Déclaration de Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur la stratégie nationale en faveur de la biodiversité et la politique de la nature, Paris le 12 janvier 2007.

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Circonstance : Clôture du 7ème Congrès français de la Nature à Paris le 12 janvier 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
J'ai toujours apprécié la pertinence des sujets proposés par l'UICN.
A l'heure où sont nombreuses les personnes publiques et les formations politiques qui découvrent les sujets de l'écologie et du développement durable, il me paraît en effet très utile de dire concrètement ce que nous comptons faire pour la biodiversité dans les cinq prochaines années.
Vous comprendrez que les orientations que je propose se situent dans la dynamique de l'action que je conduis depuis 18 mois.
Que nous conduisons devrais-je dire puisque, depuis la première réunion que nous avons eue ensemble, une semaine exactement après ma nomination comme Ministre de l'Ecologie et du Développement durable, j'ai demandé à mes services que l'UICN et ses membres soient étroitement associés à l'élaboration des politiques de mon Ministère.
C'est pourquoi je souhaite ici tout d'abord vous remercier, particulièrement le Président François LETOURNEUX, mais aussi chacun des membres de l'UICN, pour le travail accompli ensemble et pour l'appui que vous m'avez apporté.
L'UICN et ses membres ont en particulier fourni une contribution essentielle à la préparation de la loi sur les parcs nationaux, les parcs naturels marins et les parcs naturels régionaux. Il ne fait aucun doute que votre action a directement contribué à améliorer le texte.
Mais un dialogue très constructif s'est instauré sur de multiples autres sujets.
Je n'entends cependant par me contenter de célébrer notre coopération, aussi sincère, efficace et stimulante soit-elle.
Ce serait sans doute avoir une piètre image de l'avenir des politiques de la nature que de ne compter que sur la force de ce dialogue et sur la qualité d'un bilan. Ce serait aussi négliger quelques enseignements fondamentaux de ces 18 derniers mois.
Il nous faut explorer sans faiblesse les limites des méthodes et moyens mis en oeuvre ces vingt dernières années et nous arrêter quelque peu sur les pistes ouvertes depuis peu, à travers, en particulier, la stratégie nationale pour la biodiversité.
J'ai entrepris, avec votre aide, de corriger ces insuffisances de l'action publique et collective, mais beaucoup demeure à accomplir dans cette direction.
Les anniversaires célébrés en cette année 2006 - celui de la loi de 1906 sur les sites, celui du Conseil National de Protection de la Nature, celui de la loi de 1976 sur la protection de la nature, comme la réécriture législative complète de notre droit sur les parcs nationaux - , chacun de ces événements nous a permis de prendre conscience des racines profondes de nos politiques de la nature.
Elles ont émergé dès le début du 20ème siècle sur le terreau culturel pour, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, se fonder de plus en plus nettement sur un terrain scientifique puis, rapidement, créer leurs propres instruments juridiques.
Mais, si pendant tout ce temps, la nécessité de protéger ou seulement de prendre garde au patrimoine culturel et historique s'est imposée progressivement à la société française comme une évidence aujourd'hui incontestable, l'urgence d'adopter collectivement vis-à-vis du patrimoine naturel la même attitude respectueuse, ne s'est, pour le moins, pas réellement imposée.
S'il ne viendrait plus aujourd'hui à l'idée de personne de raser le cloître de Moissac sous prétexte qu'il est situé sur le tracé le mieux adapté d'une future ligne de chemin de fer (catastrophe qui, réellement, n'a été évitée au 19ème siècle que de justesse), il reste encore des gens pour que la nature, même la plus exceptionnelle, ne mérite pas autant d'égards.
Je suis ainsi étonnée de voir d'éminents scientifiques, à l'autorité incontestable, remettre en cause péremptoirement l'intérêt de sauver ce trésor d'inventions biochimiques, de parades sanitaires, de stratégies d'adaptation que représente la diversité biologique.
Certains allant même jusqu'à prétendre qu'un monde vivant réduit à quelques espèces (le rat, la mouche et l'homme par exemple) serait finalement plus simple à gérer et nullement une menace pour l'humanité !
