Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Perpétuel,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais d'abord vous dire, Monsieur le Président, tout l'honneur que j'ai et que j'éprouve à venir ici en cette Académie des Sciences d'Outre-Mer. Je vais donc faire une communication qui sera brève pour laisser du temps à la discussion. Je me bornerai donc, quitte à malmener quelque peu vos règles, à une très brève communication liminaire.
L'Académie des Sciences d'Outre-Mer : le titre de votre compagnie est en lui-même à la fois plein de mélancolie et se trouve être une froide description de la réalité.
Plein de mélancolie : je veux dire par là que les Sciences d'Outre-Mer rappellent la France d'Outre-Mer et l'empire perdu. Les nostalgies ont été sans doute nombreuses ; elles ne sont plus, de mise tant il est vrai que vous vous êtes résolument orientés vers un avenir strictement géographique -l'Outre-Mer, c'est le Sud- et que la France a aujourd'hui à trouver une nouvelle perspective dans une décolonisation résolue de ses rapports avec le Sud et avec ce qui fut la France d'Outre-mer.
Cette évolution qui est la vôtre, Monsieur le Président, est aussi celle du Ministère de la Coopération et du Développement. Je veux dire par là que nous nous attachons à prolonger, à achever cette mutation nécessaire pour que la voix de la France se fasse entendre avec une nouvelle clarté dans le Sud.
Le Ministère de la Coopération, la rue Monsieur, tel que je l'ai trouvé il y a bientôt dix mois était en effet une institution qui portait un passé dont elle n'avait pas à rougir mais qui demandait tout de même un "aggiornamento" tant il est vrai que le fait de confier à un Ministre qui avait pour compétence les 26 pays de l'Afrique francophone au Sud du Sahara et ces quelques rajouts éparpillés dans les océans, la politique de développement de la France, en lui interdisant par ailleurs toute perspective sur tout ce qui fait la politique multilatérale du développement, en ne l'autorisant point à regarder au Nord du Sahara vers la Tunisie, l'Algérie et le Maroc et bien sûr en le bannissant de l'Asie et de l'Amérique Latine, ceci faisait de ce Ministère un Ministère qui étais tronqué au regard des impératifs d'une politique du développement.
Aussi tout l'effort qui a été le mien, qui a été celui de notre Gouvernement et qui a été celui du Président de la République a-t-il été au cours de ces derniers mois, et si je veux en faire le bilan aujourd'hui, de décoloniser ce Ministère ; c'est-à-dire d'abord de lui donner un champ d'actions qui corresponde à l'ambition de la France pour le Tiers-Monde.
Champ d'actions qui corresponde à l'ambition de la France pour le Tiers-Monde, c'est-à-dire l'ensemble du Tiers-Monde et tous les moyens d'action dans le Tiers-Monde. Ce sont les réformes de structure auxquelles nous nous sommes attachés au cours de ces derniers mois, d'abord pour rassembler entre les mains du Président de la République l'agissement de la politique du développement -c'est là que nous avons estimé que l'impulsion essentielle devait se trouver- les différents moyens d'action par l'entremise d'un conseil restreint qui doit fixer les grandes orientations de cette politique, à l'aide d'un Délégué interministériel placé auprès du Premier ministre pour assurer la coordination nécessaire, et enfin en donnant au Ministère délégué auprès du Ministre des Relations Extérieures, chargé de la Coopération et du Développement, l'impulsion générale et la maîtrise ou en tout cas la coordination de tous les instruments du développement qui se trouvent très naturellement éparpillés dans les différents départements ministériels français, tant il est vrai qu'une politique de développement associe nécessairement l'ensemble des volontés nationales et des départements ministériels concernés étant une activité de synthèse par définition.
