Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nous partageons tous ici le même objectif : la Nouvelle-Calédonie doit se développer dans la paix civile.
Le débat qui nous réunit aujourd'hui, et qui vise à modifier l'article 77 de la Constitution, est tout à notre honneur.
Il impose une double exigence :
- nous respecter les uns les autres, dans nos analyses, nos réflexions, nos positions et nos engagements.
- nous imprégner de l'histoire calédonienne de ces 20 dernières années.
Connaître l'histoire, c'est la comprendre,
Connaître l'histoire, c'est la respecter,
Connaître l'histoire, c'est préparer l'avenir.
Les événements tragiques qu'a connus la Nouvelle-Calédonie entre 1984 et 1988 ont conduit les responsables des principales communautés à trouver des compromis dans le cadre d'accords de paix. Ce furent les Accords de Matignon, en 1988, puis l'Accord de Nouméa, en 1998 : ils ont permis de rétablir et -jusqu'ici - de garantir la paix civile dans ce territoire.
Je souhaite tout d'abord vous rappeler la philosophie générale de ces accords, et notamment de l'Accord de Nouméa, indispensable pour bien comprendre la situation actuelle : ce dernier donne aux habitants de la Nouvelle-Calédonie les instruments nécessaires à la construction d'un destin commun durant une période de transition de 20 ans, à l'issue de laquelle la population se prononcera définitivement sur son avenir.
Trois idées me semblent constituer les piliers de ces accords :
La première : une organisation originale des pouvoirs publics locaux qui a obligé les communautés et leurs responsables à dialoguer et à travailler ensemble.
La deuxième, en corollaire : un rééquilibrage économique et social au bénéfice des populations et des territoires, garanti par l'Etat.
La troisième, une citoyenneté calédonienne réservée aux populations intéressées à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. La définition et les modalités de participation aux scrutins qui déterminent l'avenir de ce territoire sont dérogatoires au droit commun de la République. Les Accords de Matignon définissent ces scrutins : « scrutin pour les élections aux assemblées de provinces et scrutin d'autodétermination » ; l'Accord de Nouméa et la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 en tirent les conséquences juridiques.
Cette révision constitutionnelle a inséré dans la Constitution un titre XIII à vocation transitoire. Il comporte de nombreuses dispositions qui dérogent à nos traditions juridiques : pouvoir législatif local, préférence locale en matière d'emploi, citoyenneté calédonienne dans la nationalité française, impliquant un corps électoral restreint.
La loi organique prise pour l'application de ce titre XIII a fait l'objet de réserves d'interprétations de la part du Conseil constitutionnel le 15 mars 1999 sur la question de la définition du corps électoral spécial appelé à élire les membres du congrès et des assemblées de provinces de Nouvelle-Calédonie.
L'article unique du projet de loi constitutionnelle que je défends ici vise à revenir sur cette interprétation donnée par le Conseil constitutionnel.
C'est tout, mais c'est essentiel.
C'est essentiel car il s'agit d'exprimer du respect à l'égard d'une histoire tragique
C'est essentiel car il s'agit d'aménager cette institution fondamentale de la démocratie qu'est le droit de vote.
C'est essentiel car il s'agit de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Nous devons nous souvenir que le chemin qui a conduit à ces accords a été marqué par le feu et le sang. Les victimes furent nombreuses dans toutes les communautés et parmi les serviteurs de l'Etat.
Le processus de réconciliation engagé, d'abord par les Accords de Matignon, puis par l'Accord de Nouméa, ne doit pas être interrompu. Ce pacte, qui consacre l'existence d'un destin commun et qui clôt définitivement le passé colonial dont il reconnaît les « ombres » comme les « lumières », comporte des concessions mutuelles qui n'allaient pas nécessairement de soi.
C'est ainsi que les partisans du maintien dans la République ont accepté que la question de l'autodétermination soit à nouveau posée au terme d'une longue période de transition, alors qu'elle avait été clairement tranchée, par le référendum local du 13 septembre 1987. De même, ils ont accepté, avec la provincialisation, de partager le pouvoir que la majorité des électeurs leur confiait.
