Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le bilan du sommet franco-britannique et sur la coopération en matière de contrôle de l'immigration clandestine, Cahors le 9 février 2001.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe de MM. Jacques Chirac, Lionel Jospin et Tony Blair, à l'issue du sommet franco-britannique à Cahors (Lot), le 9 février 2001

Texte intégral

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Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier ministre,
Je voudrais avant tout remercier Bernard Charles député-maire de Cahors, président du Conseil général du Lot, l'ensemble des élus et des autorités qui nous ont accueillis, le plaisir de me retrouver dans ma région.
Je ne vais naturellement pas répéter les points nombreux, qui ont fait l'objet de nos discussions et que vous avez évoqués, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre. J'ajouterai peut-être que nous avons eu, notamment avec le Premier ministre, un échange sur la situation économique dans nos deux pays, sur les perspectives économiques en Europe, et nous avons tenté aussi une appréciation des formes que pourrait prendre l'atterrissage, en quelque sorte de l'économie américaine.
Nous espérons, et des signes vont dans ce sens, que ce sera plutôt un atterrissage en douceur qu'un atterrissage brutal, dont les conséquences, bien sûr, sur la conjoncture économique internationale seraient plus fortes.
Cela nous a conduit, bien sûr, au delà de nos relations, à réfléchir ensemble au prochain Sommet de Stockholm, qui comme Sommet de printemps sera consacré aux questions économiques et sociales. Nous avons d'ailleurs, à cet égard, adopté une déclaration qui montre que nous envisageons en commun, de travailler sur certaines des perspectives de Stockholm. Du côté français, nous souhaitons que les Chefs d'Etat et de gouvernement essayent de se concentrer sur quelques grands sujets, pour que la discussion soit féconde dans l'esprit, de ce que nous avions fait à Lisbonne, et aussi à Nice. Nous sommes attachés, les uns et les autres, malgré les nuances parfois entre nous, à ce modèle économique et social européen fait d'équilibre et je crois que c'est dans cet esprit que nous entendons travailler, de façon concrète aussi, par rapport aux préoccupations de nos concitoyens qui ont fait l'une des priorités de la Présidence française, nous avons marqué, à nouveau, y compris par un travail et des décisions communes, l'importance que nous attachons à la sécurité maritime, sur laquelle les deux ministres des transports ont travaillé en commun et aussi sur les problèmes de sécurité alimentaire.
Je ne dirai qu'un mot, parce que le Président en a parlé et le Premier ministre aussi, de ce futur de l'Europe et du débat démocratique. Nous ne voulons pas du côté français, je crois que c'est la préoccupation britannique, que ne soit enjambé, ni confisqué, ce débat démocratique. Nous devons absolument faire en sorte que le débat institutionnel, le débat sur l'architecture future de l'Europe ne soit pas un débat qui soit mené en vase clos par des experts, qui nous feront d'excellentes propositions, mais qu'on puisse prendre tranquillement le temps de débats nationaux, d'un débat européen, auxquels nous associons les représentants des différents courants dans nos pays et auquel nous associons au maximum notre peuple.
Le Premier ministre a eu raison, je terminerai sur ce point, en insistant sur le fait que le gouvernement français a marqué à travers les deux ministres, particulièrement le ministre de l'Intérieur, mais aussi à travers mon engagement propre, le fait que nous entendions aider la Grande-Bretagne à faire face aux problèmes spécifiques d'immigration clandestine qu'elle doit affronter. Naturellement, ces questions sont valables aussi pour notre pays, nous posent des problèmes, y compris d'ailleurs à Calais. C'est une question européenne, mais il y a un problème particulier sur la liaison trans-Manche, nous en sommes tout à fait conscient, et notre volonté politique au-delà des mesures que nous avons déjà prises, est de renforcer encore notre coopération dans ce domaine et d'apporter à nos amis britanniques tout l'appui dont ils ont besoin. Non seulement, cela passe par un renforcement des moyens, des moyens en hommes pour les contrôles, mais aussi par des évolutions importantes. La ratification du protocole de Sangatte interviendra au plus tard en juin 2001, même si nous sommes maintenant en période de vacances parlementaires, bien sûr, pour cinq semaines environ. Cela permettra aux autorités britanniques d'exercer des contrôles sur les personnes dans les gares françaises concernées et aux autorités françaises d'ailleurs, de faire de même en territoire britannique pour l'entrée en France.