Le premier aspect de notre réorganisation a été donc, pour substituer à l'ancien Ministère de la Coopération, le nouveau Ministère délégué au Développement. Je voudrais ajouter deux remarques à ceci :
- pour dire d'abord que ce Ministère délégué à la Coopération et au Développement s'inscrit dans le cadre du Ministère des Relations Extérieures. Et que l'autre effort parallèle à celui-là a été de réaffirmer l'unité de la politique extérieure de la France et de faire en sorte que la rue Monsieur soit bien ancrée au quai d'Orsay à travers un ensemble de dispositions dont je vous fais grâce mais qui ont pour effet d'assurer cette unité de la politique extérieure et de faire en sorte, donc, qu'il n'y ait pas deux voix sur les problèmes de politique extérieure de notre pays.
- La seconde remarque que je voudrais faire c'est que cette volonté d'extension du champ d'actions du Ministre délégué à la Coopération et au Développement est aussi, d'un certain point de vue, une volonté de "désafricanisation" de ce Ministère ; c'est-à-dire volonté de rompre avec, sinon certaines habitudes, du moins certaines complaisances et certaines interférences. Et, à cet égard, il y a, par delà la réorganisation administrative et la rationalité de l'instrument, une volonté politique qui a son importance ; il s'agit aussi d'assainir la politique française.
La seconde dimension de l'effort que nous avons fait c'est sur le plan plus spécifiquement de l'Afrique, car l'Afrique reste la préoccupation principale et donc la priorité de notre action en matière d'aide au développement. L'Afrique, toute l'Afrique : c'est-à-dire non seulement l'Afrique francophone au Sud du Sahara, les pays qui relevaient de l'ancien Ministère de la Coopération, non seulement l'Afrique du Nord à laquelle les institutions de la rue La Pérouse, juste à côté d'ici, consacraient l'essentiel de leur effort (l'Algérie, la Tunisie et le Maroc), mais encore l'Afrique dans toute son ampleur l'Afrique anglophone, l'Afrique lusophone, l'Afrique arabophone.
Et là, je crois que l'extension progressive, un petit peu désordonnée (mais l'histoire n'est jamais tout à fait ordonnée) du Sommet des Chefs d'Etats de France et d'Afrique dont le dernier,qui s'est tenu sous la présidence de François MITTERRAND,a réuni des représentants de l'Afrique dans toute cette diversité, est assez caractéristique de cet effort.
Oui, nous voulons prendre l'Afrique pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle veut, c'est-à-dire comme une unité, reconnaître le rôle prééminent de l'unité africaine, l'aspiration de l'Afrique à cette unité même si cette aspiration est quelque peu malmenée par les crises institutionnelles que peut connaître l'Organisation de l'Unité Africaine ; mais nous voulons considérer que les problèmes fondamentaux de l'Afrique ne sont pas différents par essence à Lagos ou à Abidjan, à Accra ou à Conakry et qu'il y a lieu d'exprimer la solidarité de la France vis-à-vis de toute l'Afrique. Cette solidarité est une solidarité qui se développe sur trois plans :
- le premier, c'est celui de la solidarité politique. Et je crois qu'à cet égard les claires prises de position du Gouvernement sur les problèmes qui préoccupent politiquement l'Afrique, la mise en cohérence -si j'ose dire- de l'ensemble des éléments de notre politique africaine ont eu un écho en Afrique qui a conforté nos positions. Le fait que la toute première déclaration de Claude CHEYSSON après avoir pris ses fonctions ait été pour la journée spéciale des Nations Unies contre l'Apartheid, qui se tenait à Paris à l'occasion justement de la réunion sur les problèmes de la Namibie fin mai 1981, que le discours qui a été fait, qui a marqué d'emblée la volonté de la France de prendre partie sur le problème de la discrimination raciale et de prendre partie pour la liberté de la Namibie, a planté d'emblée le décor. Et cette solidarité politique avec l'Afrique sur les enjeux africains ne s'est pas démentie depuis. Solidarité politique sur ce qui unissait les Africains : la lutte contre la discrimination raciale, unité sur le fait sud-africain. Solidarité politique aussi avec l'Afrique dans sa volonté ou sa tentative de résoudre les litiges africains à proprement parler c'est toute la politique que nous avons menée pour soutenir l'Organisation de l'Unité Africaine dans ses efforts pour ramener la paix dans les zones litigieuses, contestées de l'Afrique, mais encore pour tenter, par une présence parfois maladroite et pourtant nécessaire -et je songe à la force interafricaine au Tchad par exemple-, d'établir les conditions du dialogue.
