Interview de M. Pascal Clément, ministre de la justice, à Europe 1 le 15 décembre 2006, sur la situation de la justice après le rejet de la demande de révision du procès Seznec, sur les projets de réforme de la justice et sur la préparation de l'élection présidentielle de 2007.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Les temps sont difficiles...
R- Les temps sont toujours à l'émotion, et il faut essayer de rester l'esprit froid devant ce qui arrive tout en essayant de comprendre.
Q- En tout cas, les Français sont, à tort ou à raison, vent debout contre ce qu'ils voient aujourd'hui de la justice.
R- Alors, effectivement, l'affaire Seznec, parce qu'il y avait de bonnes raisons de penser que Seznec serait réhabilité, puisque la commission de révision avait pensé qu'il y avait des éléments nouveaux, l'avocat général avait considéré qu'effectivement, dans ses réquisitions, Seznec pouvait être réhabilité. Tout le monde s'attendait, et moi aussi d'ailleurs, nous nous attendions tous à ce qu'il soit réhabilité.
Q- Mais est-ce que - puisque vous voulez être tout seul sur l'affaire Seznec - la justice ne veut pas reconnaître une erreur, monsieur le garde des Sceaux, pour que vous repreniez votre souffle, ou il n'y a pas d'erreur ?
R- Ecoutez, il y a une chose de sûre, c'est que quand la chambre criminelle de la cour de cassation, les trente plus hauts magistrats, spécialisés dans les affaires criminelles rédigent un arrêt de 41 pages pour expliquer que par rapport au procès qui a eu lieu en 1924, il n'y a pas eu d'éléments nouveaux, on ne peut pas penser que cet arrêt de 41 pages a été fait dans l'émotion.
Q- C'est-à-dire que pour vous et pour eux, en 41 pages l'affaire Seznec est close, point final ?
R- Alors l'affaire Seznec est close. Disons un peu pourquoi : c'est qu'il n'y a pas eu d'éléments nouveaux qui aient été ignorés en 1924, lors du procès ; voilà ce que dit la cour de cassation. Je pense, que compte tenu du travail, on ne peut pas ne pas leur faire confiance, même si cette vérité fait de la peine, blesse et déçoit.
Q- Seznec ne sera donc jamais réhabilité ?
R- Aujourd'hui, Seznec ne sera pas réhabilité ; pourquoi ? Je rappelle peut-être un fait que les Français ont omis de savoir : le procès en réhabilitation était le quatrième que menait son petit-fils Denis.
Q- Eh bien, il a du de courage, de l'acharnement !
R- Il a beaucoup de courage et je lui ai d'ailleurs rendu hommage.
Q- D. Seznec qui consacre d'ailleurs toute sa vie à ce débat, répétera sans doute tout à l'heure chez J. Pradel, qu'il va déposer un recours devant la Cour européenne de Justice.
R- Sur l'instruction faite par la chambre, par la cour de cassation, c'est son droit. Je ne vois pas encore la taille juridique, mais c'est son droit le plus strict.
Q- Mais est-ce que la justice européenne peut avoir un jugement différent, est-ce que D. Seznec...
R- ...Non. Sur la forme, la Cour européenne peut considérer si les méthodes pour déboucher sur une réhabilitation, si cette méthode est bonne ou mauvaise ; c'est ça la question. Cela ne sera pas sur le fond, bien évidemment.
Q- Toute nouvelle demande de révision ne pourrait être introduite, à partir de maintenant, que par le garde des Sceaux ; qu'est-ce qui interdit de le décider, à vous, l'actuel ministre ou à votre successeur ?
R- Aujourd'hui, que ce soit moi-même ou que ce soit mon successeur, ai-je, ou demain, mon successeur aura-t-il un élément vraiment nouveau qui n'aura pas été examiné lors des quatre procès en révision ? C'est la question que se posera probablement mon successeur ou le successeur de mon successeur. S'il n'y a pas d'éléments nouveaux, la décision est définitive.
Q- M. Lebranchu, que vous avez entendue tout à l'heure avec C. Delay, propose que de grands jurys réfléchissent à une réforme des procédures de révision d'un procès.
