Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur "RMC Info" le 7 février 2007, sur la campagne de Ségolène Royal, son opposition à une éventuelle amnistie présidentielle des délits routiers, et sur les premières mesures sociales à mettre en oeuvre après l'élection présidentielle.

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Texte intégral

Q- Comment allez-vous ce matin. Ça va mieux ? S. Royal va mieux ? Est-elle faire pour le job, franchement ?
R- Cela, j'en suis complètement convaincu, parce que je la vois toutes les semaines, et je vois qu'elle est extrêmement déterminée et elle ne se laisse pas impressionner par la dureté de la campagne, parce que la campagne est dure elle est même violente, et quelle soit une femme, elle prend encore davantage de coups. Je trouve ça souvent minable et pas au niveau de l'enjeu qu'est l'élection présidentielle mais elle tient bon. Je peux vous dire parce qu'elle a une vraie conviction qui l'anime, bien avant sa désignation, et elle est renforcée. Un meeting comme hier soit par exemple, on la sentait, je dirais, vraiment portée par un mouvement.
Q- Franchement, elle a été déstabilisée, vous aussi, par les derniers chiffres des sondages, par cette baisse régulière, c'est une baisse régulière, on est début février.
R- Quand on s'engage dans une campagne présidentielle il faut accepter que les choses vont bouger tout au long de la campagne, rien n'est figé, cela n'est pas possible. Je dirais que d'une certaine façon, organiser et mener une campagne présidentielle, c'est quasiment une guerre de mouvement, il faut s'adapter. Mais S. Royal avait choisi une méthode qui est celle des débats participatifs, c'est-à-dire l'écoute des Français et cela je crois que c'est essentiel, écouter les Français pour bien comprendre leurs attentes en profondeur pour que demain la politique qui sera pratiquée convienne mieux à ce qu'ils attendent et qu'ils ne soient à nouveau déçus. Parce qu'il y a un tel déficit démocratique et une telle crise politique en France depuis des années, depuis 2002, cela continue, une crise de confiance, il faut relever ce défi et cela ne se fait pas n'importe comment. Donc on a choisi cette méthode, elle présentait des inconvénients et des risques mais ils ont pleinement assumés. Et puis aujourd'hui, on est dans une nouvelle étape, c'est très clair puisque dimanche prochain, nous retrouver et S. Royal va réaffirmer ses orientations mais déjà annoncer toute une série de propositions concrètes.
Q- Nous allons revenir sur les propositions de S. Royal. Une question d'actualité. Vous avez vu que les morts sur les routes en janvier, malheureusement les chiffres sont moins bons : plus 14 %. Est-ce que si S. Royal est élue, il y aura une amnistie ?
R- Pour ce qui concerne les violences, quelles qu'elles soient d'ailleurs, notamment les violences routières, non.
Q- Il n'y aura pas d'amnistie ?
R- Pour moi, c'est d'évidence.
Q- Quelle que soit la contravention : stationnement, vitesse, alcool...
R- Vous me demandez ce que j'en pense profondément, cela fait des années que je pense que c'est une erreur parce que vous avez bien vu que ça conduit parfois à des comportements laxistes, y compris le stationnement. Le stationnement, on dit que ce n'est pas grave mais si vous stationnez sur un emplacement "pompier" ou un emplacement de personnes handicapées par exemple, d'abord c'est une atteinte aux autres personnes, c'est un manque de vivre ensemble. Et puis tout ce qui est violence... Ça peut être d'ailleurs parfois des violences inconscientes. Quand vous téléphonez au volant, cela a l'air d'être rien du tout, sauf que cela peut provoquer une mort ou des morts ou des blessés ou des personnes handicapées à vie. Donc je pense que sur cette question, non seulement S. Royal sera claire mais c'est une vraie conviction. Parce qu'il n'est pas question d'amnistier d'ailleurs toutes les formes de violence. Et aujourd'hui, je dois dire que la violence augmente dans notre société, ce ne sont pas seulement les problèmes de la violence routière qui sont graves mais la violence, l'atteinte aux personnes, qui a augmenté d'un tiers depuis 2002. On dit : les statistiques de la délinquance s'améliorent par exemple, mais la violence aux personnes, vous le voyez bien dans les chiffres, dans la réalité, augmente et ça c'est dramatique.
Q- On ne va pas rentrer dans les chiffres parce qu'hier F. Fillon disait le contraire évidemment...
R- J'ai écouté ce qu'a dit F. Fillon. Il a parlé des statistiques en général sauf qu'il a oublié de parler de la violence aux personnes, et là, personne ne peut contester qu'elles augmentent. Même le ministre est obligé de le reconnaître, ce qui est d'ailleurs une partie de son bilan qui, d'une certaine façon, est un échec.
Q- Un peu de politique étrangère. Vous avez lu peut-être les déclarations du Premier ministre D. de Villepin : les Etats-Unis et les Britanniques et la Grande-Bretagne doivent quitter l'Irak avant un an dit-il. Vous êtes d'accord ou pas ?