Les partisans de l'indépendance, majoritairement issus de la population mélanésienne, ont accepté de reconnaître la légitimité de la présence des autres habitants de la Nouvelle-Calédonie, et donc leur participation à la détermination d'un destin commun. Dans le même temps ils ont exprimé le souhait d'un corps électoral restreint par crainte que l'équilibre politique entre les communautés ne soit modifié du fait de l'arrivée régulière de nouveaux habitants en provenance d'autres parties du territoire national.
L'existence de ce corps électoral spécial, restreint par rapport au droit commun, constitue donc l'un des aspects essentiels et sans doute le principal point d'équilibre de l'Accord de Nouméa. Le consensus qui a permis la signature de l'Accord n'aurait pas pu être dégagé sans l'assentiment des partenaires de la négociation sur ce point fondamental.
Que dit exactement l'Accord de Nouméa sur ce point ?
Il introduit dans notre droit la notion de citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, concrétisant ainsi le destin commun des communautés qui vivent sur cette terre. Cette citoyenneté implique nécessairement de restreindre le corps électoral, pour certains scrutins, aux habitants ayant la légitimité d'une durée suffisante de résidence sur le Territoire.
Il s'agit d'abord des scrutins d'autodétermination qui seront organisés entre 2014 et 2018. Pour le droit de voter à ces scrutins-là, la cause est entendue : ne voteront que les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1988 ou pouvant justifier d'une durée de résidence continue de 20 ans au 31 décembre 2014, ou d'autres conditions telles que la naissance en Nouvelle-Calédonie, ou la possession du statut coutumier. Le principe de ce corps électoral particulièrement restreint n'est pas contesté.
La seconde catégorie de scrutins concernés est celle de l'élection des assemblées de Province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie (l'assemblée territoriale). Dans ce cas, l'accord prévoit de limiter le droit de vote aux seuls citoyens ayant 10 ans de résidence. Là encore, ce point est acquis et n'est contesté par aucun des signataires. Mais la difficulté vient de ce que l'Accord ne précise pas clairement s'il s'agit d'une condition de 10 ans de résidence figée à la date de la signature en 1998 - système du corps électoral « gelé » comme pour les scrutins d'autodétermination - ou bien s'il s'agit de dix années de résidence à la date de chacun des scrutins successifs - c'est ce qu'on appelle le corps électoral « glissant ».
Nous sommes ici au coeur de la difficulté. Le temps a passé mais la notion d'esprit des Accords de Matignon et de Nouméa demeure et si l'on refuse la notion d'esprit des accords, alors j'utiliserai la notion de logique des accords.
La logique de ces accords était bien de réserver la participation - et je cite les Accords de Matignon - « aux scrutins qui déterminent l'avenir de la Nouvelle-Calédonie » (dont les élections provinciales) aux « populations intéressées à l'avenir du territoire, c'est-à-dire aux électeurs présents dans le territoire à une certaine époque et à leurs descendants ».
Voilà pourquoi, de façon constante depuis 1999, l'Etat, signataire de ces accords, considère qu'il s'agit d'un corps électoral gelé.
L'adoption du projet de révision constitutionnelle permettra de continuer à oeuvrer dans le cadre tracé par l'Accord de Nouméa, qui renvoie expressément sur ce point aux Accords de Matignon.
La logique de l'Accord étant ainsi respectée, nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie pourront envisager sereinement l'avenir, cet avenir qu'il leur appartient de déterminer eux-mêmes avec le concours attentif d'un Etat impartial.
Le Conseil constitutionnel en 1999 a été amené à interpréter l'Accord de Nouméa. Il a estimé que seul le corps électoral glissant était conforme aux orientations de l'accord.
Dans la mesure où cette lecture de l'accord de Nouméa a été contestée par certains de ses signataires pour lesquels l'objectif initial était bien d'établir un corps électoral « gelé », une clarification s'imposait.
