Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, dans "le Parisien" le 26 février 2007, sur son équipe de campagne électorale, le développement des PME et le logement social.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Vous venez de procéder à une réorganisation de votre staff de campagne avec, notamment, l'entrée dans « l'équipe du pacte présidentiel » de Dominique Strauss-Kahn, de Laurent Fabius et, plus spectaculaire encore, de Lionel Jospin. Pourquoi ce choix ?
J'ai, depuis le début, le souci du rassemblement de toute la famille socialiste. Je crois que c'est ce qu'attendaient et espéraient nos électeurs. Voilà qui est fait, et c'est bien.
Lionel Jospin a-t-il hésité avant de vous dire oui ?
Non. Il a accepté chaleureusement. Je suis respectueuse des tempéraments de chacun et, en même temps, tenace pour réunir. J'entendais dire: « Elle ne rassemble pas. » Mais les choses viennent en leur temps. Dans une campagne, il y a des étapes. Voyez la démocratie participative.Qu'est-ce que je n'ai pas entendu à ce sujet ? Eh bien, à l'arrivée, ces nombreux débats ont nourri le pacte présidentiel. Nous avions besoin du grand talent de ces hommes d'expérience autant que de la nouvelle génération. Quand vous pensez qu'au même moment François Bayrou lance une petite annonce pour trouver un Premier ministre - « cherche un Delors jeune » - et que Nicolas Sarkozy, en guise de rupture, nous propose le gouvernement sortant, je peux dire que, maintenant, j'ai avec moi la meilleure équipe qui soit.
Comme vous l'avez dit, c'est, au PS, « la fin de l'autogestion » ?
Oui. (sourire.) La force des socialistes,c'est leur diversité. Ça ne servirait à rien de vouloir mettre tout le monde sous la toise. Chez nous, c'est plus riche, mais c'est plus compliqué à gérer. Maintenant, les choses sont calées. Le rassemblement, bien entendu, va au-delà du PS. Si cela a mis un certain temps, c'est parce que le long débat interne que nous avons vécu était sans précédent.
Quelle leçon tirez-vous de votre première partie de campagne ?
Je me suis rendu compte qu'il fallait beaucoup de temps pour que ce qu'on dit touche le maximum de citoyens. Sur le fond, il y a une formidable soif de comprendre quel est le nouveau modèle de société que je propose. Les Français ont encore besoin qu'on décortique les choses pour savoir comment ça va se passer. Car même les gens précarisés - les plus exclus - parlent de la dette publique, des déficits, de la mondialisation. Il y a une perception aiguë et anxiogène d'un système qui ne fonctionne plus. Comme, en plus, il y a le sentiment que les inégalités s'exacerbent - avec les très hauts revenus de certains patrons, leurs parachutes dorés, leurs stock-options - ceux qui souffrent, y compris dans les classes moyennes, éprouvent une grande solitude, et ont le sentiment de ne plus faire partie de l'aventure nationale. A l'inverse, la minorité instruite, protégée et riche, vit, elle, en communauté. Voilà même le vrai « communautarisme » !
Après la période des débats participatifs, le temps est-il venu, à vos yeux, d'une confrontation directe avec la droite ?
Oui. D'ailleurs, les Français la veulent, même s'ils la redoutent un peu aussi au cas où elle déraperait dans une querelle de personnes.
Et vous ?
Moi aussi, je la veux. C'est indispensable.
Y compris avant le premier tour ?
Mais cette confrontation est déjà là puisque, dans mes réunions publiques, je démontre en quoi la France que je veux n'est pas celle que la droite a faite et propose encore. Car il y a bel et bien deux projets. Celui de la droite, c'est plus de précarité censée déboucher sur plus d'efficacité. Mon Pacte, c'est l'inverse : plus juste, la France sera plus forte et plus efficace. Les Français me l'ont dit.
Nicolas Sarkozy annonce déjà ce qu'il ferait dans les cent premiers jours de sa présidence. Et vous ?
Pour agir, il n'y a pas que cent jours. Et, en plus, il reste 71 jours avant l'élection. S'il a de bonnes idées, qu'il commence à les mettre en oeuvre.
« J'accorde beaucoup d'importance à l'Etat »
Votre priorité, ce serait quoi ?
Ce sera de redonner confiance aux PME. Je le vis dans ma région, je le vérifie à travers la France : pour peu qu'on aide les petites et moyennes entreprises de façon ciblée, il y a, pour l'emploi, des marges de manoeuvre énormes. Les PME de moins de 500 salariés représentent 66 % des emplois. Le tournant politique que je souhaite incarner, c'est, en redéployant les fonds publics dont on dispose, le passage d'une politique d'aides totalement uniforme à des politiques sur mesure. Je sais que la transition sera délicate mais, pour peu qu'on utilise tous les leviers possibles - la fiscalité, les cotisations sociales, la négociation avec les partenaires sociaux et une part des marchés publics réservée demain aux seules PME - les choses, j'en suis sûre, se caleront vite.
Les PME, comme les grandes entreprises, sont souvent frappées de plein fouet par les délocalisations...
