Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à RTL le 1er mars 2001 sur le financement de la crise de la vache folle, l'encouragement à une agriculture de qualité et les mesures pour éviter l'épidémie de fièvre aphteuse.

Prononcé le 1er mars 2001

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Vous avez décidé, en faveur de l'élevage, des aides sélectives et plafonnées. Pensez-vous convaincre ceux qui parmi les agriculteurs montrent leur hostilité au Premier ministre ?
- "Ce n'est pas ce que je cherche. Je cherche surtout à aider ceux qui en ont le plus besoin, à venir en aide et à témoigner de la solidarité nationale à l'égard des éleveurs les plus touchés par cette crise. On a fait un dispositif qui sera efficace de ce point de vue parce qu'il est juste, ciblé, modulé et plafonné."
Au total, votre ministère a calculé que la crise de la vache folle avait coûté 11,4 milliards jusqu'au jour d'aujourd'hui. Sur quel budget va-t-on prendre cette somme ? Celui de l'agriculture ?
- "Dans les 11,4 milliards, il y a aussi les interventions européennes. Mais il y a un gros effort de plusieurs milliards de francs pour le budget de l'Etat. On compte aussi les mesures sanitaires, le stockage et l'élimination des farines animales qui pèsent d'un poids lourd. Ce sont des mesures qui sont financées par la solidarité nationale, c'est-à-dire par le budget de l'Etat, ce que l'on appelle les "décrets d'avance" qui permettent de répartir la charge sur différents ministères."
Sans augmentation d'impôt ?
- "Sans augmentation d'impôt."
C'est garanti ?
- "C'est garanti par L. Fabius. Toutes les décisions, annoncées par moi ou par d'autres, sont des décisions à caractère interministériel qui engagent tout le Gouvernement."
Que répondez-vous à ceux qui, en France, se disent qu'après tout on dépense peut-être beaucoup d'argent pour maintenir un système qui produit finalement de telles aberrations ?
- "Je ne crois pas que cela soit exact. Premièrement, il faut vraiment que l'opinion comprenne - c'est mon devoir de le dire - que parmi tous ces agriculteurs, il y en a beaucoup qui sont aujourd'hui perdus, désemparés, voire désespérés, parce qu'ils sont aussi les victimes d'un système, qu'ils se posent beaucoup de question sur leur avenir et s'interrogent aussi sur leur fin de mois. Nous avons un devoir de solidarité à leur égard. Souvent, je rencontre des électeurs qui me demandent comment je peux encore aider des gens qui manifestent, qui cassent les grilles des préfectures etc. Il faut condamner la violence, mais ceux qui se livrent à ces violences et à ces exactions ne sont pas, à mon sens, représentatifs du monde rural qui est désespéré et désemparé. Il faut qu'on vienne en aide à ce monde rural dont la société a besoin pour ses équilibres profonds, c'est ce que l'on essaie de faire. Mais vous avez en même temps raison : il ne faudrait pas faire comme si rien n'était arrivé, comme si on ne devait pas tirer ensemble les leçons de la crise. Dans le plan d'hier, même si ce n'est pas une mesure de gestion de crise, j'ai souhaité proposer aux éleveurs bovins un contrat territorial d'exploitation fondé sur l'herbe, un contrat herbagé, pour encourager un retour à la qualité et à la traçabilité de ces productions, pour que, à l'occasion de cette crise, on tire aussi une leçon pour revenir à un "produire mieux" et non pas au "produire plus" qui a fait tant de dégâts."
Ne sommes-nous pas justement en train d'assister à la fin d'un rêve français ? Cette mise en cause survient dans un certain nombre de pays européens comme l'Allemagne et les pays scandinaves, où on dit que non seulement le système produit des aberrations mais en plus qu'il ne rapporte rien, car au total, les exportations coûtent plus cher qu'elles ne rapportent. Ces pays disent qu'il faut arrêter cela.
- "Ce n'est pas exact, cela ne coûte pas plus cher que cela ne rapporte. Il est vrai qu'il y a un système dit de restitution, c'est-à-dire d'aides aux exportations, qui est un système coûteux. Mais l'Union européenne le démantèle peu à peu, conformément à des engagements qu'elle a pris devant l'Organisation mondiale du commerce. Nous sommes engagés durablement dans la destruction de ces aides à l'exportation, voire leur disparition à terme. Pour le reste, notre industrie agro-alimentaire, fondée sur ces productions agricoles, est l'une des plus puissantes au monde : la France est la deuxième puissance exportatrice de produits agricoles."
D'autres pays européens ne disent pas cela.
- "Sans doute parce qu'ils ont été moins performants que la France et sont jaloux de la France ! Il faut dire les choses clairement !"
Mais ils veulent arrêter cela. D'ailleurs, pour la première fois face à une crise d'une telle ampleur, ce n'est pas l'Europe qui manifeste sa solidarité et qui agit ensemble. On voit des politiques nationales se développer. N'est-ce pas un début de renationalisation de la Politique agricole commune ?