C'est dans ce souci de clarification que, dès 1999, il a été proposé au Parlement de préciser par une modification de la Constitution que le corps électoral devait être entendu comme « gelé ». Ce texte a été très largement approuvé par l'Assemblée nationale comme par le Sénat. Il se trouve que les circonstances du moment, sans lien aucun avec cette affaire d'ailleurs, n'ont pas permis que ce texte soit soumis à l'approbation définitive du Parlement réuni en Congrès.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus différer cette clarification qui sera décisive pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. D'abord parce que nous la devons à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie. Ensuite, parce qu'il est temps d'y procéder : c'est en effet à partir de 2009 que la divergence d'interprétation aura un impact effectif sur la définition du corps électoral, mais uniquement pour les scrutins territoriaux de 2009 et de 2014.
Je note qu'avec un corps électoral « glissant » qui est d'ores et déjà accepté par les opposants à ce projet - et qui est la norme aujourd'hui -, pour les élections de 2009 environ 7000 électeurs ne pourront pas participer aux élections du congrès et des assemblées de province. Avec le corps électoral « gelé », c'est environ 700 électeurs de plus, inscrits en 1999, qui seront écartés du droit de vote.
Je tiens à souligner ici très précisément l'exacte portée de la réforme qui vous est proposée :
En premier lieu, elle revêt une portée purement transitoire : elle n'a vocation à s'appliquer que pour les élections territoriales et provinciales de 2009 et de 2014, ou pour des élections partielles ou consécutives à une dissolution de ces assemblées. Au terme de la période d'application de l'Accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie aura à décider de son avenir.
En deuxième lieu, la réforme n'affecte en rien l'exercice du droit de vote en Nouvelle-Calédonie pour les élections autres que territoriales et provinciales. Tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie continueront donc de participer aux scrutins présidentiels, législatifs, municipaux et européens, ainsi qu'aux référendums nationaux, dans les conditions du droit commun.
Aussi, il est clair que la question qui vous est soumise ne constitue plus une question de principe.
Cette dernière - l'existence même d'un corps électoral restreint - a déjà été tranchée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 que le Parlement réuni en Congrès a adoptée à la quasi-unanimité de ses membres, puis par les électeurs de Nouvelle-Calédonie qui ont approuvé, avec 72 % des suffrages, l'Accord de Nouméa lors du scrutin du 8 novembre 1998. J'ajoute que même la Cour européenne des droits de l'homme a accepté en 2005 ces dispositions en prenant en compte le contexte propre à la Nouvelle-Calédonie et leur caractère transitoire.
Au cas présent, nous ne traitons que d'une simple modalité, certes hautement symbolique, de mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa.
Une fois la présente révision constitutionnelle définitivement adoptée, les articles 188 et 189 de la loi organique devront se lire comme renvoyant au seul « tableau annexe » dressé à l'occasion du scrutin du 8 novembre 1998. Ce tableau sera révisé annuellement pour tenir compte des décès, des conséquences de décisions judiciaires en matière de privation des droits civiques, du départ de certaines personnes de la Nouvelle-Calédonie. Le cas échéant viendront s'ajouter les personnes qui avaient négligé de s'inscrire antérieurement alors qu'elles en avaient le droit.
L'interprétation ainsi donnée par le Pouvoir constituant, et son véritable sens désormais rendu aux articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999, lieront évidemment les juridictions ordinaires lorsqu'elles seront appelées à statuer sur les éventuels contentieux dont elles pourraient être saisies.
Nous entendrons évoquer au cours de nos échanges les grands principes juridiques. Mais le droit pour le droit a comme défaut d'ignorer deux mots qui contiennent notre devoir : la fraternité et la justice entre les hommes.
Ni la République, ni la Nouvelle-Calédonie, n'ont intérêt à connaître de nouveaux déchirements, qui pourraient naître d'un rejet du présent projet.
Je vous laisse imaginer quelles pourraient être les conséquences pour la sécurité de nos concitoyens en Nouvelle-Calédonie, pour le destin de la Nouvelle-Calédonie, si des événements du type de ceux que l'archipel a connus entre 1984 et 1988 venaient à se reproduire sous une forme ou sous une autre.