Enfin, l'effort que nous faisons et que nous ne cessons de faire pour éviter las ingérences étrangères en Afrique et pour faire en sorte que les problèmes africains soient traités par les Africains eux-mêmes.
Je crois que cette attitude de solidarité qui se double d'une attitude de non-ingérence dans les affaires africaines, premier élément de notre solidarité avec l'Afrique, est une attitude qui est aujourd'hui comprise par les Africains, sans doute mieux au demeurant que par les Français eux-mêmes, tant il est vrai que la tentation de régler à Paris les problèmes africains reste encore vive.
- La seconde dimension de cette solidarité est lé solidarité économique. Et, là encore, nous avons pris les Africains au mot en prenant pour fondement et pour principe de notre action ce que les Africains affirmaient eux-mêmes : le plan d'action de Lagos adopté par l'Organisation de l'Unité Africaine, qui dit un certain nombre de choses simples et sages (même si elles ne sont pas toujours appliquées par ceux-là même qui ont signé le document) touchant le développement autocentré, la nécessité de rechercher une autosuffisance et, plus généralement, d'établir les conditions d'un développement économique harmonieux dans un cadre si possible régional.
Nous avons soutenu ces directions et nous avons mis en conformité notre politique de coopération avec ces indications, cherchant à éviter des opérations qui avaient trop souvent dans le passé conduit à ce qu'on appelle du mal-développement s investissements souvent mal calculés, absurdes, gigantesques, usines abandonnées ou barrages non maîtrisés : vous connaissez tous ces spectacles lamentables qui parsèment le continent et qui sont le symbole de ce qu'il ne faut pas faire et ne pas refaire, et pourtant qui ont été commencés et recommencés au cours des années passées. Notre volonté à cet égard est de rejoindre le discours des Africains eux-mêmes dans cette conception de développement économique et, si possible, de faire la jonction entre le discours et la pratique, ce qui n'est pas le plus simple.
Mais la solidarité avec les Etats Africains ne se limite pas à une certaine conception de coopération et d'aide au développement. Elle comprend aussi et au-delà une solidarité sur les grandes batailles économiques, sur cette bataille pour ce qu'on appelle le Nouvel Ordre Economique International auquel, nous en sommes persuadés, la France a autant intérêt que le Tiers-Monde, tant il est vrai que le désordre économique actuel, que l'anarchie dans laquelle l'économie internationale est plongée depuis une bonne dizaine d'années maintenant, (anarchie monétaire, anarchie commerciale, anarchie dans la spéculation sur les cours des matières premières), tant il est vrai que cette anarchie s'exerce au détriment d'abord du Tiers-Monde, mais ensuite et durement à notre encontre à nous ; ce qui nous a conduit à prendre des positions sur la stabilisation du cours des matières premières, sur le fonctionnement correct du mécanisme institué par la Convention de Lomé et en particulier du jeu ce qu'on appelle le STABEX, c'est-à-dire la garantie des recettes d'exportation, sur la conclusion des accords de produit...
Enfin il y a eu une prise de position qui s'est manifestée à la conférence sur les Pays les Moins Avancés l'été dernier, par les positions prises par le Président de la République à Cancun à l'automne et inlassablement depuis sur la reprise de ce qu'on appelle les négociations globales, cet ensemble d'éléments de solidarité allant très au-delà de la notion d'aide au développement qui fait partie de cette politique d'ensemble.
