Déclaration de M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, sur son souhait de voir se développer des liens entre la politique d'aménagement du territoire et la politique de la ville, pour une meilleure occupation des lieux et pour que les quartiers d'affaires soient des lieux de vie, Paris le 9 novembre 2006.

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Circonstance : Journées mondiales de l'urbanisme à Paris les 8 et 9 novembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de votre invitation, qui revêt pour moi un caractère hautement symbolique.
Il y a quelques semaines j'ai répondu à l'invitation de l'association internationale COBATY qui souhaitait que je puisse introduire son congrès international ayant pour thème "les villes patrimoniales".
J'y ai rencontré des hommes et des femmes passionnés, engagés, qui ont mis tout leur savoir et leur énergie au service de la Construction.
Je dis Construction avec un C majuscule car ils ont voulu donner un sens à leur action en se mettant au service de la Cité, lieu de vie et d'échanges.
La Société Française des Urbanistes est plus ancienne que l'association COBATY, c'est pourquoi je ne suis pas surpris d'y trouver les mêmes signes.
La conception, la création, la construction nécessitent de véritables qualités de coeur et c'est, selon moi, ce qui caractérise vos professions.
Depuis de nombreuses années, la politique d'aménagement du territoire se développe sans lien véritable avec la politique de la ville. En outre la ville a le plus souvent été abordée sous l'aspect urbanistique et architectural, sans rapport véritable avec les actions de type social portées par la politique dite de la ville.
Cette situation est aujourd'hui dénoncée. L'efficacité de cette action dispersée est mise en cause. Il fallait apporter rapidement des corrections.
La première aura été, avec la ferme volonté de Nicolas SARKOZY, de rapprocher le ministère de l'aménagement du ministère de l'intérieur. Le fait de pouvoir disposer du réseau des préfets, représentants locaux de l'Etat a tout de suite permis d'aborder les problèmes d'aménagement du territoire de façon globale et de mettre en place une politique placée sous le signe du pragmatisme, de l'efficacité et de la cohérence.
La déclaration que vous avez prononcée à Marseille traduisait ce souhait. Elle peut être perçue comme un véritable acte fondateur.
J'y retrouve les principales préoccupations qui sou tendent la politique d'aménagement que je conduis et qui s'applique à l'ensemble du territoire y compris les zones urbaines.
- replacer l'homme au centre des décisions d'aménagement,
- favoriser les échanges en privilégiant les technologies les plus respectueuses de l'environnement,
- mettre en place des stratégies d'aménagement économes des espaces et des ressources naturelles.
Par ailleurs, le thème que vous avez choisi pour ces journées 2006 : "comment les grands quartiers d'affaire peuvent-ils être durables?" me ramène à la réflexion sur l'intelligence, la pérennité de nos choix et des responsabilités que nous devons prendre et assumer devant les générations futures.
Aujourd'hui l'homme sait à peu prés tout faire, mais il y a un domaine sur lequel nos échecs sont patents: nous n'avons pas réussi ces dernières décennies à bâtir des villes.
Nous avons construit des "cités", des lotissements, des quartiers, des zones d'activité, des quartiers d'affaire, mais nous n'avons pas su créer l'osmose qui fait la ville.
Nous avons voulu donner un lieu de résidence. Nous avons voulu développer les zones permettant le travail. Nous avons voulu apporter des services commerciaux et de loisirs. Mais nous n'avons pas créé le lien qui donne à l'homme la possibilité de s'intégrer dans ces ensembles.
Nous n'avons pas réussi parce que nous n'avons pas su comprendre que l'homme n'est pas divisible.
L'homme qui travaille est le même que celui qui se cultive ou fait du sport. C'est le même qui partage son temps avec sa famille ou ses amis, chez lui.
La ville doit être conçue pour lui permettre de passer d'une phase à l'autre le plus aisément possible, sans rupture avec de simples transitions.
C'est donc vers l'homme et ses modes de fonctionnement que vous devez faire porter votre réflexion avant de penser à la structuration de son environnement.
Dans votre déclaration de Marseille vous avez estimé possible de bâtir un nouveau contrat social à la condition que chacun assure la promotion d'une "ville partagée dans ses espaces et ses usages, dans le respect de chacun".
Je partage cette vision qui permet de concevoir de façon globale l'action que l'on doit avoir sur les espaces urbains.
Des erreurs ont été commises par le passé, on ne peut réécrire l'Histoire mais nous avons la possibilité d'améliorer la géographie. Nous devons reconstruire la ville sur la ville.
I) Dans un premier temps il faut reconquérir les centres-villes dont le potentiel n'est que souvent partiellement exploité. Pour cela trois types d'actions peuvent être envisagés :
1) Premièrement il faut valoriser le patrimoine ancien pour qu'il devienne un élément identitaire fort pour tous les habitants de l'espace urbain. Il peut devenir à la fois un élément de fierté et un signe d'appartenance à une communauté plus large que celle du quartier voire de l'immeuble.