- "On peut le dire comme cela. En même temps, c'est aussi parce que, aujourd'hui, l'Europe n'a plus beaucoup d'argent dans sa caisse. Elle a tellement d'engagements que nous n'avions pas les marges de manoeuvres nécessaires pour venir en aide aux éleveurs bovins. J'ai donc souhaité, pour malgré tout faire face à cette détresse et pour agir en terme de solidarité, que l'Europe nous donne l'autorisation de le faire au plan national. Mais qu'elle l'encadre aussi. Elle nous a donc fixé des conditions. Une des caractéristiques du plan d'hier est que j'ai voulu qu'on respecte scrupuleusement les conditions fixées. A défaut d'avoir des aides européennes, il y a un cadre européen fixé."
N'assiste-t-on pas à la fin d'une époque quand même ?
- "Peut-être, je ne réfute pas le terme. Cette espèce de course folle au productivisme qui a marqué ces 40 dernières années est à bout de souffle et ensemble, nous devons en tirer les leçons."
Concernant les recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire sur les moutons, quand une décision sera-t-elle prise ?
- "On a entamé un double dialogue : au niveau européen pour que cet avis soit confronté à celui des scientifiques européens, et un dialogue entre l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et les industriels de la charcuterie sur les produits de mouton. Nous sommes en train d'étudier ces choses sereinement - j'allais dire sans faire de bruit, si vous voyez ce que je veux dire..."
Il y aura une nouvelle dans quelques jours ?
- "Quelques jours ou quelques semaines."
Concernant l'épidémie de fièvre aphteuse, on avait repéré en France des moutons qui pouvaient éventuellement avoir été atteints. Avez-vous le résultat des analyses ?
- "A ce stade, nous n'avons toujours pas de cas de fièvre aphteuse. Mais très sincèrement, je ne jurerai pas que nous n'en aurons jamais. L'épidémie semble tellement importante au Royaume-Uni et les vecteurs de transmission sont tellement nombreux... Cela peut venir simplement par le vent : il y a quelques dizaines d'années, l'épidémie de fièvre aphteuse en France avait traversé la Manche et s'était retrouvé sur l'Ile de Wight. Il y a tellement de gens qui franchissent la frontière, qui peuvent amener le virus sous les pneus de leur voiture ou sous les semelles de leurs chaussures que nous prenons aujourd'hui toutes les mesures de précautions. Nous sommes en train d'abattre 50 000 moutons en France, qui étaient importés du Royaume-Uni ou ont été en contact. J'espère que l'on va passer entre les gouttes, mais vraiment, je n'en suis pas sûr."
Il y a une contamination possible par le franchissement des frontières. On a vu qu'à Cherbourg par exemple, on a pratiqué la désinfection des voitures et des camions - ce n'est pas le cas à Calais. Est-ce qu'on pourrait aller jusqu'à imaginer un arrêt du trafic entre la France et la Grande-Bretagne ?
- "Non, parce qu'il y a la liberté d'aller et de venir. La liberté de circulation est une liberté très protégée. Mais ce n'est pas impossible que nous puissions prendre des mesures généralisées de précautions sanitaires aux frontières. D'ailleurs, nous sommes en train de le faire."
Donc, à Calais, ils vont passer à l'acte également ?
- "Ce n'est pas impossible."
Les scientifiques se sont-ils trompés il y a une dizaine d'années quand ils ont recommandé l'arrêt de la vaccination au prétexte que la maladie était éradiquée ?
- "Non, ils ne se sont pas trompés. Il y a des règles de commerce international qui font que pour pouvoir exporter, il faut faire la preuve que l'on n'est plus touché par une épizootie. Et la seule manière de faire la preuve que l'on n'est plus touché par l'épizootie, c'est que l'on n'ait plus besoin de vacciner ! Si l'Europe voulait exporter ses moutons, il fallait être jugé indemne de fièvre aphteuse. C'est la raison pour laquelle on a baissé la garde volontairement sur cette vaccination. Il est clair que si cette épizootie devait se répandre d'une manière plus généralisée, le problème de la vaccination se reposera très vite."
Très vite ?
- "Je le subodore !"
Quand vous dites cela, cela veut dire qu'il y a déjà une mesure en gestation !
- "Oui, on est en train de reconstituer les stocks de vaccins, c'est clair. Il faut se préparer à tout."
Vous pourriez prendre une décision ?
- "Oui, on pourrait, mais on n'en est pas là pour l'instant. Mon souci aujourd'hui est de mettre la France à l'abri de cette épidémie. Je rassure vos auditeurs : ce type d'épidémie ne représente aucune espèce de danger pour les humains et la consommation humaine. Ce serait simplement un tel désastre pour notre élevage au sens large que le sinistre économique serait considérable."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 1 mars 2001)