Tribunes de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans « Lutte ouvrière » des 1er, 8, 14, 22 décembre 2006, sur les licenciements dans l'industrie automobile, sur les aides publiques aux entreprises, sur la remise en cause des 35 heures, sur les expatriations fiscales des gros contribuables.

Prononcé le 1er décembre 2006

Intervenant(s) : 

Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Les uns dirigent toute l'économie, les autres nous soûlent de paroles
La direction de Volkswagen, la plus grande entreprise d'automobiles d'Europe, vient d'annoncer que, sur les 5400 salariés de son usine de Bruxelles, en Belgique, elle n'en gardera que 1500. 3900 travailleurs, et peut-être plus, vont se retrouver au chômage du jour au lendemain.
«Une catastrophe nationale», a affirmé le Premier ministre belge qui, une fois sa déclaration faite, est passé à autre chose, sans rien faire pour empêcher cette catastrophe. Les travailleurs belges ont des raisons de se souvenir d'un autre Premier ministre, français celui-là et socialiste, Jospin, qui avait accepté la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde, sans rien faire non plus, il y a très exactement dix ans. Pourtant, à l'époque, l'État était encore actionnaire majoritaire de Renault.
L'annonce faite par Volkswagen fait suite à d'autres tout aussi catastrophiques pour les travailleurs. Il y a un mois, c'est le PDG du trust Peugeot-Citroën qui annonçait la suppression de 10000 emplois. Et, derrière ces grandes entreprises d'automobiles, combien de sous-traitants, combien d'équipementiers suppriment des emplois ou ferment carrément des usines, de Faurécia à Thomé-Génot, en passant par Delphi, TRW ou Visteon?
La direction de Peugeot a invoqué, en guise de justification, la stagnation des ventes depuis un an.
Mais pendant les années précédentes, lorsque les ventes comme le cours des actions en Bourse montaient en flèche, celles de PSA comme de la plupart des constructeurs d'automobiles, cela n'a profité qu'aux actionnaires, pas aux travailleurs. Au contraire, c'est par leur fatigue et au détriment de leur santé que les chaînes de production tournaient plus vite. Alors, pourquoi faut-il que ce soient eux, et eux seuls, qui paient pour le plafonnement des ventes depuis un an?
On nous dit que c'est le marché et qu'il faut qu'une entreprise s'adapte à ses fluctuations. C'est comme cela que les patrons justifient la flexibilité des horaires et des effectifs. Mais pourquoi faut-il que ce soit l'emploi des travailleurs ou leur salaire qui soit flexible? Pourquoi pas les dividendes des actionnaires?
Cela devrait être sur leurs dividendes passés et présents, c'est-à-dire sur le profit accumulé pendant les années où les ventes allaient bien, qu'il faudrait prendre de quoi faire face aux périodes où les ventes vont moins bien, en répartissant le travail entre tous mais sans toucher aux salaires.
Les entreprises de l'automobile continuent à faire du profit. Les actionnaires ne sont pas sur la paille. Mais on licencie, on accroît le chômage pour faire plus de profit avec moins d'ouvriers.
Et c'est toute l'économie qui fonctionne comme cela. À côté des grandes entreprises de l'automobile, combien d'autres licencient dans les secteurs les plus variés: de Corsair aux sous-traitants d'Airbus, en passant par Thomson, Duralex ou les bas Dim?
Les conseils d'administration des grandes entreprises, représentant les intérêts de quelques poignées de riches actionnaires exclusivement préoccupés par leur profit, ont le droit souverain de décider du salaire, de l'emploi de leurs travailleurs et des conditions d'existence de leurs familles. L'accroissement du chômage, l'extension de la précarité et tous les maux qui en découlent pour la société viennent de leurs choix.
Le gouvernement de droite qui dirige le pays depuis quatre ans est ouvertement à leur service. Rien qu'en cela, il montre qu'il est l'ennemi direct des travailleurs. Mais quel crédit les classes populaires peuvent-elles accorder à la gauche lorsqu'elle promet le changement? Comme par le passé, elle ne s'en prendra pas à la mainmise du patronat sur l'économie. Elle nous soûle aujourd'hui de paroles d'espoir, mais elle ne fera rien, demain, contre le chômage, rien contre les bas salaires et la précarité, rien contre l'appauvrissement continu du monde du travail.