2) Ensuite nous devons restaurer la fonction d'habitat au profit d'une population plus large et plus diverse. Savez vous que sur les 2 millions de logements vacants en France la plupart sont situés en centre-ville. Et je ne parle pas de ceux qui pourraient faire l'objet de réhabilitations. Nous avons la possibilité de proposer de véritables parcours résidentiels, il faut l'exploiter.
3) Enfin, le centre-ville est par excellence un espace d'échange et de rencontres, c'est donc le lieu où doivent se situer les activités de service public mais aussi des activités économiques nouvelles. Je pense aux services à la personne qui sont en pleine expansion et représenteront demain un pan essentiel du progrès social. Pour moi la mixité et l'intégration passent avant tout par l'emploi. Ces questions ne se traitent pas de façon identique en périphérie et dans le centre des villes, cependant il faut systématiquement les inclure dans les réflexions d'urbanisme pour conserver aux activités économiques les moyens de se développer.
Les quartiers d'affaire lorsqu'ils sont situés au coeur des villes peuvent recevoir un traitement identique.
Ils ont souvent une identité forte marquée par une architecture de représentation qui peut être valorisée au-delà de la fonction économique. Ils symbolisent toujours la richesse et le pouvoir dans leur aspect le plus froid, voire implacable. Ils ne représentent pas la vie alors que la fonction des édifices qui les composent est de favoriser l'emploi, le développement et le progrès.
Il est important de les réinscrire dans la démarche globale d'intégration et d'utiliser mieux leur potentiel. Il faut y réintroduire des logements, des activités culturelles et de loisir, des services.
Ces quartiers doivent être des lieux de vie à part entière.
II) Pour que la ville puisse être partagée, il faut qu'elle soit ouverte, accessible à tous ses habitants.
Il faut donc impérativement créer les liens entre toutes ses parties.
1) La création de liens se traduit le plus souvent pour un aménageur par la réalisation d'espaces de circulation. Nous devons désormais intégrer la question des modes de déplacement et privilégier les transports collectifs, ceux qui produisent le moins de nuisances et faire la part belle à ceux qui assurent un minimum d'émission de gaz à effet de serre.
2) Mais la création de liens c'est aussi la mise en relation des habitants entre eux et pour cela l'utilisation des nouvelles technologies de communication et d'information doit être étendue à l'intérieur même des villes.
C'est pour cela que j'ai fait accélérer le processus de couverture de l'ensemble du territoire par la Télévision Numérique Terrestre ce qui met à la disposition des opérateurs locaux un moyen d'information exceptionnel. Chacun pourra bientôt savoir ce qui se passe dans sa ville, alors que jusqu'à présent nous savions tout de ce qui arrivait à Paris ou dans le reste du monde mais très peu de l'autre côté de la ville.
Ce sera aussi le moyen pour chacun d'accéder à un bouquet gratuit de 18 chaînes. La cohésion sociale c'est aussi cela.
23) S'il est important de redonner de la densité à la ville, il est aussi indispensable de concevoir des espaces dans lesquels les habitants puissent se rencontrer. Les centres commerciaux ne peuvent pas être les seules nouvelles places publiques.
Les espaces laissés libres aux limites des quartiers peuvent être transformés en points de jonction et non en no mans land objet de convoitises territoriales d'un autre âge.
Les quartiers d'affaires comme les zones d'activité génèrent des flux de transports importants qu'il est indispensable de maîtriser. Il est absolument indispensable d'en réduire les nuisances tant pour l'environnement en diminuant les émissions de gaz à effet de serre, que pour les femmes et les hommes qui y travaillent par l'amélioration qualitative et quantitative des transports collectifs.
En outre ces quartiers disposent souvent d'espaces qui restent inutilisés en dehors des périodes d'activité, notamment le week-end. Une fonction complémentaire ludique ou culturelle pourrait leur être assignée qui permettrai de mieux les intégrer à la ville et d'en faire évoluer l'image.
III) La ville de doit plus être une dévoreuse d'espaces et de ressources naturelles. Ces temps la sont révolus.
1) Nous devons lutter contre l'étalement urbain en utilisant mieux les espaces laissés disponibles du fait des évolutions et des mutations économiques. Je pense notamment aux anciennes zones ferroviaires ou aux friches des anciennes industries.
La destruction de barres, si elle permet de corriger de grosses erreurs, reste un acte violent souvent traumatisant pour des personnes qui voient brutalement disparaître le lieu d'une partie de leur vie. Il ne faut pas rajouter l'incompréhension à la peine en croyant que reconstruire du petit collectif sur les mêmes emplacements suffira à régler les problèmes. La démolition doit offrir la possibilité de repenser globalement la place de l'homme dans l'espace ainsi libéré. Elle donne l'occasion de combler les manques qui rendaient la vie difficile. Manque d'espaces de rencontre, de loisir mais aussi manque de locaux d'activité. La rénovation et la réhabilitation des édifices existants doivent être privilégiées. Ces actions sont positives, elles traduisent une marque d'intérêt envers les habitants.