Cet équilibre doit être préservé à un moment où la zone du Pacifique sud est agitée par des conflits non résolus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux îles Salomon, à Tonga et plus récemment à Fidji. La stabilité de la Nouvelle-Calédonie présente dans ce contexte un contraste saisissant qui est d'ailleurs cité en exemple par les Etats du Forum des îles du Pacifique au sein duquel le territoire vient d'accéder au statut de membre associé en octobre de cette année. Le Forum se félicite des mesures prises par les autorités françaises en coopération avec toutes les composantes de la population pour promouvoir le développement économique, politique et social du territoire. Le deuxième sommet France-Océanie qui s'est tenu à Paris à l'invitation du Président de la République, le 26 juin dernier a confirmé ces orientations en soulignant le rôle de la France et de ses collectivités pour la stabilité dans le Pacifique.
Les vrais défis qui attendent la Nouvelle-Calédonie sont d'abord ceux de son développement, qui passe par une meilleure utilisation de ses richesses, et par une plus grande harmonie dans les relations sociales. Les responsables politiques de l'archipel doivent également se préparer à l'exercice des compétences qui leur seront transférées à partir de la mandature qui commencera en 2009.
Je comprends certaines réticences qui s'expriment.
Mais il ne faut pas se tromper de combat ! L'adoption de cette révision ne signifie en rien l'éloignement de la Nouvelle-Calédonie de la République.
Il s'agit tout simplement du respect de la parole donnée. Le Président de la République lui même s'était engagé à traiter cette question avant la fin de son mandat.
Sur ce point comme sur tant d'autres les engagements pris seront respectés.
Mesdames et Messieurs les Députés,
J'invite chacun d'entre vous à bien peser les conséquences de son vote et à ne pas oublier les leçons du passé.
Ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie française depuis vingt ans est grand.
Ce qui reste à faire est plus grand encore : au terme de la période couverte par les Accords de Matignon et de Nouméa, ce qui est en jeu c'est la définition de nouvelles relations qui ancreraient la Nouvelle-Calédonie dans la République française.
Nous pouvons le réussir avec tous ceux qui croient au pacte républicain laïc et fraternel.
Nous pouvons le faire avec tous ceux qui croient en la France et aux valeurs qu'elle diffuse dans le monde.
Une fois l'ambiguïté levée sur la question qui nous réunit aujourd'hui ; à l'heure où la Nouvelle-Calédonie connaît un développement économique remarquable ; à l'approche du dixième anniversaire de cet accord, je veux vous dire ma conviction :
Il faut que les partenaires calédoniens réfléchissent dés à présent à une relance du processus de discussion sans jamais s'éloigner du principe de consensus.
C'est le seul moyen pour préparer sereinement et dans la paix les rendez vous qui nous attendent.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au plus fort d'une guerre civile dissimulée sous l'euphémisme « d'événements », naissait il y a dix-huit ans un jeune Calédonien.
En se rendant pour la première fois de sa vie aux urnes, les 22 avril et 7 mai prochains, il aura une pensée pour ses parents dont les suffrages pour l'élection présidentielle de 1988 furent alors annulés car des bureaux de votes furent dévastés ou ne purent tout simplement pas ouvrir, au cours d'événements aussi violents que ceux qui, quelques années auparavant, avaient conduit à la proclamation de l'état d'urgence.
Qu'il soit de parents mélanésiens, européens, wallisiens, ou d'autres origines, il votera donc aux élections provinciales de 2008 et de 2014 car il est né et il réside en Nouvelle-Calédonie.
Ce jeune citoyen Calédonien et Français, je l'ai probablement rencontré il y a peu lors de ma visite en Nouvelle-Calédonie.
Je sais qu'il sera un acteur avec tous les Calédoniens des scrutins d'autodétermination de 2014 à 2018. A l'issue de ce choix, peut-être sera-t-il un jour Député ou Ministre de la République ; ce que je sais surtout, c'est que par votre vote, il vous sera reconnaissant d'avoir respecté la parole donnée et oeuvré à la construction du destin de la Nouvelle-Calédonie dans la République française.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 15 décembre 2006
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nous partageons tous ici le même objectif : la Nouvelle-Calédonie doit se développer dans la paix civile.
