Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, sur le dossier médical personnel, Paris le 4 décembre 2006.

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Circonstance : Colloque national "Dossier médical personnel éthique" à Paris le 4 décembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président (du GIP-DMP), cher Jacques (Sauret),
Cher Professeur (Albert-Claude Benhamou),
Mesdames, Messieurs,
La réforme de l'assurance maladie est en marche et elle accélère la modernisation de notre système de santé : après la Carte Vitale 2, le Dossier Médical Personnel en est une illustration supplémentaire. Le DMP inaugure une ère nouvelle pour les nouvelles technologies de l'information dans le domaine de la santé. Vous le savez, avec cet outil, ce n'est pas la prouesse technologique qui nous intéresse mais bien de mettre la technologie au service des patients et des professionnels de santé. Cette avancée nous amène à répondre à des questions éthiques face à cette nouvelle dimension de la relation patient/médecin. Réfléchir à ces questions dès maintenant est donc essentiel pour le développement futur des NTIC appliquées au monde de la santé : c'est pourquoi j'ai souhaité la tenue de ce colloque. Je remercie le Pr. Albert-Claude Benhamou, qui l'a organisé en lien avec le GIP DMP, ainsi que les participants aux réunions Génération DMP.
I/ Le DMP constitue une avancée pour la prise en charge des patients, en organisant davantage les systèmes d'information dans le monde de la santé.
Le DMP est un porte-documents électronique intelligent et sécurisé. Il contient les informations médicales nécessaires à la bonne prise en charge du patient, et est placé sous son contrôle.
Le DMP permet d'améliorer la qualité des soins, en facilitant les échanges d'information entre professionnels de santé.
En situation d'urgence, les professionnels de santé peuvent connaître vos antécédents, vos allergies, votre groupe sanguin pour une prise en charge immédiate et optimale.
Au quotidien, pour les professionnels de santé, le DMP, c'est l'accès à vos derniers examens, aux comptes-rendus d'hospitalisation, à vos traitements.
Il évite ainsi la redondance des soins et les interactions médicamenteuses, responsables à elles seules, de 128 000 hospitalisations par an et de 9 à 11 000 décès.
Pour l'instant, il existe une multiplicité de données informatiques produites par les professionnels de santé, qui se devaient d'être généralisées, ordonnées et partagées, tant entre professionnels qu'avec le patient. C'est l'objectif du DMP.
Rassembler les informations en un lieu unique, grâce à un outil simple d'utilisation, permet aussi de réguler l'échange d'informations, de donner des règles nouvelles de confidentialité et de sécurité.
II/ Le DMP correspond à une véritable attente des Français, qui sont très attachés à la confidentialité dans le domaine de la santé.
* D'après un sondage IFOP publié dans Les Echos et Le Quotidien du Médecin le mois dernier, 86 % de nos concitoyens sont tout à fait favorables à la mise en oeuvre du DMP.
Une étude réalisée en novembre par CSA montre que :
- Nos concitoyens attendent le DMP. Alors qu'il seulement est en phase expérimentale, presque 2/3 de la population pense ouvrir un DMP dans les semaines suivant l'ouverture du service.
- Le DMP est véritablement perçu comme un progrès. Pour nos concitoyens :
1. En premier lieu ( 8.64/10) le DMP permettra aux médecins d'échanger des informations pour éviter la prescription de médicaments incompatibles entre eux
2. Le fait que le patient puisse avoir accès à ses informations médicales est vu comme le deuxième progrès majeur (8.6/10)
3. Ensuite, c'est l'échange d'informations entre médecins pour éviter les visites médicales ou les examens redondants qui est plébiscité (8.46/10)
4. Vient en 4e position, le fait le DMP permette de disposer à tout moment et où que l'on soit d'un dossier médical complet et facile d'accès (8.45/10)
5. Enfin, le DMP est reconnu comme facilitant le travail des professionnels de santé (8.29/10), améliorant la qualité des soins (8.16/10), modernisant le le système de santé (7.72/10), et permettant de faire des économies (7.29/10).
- Le fait que l'on perçoive le DMP comme un service public (69 %) est aussi, dans ce contexte, un élément de confiance. Il est vrai que l'administration n'en est pas à son premier essai en matière de démarches électroniques (ex : déclaration d'impôts sur Internet).