A condition d'anticiper, on peut empêcher que ça se passe. Il faut en finir avec le secret qui entoure certaines décisions prises par les actionnaires, parfois de l'étranger. Il faut modifier le rapport de forces au bénéfice des salariés, et imposer la transparence. Sous cet angle, la France est très archaïque. Mieux informés, les syndicats de salariés peuvent aider à la recherche des compromis qui permettent de sauver les emplois ou, lorsqu'on est contraint d'en supprimer, de reclasser les salariés et ainsi de préserver leur dignité et celle de leur famille. C'est mon idée de sécurité sociale professionnelle : lorsqu'une entreprise est absolument contrainte de faire un plan social et d'investir en même temps pour décrocher de nouveaux marchés, les salariés conservent leur contrat de travail et continuent dans cette phase de transition à être payés sur fonds publics en suivant une formation, donc en préparant leur reconversion. Ils évitent ainsi le chômage. C'est, par exemple, ce qu'a réussi Ericsson en Suède. Avec cette méthode, jamais Moulinex n'aurait en France licencié et délocalisé de cette façon particulièrement brutale.
Quelle vision avez-vous du rôle de l'Etat ?
J'accorde beaucoup d'importance à l'Etat. Avec des règles fiscales et sociales, oui, il peut agir. Il peut organiser le dialogue social, et en être le garant.
Nicolas Sarkozy, s'il est élu, veut mettre en place très vite un service minimum dans les transports publics en cas de grève...
C'est un slogan. Que fait-il si les salariés concernés arrêtent quand même de travailler ? Dans son modèle, les conflits sociaux seraient encore plus durs. Il ne faut pas remettre en cause le droit de grève. Moi, ce que je veux, c'est qu'on n'en arrive pas là dans les services publics et qu'on anticipe les conflits. Car, c'est vrai, l'arrêt des transports est une épreuve pour les usagers. C'est un droit fondamental des gens que de pouvoir aller et venir librement.
Le candidat UMP propose aussi l'abaissement de l'âge de la majorité
pénale de 18 à 16 ans pour les récidivistes car, jusqu'ici, ils échappent aux sanctions les plus dures...
Pourquoi un mineur devient-il récidiviste ? Parce que le premier acte de délinquance est rarement sanctionné. C'est là pourtant que tout se joue.90 % des jeunes non sanctionnés au premier acte de délinquance deviennent récidivistes et 70 % des jeunes qui sont sanctionnés à la première infraction ne récidivent pas.
Quel jugement portez-vous sur Nicolas Sarkozy ?
Je ne juge pas l'homme. Le candidat, lui, s'est fortement droitisé. Un exemple : par deux fois - donc il ne s'agissait pas d'un lapsus - il a dénoncé l'abattage des moutons dans les baignoires par certains musulmans pour la fête de l'Aïd. Ça, c'est odieux, c'est le vocabulaire de l'extrême droite.
« Le ni-ni de Bayrou, cela n'a jamais fait un projet »
Un autre se serait, en revanche, plutôt « gauchisé », c'est François Bayrou !
On le connaît, François Bayrou. Il fait cela à chaque campagne. Quelles sont ses propositions, à part s'autoproclamer « ni de droite ni de "gauche " ? Le ni-ni, cela n'a jamais fait un projet. Décidément, le centre est partout et sa circonférence, nulle part. (Sourire.) A la base, il n'y a aucune ambiguïté puisque dans toutes les collectivités, il gouverne et vote avec l'UMP,sans aucune exception.
Pourquoi croyez-vous à ce point aux régions ?
Je suis la seule à dire qu'il faut une réforme de l'Etat, avec une nouvelle phase de régionalisation. Il y a là des réserves extraordinaires de productivité et d'efficacité. Je veux mettre en mouvement l'ensemble des 26 régions, et que l'Etat comme les régions tirent ensuite dans le même sens. Le centralisme technocratique nous fait perdre beaucoup de potentialités à un moment où la compétition économique nous oblige à réagir vite. Je réformerai donc l'Etat au sens où je donnerai aux régions la responsabilité de l'investissement et de l'innovation.
A la clé, il y aura moins de fonctionnaires ?
Ils seront répartis autrement.
Vous donnerez aux régions les budgets nécessaires ?
Oui, avec les ressources fiscales nouvelles.
Ne faut-il pas imaginer de super-régions ?
On peut le faire en encourageant les coopérations interrégionales. Toute réforme institutionnelle lourde qui empêcherait le passage à l'action n'est pas souhaitable. En revanche, il faut être malin. C'est dans la créativité et le savoir-faire qu'il y a des réserves de valeur ajoutée. Les régions peuvent par exemple travailler en interrégions européennes, et faire émerger des politiques industrielles à l'échelon européen. La taille critique de l'Europe n'est pas mise suffisamment à contribution pour la défense des entreprises et l'offensive sur les marchés mondiaux.
François Bayrou préconise un référendum sur les retraites...
Ce n'est pas sérieux. On ne peut pas régler un problème aussi complexe par un référendum. Quelle question va-t-on poser ? « Etes-vous pour ou contre de bonnes retraites ? » On connaît la réponse. Moi, je fais confiance aux partenaires sociaux pour discuter des retraites, avec la garantie de la présence de l'Etat.