N'y a-t-il pas dans toutes ces stratégies du dénigrement et du doute, plus ou moins avouées, le signe, osons le dire, d'une faillite de nos comportements traditionnels ?
De celui de ce Ministère, de celui de vos organisations, de celui de la recherche en écologie et biodiversité depuis 20 ans ?
Faillite, non de l'action puisque je l'ai dit, en peu de temps nous avons réussi ou sommes en train de réussir ensemble de très grandes choses. Mais faillite de la parole.
Le monde, le très petit monde de la protection de la nature n'est-il pas trop longtemps resté dans une sorte de ghetto institutionnel ?
C'est en cela d'abord que les 10 plans d'actions de la stratégie nationale pour la biodiversité sont les plus novateurs et qu'ils marquent une inflexion profonde dans la manière de concevoir les politiques de la nature.
Ils ont été élaborés avec mais surtout par les 8 départements ministériels concernés, sous l'impulsion décisive des Ministres.
Leur élaboration a été, dans chacun des Ministères, l'occasion d'une prise de conscience et d'une appropriation, non seulement par les administrations elles-mêmes, mais aussi par les interlocuteurs professionnels habituels de ces Ministères.
Nous avons véritablement jeté les fondations d'une nouvelle approche.
La stratégie nationale a ainsi anticipé l'une des conclusions majeures des deux journées d'étude des 14 et 15 novembre sur la loi de 1976 : les politiques de la nature ne peuvent se réduire à des outils juridiques ou financiers dédiés.
Elles doivent s'appuyer sur l'intégration des politiques publiques. Elles doivent trouver des relais en dehors de l'Etat et des associations naturalistes.
La stratégie appelle explicitement à la mobilisation de la société dans son ensemble.
La coopération avec les collectivités et tout spécialement les Régions ne date pas d'aujourd'hui.
Cependant, au-delà des réussites incontestables, tels les parcs naturels régionaux, le Gouvernement a mis en place de nouveaux outils permettant à chaque collectivité d'élaborer librement sa vision propre et de l'articuler souplement avec les politiques de l'Etat.
C'est l'objet, ainsi, des Conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel que de permettre une bonne coordination des politiques d'acquisition de données et une valorisation optimale des données existantes ; c'est-à-dire en limitant les coûts et en rationalisant les avis.
La création des réserves naturelles régionales procède du même esprit d'ouverture.
Toujours dans un esprit de dialogue avec les collectivités, j'ai fait en sorte que, pour la première fois, les mandats aux Préfets pour la négociation des contrats de projet Etat-Régions prennent en compte la dimension environnementale et identifient notamment un volet biodiversité.
Je crois enfin particulièrement significatif de l'esprit dans lequel nous nous plaçons vis-à-vis des collectivités le fait d'avoir donné par la loi la possibilité aux élus locaux de présider les comités de pilotage Natura 2000.
Avec les départements aussi, des réflexions sont en cours, par exemple sur les évolutions possibles de la taxe départementale sur les espaces naturels.
L'avenir des conservatoires botaniques nationaux est également en cours de réflexion, en ce moment même, avec les collectivités.
Au-delà des collectivités, la stratégie ouvre nos réflexions et le champ de l'action à d'autres interlocuteurs, jusqu'à présent oubliés : les entreprises.
Là encore, j'ai tenu à ce que cette orientation se traduise concrètement : j'ai ainsi présenté le 22 mai dernier, journ??e mondiale de la biodiversité, une plaquette éditée avec l'association OREE sur la base d'une réflexion conduite avec l'Association Française des Entreprises Privées (AFEP).
Davantage qu'une simple sensibilisation, c'est d'une incitation à l'action qu'il s'agit, à l'intention des directeurs de sites de production.
Nous devons rapidement élargir les sujets de coopération avec les entreprises.
J'ai en particulier souhaité favoriser les relations entre les associations de protection de la nature et les entreprises en vue de développer le mécénat.
Si, dans d'autres domaines, les associations ont pris l'habitude d'établir, grâce aux possibilités désormais élargies de mécénat d'entreprise, des relations fortes avec le monde économique, les initiatives sont restées trop peu nombreuses, trop ponctuelles et trop timides dans le domaine de la nature.