Le débat qui nous réunit aujourd'hui, et qui vise à modifier l'article 77 de la Constitution, est tout à notre honneur.
Il impose une double exigence :
- nous respecter les uns les autres, dans nos analyses, nos réflexions, nos positions et nos engagements.
- nous imprégner de l'histoire calédonienne de ces 20 dernières années.
Connaître l'histoire, c'est la comprendre,
Connaître l'histoire, c'est la respecter,
Connaître l'histoire, c'est préparer l'avenir.
Les événements tragiques qu'a connus la Nouvelle-Calédonie entre 1984 et 1988 ont conduit les responsables des principales communautés à trouver des compromis dans le cadre d'accords de paix. Ce furent les Accords de Matignon, en 1988, puis l'Accord de Nouméa, en 1998 : ils ont permis de rétablir et -jusqu'ici - de garantir la paix civile dans ce territoire.
Je souhaite tout d'abord vous rappeler la philosophie générale de ces accords, et notamment de l'Accord de Nouméa, indispensable pour bien comprendre la situation actuelle : ce dernier donne aux habitants de la Nouvelle-Calédonie les instruments nécessaires à la construction d'un destin commun durant une période de transition de 20 ans, à l'issue de laquelle la population se prononcera définitivement sur son avenir.
Trois idées me semblent constituer les piliers de ces accords :
La première : une organisation originale des pouvoirs publics locaux qui a obligé les communautés et leurs responsables à dialoguer et à travailler ensemble.
La deuxième, en corollaire : un rééquilibrage économique et social au bénéfice des populations et des territoires, garanti par l'Etat.
La troisième, une citoyenneté calédonienne réservée aux populations intéressées à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. La définition et les modalités de participation aux scrutins qui déterminent l'avenir de ce territoire sont dérogatoires au droit commun de la République. Les Accords de Matignon définissent ces scrutins : « scrutin pour les élections aux assemblées de provinces et scrutin d'autodétermination » ; l'Accord de Nouméa et la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 en tirent les conséquences juridiques.
Cette révision constitutionnelle a inséré dans la Constitution un titre XIII à vocation transitoire. Il comporte de nombreuses dispositions qui dérogent à nos traditions juridiques : pouvoir législatif local, préférence locale en matière d'emploi, citoyenneté calédonienne dans la nationalité française, impliquant un corps électoral restreint.
La loi organique prise pour l'application de ce titre XIII a fait l'objet de réserves d'interprétations de la part du Conseil constitutionnel le 15 mars 1999 sur la question de la définition du corps électoral spécial appelé à élire les membres du congrès et des assemblées de provinces de Nouvelle-Calédonie.
L'article unique du projet de loi constitutionnelle que je défends ici vise à revenir sur cette interprétation donnée par le Conseil constitutionnel.
C'est tout, mais c'est essentiel.
C'est essentiel car il s'agit d'exprimer du respect à l'égard d'une histoire tragique
C'est essentiel car il s'agit d'aménager cette institution fondamentale de la démocratie qu'est le droit de vote.
C'est essentiel car il s'agit de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Nous devons nous souvenir que le chemin qui a conduit à ces accords a été marqué par le feu et le sang. Les victimes furent nombreuses dans toutes les communautés et parmi les serviteurs de l'Etat.
Le processus de réconciliation engagé, d'abord par les Accords de Matignon, puis par l'Accord de Nouméa, ne doit pas être interrompu. Ce pacte, qui consacre l'existence d'un destin commun et qui clôt définitivement le passé colonial dont il reconnaît les « ombres » comme les « lumières », comporte des concessions mutuelles qui n'allaient pas nécessairement de soi.
C'est ainsi que les partisans du maintien dans la République ont accepté que la question de l'autodétermination soit à nouveau posée au terme d'une longue période de transition, alors qu'elle avait été clairement tranchée, par le référendum local du 13 septembre 1987. De même, ils ont accepté, avec la provincialisation, de partager le pouvoir que la majorité des électeurs leur confiait.