Source http://www.lutte-ouvrière.gouv.fr, le 5 décembre 2006
Les fonds publics devraient être au service de toute la population,
pas des seuls possédants!
La réélection du président du Venezuela, Hugo Chavez, à une très large majorité, a donné lieu à des commentaires curieux. «C'est facile de devenir populaire -déclarait en substance son principal rival- en développant des oeuvres sociales, sans se soucier d'aider les entreprises.»
Hugo Chavez n'est pourtant pas un adversaire du système capitaliste. Il entend seulement obtenir que le partage des bénéfices pétroliers entre l'État vénézuélien et les trusts pétroliers internationaux (dont le français Total) soit un peu plus favorable au premier. Et pour cela, il a besoin d'un soutien populaire, qu'il a effectivement obtenu en consacrant une partie du budget de l'État, tirée de ces ressources pétrolières, à un programme d'aides sociales, dans le domaine de la santé, de l'éducation, du logement, et en créant des magasins mettant à la disposition de la population pauvre des produits alimentaires de base à prix réduits.
Une bonne partie de la bourgeoisie vénézuélienne trouve d'ailleurs son compte dans la mise en oeuvre de ces programmes sociaux, et Le Figaro du 4 décembre (qu'on ne saurait soupçonner de sympathies anticapitalistes) pouvait titrer sur «Ces patrons vénézuéliens qui votent Hugo Chavez»! Mais si un certain nombre de patrons vénézuéliens soutiennent Chavez, la plupart, et les politiciens à leur service, trouveraient bien plus normal que les ressources de l'État aillent directement dans les caisses du patronat.
C'est aussi ce que pensent bon nombre de commentateurs français. Sur France Inter, un chroniqueur reprenait doctement lundi matin la même argumentation, en expliquant que Chavez sacrifiait peut-être l'avenir en ne consacrant pas à l'aide aux entreprises toutes les ressources tirées du prix actuel du pétrole.
Et ce n'est pas seulement au Venezuela qu'il pensait, mais aussi à la France. Car ici on nous sert tous les jours les mêmes discours sur la prétendue nécessité d'aider les entreprises, par le biais de subventions directes, ou de dégrèvements de cotisations sociales, dans «l'intérêt général», et en particulier pour lutter contre le chômage.
Cela fait aujourd'hui plus de vingt ans que tous les gouvernements qui se sont succédé, quelle que soit leur couleur politique, ont multiplié les aides de toutes sortes, ont diminué l'impôt sur les bénéfices des sociétés, les cotisations sociales, sans résultat -car le chômage de masse est toujours là- mais avec comme conséquences un déficit de la Sécurité sociale dont on nous parle beaucoup, et une dette encore plus catastrophique de l'État, dont on nous parle moins.
C'est ainsi que nous nous trouvons dans une situation paradoxale, où les bénéfices des grandes entreprises ne se sont jamais mieux portés, mais où le niveau de vie de la population laborieuse ne cesse de se dégrader, et les services publics (santé, enseignement, transports en commun, etc.) de se détériorer.
Au lieu de faire tous ces cadeaux à un patronat qui ne sait que faire de son argent, et qui ne l'utilise que dans des opérations de rachats et de fusions qui se traduisent à chaque fois par la destruction de milliers d'emplois, l'État ferait mieux de créer directement les emplois qui manquent dans les services publics, de construire les milliers de logements confortables et bon marché nécessaires pour loger décemment tous ceux qui s'entassent dans des appartements trop petits, qui vivent dans des locaux insalubres ou dans des taudis, et ceux qui sont à la rue.
Ce n'est certainement pas sur le candidat de l'UMP lors de la prochaine élection présidentielle, que ce soit Sarkozy ou un autre, qu'il faut compter pour changer cela, car c'est la politique contraire que ce parti mène au gouvernement depuis plus de quatre ans. Mais la candidate du Parti Socialiste, Ségolène Royal, n'a pas pris l'engagement clair et net de mettre les ressources de l'État en priorité au service de la population laborieuse.
