Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur l'Union européenne et les questions de politique étrangère, l'immigration, l'énergie, l'innovation, l'élargissement et les institutions, au Sénat le 12 décembre 2006.

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Circonstance : Débat préalable au Conseil européen, au Sénat le 12 décembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Jeudi et vendredi, le président de la République participera au Conseil européen qui clôt le semestre de présidence finlandaise. Avec Philippe Douste-Blazy, je l'y accompagnerai. Et conformément aux engagements pris par le Premier ministre, je suis heureuse de venir aujourd'hui débattre avec vous des enjeux de ce Conseil.
Sont inscrits à l'ordre du jour les sujets principaux suivants :
- les questions de politique étrangère (1) ;
- celles liées à la justice et aux affaires intérieures (2) ;
- l'énergie et l'innovation (3 et 4) ;
- l'élargissement (5) ;
- les questions institutionnelles (6).
J'évoquerai aussi les perspectives de la future présidence allemande, qui débutera le 1er janvier (7).
1) S'agissant des questions de politique étrangère
Le Conseil européen évoquera notamment: le Moyen-Orient et le Liban, l'Afrique et les Balkans.
S'agissant du Liban, la France a réaffirmé cette semaine son attachement à un Liban uni, souverain, indépendant et démocratique. Elle le fera à nouveau au Conseil et souhaite que ses partenaires apportent un appui unanime au gouvernement de M. Fouad Siniora, comme ils l'ont fait hier au niveau ministériel. Nous devrons aussi rappeler l'importance de la conférence des donateurs de Paris, prévue le 25 janvier et consacrée à la reconstruction du Liban.
Sur le Proche-Orient, le Conseil européen devrait évoquer le nécessaire soutien au président de l'Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas, l'attitude que devrait adopter l'Union en cas de formation d'un gouvernement reflétant les principes du Quartet - ce que nous souhaitons - et réfléchir aux moyens de relancer le processus de paix en retraçant une perspective politique, qui aujourd'hui manque cruellement.
S'agissant de l'Afrique, le Conseil européen évoquera le chemin parcouru un an après le lancement de la Stratégie de l'Union pour l'Afrique de décembre 2005, avec l'objectif de définir un partenariat avec le continent africain.
Le Conseil européen devrait saluer aussi le bon déroulement du processus électoral en RDC, processus que l'Union a soutenu et accompagné, en déployant notamment la mission EUFOR RD Congo. Avec la mise en place d'un nouveau Parlement et l'investiture du président Kabila, l'année qui s'achève marque un nouveau départ. L'Union européenne aura à nouveau fait la preuve qu'elle joue un véritable rôle sur la scène internationale grâce à une Politique européenne de sécurité et de défense qui se concrétise chaque jour un peu plus.
Le Conseil reviendra aussi sur la situation dramatique au Darfour : déjà 300.000 morts sans doute, deux millions et demi de personnes déplacées, des centaines de milliers de personnes privées d'accès à l'aide humanitaire. A cela s'ajoutent les risques nés de la persistance des tensions internes au Soudan et, plus graves encore, les risques d'extension de la crise à plusieurs pays de la région. Le Conseil européen insistera ainsi sur la nécessité de convaincre les autorités de Khartoum d'autoriser le déploiement d'une mission renforcée de maintien de la paix.
Le Conseil européen évoquera enfin le Kosovo, alors que va s'ouvrir une phase cruciale des négociations sur son statut futur : l'envoyé spécial nommé par le Secrétaire général des Nations unies pour conduire ces négociations, M. Martti Ahtisaari, présentera le 21 janvier - donc après les élections générales en Serbie - ses propositions à Belgrade et à Pristina. Dans cette perspective, l'Union doit renouveler son soutien à M. Ahtisaari, afin de parvenir à une solution acceptable par la population du Kosovo, garante de stabilité pour la région, et offrant aux communautés la possibilité de vivre en paix et en sécurité.