- Enfin, la solidarité en matière de sécurité. Et je voudrais ici en dire un mot car, pour nous, la solidarité est une notion complète. Nous entendons aider les Etats Africains en particulier, les Etats du Tiers-Monde plus généralement, à rester non-alignés car il est de leur intérêt comme du nôtre que ce soit ainsi. Nous sommes persuadés que la remise en cause du non-alignement aujourd'hui par le jeu des deux super-puissances entrave à la fois les possibilités pour les Etats du Tiers-Monde de se développer et représente un péril majeur pour la paix du monde. Si l'on regarde froidement et franchement les choses, ce n'est pas en Europe que la paix du monde est menacée ; malgré tous les sentiments que nous pouvons avoir pour le peuple polonais, nous savons bien, que la loi de Yalta a ses contraintes. En revanche, c'est en Afrique, en Asie, en Amérique Latine que les choses changent, que la ligne de front se modifie, que les situations politiques se trouvent bouleversées et que, dans les situations devenues plus tragiques par la crise économique, l'explosion politique et donc militaire menace à tous moments.
Face à une telle situation nous estimons qu'il est de notre devoir d'aider les pays du Tiers-Monde, et d'abord les pays africains, ceux dont nous sommes les plus proches, à maintenir leur non-alignement, à le renforcer ou à y revenir. Et ceci d'abord par le maintien de nos engagements, en particulier de nos accords en matière de coopération militaire, en matière de défense, en matière de sécurité. Et nos amis africains ont eu l'occasion, au cours de ces mois derniers, de vérifier la réalité de cet engagement. Mais ensuite en encourageant tout ce qui peut être renforcement de la capacité de non-alignement authentique, en tendant la perche à ceux qui cherchent à s'engager sur cette voie même s'ils ne le sont pas tout à fait ; en essayant d'éviter les ingérences extérieures, et notamment des superpuissances autant que faire se peut ; et la diplomatie française, sur ce point, a pu être active à tel ou tel moment. Enfin, en créant des conditions qui permettent de préserver la paix et le non-alignement.
Voilà, Monsieur le Président, quelles ont été les grandes lignes de notre politique. Nous savons bien qu'une politique n'est jamais totalement satisfaisante. Nous savons bien que nos objectifs en la matière doivent être modestes.
Monsieur le Secrétaire Perpétuel,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais d'abord vous dire, Monsieur le Président, tout l'honneur que j'ai et que j'éprouve à venir ici en cette Académie des Sciences d'Outre-Mer. Je vais donc faire une communication qui sera brève pour laisser du temps à la discussion. Je me bornerai donc, quitte à malmener quelque peu vos règles, à une très brève communication liminaire.
L'Académie des Sciences d'Outre-Mer : le titre de votre compagnie est en lui-même à la fois plein de mélancolie et se trouve être une froide description de la réalité.
Plein de mélancolie : je veux dire par là que les Sciences d'Outre-Mer rappellent la France d'Outre-Mer et l'empire perdu. Les nostalgies ont été sans doute nombreuses ; elles ne sont plus, de mise tant il est vrai que vous vous êtes résolument orientés vers un avenir strictement géographique -l'Outre-Mer, c'est le Sud- et que la France a aujourd'hui à trouver une nouvelle perspective dans une décolonisation résolue de ses rapports avec le Sud et avec ce qui fut la France d'Outre-mer.
Cette évolution qui est la vôtre, Monsieur le Président, est aussi celle du Ministère de la Coopération et du Développement. Je veux dire par là que nous nous attachons à prolonger, à achever cette mutation nécessaire pour que la voix de la France se fasse entendre avec une nouvelle clarté dans le Sud.
Le Ministère de la Coopération, la rue Monsieur, tel que je l'ai trouvé il y a bientôt dix mois était en effet une institution qui portait un passé dont elle n'avait pas à rougir mais qui demandait tout de même un "aggiornamento" tant il est vrai que le fait de confier à un Ministre qui avait pour compétence les 26 pays de l'Afrique francophone au Sud du Sahara et ces quelques rajouts éparpillés dans les océans, la politique de développement de la France, en lui interdisant par ailleurs toute perspective sur tout ce qui fait la politique multilatérale du développement, en ne l'autorisant point à regarder au Nord du Sahara vers la Tunisie, l'Algérie et le Maroc et bien sûr en le bannissant de l'Asie et de l'Amérique Latine, ceci faisait de ce Ministère un Ministère qui étais tronqué au regard des impératifs d'une politique du développement.