R- Mais madame Lebranchu, on sent d'abord qu'elle a mis son coeur et sa conviction et je la comprends, parce que j'aurais fait sans doute la même chose à sa place. Pour autant, je rappelle qu'en 1989 où, jusqu'à cette époque, en cas de révision, il fallait prouver l'innocence de la personne que l'on voulait réhabiliter, depuis cette date, il suffit de créer le doute. Donc ce qu'elle souhaite est déjà le cas. Or il n'y a pas eu de doute créé par les éléments nouveaux, les éléments nouveaux n'étaient pas nouveaux. Je résume en ce moment la position de la cour de cassation, inutile de vous dire que ce n'est pas mon point de vue. Je suis en train d'expliquer la conclusion de l'arrêt.
Q- Alors quel serait votre point de vue ?
R- Mon point de vue, c'est que je n'ai pas à commenter la décision de la cour de cassation et qu'ils ont sûrement beaucoup travaillé pour arriver à cette conclusion.
Q- Peut-être qu'ils auraient du moins travailler... La réforme de la justice : tant de promesses monsieur le ministre de la justice, tant de bavardages, tant de débats pour finir avec un texte qui est dénoncé par le Parti socialiste, l'UDF, des UMP comme une "réformette de quatre sous" !
R- Est-ce que l'on peut parler des faits plutôt que des impressions ? D'abord, vous allez voir, personne ne votera contre les propositions de réforme que je formulerai.
Q- Mais J.-M. Ayrault disait hier, "P. Clément, retirez votre réformette !" Ce n'est pas moi qui l'ai inventé !
R- Je pose la question autrement : si je lui donne raison et que demain, vous voyez, regardez cette affaire Seznec, elle émeut les Français, c'est légitime. Demain une deuxième affaire Outreau arrive - vous m'entendez, une deuxième affaire Outreau arrive -, on découvre que des gens sont depuis deux ans, deux ans et demi, trois ans en prison, que des familles ont été brisées, parce que la procédure pénale ne fonctionne pas comme elle devrait fonctionner. A ce moment-là, que diraient ceux qui me conseillent "ne faites rien" ? Qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je fais ? Je réponds aux questions que posent les accusés d'Outreau.
Q- Est-ce que vous croyez que ce que vous êtes en train de faire vous-même peut réparer justement le vide judiciaire d'Outreau ? D'ailleurs, vous-même, monsieur le ministre...
R- Je donne des droits de la défense que vous n'aviez pas. Je vous pose une question monsieur Elkabbach : est-ce que vous trouvez normal d'aller en prison sans la présence d'un avocat ? C'est le cas aujourd'hui ; moi, je change ça. Qui considère qu'il faut attendre encore des mois et des mois pour avoir un avocat quand on va en prison ? C'est ça le débat que j'ai avec les uns ou les autres qui voudraient que je ne fasse rien ! Qui considère que c'est bien d'avoir, au niveau de la cour d'appel, un contrôle du travail du juge d'instruction, pour éviter que le juge d'instruction s'égare dans une mauvaise direction ? Qui souhaite la solitude du juge d'instruction ? Qui préfère la co-saisine et la
collégialité quand plusieurs juges d'instruction travaillent ensemble ? Qui va dire que ce n'est pas bien d'enregistrer la garde à vue, alors qu'il peut y avoir des manipulations policières - cela peut arriver ; c'est excessif, sans doute, mais cela peut arriver ? De la même manière, on peut se tromper chez un juge d'instruction, le greffier ne peut résumer autrement ce qui s'est passé... Eh bien, il y a des preuves, voilà ! Qui peut dire, "je ne suis pas d'accord avec la modernité, je ne suis pas d'accord avec des droits de la défense nouveaux" ? Voilà ce que je fais ! On ne peut pas le discuter, d'ailleurs, vous verrez, ils seront tous d'accord.
Q- C'est bien quand on vous pique sur deux textes... Un a été voté cette nuit, la responsabilité des magistrats, qu'est-ce que c'est ?
R- La responsabilité des magistrats, c'est deux choses : c'est la formation, meilleure formation des magistrats, ouverture de la formation vers l'extérieur, stages avant d'atteindre le grade supérieur dans la société civile ou dans d'autres administrations. Et d'autre part, effectivement une nouvelle responsabilité des magistrats, c'est-à-dire que constitue une violation intentionnelle tout manquement à la procédure par rapport aux garanties essentielles des droits des partis, à condition que l'instance soit close. C'est une nouvelle responsabilité des magistrats.
Q- Vous dites vous-même monsieur Clément, "voici une première étape de la rénovation de notre justice", que la réforme d'ampleur viendra à la rentrée 2007. Alors quel intérêt de faire voter ces deux textes, quand on sait que ce qui est le plus important, ou sera cassé dans six mois ou sera nouveau, ou renouvelé dans six mois ?
