le milieu cycliste ?
- "Il faut continuer à organiser le Tour de France. Ce serait terrible que ce qui est peut-être la plus belle initiative sportive populaire disparaisse. Et j'ai envie de dire aux sponsors que ce n'est pas le moment de partir. Ils se sont servis du Tour de France pendant des années avec l'image que leur donnait cet événement sportif. Aujourd'hui, il y a un combat qui est engagé pour que ce Tour de France se déroule autrement, dans la clarté et la transparence. C'est le moment au contraire de participer à ce combat."
Quand vous allez féliciter L. Armstrong pour sa victoire, vous n'avez pas d'arrière-pensées ?
- "Je n'ai pas eu l'occasion de le faire mais je pourrais le faire dans tous les événements sportifs, parce qu'il n'y a pas que le cyclisme qui est touché. J'essaie d'aborder le sport de façon sereine et de me battre contre les dérives, mais il faut quand même le redire à chaque fois : le sport, ce n'est pas que ça. Hier soir, j'étais avec tous les champions du monde et les médaillés olympiques français et on a passé une très bonne soirée avec des hommes et des femmes qui font le sport de belle manière."
Haut les coeurs ! Paris est vraiment candidate pour les JO de 2008 ?
"Oui et j'espère qu'on va y arriver."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 19 janvier 2001)