Aussi tout l'effort qui a été le mien, qui a été celui de notre Gouvernement et qui a été celui du Président de la République a-t-il été au cours de ces derniers mois, et si je veux en faire le bilan aujourd'hui, de décoloniser ce Ministère ; c'est-à-dire d'abord de lui donner un champ d'actions qui corresponde à l'ambition de la France pour le Tiers-Monde.
Champ d'actions qui corresponde à l'ambition de la France pour le Tiers-Monde, c'est-à-dire l'ensemble du Tiers-Monde et tous les moyens d'action dans le Tiers-Monde. Ce sont les réformes de structure auxquelles nous nous sommes attachés au cours de ces derniers mois, d'abord pour rassembler entre les mains du Président de la République l'agissement de la politique du développement -c'est là que nous avons estimé que l'impulsion essentielle devait se trouver- les différents moyens d'action par l'entremise d'un conseil restreint qui doit fixer les grandes orientations de cette politique, à l'aide d'un Délégué interministériel placé auprès du Premier ministre pour assurer la coordination nécessaire, et enfin en donnant au Ministère délégué auprès du Ministre des Relations Extérieures, chargé de la Coopération et du Développement, l'impulsion générale et la maîtrise ou en tout cas la coordination de tous les instruments du développement qui se trouvent très naturellement éparpillés dans les différents départements ministériels français, tant il est vrai qu'une politique de développement associe nécessairement l'ensemble des volontés nationales et des départements ministériels concernés étant une activité de synthèse par définition.
Le premier aspect de notre réorganisation a été donc, pour substituer à l'ancien Ministère de la Coopération, le nouveau Ministère délégué au Développement. Je voudrais ajouter deux remarques à ceci :
- pour dire d'abord que ce Ministère délégué à la Coopération et au Développement s'inscrit dans le cadre du Ministère des Relations Extérieures. Et que l'autre effort parallèle à celui-là a été de réaffirmer l'unité de la politique extérieure de la France et de faire en sorte que la rue Monsieur soit bien ancrée au quai d'Orsay à travers un ensemble de dispositions dont je vous fais grâce mais qui ont pour effet d'assurer cette unité de la politique extérieure et de faire en sorte, donc, qu'il n'y ait pas deux voix sur les problèmes de politique extérieure de notre pays.
- La seconde remarque que je voudrais faire c'est que cette volonté d'extension du champ d'actions du Ministre délégué à la Coopération et au Développement est aussi, d'un certain point de vue, une volonté de "désafricanisation" de ce Ministère ; c'est-à-dire volonté de rompre avec, sinon certaines habitudes, du moins certaines complaisances et certaines interférences. Et, à cet égard, il y a, par delà la réorganisation administrative et la rationalité de l'instrument, une volonté politique qui a son importance ; il s'agit aussi d'assainir la politique française.
La seconde dimension de l'effort que nous avons fait c'est sur le plan plus spécifiquement de l'Afrique, car l'Afrique reste la préoccupation principale et donc la priorité de notre action en matière d'aide au développement. L'Afrique, toute l'Afrique : c'est-à-dire non seulement l'Afrique francophone au Sud du Sahara, les pays qui relevaient de l'ancien Ministère de la Coopération, non seulement l'Afrique du Nord à laquelle les institutions de la rue La Pérouse, juste à côté d'ici, consacraient l'essentiel de leur effort (l'Algérie, la Tunisie et le Maroc), mais encore l'Afrique dans toute son ampleur l'Afrique anglophone, l'Afrique lusophone, l'Afrique arabophone.
Et là, je crois que l'extension progressive, un petit peu désordonnée (mais l'histoire n'est jamais tout à fait ordonnée) du Sommet des Chefs d'Etats de France et d'Afrique dont le dernier,qui s'est tenu sous la présidence de François MITTERRAND,a réuni des représentants de l'Afrique dans toute cette diversité, est assez caractéristique de cet effort.