R- D'abord, ce ne sera pas dans six mois, parce que si l'on doit, par exemple, transformer - sans rentrer dans les détails - le juge d'instruction en juge de l'instruction, qui est tout à fait autre système, ce n'est pas six mois, ce sont des années de travail. Donc il est clair qu'il fallait de toute façon ajuster notre code de procédure pénale pour éviter une deuxième affaire Outreau - je vais dire une deuxième, ou peut-être une troisième, parce qu'il peut y avoir des erreurs judiciaires. Notre système était perfectible et devait être perfectionné. Et en revanche, se mettre d'accord sur l'architecture de la maison justice, car c'est ça la grande réforme, je prétends qu'il faut cinq ans. La prochaine législature aura le temps de le faire.
Q- J. Hallyday s'installe en Suisse, vous l'avez entendu et bien compris, tous les dirigeants politiques, coincés, répètent : "Johnny on l'aime, on connaît ses chansons", etc. Mais c'est la complainte des menteurs et des embarrassés... Vous n'y pouvez rien vous ?
R- Si je pouvais le convaincre de rester en France, je le ferais volontiers, parce que cela fait de la peine.
Q- Eh bien changer la fiscalité, faites une vraie réforme fiscale, en dépit de ce que dit le Premier ministre. Parce que tous les Français regrettent qu'il s'en aille mais ils comprennent son départ, vous vous rendez compte !
R- Tout le monde crie, "Europe, Europe" - enfin, pas tout le monde malheureusement, mais enfin beaucoup de Français. Moi, je dis, "écoutez, sur la fiscalité, j'ai une idée : faisons quelque chose un peu comme tous les autres, ne soyons pas trop différents et on verra que les gens ne partiront plus". Je crois que Johnny a tort de partir sur le plan moral, parce qu'on se dit qu'il est français, eh bien il faut payer ses impôts en France. En revanche, peut-être que la France doit se faire un examen de conscience. Qu'est-ce que nous valons fiscalement par rapport à l'Allemagne et à l'Angleterre, au Benelux, etc. ? Se poser la question, vous savez, ce n'est jamais mauvais.
Q- Donc ce n'est pas inutile que le débat soit ouvert, à travers lui ou à travers d'autres ?
R- Je considère que tout débat, c'est bien le moment, pendant les présidentielles.
Q- Le journal La Croix se demande ce matin ce qu'il faut réformer : le système fiscal ou le sens civique des expatriés de l'impôt ?
R- On a envie de dire, "les deux, mon général !".
Q- Quelle promotion ce matin ! J. Hallyday a promis à M. Switek [ndlr : journaliste de la rédaction d'Europe 1] de revenir si N. Sarkozy gagne et s'il réforme les droits de succession. Mais a contrario, est-ce que cela ne veut pas dire que Johnny choisit la Suisse parce qu'il pressent déjà la victoire de la gauche ?
R- Si c'est cela, je suis navré de lui dire qu'il a le nez bouché, il sent mal et puis ce n'est pas très amical. Je croyais qu'ils étaient amis...
Q- Pourquoi, quelle odeur sentez-vous ?
R- L'odeur de la victoire monsieur Elkabbach !
Q- Vous auriez pu dire "le parfum"...
R- Oui, le parfum, vous avez raison, c'est plus élégant.
Q- Mais même si cela ne va pas faire trembler la terre, est-ce que vous avez choisi votre candidat ?
R- Avec mon ami J.-P. Raffarin, nous allons nous réunir dans quelque tempe et nous ferons sans doute quelques annonces.
Q- C'est-à-dire ?
R- Je laisse le soin à J.-P. Raffarin de l'annoncer lui-même.
Q- Vous allez choisir M. Alliot-Marie ?
R- Je laisse à J.-P. Raffarin le soin de le dire avec quelques amis.
Q- D. de Villepin ?
R- Nous verrons bien ! En tout cas, c'est bien évidemment avant le 14 janvier.
Q- A la lumière de votre expérience Place Vendôme, la justice est-elle une institution capable de se remettre en cause et d'accepter une vraie réforme ?
R- J'en suis sûr et je voudrais en convaincre les Français, mais il est vrai que nous vivons dans une société très difficile où la part d'émotion n'est pas inutile, n'est pas à négliger, mais peut aussi faire faire un faux raisonnement. Restons toujours à la fois le coeur tendre mais la tête froide. Eh bien c'est ce que je souhaiterais que les Français aient dans les affaires de justice.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 décembre 2006