Nous allons également adopter des modifications législatives qui sont nécessaires pour permettre de donner à la liaison Paris-Calais-Londres par l'Eurostar le caractère d'une liaison internationale permettant donc d'assurer une sécurité identique à celle qui existe sur les liaisons internationales.
Nous prendrons aussi des mesures de renforcement en amont du flux de trafic et là, nous avons le souci, Tony Blair en a parlé avec Guiliano Amato, c'est une question que j'avais évoquée avec lui au Sommet de Turin, récemment, nous avons besoin de travailler aussi avec l'Italie, parce que les flux migratoires venant notamment des Balkans, des pays de l'ex-Yougoslavie arrivent souvent d'abord en Italie, parce que la géographie, naturellement, le veut. Pour traiter de toutes ces questions nous mettons en place une commission trans-Manche comportant des experts, des spécialistes des deux pays, des responsables administratifs pour suivre ces problèmes. A travers cela, nous espérons d'ailleurs, qu'à partir du moment où ces dispositifs seront mis en place et plus efficaces que la question des amendes qu'infligent, on comprend bien sûr pourquoi, les autorités britanniques, aux transporteurs routiers, donc y compris français, puissent être traitées dans un esprit plus ouvert, c'est-à-dire en gardant la même rigueur, la même sévérité pour tous ceux qui peuvent se faire les complices d'un trafic, mais évidemment en laissant la possibilité à ceux qui ont agi de bonne foi, la possibilité de se défendre véritablement, sans être pénalisés.
Pour le reste, je terminerai en disant que nous ne stigmatisons pas les personnes, les hommes et les femmes qui souvent poussés par la misère, par l'espoir d'une vie meilleure viennent dans nos pays. En même temps, nous savons bien que nous ne pouvons pas les accueillir de façon illégale et dans des conditions dignes, donc, nous devons le leur indiquer, de la façon la plus nette. Et puis, par ailleurs, nous savons tous cela, le prétexte à un trafic criminel dont les conséquences peuvent être tragiques pour les migrants eux-mêmes, on l'a vu avec ces plus de 60 ressortissants chinois qui sont morts dans des conditions effroyables, et pour cette criminalité là, qu'elle prenne ce champ ou qu'elle prenne celui de la drogue ou de la prostitution, nos deux pays de concert avec les autres pays européens ont bien l'intention d'être impitoyable dans le respect du droit.
(...)
Q - Je voudrais rester sur ce débat sur l'avenir de l'Europe. Je voudrais savoir si le Premier ministre a une réaction à cette proposition de Fédération d'Etats-Nations ?
Egalement si le Premier ministre britannique pourrait nous donner sa réaction sur l'idée d'une Fédération d'Etats-Nations ?
R - La formule de la Fédération d'Etats-Nations a été employée par le mouvement d'idée, le mouvement politique auquel j'appartiens depuis plusieurs années. Je l'ai utilisée moi-même donc, sur mon rapport à ce concept précis, je le reconnais comme mien. Mais cela laisse quand même au débat le temps de se conduire et de s'ouvrir dans l'esprit que j'ai indiqué tout à l'heure, qui est celui, effectivement, d'un débat démocratique non confisqué et non enjambé parce que l'année prochaine, c'est 2002, l'année suivante c'est 2003, dont l'année prochaine ce n'est pas 2004 !
(...)
Q - Un dernier point, Monsieur le Premier ministre. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ? Vous nous avez dit que des progrès avaient été faits sur l'Eurostar et la police. Vous nous aviez dit à peu près la même chose il y a un an. Quels sont les vrais progrès qui ont été faits ? Est-ce que c'est parce que la France est prête à ratifier plus rapidement ? Et puis, une deuxième chose, est-ce que je pourrais poser à M. Jospin la question suivante : est-ce que c'est votre intention que la Commission trans-Manche s'occupe des questions sociales et également du blocus des ports ?
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R - Oui je crois, comme le Premier ministre Tony Blair, que les nouvelles mesures qui vont être arrêtées au delà du travail qui a déjà été accompli, dans la mesure où elles répondent à des lacunes du droit et aussi à des trous dans les dispositifs de contrôle, je pense que ces nouvelles mesures apporteront véritablement un surcroît d'efficacité et un changement réel. Quant aux questions sociales, s'il en est où s'il en naît, elles seront traitées comme d'habitude entre les deux gouvernements mais pas dans le cadre de cette commission dont l'objet est spécifique et concerne l'immigration illégale et le travail des êtres humains./.
(Source : hppt://www.diplomatie.gouv.fr. le 15 février 2001)