2) Sur les questions de justice et affaires intérieures
Dans un contexte marqué par les afflux de clandestins par voie maritime en Espagne, en Italie ou à Malte, les questions migratoires ont été très présentes ce semestre. L'Union européenne a fait preuve de solidarité avec ses partenaires les plus touchés. La France a participé aux deux opérations maritimes menées sous l'égide de l'agence FRONTEX, en envoyant des experts et en mettant à disposition des moyens matériels. L'Europe doit continuer à se doter d'une véritable capacité d'action commune. Cela passe notamment par le renforcement de l'agence FRONTEX, qui ne dispose pour l'heure que de 11,5 millions d'euros et de 17 emplois budgétaires... Le budget doit tripler en 2007, et le nombre de personnes doubler.
Mais il est également indispensable d'aborder ce sujet dans sa globalité. Il ne pourra y avoir de solution durable sans une coopération accrue entre tous les Etats membres mais également avec les Etats de départ et de transit. C'est l'esprit de l'approche globale définie par le Conseil européen il y a un an et dont les chefs d'Etat ou de gouvernement évalueront la mise en oeuvre dans quelques jours. Elle a montré toute sa pertinence et doit rester le cadre de référence de l'action européenne. Elle répond en effet à la nécessité d'une approche intégrée et équilibrée des questions migratoires, conjuguant l'intégration des migrants réguliers, la lutte contre l'immigration clandestine et le renforcement de la coopération pour le développement.
Je rappelle à nouveau que l'Union européenne et ses Etats membres sont les premiers contributeurs de l'Aide publique au développement (APD) dans le monde : ils en fournissent plus de 50% et plus de 60% de l'aide versée à l'Afrique. Nous avons pris en 2002 des engagements d'augmentation ; nous les tenons.
Nous soutenons par ailleurs la plupart des propositions présentées par la Commission pour approfondir cette approche : renforcement des activités opérationnelles de gestion des frontières maritimes, meilleure articulation entre politique migratoire et politique de développement, mise en oeuvre du plan de Rabat ou intensification du dialogue avec les pays d'origine et de transit, dans le prolongement des Conférences de Rabat en juillet et de Tripoli en novembre.
Nous pouvons également accepter la perspective d'une concertation. Mais la responsabilité première en la matière doit rester aux Etats : nous ne pourrions accepter une gestion commune ni une définition européenne de quotas. En revanche, une discipline commune est souhaitable tout particulièrement lorsque les activités d'un Etat membre liées à la gestion de la migration, des visas et des demandes d'asiles peuvent avoir des conséquences sur ses partenaires. Un premier pas positif a été franchi en octobre avec la mise en place d'un mécanisme d'information entre Etats membres dans les domaines de l'asile et de l'immigration. Il faudra aller plus loin, par exemple en encourageant les échanges entre les Etats membres avant qu'ils ne prennent leurs décisions nationales.
Mais, il faut aussi améliorer les mécanismes de décision dont chacun voit les limites, du fait de l'unanimité. C'est pourquoi, en dépit des réticences de certains partenaires, le gouvernement reste très attaché à l'utilisation des clauses-passerelles prévues par les traités pour que, sur certains sujets, les décisions soient prises à la majorité qualifiée du Conseil, et faire du Parlement européen un co-législateur dans ces matières. Je tiens à souligner à ce sujet la qualité du rapport de la délégation pour l'Union européenne qui fait le point de manière exhaustive sur l'ensemble de ces questions.
Enfin, le Conseil européen devrait confirmer l'accord trouvé il y a quelques jours au Conseil sur l'élargissement de l'espace Schengen. La France se félicite de cet accord qui permettra aux nouveaux Etats membres de rejoindre l'espace Schengen en décembre 2007. Ils sont très attachés à leur entrée dans cet espace et nous-mêmes sommes attachés à ce que la frontière extérieure de l'Union soit contrôlée avec efficacité.