R- C'est un objectif qu'il faut absolument atteindre, le faire brutalement dans l'état où est l'Irak ce serait sans doute dramatique, mais il faut sortir de ce guêpier, c'est d'ailleurs pour ça que nous avons dès le départ, nous les socialistes français, été favorables à la position qui était défendue par la France : non à une intervention militaire en Irak. Et nous étions en désaccord profond avec les Etats-Unis, le Gouvernement américain de G. Bush, mais aussi avec les Britanniques de T. Blair ou encore avec les Espagnols, qui ne sont plus au pouvoir, de M. Aznar parce que c'était vraiment la spirale et l'engrenage dans lequel malheureusement nous sommes aujourd'hui. Il faut en sortir. Et ça ne peut pas se faire uniquement en envoyant des militaires supplémentaires, comme le propose G. Bush. D'ailleurs les Américains,c'est ça qui est réjouissant, ont voté massivement contre G. Bush, contre sa politique en votant Démocrate aux dernières élections au Parlement, au Sénat et à la Chambre des Représentants. Dons cela veut dire qu'il y a de l'espoir aussi aux Etats-Unis.
Q- Est-ce que à vos yeux, franchement, N. Sarkozy est un adepte de la politique de G. Bush ? Franchement, est-ce que vous pensez que c'est un atlantiste forcené, proche des thèses défendues par les républicains aux Etats-Unis ?
R- Je crois qu'il est très marqué par les thèses politiques des républicains, c'est impressionnant, les néo-conservateurs américains, je dirais la droite américaine. Et vous vous souvenez peut-être que nous nous sommes vus dans votre émission, ici, quelques jours après sa visite à G. Bush aux Etats-Unis. J'avais déjà évoqué cette question, j'avais dit que ce qui est grave, parce que vous m'aviez dit : "Est-ce que c'est normal qu'il y aille comme ministre et comme candidat". Moi ce que j'avais retenu c'étaient surtout ses positions politiques, non seulement par rapport à la guerre en Irak, je l'ai toujours trouvé tiède y compris lorsque J. Chirac est devenu offensif, et puis surtout c'est le modèle social américain. Moi je peux prendre des exemples concrets. Quand il dit qu'il va mettre une franchise médicale, en disant que ce n'est pas grave, cela ne sera pas très cher, - il a annoncé clairement 5 à 10 euros, par acte médical - ça ressemble au modèle social américain.
Q- 40 euros sur l'année a-t-il dit, 40 à 50 euros sur l'année. Il ne donne pas de détails encore.
R- Oui mais comme il manipule les chiffres dans tous les sens, cela donne le tournis. J'ai écouté cette émission sur TF1 lundi soir, mon impression, c'est important, c'est une impression que j'ai entendue aussi autour de moi : cet homme parle bien, il a un coté séduisant, je dirais même séducteur mais on dirait un bonimenteur de foire, un bonimenteur de foire ; vous l'écoutez, vous l'écoutez, vous avez le tournis et puis à la fin vous vous dites qu'il vend très bien son produit, vous vous tournez vers votre femme ou c'est votre femme qui se tourne vers vous, que fait-on ? On l'achète ou on ne l'achète pas ? Et puis c'est une petite machine qui a l'air simple d'usage ou qui vous fait votre entrée, qui vous fait votre plat principal et votre dessert et puis quand vous arrivez chez vous, vous n'arrivez plus à remonter la machine, vous la mettez dans le placard et vous vous dites que vous vous êtes fait avoir. Il y a beaucoup de Français aujourd'hui qui se demandent si avec N. Sarkozy, ils ne vont pas se faire avoir. Et moi je suis convaincu que si c'est lui qui est élu président de la République, non seulement on se ferait avoir, mais qu'il ferait de la France une France plus dure pour un grand nombre de Français.
Q- Vous avez été chargé par S. Royal de réformer la démocratie, du moins de moderniser notre démocratie - réformer la démocratie serait bien difficile...
... [démocratie] sociale.
Q- Deux, trois propositions ?
R- Ecoutez, moi j'en proposerais une : c'est d'organiser tout de suite, dès l'arrivée de la gauche au pouvoir, si S. Royal est élue présidente de la République et que nous avons une majorité parlementaire, une conférence nationale sur les salaires, sur les revenus et la croissance, avec les partenaires sociaux. Alors il y aura bien sûr des décisions qui seront prises par le Gouvernement : l'augmentation du SMIC, j'ai noté que N. Sarkozy était contre parce que ça c'est indispensable, les Français attendent un signe sur le pouvoir d'achat...
Q- Les Français qui gagnent 1.600 ou 1.700 euros attendent aussi un signe...
R- Justement c'est pour ça que je propose qu'on tienne cette conférence qui engagerait un processus de négociations notamment par branche. L'Etat pourrait mettre sur la table un certain nombre de propositions, y compris financières, mais que ça soit donnant donnant. C'est-à-dire par exemple que la fameuse question des charges sociales qui, paraît-il, coûtent cher. Moi je suis pour que ça soit à chaque fois négocié : s'il y a une baisse, il faut qu'il y ait une contrepartie, la contrepartie peut être en salaire, négociée par branche. Par exemple, il est inacceptable qu'il y ait des minima de branche qui soient en dessous du SMIC, ça doit être dans la négociation et aussi en terme d'emplois. Et dans l'emploi, il y a aussi la qualité du contrat de travail, il y a par exemple la réduction des temps partiels non choisis, c'est-à-dire de salariés qui gagnent très peu et qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts et qui parfois, malheureusement, sont obligés d'aller aux Restaurants du coeur. C'est une réalité que vivent un certain nombre de Français. Donc ça doit être aussi traité non seulement par les décisions unilatérales de l'Etat, mais aussi par la négociation, à condition bien entendu que l'on se mette autour d'une table. Mais pour ça, il faut créer les conditions : avoir un syndicalisme vivant en France, qui est très faible, et souvent beaucoup de salariés ne sont pas représentés dans les petites et moyennes entreprises, cela fait partie aussi des enjeux de la société française.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 février 2007