Vous dépendez trop des crédits publics, de l'Etat et des collectivités.
La stratégie nationale offre un cadre cohérent apte à faciliter l'établissement de telles relations avec le monde économique et j'entends que, dans les mois à venir, mon Ministère vous aide en ce domaine.
Dans le même esprit d'innovation et d'exploration d'instruments nouveaux, j'ai demandé à la Caisse des Dépôts et Consignations de réfléchir à la possibilité d'expérimenter de nouveaux instruments de compensation des atteintes aux milieux naturels.
Il s'agirait de s'inspirer de l'exemple des "mitigation bank" aux Etats-Unis, pour imaginer un dispositif qui permettrait d'aller plus loin, en matière de compensation, que ce que nous parvenons à faire aujourd'hui, sans, bien évidemment, affaiblir les principes d'évitement et de réduction des impacts.
Un groupe de travail élabore de premiers axes de solutions en ce moment. Dès que le sujet sera suffisamment avancé, les associations pourront y être intégrées de façon à, rapidement, et sur des bases claires, lancer une expérimentation.
Le monde de la recherche mérite enfin, comme je viens de le souligner, que nous lui parlions.
Non pas, bien entendu, les chercheurs en écologie, ni même, grâce à l'immense travail accompli par l'Institut Français pour la Biodiversité, les chercheurs en sciences humaines, dont nous mesurons tous les jours la contribution dans les domaines de l'environnement.
Il est urgent en revanche que de nombreuses disciplines qui, encore aujourd'hui, voient à tort l'essor de la biodiversité comme une concurrence à leurs activités, découvrent au contraire le champ immense de questions nouvelles et de perspectives de valorisation que ce sujet recèle.
La complexité des sujets, la multiplicité des approches possibles appellent au contraire un questionnement largement multidisciplinaire où les sciences du génome, la biochimie, l'épidémiologie, les sciences médicales ne peuvent trouver que des sources d'enrichissement mais aussi des ressources nouvelles.
Loin d'être une concurrence, le développement des questions sur la biodiversité est une opportunité formidable pour de très nombreuses disciplines.
Nous devons être capables de leur porter ce message. C'est à ce prix que la recherche sur la biodiversité sortira, elle aussi, du ghetto dans lequel le fonctionnement institutionnel l'a reléguée.
La mobilisation de l'ensemble de la société est donc la première novation de la stratégie nationale pour la biodiversité ! Elle s'est déjà illustrée concrètement sous de nombreux aspects. Il conviendra dans les années qui viennent de poursuivre ensemble sur cette voie.
La seconde innovation de la stratégie nationale est de nous conduire d'une culture de moyens à une culture de l'évaluation et du résultat.
Je l'ai illustré moi-même par mon action au Gouvernement. Je ne me suis pas contentée de lancer des actions, j'ai veillé à ce qu'elles aboutissent.
La mise en place du système national d'information sur la nature et les paysages nous conduira progressivement à disposer d'éléments de plus en plus complets, fiables et partagés, régulièrement mis à jour, sur l'état de la biodiversité en France et à rendre publiques les évolutions observées.
Il permettra à chacun de s'emparer des résultats et des questions qu'ils posent. Il servira à l'évaluation au niveau européen de nos politiques sur la nature. Il nourrira de façon objective le dialogue entre les différents partenaires de la stratégie.
Là aussi nous avons agi ensemble en pionniers. Les années qui viennent doivent voir l'épanouissement de cet important dispositif.
Mais au-delà, la stratégie appelle une évaluation détaillée tous les deux ans.
Vous savez que j'attends de l'UICN une contribution déterminante à ce processus et je me félicite que, dès aujourd'hui, vous ayez demandé à Gilles KLEIST, architecte de la stratégie, de venir vous en présenter un premier bilan.
La gouvernance constitue le troisième axe du nécessaire renouvellement des politiques de la nature.
Cette exigence s'impose à l'Etat bien entendu mais pas seulement à lui.
J'ai par exemple été quelque peu surprise, il y a un an, de découvrir ce titre en première page de la revue d'une association honorablement connue "Le loup, une espèce menacée par la France".