3) Sur la question de l'énergie
Il y a un an, la réflexion menée à Hampton Court sur l'avenir de l'Union l'avait conduite à décider de mettre sur pied progressivement une véritable politique européenne de l'énergie. Depuis, le différend gazier russo-ukrainien ou des incidents de délestage ont montré la pertinence de cette décision. Cette question est désormais abordée à chaque Conseil européen. Le Conseil européen de décembre fera le point sur les progrès concrets réalisés, comme le plan d'action pour l'efficacité énergétique présenté par la Commission ou la mise en place d'un réseau européen des correspondants pour la sécurité énergétique.
Au-delà, la Commission présentera au début du mois de janvier son paquet énergie et l'analyse stratégique qui servira de base au plan d'action que le Conseil européen de mars 2007 adoptera. Ce sera un rendez-vous important. Nous souhaitons que ce plan d'action mette en place une véritable stratégie énergétique avec trois objectifs essentiels : sécurité d'approvisionnement, protection de l'environnement, compétitivité.
Sur le réchauffement climatique en particulier, le Conseil européen soulignera la nécessité d'intensifier les efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L'objectif européen est de maintenir l'augmentation de la température mondiale à 2°C par rapport à son niveau pré-industriel. C'est un défi gigantesque. Mais c'est aussi une nécessité pour les générations futures ; il y a urgence à agir.
4) S'agissant de la politique de l'innovation
La Présidence finlandaise a souhaité, à juste titre, en faire une priorité de son semestre. A la suite du Conseil européen informel de Lahti en octobre, le prochain Conseil européen doit être l'occasion d'arrêter des décisions concrètes, notamment le lancement des premières initiatives technologiques conjointes qui sont des partenariats public-privé entre la Communauté, les Etats membres et les industriels.
Par ailleurs, une politique européenne ambitieuse en matière d'innovation suppose d'améliorer les règles existantes, y compris en matière de brevets, et je sais que c'est un sujet sur lequel le Sénat s'est penché à plusieurs reprises. Au Conseil européen de Lahti en octobre, le président de la République a fait des propositions pour sortir du blocage actuel et prendre appui sur le cadre communautaire pour unifier en priorité le contentieux des brevets en Europe. La France continuera à être en initiative pour que les 25 reprennent cette proposition.
5) S'agissant de la question de l'élargissement
Comme l'avait obtenu la France en décembre 2005, le Conseil européen poursuivra le débat, engagé en juin dernier, sur le processus d'élargissement. Alors que s'achève le 5ème élargissement avec l'adhésion au 1er janvier prochain de la Bulgarie et de la Roumanie, il est, en effet, nécessaire de mener une réflexion sérieuse sur la perspective d'accueillir, à l'avenir, de nouveaux membres.
A la sortie des années de guerre en ex-Yougoslavie, l'Union européenne avait offert une perspective européenne aux pays des Balkans occidentaux, sous réserve du respect par ces derniers de conditions précises. Ces pays ont en effet vocation à rejoindre, le moment venu, la famille européenne. Mais à deux conditions: d'abord, les pays candidats doivent respecter scrupuleusement les conditions requises ; ensuite, l'Union européenne doit s'assurer de sa capacité à pouvoir accueillir de nouveaux membres sans compromettre le fonctionnement des institutions, les politiques communes, leur financement, ni surtout l'ambition du projet européen.
La poursuite de l'élargissement ne pourra se faire sans le plein soutien des citoyens européens. L'Union devra faire la démonstration préalable que de nouveaux élargissements ne vont pas empêcher l'approfondissement du projet européen. C'est forte de cette exigence que la France a souhaité replacer la réflexion sur la "capacité d'absorption et d'intégration" au coeur du processus d'élargissement.
En juin dernier, le Conseil européen a ainsi rappelé que le rythme de l'élargissement doit tenir compte de la capacité d'absorption de l'Union. Il nous faut à présent définir une méthode qui nous permettra d'apprécier la capacité de l'Union européenne à intégrer un nouveau membre à chaque étape clé du processus d'élargissement. C'est notre objectif pour le Conseil européen.