Les partisans de l'indépendance, majoritairement issus de la population mélanésienne, ont accepté de reconnaître la légitimité de la présence des autres habitants de la Nouvelle-Calédonie, et donc leur participation à la détermination d'un destin commun. Dans le même temps ils ont exprimé le souhait d'un corps électoral restreint par crainte que l'équilibre politique entre les communautés ne soit modifié du fait de l'arrivée régulière de nouveaux habitants en provenance d'autres parties du territoire national.
L'existence de ce corps électoral spécial, restreint par rapport au droit commun, constitue donc l'un des aspects essentiels et sans doute le principal point d'équilibre de l'Accord de Nouméa. Le consensus qui a permis la signature de l'Accord n'aurait pas pu être dégagé sans l'assentiment des partenaires de la négociation sur ce point fondamental.
Que dit exactement l'Accord de Nouméa sur ce point ?
Il introduit dans notre droit la notion de citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, concrétisant ainsi le destin commun des communautés qui vivent sur cette terre. Cette citoyenneté implique nécessairement de restreindre le corps électoral, pour certains scrutins, aux habitants ayant la légitimité d'une durée suffisante de résidence sur le Territoire.
Il s'agit d'abord des scrutins d'autodétermination qui seront organisés entre 2014 et 2018. Pour le droit de voter à ces scrutins-là, la cause est entendue : ne voteront que les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1988 ou pouvant justifier d'une durée de résidence continue de 20 ans au 31 décembre 2014, ou d'autres conditions telles que la naissance en Nouvelle-Calédonie, ou la possession du statut coutumier. Le principe de ce corps électoral particulièrement restreint n'est pas contesté.
La seconde catégorie de scrutins concernés est celle de l'élection des assemblées de Province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie (l'assemblée territoriale). Dans ce cas, l'accord prévoit de limiter le droit de vote aux seuls citoyens ayant 10 ans de résidence. Là encore, ce point est acquis et n'est contesté par aucun des signataires. Mais la difficulté vient de ce que l'Accord ne précise pas clairement s'il s'agit d'une condition de 10 ans de résidence figée à la date de la signature en 1998 - système du corps électoral « gelé » comme pour les scrutins d'autodétermination - ou bien s'il s'agit de dix années de résidence à la date de chacun des scrutins successifs - c'est ce qu'on appelle le corps électoral « glissant ».
Nous sommes ici au coeur de la difficulté. Le temps a passé mais la notion d'esprit des Accords de Matignon et de Nouméa demeure et si l'on refuse la notion d'esprit des accords, alors j'utiliserai la notion de logique des accords.
La logique de ces accords était bien de réserver la participation - et je cite les Accords de Matignon - « aux scrutins qui déterminent l'avenir de la Nouvelle-Calédonie » (dont les élections provinciales) aux « populations intéressées à l'avenir du territoire, c'est-à-dire aux électeurs présents dans le territoire à une certaine époque et à leurs descendants ».
Voilà pourquoi, de façon constante depuis 1999, l'Etat, signataire de ces accords, considère qu'il s'agit d'un corps électoral gelé.
L'adoption du projet de révision constitutionnelle permettra de continuer à oeuvrer dans le cadre tracé par l'Accord de Nouméa, qui renvoie expressément sur ce point aux Accords de Matignon.
La logique de l'Accord étant ainsi respectée, nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie pourront envisager sereinement l'avenir, cet avenir qu'il leur appartient de déterminer eux-mêmes avec le concours attentif d'un Etat impartial.
Le Conseil constitutionnel en 1999 a été amené à interpréter l'Accord de Nouméa. Il a estimé que seul le corps électoral glissant était conforme aux orientations de l'accord.
Dans la mesure où cette lecture de l'accord de Nouméa a été contestée par certains de ses signataires pour lesquels l'objectif initial était bien d'établir un corps électoral « gelé », une clarification s'imposait.