Si nous attendons tous de votre part une grande vigilance et exigence, la tenue d'un débat avec le reste de la société, et en l'occurrence avec les éleveurs qui souffrent, eux, des attaques du loup, appelle des propos plus mesurés et, pour le moins, plus exacts.
La sortie de ce "ghetto" qui limite notre action collective impose aussi qu'on ne se fabrique plus de "vaches sacrées".
Il est vrai que l'association dont je parle s'est découvert une vocation de protectrice de la nature plus tardive que toutes celles qui ont participé depuis l'origine au groupe loup.
Le loup est en état de conservation favorable en France. Et j'affirme même que, grâce à l'engagement associatif comme à l'engagement professionnel agricole, la gestion que nous avons eue de ce problème difficile doit être considérée comme exemplaire en Europe.
Cet exemple est révélateur des questions les plus délicates qui se posent à nous aujourd'hui. Les journées d'étude sur la loi de 1976 ont ainsi également conclu à la nécessité de passer d'une approche à l'origine purement protectrice à une gestion adaptative des espèces.
Le cormoran, comme le loup, comme, dans l'avenir d'autres espèces, nous conduiront à nous interroger davantage sur les moyens d'une gestion capable de s'adapter, c'est-à-dire capable de protéger sans désespérer.
Et qu'on arrête de dire que les règlements européens sont des obstacles.
Ils sont préoccupants si on les viole. En revanche, si l'on a, comme c'est le cas pour le loup, comme c'est désormais le cas pour les directives habitats et oiseaux, la volonté de les appliquer scrupuleusement en utilisant les concepts juridiques qu'ils ont mis en place, nous enracinerons l'idée qu'ils servent la cause non seulement de la nature, mais aussi de la qualité de vie et de l'attractivité touristique de l'Europe.
Nous avons là deux des éléments d'une "bonne gouvernance" :
Plus de "vaches sacrées" : c'est-à-dire abandonnons, tous, les attitudes idéologiques. Un monde qui évolue vite exige une souplesse d'esprit peu compatible avec les raideurs psychologiques. Cela n'empêche pas de rester vigilant.
La nécessité d'organiser un dialogue équilibré, d'y consacrer temps et moyens.
La réforme des parcs nationaux, la création des parcs naturels marins, les nouvelles dispositions légales sur Natura 2000 sont d'autres éloquentes illustrations de cette orientation.
Mais tout cela ne sera que de peu d'effet s'il n'y a pas, aussi, la capacité de décider et d'agir.
Ceux qui, s'agissant de l'ours, se sont hasardés à refuser le dialogue qu'à plusieurs reprises je leur avais proposé n'ont pas fait progresser leur cause mais ne m'ont pas empêché d'agir.
Le Ministère de l'écologie et du développement durable est, par nature, un Ministère de combat et il le restera.
Quel que soit, dans le futur, son format et l'étendue de ses compétences, la nécessaire réorganisation des services déconcentrés de l'Etat devra avoir pour objectif essentiel, outre une meilleure efficacité de l'Etat, un renforcement de la fonction d'autorité environnementale d'une part et l'intégration des politiques publiques d'autre part.
Je suis heureuse d'avoir pu travailler avec vous.
Ensemble, nous avons déjà beaucoup réalisé mais nous avons aussi, par l'action concrète, jeté les bases de pratiques innovantes.
Ensemble, nous avons ouvert une époque nouvelle pour les politiques de la nature.
Mais le chantier demeure immense.
Vous avez engagé, dans vos propres structures, les évolutions nécessaires.
Vous avez encore des débats à conduire pour explorer les voies que je viens de tracer.
Je souhaite voir bientôt s'épanouir un monde associatif plus fort, moins dépendant de l'argent public, mieux reconnu par le reste de la société et toujours plus entendu.
Je travaille, de mon côté, avec la Président de la République et le Premier Ministre, à forger un Ministère débarrassé de toute idéologie, respecté, faisant autorité sur la scène française comme en Europe.
C'est notre projet. Pour le plus grand bien de la biodiversité.
Mon engagement, ma détermination et les résultats obtenus depuis 18 mois devraient vous rassurer sur ce projet que je nourris activement.
Je vous remercie.Source http://www.ecologie.gouv.fr, le 1er février 2007