Oui, nous voulons prendre l'Afrique pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle veut, c'est-à-dire comme une unité, reconnaître le rôle prééminent de l'unité africaine, l'aspiration de l'Afrique à cette unité même si cette aspiration est quelque peu malmenée par les crises institutionnelles que peut connaître l'Organisation de l'Unité Africaine ; mais nous voulons considérer que les problèmes fondamentaux de l'Afrique ne sont pas différents par essence à Lagos ou à Abidjan, à Accra ou à Conakry et qu'il y a lieu d'exprimer la solidarité de la France vis-à-vis de toute l'Afrique. Cette solidarité est une solidarité qui se développe sur trois plans :
- le premier, c'est celui de la solidarité politique. Et je crois qu'à cet égard les claires prises de position du Gouvernement sur les problèmes qui préoccupent politiquement l'Afrique, la mise en cohérence -si j'ose dire- de l'ensemble des éléments de notre politique africaine ont eu un écho en Afrique qui a conforté nos positions. Le fait que la toute première déclaration de Claude CHEYSSON après avoir pris ses fonctions ait été pour la journée spéciale des Nations Unies contre l'Apartheid, qui se tenait à Paris à l'occasion justement de la réunion sur les problèmes de la Namibie fin mai 1981, que le discours qui a été fait, qui a marqué d'emblée la volonté de la France de prendre partie sur le problème de la discrimination raciale et de prendre partie pour la liberté de la Namibie, a planté d'emblée le décor. Et cette solidarité politique avec l'Afrique sur les enjeux africains ne s'est pas démentie depuis. Solidarité politique sur ce qui unissait les Africains : la lutte contre la discrimination raciale, unité sur le fait sud-africain. Solidarité politique aussi avec l'Afrique dans sa volonté ou sa tentative de résoudre les litiges africains à proprement parler c'est toute la politique que nous avons menée pour soutenir l'Organisation de l'Unité Africaine dans ses efforts pour ramener la paix dans les zones litigieuses, contestées de l'Afrique, mais encore pour tenter, par une présence parfois maladroite et pourtant nécessaire -et je songe à la force interafricaine au Tchad par exemple-, d'établir les conditions du dialogue.
Enfin, l'effort que nous faisons et que nous ne cessons de faire pour éviter las ingérences étrangères en Afrique et pour faire en sorte que les problèmes africains soient traités par les Africains eux-mêmes.
Je crois que cette attitude de solidarité qui se double d'une attitude de non-ingérence dans les affaires africaines, premier élément de notre solidarité avec l'Afrique, est une attitude qui est aujourd'hui comprise par les Africains, sans doute mieux au demeurant que par les Français eux-mêmes, tant il est vrai que la tentation de régler à Paris les problèmes africains reste encore vive.
- La seconde dimension de cette solidarité est lé solidarité économique. Et, là encore, nous avons pris les Africains au mot en prenant pour fondement et pour principe de notre action ce que les Africains affirmaient eux-mêmes : le plan d'action de Lagos adopté par l'Organisation de l'Unité Africaine, qui dit un certain nombre de choses simples et sages (même si elles ne sont pas toujours appliquées par ceux-là même qui ont signé le document) touchant le développement autocentré, la nécessité de rechercher une autosuffisance et, plus généralement, d'établir les conditions d'un développement économique harmonieux dans un cadre si possible régional.
Nous avons soutenu ces directions et nous avons mis en conformité notre politique de coopération avec ces indications, cherchant à éviter des opérations qui avaient trop souvent dans le passé conduit à ce qu'on appelle du mal-développement s investissements souvent mal calculés, absurdes, gigantesques, usines abandonnées ou barrages non maîtrisés : vous connaissez tous ces spectacles lamentables qui parsèment le continent et qui sont le symbole de ce qu'il ne faut pas faire et ne pas refaire, et pourtant qui ont été commencés et recommencés au cours des années passées. Notre volonté à cet égard est de rejoindre le discours des Africains eux-mêmes dans cette conception de développement économique et, si possible, de faire la jonction entre le discours et la pratique, ce qui n'est pas le plus simple.