Ce serait pourtant la moindre des choses de la part d'une candidate qui voudrait bien recueillir les voix des travailleurs.
Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 8 décembre 2006
Travailler plus pour gagner de moins en moins... si on a du travail!
Il n'y a pas besoin d'examiner à la loupe les dernières déclarations de Sarkozy pour ressentir sa haine et son mépris des travailleurs. Il l'a amplement démontré par ses déclarations du genre «nettoyer au Kärcher» les quartiers populaires et surtout par toute l'action du gouvernement dont il fait partie.
Mais, campagne électorale aidant, lorsque Sarkozy s'adresse à son parti ou à ses électeurs, c'est encore plus net. Lors du forum organisé par l'UMP, le week-end des 9 et 10 décembre, on a pu l'entendre partir en guerre contre la «dictature des minorités de grévistes» et proposer qu'au plus tard le huitième jour d'une grève, celle-ci soit soumise au vote secret de tout l'effectif de l'entreprise concernée (bien entendu, non-grévistes et cadres compris).
Que tous les salariés soient soumis à une dictature, réelle celle-là et pas pour trois ou huit jours mais tout le temps, celle du patron, qui pourra encore plus librement supprimer des emplois, fermer une usine ou la délocaliser, pour dramatiques que soient les conséquences, cela ne gêne pas Sarkozy. Mais que des travailleurs se défendent par la grève, il ne l'admet pas. Il est le porte-voix du grand patronat, porte-voix il reste.
Cela dit, il présume de sa force s'il croit que des subterfuges juridiques empêcheront les importants mouvements de la classe ouvrière. Il est des grèves qui emportent tout sur leur passage. L'ancêtre dont il se réclame, De Gaulle, en fit l'expérience. Quelques années après son arrivée au pouvoir, les mineurs se mirent en grève et De Gaulle les réquisitionna. Les mineurs n'en tinrent aucun compte. Pendant les grèves de Mai 68, De Gaulle alla en Allemagne chercher du secours auprès du général Massu, qui n'arrêta rien. Et Sarkozy n'est pas De Gaulle!
Quand Sarkozy s'en prend à la loi des 35 heures, ce n'est pas parce qu'en contrepartie d'une réduction, ô combien limitée et ciblée, des horaires de travail, elle a accordé aux patrons une plus grande flexibilité et le décompte annuel des heures supplémentaires. Non, c'est la simple idée qu'un travailleur puisse ne travailler que 35 heures qui lui donne des boutons: «Si quelqu'un refuse de travailler plus de 35 heures, libre à lui. Cela est respectable. Mais il est profondément injuste que ceux qui souhaitent travailler plus pour gagner plus ne puissent le faire.»
«Libre à lui»? Comme si les travailleurs d'une usine ou d'un supermarché pouvaient décider «librement» leur horaire de travail et quitter la chaîne de production ou la caisse de supermarché, une fois accompli leur horaire «librement choisi»!
«Travailler plus pour gagner plus»? Mais il y a près de trois millions de chômeurs à temps complet, sans parler de trois millions de précaires, d'intérimaires, de temps partiels non choisis, qui sont en fait des chômeurs à temps partiel. Comment travailler plus lorsqu'on n'a pas de travail du tout? Sans parler de ce qu'il y a d'inacceptable dans l'idée qu'un travailleur, pour gagner correctement sa vie, doit faire des heures supplémentaires et s'user au travail.
Sarkozy prétend s'inspirer du contrat nouvelles embauches pour un nouveau et futur «contrat unique» pour tous les travailleurs. Ce contrat donnerait aux patrons le droit de licencier comme ils veulent.
Oui, Sarkozy est un homme de droite, ennemi ouvert des travailleurs. Mais on n'a pas entendu Ségolène Royal prendre le contre-pied de Sarkozy. On ne l'a pas entendue s'engager, si elle était élue, à revenir sur toutes les décisions néfastes aux classes populaires prises par le gouvernement de droite actuel.
Alors, la seule conclusion à en tirer, c'est que les travailleurs ne peuvent pas compter sur un changement à la présidence pour se défendre contre le patronat. Il faut qu'ils tapent du poing sur la table, avec suffisamment de force pour que les plus sourds des patrons l'entendent et en soient effrayés.
Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 15 décembre 2006
Ceux qui n'ont même pas besoin de chercher en Suisse le paradis fiscal
La déclaration de Johnny Hallyday, annonçant qu'il partait en Suisse pour payer moins d'impôts, a fait parler. D'autant qu'avec un revenu estimé à plus de six millions d'euros par an, même après le paiement de ses impôts, il n'est pas à plaindre.
Les ténors de la majorité ont fait des déclarations gênées car le chanteur, après avoir été un fan de Chirac, a reporté sa ferveur sur Sarkozy. Une désertion fiscale ne fait pas joli dans le décor de la campagne électorale !
Et Villepin, puis le ministre de l'Économie, de se relayer pour s'étonner de ce déménagement en Suisse. Mais comment ! Le gouvernement n'a-t-il pas pris des mesures pour alléger la fiscalité des plus hauts revenus ? Il y en a eu, des mesures, et pas seulement sous le gouvernement actuel! Sur une vingtaine d'années, le taux d'imposition de la tranche supérieure des revenus a été abaissé de 65% à 40%, le nombre de tranches réduit de treize à sept puis à cinq. Chacune de ces mesures s'est traduite par une économie conséquente pour les quelques dizaines de milliers de personnes les plus riches du pays, parmi lesquelles Johnny Hallyday n'occupe qu'une place fort modeste. Si le cas des gens du spectacle (artistes, footballeurs, etc.) est le plus spectaculaire, ceux-là au moins font quelque chose pour gagner leur argent. Mais combien de grands bourgeois, de Michelin à Peugeot en passant par madame Bettencourt, propriétaire de L'Oréal, touchent des revenus autrement plus élevés sans même diriger leurs entreprises ?
Ce sont ceux-là qui ont le plus profité de l'évolution fiscale des dernières années. Tout récemment, on a même inventé un «bouclier fiscal» à leur intention, qui impose une limite aux impôts divers cumulés par ces malheureux riches pour, paraît-il, leur éviter de déménager en Suisse, au Luxembourg ou aux Bahamas.
Ces mesures sont complétées plus discrètement par bien d'autres, comme par exemple le petit cadeau pour grand patron qui exonère de l'impôt sur la fortune 75% des actions détenues par les dirigeants d'entreprise.
À côté de ces cadeaux faits aux plus riches en tant que personnes, il y a la baisse continue de l'impôt sur le bénéfice des entreprises, qui est passé en vingt ans de 50% à 33%. Au total, l'impôt sur le revenu -le seul impôt plus ou moins proportionnel- ne représente qu'un cinquième des recettes. L'impôt sur le profit des entreprises, moins encore.
En revanche les impôts indirects, notamment la TVA, constituent la recette de loin la plus importante de l'État. Or la TVA est payée par tout le monde et au même taux. L'impôt qui rapporte le plus au budget est donc payé surtout par les salariés, les chômeurs, les retraités.
L'équation de la fiscalité capitaliste est simple. C'est le grand patronat, les gros possédants qui paient proportionnellement le moins d'impôts, alors que ce sont eux qui bénéficient le plus du budget de l'État.
Le gouvernement en place se vante d'avoir réduit les impôts, mais il n'a réduit que l'impôt des plus riches. Et à chaque annonce de réduction, c'est moins d'argent pour les services publics utiles à l'ensemble de la société.
Mais le PS propose-t-il réellement une autre politique fiscale ? Son premier secrétaire, François Hollande, promet de remettre les impôts au niveau de 2002 et de supprimer le bouclier fiscal. C'est déjà ça ! Encore faudrait-il que, si la candidate du PS est élue, elle respecte cette promesse ! Mais il n'y a pas de promesse de revenir sur les baisses d'impôts consenties aux riches avant 2002 ni de relever l'impôt sur les profits, au moins jusqu'à son niveau antérieur de 50%.
Pourtant, il est impossible pour l'État de consacrer l'argent qu'il faut à l'Éducation nationale, aux transports publics, à la construction de logements corrects à la portée de salaires ouvriers, sans imposer davantage les revenus du capital et la fortune des plus riches.

source http://www.lutte-ouvriere.org, le 28 décembre 2006