Destiné essentiellement à être consulté en ligne, le DMP est aussi très attendu par les non-Internautes.
* Il y a un an, j'entendais que le DMP ne se ferait jamais. Aujourd'hui, non seulement personne ne contesterait la justesse de cette idée, mais en plus, avec l'expérimentation sur 30.000 dossiers qui a débuté cet été, nous avons pu mesurer sur le terrain les retours liés au DMP. Cela a montré notre capacité à passer du concept à la réalité.
Maintenant les questions portent aussi sur les modalités d'usage.
L'expérimentation apporte d'ores et déjà des enseignements en termes d'usage :
- comme nous en avions l'intuition, il ne peut pas, il ne doit pas y avoir de double saisie.
- les patients consultent beaucoup leur DMP depuis leur domicile.
Cela nous a aussi permis d'avancer sur la sécurisation du dispositif. Nous offrirons la sécurité maximale des données, en fonction de tout ce que nous avons appris sur notre système. Nous avons joué le jeu de la transparence ; lorsqu'il y a eu dans une expérimentation des problèmes de confidentialité, nous en avons parlé, nous les avons corrigés et nous avons renforcé la sécurité en vue de la généralisation. Permettez moi de rappeler que l'un des finalités des expérimentations en cours est de nous permettre de relever les insuffisances actuelles et les difficultés du système. Il est sain que celles-ci apparaissent à ce stade afin, d'y apporter des réponses adaptées dans l'optique de la généralisation.
* Pour résoudre ces questions, nous ne misons pas seulement sur le pragmatisme de l'évaluation de l'expérimentation. C'est une démarche vraiment originale que nous avons instituée pour accompagner la mise en oeuvre de ce dossier. Notre méthode repose sur la concertation, la transparence et la rigueur.
. La concertation d'abord
Le Comité d'Orientation (COR) du DMP composé de plus de 60 représentants des patients et des professionnels de santé est un véritable « parlement du DMP» ou sont débattus les principales orientations du projet.
Concertation sur l'ensemble des textes réglementaires régissant le DMP, à savoir les décrets « DMP », « identifiant », et « confidentialité »
La Mission pour l'informatisation des systèmes de santé (MISS), a mené, à ma demande, une large concertation sur les attentes de tous les acteurs ; un premier bilan sera disponible avant la fin de l'année.
. La transparence ensuite
Le DMP n'est pas un projet technologique ou économique, c'est avant tout un outil au service de ses usagers. La confiance est un facteur essentiel de réussite du projet.
La partie technique du projet étant « sur les rails », j'ai souhaité que l'on rentre dans une véritable phase de démocratie :
- avec l'ouverture, sur le site du DMP, d'un forum Internet afin que chacun des participants à l'expérimentation puisse faire part de son retour d'expérience. Les contributions de ce forum permettent notamment de faire remonter « en temps réel » la perception des usagers de ce nouvel outil, tout particulièrement des patients.
- avec la consultation publique, sur le site Internet du GIP DMP, du décret DMP en cours de préparation, nous avons souhaité que le plus grand nombre puisse faire valoir ses observations. Ce mode participatif est une première dans l'administration. Cette consultation, ouverte jusqu'à la mi-décembre connaît un véritable succès puisque nous avons déjà reçu plus d'une centaine de contributions.
- Nous avons enfin mis en place, en vue de la préparation de ce colloque, de réunions « génération DMP » où chaque catégorie de professionnels de santé a pu faire valoir « sa » vision du DMP mais surtout ses attentes dans ce domaine. Par ailleurs, je tenais à remercier les personnes ayant d'ores et déjà souhaité poser leurs questions sur Internet. Nous apporterons une réponse à chacun.
. La rigueur enfin
Une phase expérimentale de 30.000 dossiers avant la phase de généralisation ; cette expérimentation continuera pour un hébergeur après janvier ; pour les autres, les appels à projets prendront le relais pour l'alimentation du DMP.
Pour la première fois, la réalisation d'un modèle économique sur un projet d'ampleur nationale précisant le coût et le retour sur investissement du projet ainsi que ses leviers d'action. J'ai demandé une deuxième étude, à un cabinet d'audit, afin de mesurer le retour sur investissement.