2) L'urbanisme n'est plus seulement l'art d'utiliser les surfaces. Désormais ce sont tous les éléments naturels qui doivent être pris en compte pour optimiser le rendement énergétique global non seulement des bâtiments, mais de l'ensemble des quartiers.
Votre intelligence alliée à celle des ingénieurs qui mettent au point de nouveaux matériaux et de nouveaux systèmes doit permettre de faire entrer la ville dans une nouvelle ère. La ville, grâce à vous ne doit plus être une consommatrice passive de ressources énergétiques, elle doit désormais pouvoir en produire pour tendre vers l'autosuffisance.
J'ai engagé une véritable lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Je ne limiterai pas mon action aux modes de transports.
Tous les domaines de l'aménagement sont concernés et j'entends que chaque décideur, chaque intervenant dans une opération d'aménagement adopte ce réflexe d'économie et de sauvegarde. Cette démarche est dores et déjà inscrite dans les faits avec la mise en place des "bilans carbone " des contrats ce plan.
3) Ce souci d'économie doit nous conduire à renforcer les synergies entre les espaces urbains d'une même zone.
Le phénomène de métropolisation ne doit plus être vécu comme l'accroissement inéluctable d'une ville au détriment des agglomérations environnantes.
Au contraire, dans la continuité de ce que j'indiquais précédemment, chaque ville doit pouvoir mettre en valeur ses propres atouts et les additionner à ceux de ses voisines par la mise en place de réseaux d'échanges performants. C'est le principe des pôles de compétitivité que Nicolas SARKOZY et moi-même défendons vigoureusement.
La compétitivité des territoires, ce n'est pas une mise en compétition entre eux, c'est au contraire la mise en valeur de leurs compétences et de leurs savoir-faire. Les urbanistes ont leur rôle à jouer dans cette entreprise car ils doivent apporter leur réflexion à la conception de ces nouveaux cadres d'action.
De grands chantiers sont déjà ouverts, je pense notamment au plateau de SACLAY dont le succès ,essentiel pour le positionnement de la France en matière d'enseignement supérieur et de recherche, dépendra pour une part des décisions d'aménagement que nous saurons prendre.
Depuis le début de mon discours, j'ai systématiquement utilisé le pronom personnel collectif "Nous". La raison en est simple, L'aménagement du territoire est une oeuvre collective. La décision ne peut être prise qu'à la lumière d'avis divers, y compris celui des habitants concernés.
La responsabilité de la prise de décision ne se partage pas. En revanche chacun est responsable de l'intelligence qu'il apporte dans la préparation du choix.
Vous vous efforcez au cours de ces journées de trouver des réponses à diverses interrogations sur les quartiers d'affaire, dans la perspective d'élaborer une "charte de développement durable des grands quartiers d'affaire"
Je vous ai apporté ma conception de la politique d'aménagement du territoire en la ramenant à la ville.
Je vous demande ici, solennellement, d'aller plus loin et dans vos travaux d'envisager la ville dans son ensemble.
Pourquoi, et bien tout simplement parce que les quartiers d'affaire sont un des quartiers de la ville. Que la ville doit être envisagée et traitée dans une perspective globale. Que les enjeux aujourd'hui sont identiques quelles que soient les fonctions des quartiers et que le traitement de ces sujets ne souffre aucune exception.
Vos réflexions ont pu vous conduire à une conclusion identique.
La charte que vous souhaitez élaborer doit s'appliquer à l'ensemble de l'espace urbain, et c'est dans ce cadre que peuvent être incluses des prescriptions particulières pour les quartiers d'affaire, comme pour les autres composantes de la ville.
Durabilité, Economie, Intelligence, trois mots dont la complémentarité doit devenir un réflexe dés lors que l'on agit sur la ville.
Il n'est plus envisageable de dilapider nos moyens en construisant des quartiers qui seront démolis dans dix ou vingt ans.
Vous le savez, nous ne sommes pas dans le domaine des décisions de court terme, nous travaillons pour "l'Après".
Nous avons la charge de bâtir un futur dont nous ne verrons peut être pas le présent. Mais peu importe : une société en bonne santé, c'est celle dont le futur est envisageable parce qu'elle vit heureuse dans ses projets.
Je vais paraphraser Le Corbusier qui a dit: "la construction c'est fait pour tenir, l'architecture pour émouvoir" j'ajouterai l'urbanisme et l'aménagement pour proposer une vie meilleure. Et c'est la notre responsabilité, notre devoir.
Je vous remercie de votre attention.Source http://www.journees-mondiales-urbanisme.org, le 8 décembre 2006