Vous annoncez la construction de 120 000 logements sociaux, mais comment faites-vous ?
Ce n'est pas une promesse, c'est un engagement. L'Etat se substituera aux communes qui ne respecteraient pas cet engagement en réquisitionnant les terrains et en construisant à leur place les logements sociaux nécessaires.
Y compris à Neuilly ?
Oui comme partout d'ailleurs où la loi n'est pas respectée. Il y a aussi la vente aux collectivités locales des réserves foncières dont l'Etat dispose, à la moitié des prix du marché. Il y a l'intervention de la Caisse des dépôts et consignations pour aider les communes à acheter les terrains en ne déboursant rien. Il y a la réglementation des loyers : on le fera. Et il y aura le lancement par les régions d'un plan d'urgence de logements pour les étudiants et les jeunes travailleurs. Le service public de la caution est une idée astucieuse née des débats participatifs puisque beaucoup de gens ne peuvent pas sortir trois mois de loyer pour accéder au logement.
« Le troisième homme, c'est Le Pen »
Si jamais Le Pen, Bové, Besancenot n'avaient pas leurs 500 parrainages,
ce serait grave ?
C'est toujours ennuyeux dans une démocratie quand des citoyens qui veulent voter pour tel ou tel candidat ne peuvent pas le faire. Et en même temps, une démocratie, ce sont des règles. Il appartient à ces candidats d'être suffisamment convaincants auprès de 500 élus. Mais ce sujet devra être réexaminé à l'occasion de la réforme des institutions pour une République nouvelle. Je ne serais pas hostile à ce qu'un candidat soutenu par une formation politique qui a obtenu un certain score aux élections précédentes puisse se présenter.
Vous dites que rien n'a changé en banlieue. Or beaucoup d'argent public a été injecté...
Pas tant que ça !... Il y a eu le rétablissement - et encore - des subventions aux associations qui avaient été supprimées. Les tensions et les frustrations sont toujours là. Il y a eu le rétablissement précipité des emplois jeunes mais, pendant trois ou quatre ans, on a assisté au dézingage de tous les dispositifs de soutien et de préservation du tissu social. Ce qui avait le mieux marché, c'est quand on voyait les jeunes diplômés issus du quartier devenir aides-éducateurs dans l'école auprès des petits frères et des petites soeurs. C'est la dignité du travail. Si vous supprimez ces repères des jeunes, vous déstabilisez toute la chaîne. C'est cela qui s'est passé.
Il y a eu de l'argent pour les rénovations...
Oui, mais ça a mis beaucoup de temps. J'ai quatorze quartiers sensibles dans ma région : les enveloppes ont mis trois ans à se négocier. Ça, c'est insupportable. Là aussi, il faut donner aux collectivités la responsabilité de la politique urbaine. Ça rime à quoi une politique urbaine décidée dans le détail dans un ministère ?
Regrettez-vous le départ d'Eric Besson, l'ex-secrétaire national du PS chargé de l'économie ?
Oui. Un tel incident est toujours regrettable. J'étais l'autre jour dans une usine auprès de femmes qui touchent le salaire minimum, parfois après trente-cinq ans de carrière, et les médias ne parlaient que de cela, ce qui me semblait manquer de respect pour ces ouvrières. J'ai pensé faire un trait d'humour devant elles en leur demandant si elles connaissaient M. Besson. Elles ont ri, et ont dit non. Cela n'avait rien de méchant.
N'êtes-vous pas inquiète du faible niveau global de la gauche dans les enquêtes d'opinion ?
La politique a changé. Un sondé sur trois ne sait pas ce qu'il va faire. Cela fait partie de la crise démocratique que j'ai diagnostiquée et qui m'a conduite à mener la campagne participative en disant aux gens : « Ce qui va se passer vous concerne. » Sans compter que les électeurs de gauche sont plus exigeants : ils veulent un changement profond, et adhérer à un projet. La gauche est plus difficile à rassembler que la droite. C'est plus difficile, mais plus stimulant aussi. Cela dit, un nouveau 21 avril n'est pas à écarter, s'il y a dispersion des voix ou brouillage des enjeux.
Vous diriez que Bayrou favorise Le Pen ?
Qui est le troisième homme, honnêtement ? Allons, on sait très bien que c'est Le Pen. Et tout ce qui contribue à disperser les voix de gauche au premier tour favorise l'émergence de ce troisième homme. Depuis cinq ans, le sentiment d'injustice s'est accentué. L'incompréhension de la mondialisation décourage. Moi, mon objectif est de prouver que le pouvoir politique joue encore un rôle extrêmement important, qu'il n'y a pas de fatalité du rouleau compresseur, qu'il y a des marges de manoeuvre très importantes et qu'il est possible de changer vraiment les choses.
Et vous allez gagner ?
"Je l'espère. Le choix qui va être fait par le peuple français engage l'avenir bien au-delà de cinq années, pour toute une génération, tant la crise est profonde. C'est pourquoi je veux, avec tous les Français, réussir le vrai changement."
Source http://www.desirdavenir.org, le 26 février 2007