Mais la solidarité avec les Etats Africains ne se limite pas à une certaine conception de coopération et d'aide au développement. Elle comprend aussi et au-delà une solidarité sur les grandes batailles économiques, sur cette bataille pour ce qu'on appelle le Nouvel Ordre Economique International auquel, nous en sommes persuadés, la France a autant intérêt que le Tiers-Monde, tant il est vrai que le désordre économique actuel, que l'anarchie dans laquelle l'économie internationale est plongée depuis une bonne dizaine d'années maintenant, (anarchie monétaire, anarchie commerciale, anarchie dans la spéculation sur les cours des matières premières), tant il est vrai que cette anarchie s'exerce au détriment d'abord du Tiers-Monde, mais ensuite et durement à notre encontre à nous ; ce qui nous a conduit à prendre des positions sur la stabilisation du cours des matières premières, sur le fonctionnement correct du mécanisme institué par la Convention de Lomé et en particulier du jeu ce qu'on appelle le STABEX, c'est-à-dire la garantie des recettes d'exportation, sur la conclusion des accords de produit...
Enfin il y a eu une prise de position qui s'est manifestée à la conférence sur les Pays les Moins Avancés l'été dernier, par les positions prises par le Président de la République à Cancun à l'automne et inlassablement depuis sur la reprise de ce qu'on appelle les négociations globales, cet ensemble d'éléments de solidarité allant très au-delà de la notion d'aide au développement qui fait partie de cette politique d'ensemble.
- Enfin, la solidarité en matière de sécurité. Et je voudrais ici en dire un mot car, pour nous, la solidarité est une notion complète. Nous entendons aider les Etats Africains en particulier, les Etats du Tiers-Monde plus généralement, à rester non-alignés car il est de leur intérêt comme du nôtre que ce soit ainsi. Nous sommes persuadés que la remise en cause du non-alignement aujourd'hui par le jeu des deux super-puissances entrave à la fois les possibilités pour les Etats du Tiers-Monde de se développer et représente un péril majeur pour la paix du monde. Si l'on regarde froidement et franchement les choses, ce n'est pas en Europe que la paix du monde est menacée ; malgré tous les sentiments que nous pouvons avoir pour le peuple polonais, nous savons bien, que la loi de Yalta a ses contraintes. En revanche, c'est en Afrique, en Asie, en Amérique Latine que les choses changent, que la ligne de front se modifie, que les situations politiques se trouvent bouleversées et que, dans les situations devenues plus tragiques par la crise économique, l'explosion politique et donc militaire menace à tous moments.
Face à une telle situation nous estimons qu'il est de notre devoir d'aider les pays du Tiers-Monde, et d'abord les pays africains, ceux dont nous sommes les plus proches, à maintenir leur non-alignement, à le renforcer ou à y revenir. Et ceci d'abord par le maintien de nos engagements, en particulier de nos accords en matière de coopération militaire, en matière de défense, en matière de sécurité. Et nos amis africains ont eu l'occasion, au cours de ces mois derniers, de vérifier la réalité de cet engagement. Mais ensuite en encourageant tout ce qui peut être renforcement de la capacité de non-alignement authentique, en tendant la perche à ceux qui cherchent à s'engager sur cette voie même s'ils ne le sont pas tout à fait ; en essayant d'éviter les ingérences extérieures, et notamment des superpuissances autant que faire se peut ; et la diplomatie française, sur ce point, a pu être active à tel ou tel moment. Enfin, en créant des conditions qui permettent de préserver la paix et le non-alignement.
Voilà, Monsieur le Président, quelles ont été les grandes lignes de notre politique. Nous savons bien qu'une politique n'est jamais totalement satisfaisante. Nous savons bien que nos objectifs en la matière doivent être modestes.