Le gain direct estimé est de 1 milliard d'euros en année pleine, et le même montant en termes de gains indirects, pour un investissement estimé de 1,2 à 1,5 milliards d'euros sur 5 ans.
III/ C'est cette volonté de transparence qui nous a incité à organiser ce colloque, afin que nous débattions des questions d'éthique liées au DMP.
* L'éthique, est au coeur de la question de confiance mais elle ne concerne pas que les médecins ni même que les professionnels de santé.
Le DMP nécessite, j'en suis bien conscient, la mobilisation de tous les professionnels de santé. La formation des professionnels de santé au DMP doit être une priorité, notamment à l'hôpital. Les doyens de médecine, de pharmacie et d'odontologie sont mobilisés dans ce sens, des formations seront mises en place dans les mois à venir sur l'ensemble du territoire.
Le DMP devant obligatoirement être rempli par le médecin, celui-ci devra être convaincu du bien fondé médical de cet outil, qui en aucun cas, ne se substitue à l'examen clinique. C'est un complément de cet examen : c'est pourquoi la responsabilité médicale n'est ni amoindrie, ni augmentée. Le DMP apporte une valeur supplémentaire à l'analyse du médecin ; on le voit bien dans le cas d'un bilan sanguin : le médecin pourra non seulement expliquer les résultats mais aussi les replacer dans leur évolution.
* Le DMP est aussi l'occasion d'une amélioration de l'échange entre médecin et patient.
Aujourd'hui, d'ores et déjà, le logiciel patient d'un médecin rassemble des informations de même nature ; le DMP n'est que l'interconnexion d'informations déjà existantes.
Le DMP n'a aucune raison de se substituer au dialogue patient/médecin ; il doit en être le support. Dans cette optique, la question de la santé mentale doit en particulier faire l'objet de discussions approfondies, tant en termes de contenu que de confidentialité.
Pour le patient, la véritable nouveauté résulte du fait que la traçabilité de toutes ses pathologies est susceptible d'être concentrée au même endroit. Si c'est une source de progrès indéniable, la transparence ne doit pas être vécue comme une atteinte aux libertés individuelles.
C'est pourquoi j'ai lancé une concertation sur le droit au masquage de certaines informations, en tenant compte à la fois de l'esprit et de la lettre de la loi sur les droits des malades de 2002 et des aspirations des professionnels de santé à disposer de l'information la plus complète possible. La question est de savoir comment s'établit l'équilibre entre les libertés individuelles et l'objectif de suivi thérapeutique. D'après le sondage CSA, les avis des patients divergent. Si pour 52% des sondés il est important de pouvoir masquer certaines informations médicales, 46% des sondés souhaitent un masquage du masquage, tandis que 43% ne le souhaitent pas. Les professionnels de santé ne sont pas davantage unanimes sur ce sujet. C'est pourtant une question essentielle que vos débats permettront, je le souhaite, d'éclairer.
Le DMP donne une place nouvelle aux droits des patients ; c'est l'aboutissement de la loi sur le droits des malades de 2002. Mais ces droits nouveaux nécessitent une information rigoureuse dès l'ouverture de son DMP, voire une formation spécifique, afin que la transparence ne nuise pas à l'objectif fondamental du DMP : améliorer la qualité des soins.
* Nous serons intransigeants quant aux règles de confidentialité et d'accès. Des sanctions sont d'ores et déjà prévues par la loi pour ceux qui enfreindraient les règles de confidentialité du DMP. Elles seront accompagnées de la mise en place, d'un service d'assistance aux usagers qui pourront ainsi avoir un interlocuteur identifié en cas de détournement du DMP.
* Enfin, je souhaite que vos débats aujourd'hui nous permettent d'avancer sur la possibilité de mise en place d'une autorité morale de régulation des systèmes d'information de santé. Nous en étudierons la possibilité après toutes les saisines nécessaires, notamment du Conseil national d'éthique.
Je suis certain que la richesse des débats lors de cette journée nous permettra d'avancer sur les questions que j'ai évoquées. Je souhaite que vos retours nous permettent s'élaborer un véritable « pacte de confiance » du DMP que nous diffuserons à l'occasion de son ouverture en juillet 2007.source http://www.sante.gouv.fr, le 5 décembre 2006