Sur la Turquie, les 25 Etats membres sont parvenus hier lors du Conseil Affaires générales, auquel j'ai participé avec Philippe Douste-Blazy, à un accord. Il comporte plusieurs points : les 25 ont décidé de suspendre huit des trente-cinq chapitres de négociation liés à l'union douanière, dont l'agriculture et la libre circulation des marchandises. Ils ont également décidé de ne conclure aucun autre chapitre de négociation tant que la Turquie ne remplira pas ses obligations au titre du protocole d'Ankara, ce qui implique notamment qu'elle ouvre ses ports et ses aéroports aux navires et aux avions en provenance de Chypre. Par ailleurs, un suivi annuel et attentif de cette question sera assuré, si nécessaire jusqu'en 2009, année des élections au Parlement européen.
Cette décision est un bon équilibre et permet d'envoyer un message clair à la Turquie sans pour autant rompre le processus de négociation. Elle est conforme à la ligne préconisée par le président de la République et la Chancelière allemande lors de leur rencontre le 5 décembre.
6) Sur les questions institutionnelles
Le Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 a défini une double démarche : d'une part mettre en oeuvre les possibilités offertes par les traités existants afin d'obtenir les résultats concrets que les citoyens attendent ; d'autre part inviter la présidence allemande, au cours du premier semestre 2007, à présenter un rapport au Conseil européen sur les débats relatifs au traité constitutionnel et les évolutions futures possibles, en vue de décisions ultérieures concernant la manière de poursuivre le processus de réforme, étant entendu que les mesures nécessaires à cet effet auront été prises "au plus tard au cours du deuxième semestre de 2008", c'est-à-dire au cours de la Présidence française.
Au Conseil européen, la Présidence finlandaise aura pour seule mission de rendre compte des consultations bilatérales qu'elle a menées sur l'avenir du traité. Elle rappellera sûrement, comme elle vient de le faire lors des rencontres interparlementaires sur l'avenir de l'Union européenne au Parlement européen, son attachement au contenu du projet de traité constitutionnel, qu'elle a ratifié le 5 décembre 2006, devenant le 16ème Etat membre à le faire.
7) Permettez-moi de parler enfin, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, des perspectives de la future présidence allemande
Parmi les enjeux majeurs de cette présidence, il convient de citer la préparation de la déclaration politique qui sera adoptée par les responsables de l'Union à Berlin le 25 mars 2007, pour commémorer les cinquante ans du Traité de Rome. L'Allemagne voudrait parvenir, comme nous, à une déclaration claire, courte, politique. Elle doit être re-mobilisatrice et évoquer à la fois "les valeurs et les ambitions de l'Europe" pour faire face aux défis auxquels elle est confrontée. L'Allemagne mènera par ailleurs des consultations sur le processus institutionnel et en fera rapport au Conseil européen de juin 2007. Nous apporterons notre plein soutien à la Présidence allemande pour dégager des propositions de relance, qui devront naturellement tenir compte du résultat des deux référendums négatifs et des attentes exprimées par les citoyens européens.
Au-delà de ces questions institutionnelles, la Présidence allemande s'est fixé des objectifs concrets sur l'achèvement du marché intérieur, qui fera l'objet d'un rapport d'étape de la Commission en mars 2007. Les questions énergétiques, indissociables des enjeux environnementaux, seront également au coeur des travaux du Conseil européen de printemps. En matière de relations extérieures, les Balkans occidentaux, l'Asie centrale et la nouvelle politique de voisinage qui inclut naturellement la Méditerranée, font partie des priorités de la Présidence allemande, priorités que nous partageons.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006 comportera un ordre du jour chargé qui reflète l'ampleur des défis que l'Union doit relever aujourd'hui. Sachez que la France abordera, comme à l'accoutumée, cette échéance dans un esprit d'ouverture, de dialogue et avec la volonté d'avancer avec l'ensemble de ses partenaires.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 décembre 2006