C'est dans ce souci de clarification que, dès 1999, il a été proposé au Parlement de préciser par une modification de la Constitution que le corps électoral devait être entendu comme « gelé ». Ce texte a été très largement approuvé par l'Assemblée nationale comme par le Sénat. Il se trouve que les circonstances du moment, sans lien aucun avec cette affaire d'ailleurs, n'ont pas permis que ce texte soit soumis à l'approbation définitive du Parlement réuni en Congrès.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus différer cette clarification qui sera décisive pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. D'abord parce que nous la devons à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie. Ensuite, parce qu'il est temps d'y procéder : c'est en effet à partir de 2009 que la divergence d'interprétation aura un impact effectif sur la définition du corps électoral, mais uniquement pour les scrutins territoriaux de 2009 et de 2014.
Je note qu'avec un corps électoral « glissant » qui est d'ores et déjà accepté par les opposants à ce projet - et qui est la norme aujourd'hui -, pour les élections de 2009 environ 7000 électeurs ne pourront pas participer aux élections du congrès et des assemblées de province. Avec le corps électoral « gelé », c'est environ 700 électeurs de plus, inscrits en 1999, qui seront écartés du droit de vote.
Je tiens à souligner ici très précisément l'exacte portée de la réforme qui vous est proposée :
En premier lieu, elle revêt une portée purement transitoire : elle n'a vocation à s'appliquer que pour les élections territoriales et provinciales de 2009 et de 2014, ou pour des élections partielles ou consécutives à une dissolution de ces assemblées. Au terme de la période d'application de l'Accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie aura à décider de son avenir.
En deuxième lieu, la réforme n'affecte en rien l'exercice du droit de vote en Nouvelle-Calédonie pour les élections autres que territoriales et provinciales. Tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie continueront donc de participer aux scrutins présidentiels, législatifs, municipaux et européens, ainsi qu'aux référendums nationaux, dans les conditions du droit commun.
Aussi, il est clair que la question qui vous est soumise ne constitue plus une question de principe.
Cette dernière - l'existence même d'un corps électoral restreint - a déjà été tranchée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 que le Parlement réuni en Congrès a adoptée à la quasi-unanimité de ses membres, puis par les électeurs de Nouvelle-Calédonie qui ont approuvé, avec 72 % des suffrages, l'Accord de Nouméa lors du scrutin du 8 novembre 1998. J'ajoute que même la Cour européenne des droits de l'homme a accepté en 2005 ces dispositions en prenant en compte le contexte propre à la Nouvelle-Calédonie et leur caractère transitoire.
Au cas présent, nous ne traitons que d'une simple modalité, certes hautement symbolique, de mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa.
Une fois la présente révision constitutionnelle définitivement adoptée, les articles 188 et 189 de la loi organique devront se lire comme renvoyant au seul « tableau annexe » dressé à l'occasion du scrutin du 8 novembre 1998. Ce tableau sera révisé annuellement pour tenir compte des décès, des conséquences de décisions judiciaires en matière de privation des droits civiques, du départ de certaines personnes de la Nouvelle-Calédonie. Le cas échéant viendront s'ajouter les personnes qui avaient négligé de s'inscrire antérieurement alors qu'elles en avaient le droit.
L'interprétation ainsi donnée par le Pouvoir constituant, et son véritable sens désormais rendu aux articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999, lieront évidemment les juridictions ordinaires lorsqu'elles seront appelées à statuer sur les éventuels contentieux dont elles pourraient être saisies.
Nous entendrons évoquer au cours de nos échanges les grands principes juridiques. Mais le droit pour le droit a comme défaut d'ignorer deux mots qui contiennent notre devoir : la fraternité et la justice entre les hommes.
Ni la République, ni la Nouvelle-Calédonie, n'ont intérêt à connaître de nouveaux déchirements, qui pourraient naître d'un rejet du présent projet.
Je vous laisse imaginer quelles pourraient être les conséquences pour la sécurité de nos concitoyens en Nouvelle-Calédonie, pour le destin de la Nouvelle-Calédonie, si des événements du type de ceux que l'archipel a connus entre 1984 et 1988 venaient à se reproduire sous une forme ou sous une autre.
Cet équilibre doit être préservé à un moment où la zone du Pacifique sud est agitée par des conflits non résolus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux îles Salomon, à Tonga et plus récemment à Fidji. La stabilité de la Nouvelle-Calédonie présente dans ce contexte un contraste saisissant qui est d'ailleurs cité en exemple par les Etats du Forum des îles du Pacifique au sein duquel le territoire vient d'accéder au statut de membre associé en octobre de cette année. Le Forum se félicite des mesures prises par les autorités françaises en coopération avec toutes les composantes de la population pour promouvoir le développement économique, politique et social du territoire. Le deuxième sommet France-Océanie qui s'est tenu à Paris à l'invitation du Président de la République, le 26 juin dernier a confirmé ces orientations en soulignant le rôle de la France et de ses collectivités pour la stabilité dans le Pacifique.
Les vrais défis qui attendent la Nouvelle-Calédonie sont d'abord ceux de son développement, qui passe par une meilleure utilisation de ses richesses, et par une plus grande harmonie dans les relations sociales. Les responsables politiques de l'archipel doivent également se préparer à l'exercice des compétences qui leur seront transférées à partir de la mandature qui commencera en 2009.
Je comprends certaines réticences qui s'expriment.
Mais il ne faut pas se tromper de combat ! L'adoption de cette révision ne signifie en rien l'éloignement de la Nouvelle-Calédonie de la République.
Il s'agit tout simplement du respect de la parole donnée. Le Président de la République lui même s'était engagé à traiter cette question avant la fin de son mandat.
Sur ce point comme sur tant d'autres les engagements pris seront respectés.
Mesdames et Messieurs les Députés,
J'invite chacun d'entre vous à bien peser les conséquences de son vote et à ne pas oublier les leçons du passé.
Ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie française depuis vingt ans est grand.
Ce qui reste à faire est plus grand encore : au terme de la période couverte par les Accords de Matignon et de Nouméa, ce qui est en jeu c'est la définition de nouvelles relations qui ancreraient la Nouvelle-Calédonie dans la République française.
Nous pouvons le réussir avec tous ceux qui croient au pacte républicain laïc et fraternel.
Nous pouvons le faire avec tous ceux qui croient en la France et aux valeurs qu'elle diffuse dans le monde.
Une fois l'ambiguïté levée sur la question qui nous réunit aujourd'hui ; à l'heure où la Nouvelle-Calédonie connaît un développement économique remarquable ; à l'approche du dixième anniversaire de cet accord, je veux vous dire ma conviction :
Il faut que les partenaires calédoniens réfléchissent dés à présent à une relance du processus de discussion sans jamais s'éloigner du principe de consensus.
C'est le seul moyen pour préparer sereinement et dans la paix les rendez vous qui nous attendent.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au plus fort d'une guerre civile dissimulée sous l'euphémisme « d'événements », naissait il y a dix-huit ans un jeune Calédonien.
En se rendant pour la première fois de sa vie aux urnes, les 22 avril et 7 mai prochains, il aura une pensée pour ses parents dont les suffrages pour l'élection présidentielle de 1988 furent alors annulés car des bureaux de votes furent dévastés ou ne purent tout simplement pas ouvrir, au cours d'événements aussi violents que ceux qui, quelques années auparavant, avaient conduit à la proclamation de l'état d'urgence.
Qu'il soit de parents mélanésiens, européens, wallisiens, ou d'autres origines, il votera donc aux élections provinciales de 2008 et de 2014 car il est né et il réside en Nouvelle-Calédonie.
Ce jeune citoyen Calédonien et Français, je l'ai probablement rencontré il y a peu lors de ma visite en Nouvelle-Calédonie.
Je sais qu'il sera un acteur avec tous les Calédoniens des scrutins d'autodétermination de 2014 à 2018. A l'issue de ce choix, peut-être sera-t-il un jour Député ou Ministre de la République ; ce que je sais surtout, c'est que par votre vote, il vous sera reconnaissant d'avoir respecté la parole donnée et oeuvré à la construction du destin de la Nouvelle-Calédonie dans la République française.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 15 décembre 2006