Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, sur "I télé" le 28 février 2007, sur les mesures à prendre pour sortir Airbus de la difficulté, une nouvelle politique industrielle avec une meilleure répartition des aides aux entreprises, ainsi que sur la politique de la ville.

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Média : Itélé

Texte intégral

Laurent Bazin
Chose promise, chose due, Nathalie Iannetta est là, je suis là également.
Nathalie Iannetta
Oui, chose promise, chose due.
Laurent Bazin
Et Ségolène Royal est en notre compagnie avec une actualité extrêmement chargée. Bonjour, madame Royal. Merci d'être avec nous.
Nathalie Iannetta
Bonjour madame Royal.
Laurent Bazin
AIRBUS, le chômage, les banlieues bien évidemment, puisque vous étiez, hier, à Clichy-sous-Bois. On va parler de tout ça. Il y a une... on a l'habitude de parler de boule puante...
Nathalie Iannetta
... depuis Georges Pompidou on parle comme ça.
Laurent Bazin
... en ce moment, de la campagne, et depuis effectivement Georges Pompidou. Il y a dans le Canard enchaîné une information sur les conditions dans lesquelles Nicolas Sarkozy aurait acquis un appartement qu'il a revendu aujourd'hui, qui était sur l'île de la Jatte, en bénéficiant d'une ristourne, dit le Canard enchaîné, de 300 000 euros. Est-ce que ça fait partie des informations que vous avez commentées ?
Ségolène Royal
Je n'ai aucune information particulière sur ce sujet-là. La seule observation de nature générale que je peux faire, c'est que les dirigeants politiques doivent être honnêtes, tout simplement, et montrer l'exemple.
Nathalie Iannetta
Le Canard enchaîné annonce que la semaine prochaine il y aura des révélations sur votre patrimoine à vous et à monsieur François Hollande. Est-ce que ça vous inquiète ?
Ségolène Royal
Pas du tout, il n'y a aucune révélation à faire puisque tout est transparent.
Laurent Bazin
Mais alors pourquoi le Canard enchaîné laisse-t-il planer ce doute-là ?
Ségolène Royal
Je ne sais pas. Nous verrons bien !
Nathalie Iannetta
On verra mercredi !
Ségolène Royal
Voilà !
Laurent Bazin
C'est avec sérénité apparemment que vous affrontez maintenant ce qui va vous arriver et vous savez que les coups vont être portés ou continués à être portés.
Ségolène Royal
Oui, parce que je pense aux Français, je pense à la crise démocratique, et je me dis que je dois être à la hauteur de cet enjeu de l'élection présidentielle, et que les Français ont envie de savoir si la politique sert encore à quelque chose, et moi je crois que oui. Ils attendent un changement profond, ils ont compris que le système actuel ne fonctionnait plus et que donc les rustines ne suffisaient plus et qu'il fallait une autre façon de voir les choses, une autre façon d'agir, une autre façon de comprendre à la fois les dégâts de la mondialisation, mais aussi les atouts, ce qu'elles peuvent rapporter, et en même temps changer aussi en profondeur les relations sociales en France.
Laurent Bazin
Mais que peuvent faire les politiques ? C'est la question, Nathalie, on le lisait à la Une du Parisien Aujourd'hui ce matin. Que peuvent faire les politiques pour Airbus ?
Nathalie Iannetta
Oui, c'est la Une, pour AIRBUS. Alors, il n'y a pas cent Français qui vont vous poser des questions, il y en a un, il est syndicaliste à Force ouvrière, qui est le syndicat majoritaire chez Airbus. Il était notre invité il y a quelques minutes. On lui a demandé s'il avait une question à vous poser ? Ben là voilà, il s'appelle Yvonnick Dreno.
Yvonnick DRENO, Délégué FO - AIRBUS (Saint-Nazaire)
Si elle était au pouvoir que ferait-elle pour défendre, je dirais les établissements d'Airbus ? Que ferait-elle pour défendre l'industrie en France parce qu'on nous parle beaucoup de défense de l'industrie mais dès qu'il y a, je dirais des dossiers concrets on a l'impression quand même que l'Etat français joue petits bras.
Laurent Bazin
Que feriez-vous pour Airbus ?
Ségolène Royal
D'abord, cette observation est très juste. je voudrais dire que j'ai rencontré les salariés d'Airbus à Méaulte, leur désarroi, le sentiment d'être...
Nathalie Iannetta
... oui, c'est l'autre usine concernée par la fermeture.
Ségolène Royal
Oui, c'est l'autre usine concernée. Leur désarroi, le sentiment d'être les jouets d'abord d'un mauvais pilotage de l'entreprise, on se souvient de l'épisode Forgeard, qui est parti en plus avec un parachute doré.
Nathalie Iannetta
Six millions d'euros.
Ségolène Royal
Six millions d'euros, alors que, là, les salariés sont dans l'angoisse de perdre leur travail. L'angoisse, on sait comment ça joue aussi sur les politiques familiales, on ne pense plus qu'à ça, il y a un désarroi extrêmement profond, et puis le sentiment d'un immense gâchis. Il y a un immense gâchis à Airbus et il était possible de faire autrement.
Nathalie Iannetta
Comment ?
Ségolène Royal
Il était possible de faire autrement d'abord en nommant des dirigeants responsables et sérieux.
Laurent Bazin
Vous dites que monsieur Forgeard n'était pas un homme sérieux !
Ségolène Royal
Ecoutez, regardez le résultat.
Laurent Bazin
Il n'avait pas la réputation d'être un rigolo, c'est ça que je veux dire.
Ségolène Royal
Vous avez le résultat quand même, donc je crois que l'Etat actionnaire doit remplir ses responsabilités d'actionnaire et ne pas instrumentaliser les entreprises pour y nommer un certain nombre d'amis politiques qui ne sont pas forcément compétents.
Laurent Bazin
C'était l'ancien conseiller industriel de Jacques Chirac.
Ségolène Royal
Exactement ! La seconde chose, c'est qu'il faut s'entendre avec les Allemands. Or, si l'on veut défendre une industrie aéronautique, un fleuron de l'aéronautique européenne, il faudrait éviter d'être en conflit avec les Allemands.
Laurent Bazin
On s'y est encore mal pris, à votre avis ?
Ségolène Royal
Je pense que le double pilotage... aujourd'hui, vous le savez, il y a deux patrons, un patron français et un patron allemand, donc il y a une crise aussi du commandement à Airbus. Il faut s'entendre avec les Allemands et ne pas se tirailler et chercher à s'arracher les entreprises d'un pays à l'autre. Si l'Europe veut être forte sur le plan industriel, elle doit faire converger ses efforts.
Laurent Bazin
Ca, c'est ce qu'on aurait pu faire mieux, mais aujourd'hui, dans la situation dans laquelle nous sommes, nous sommes au lendemain de l'élection présidentielle du second tour, vous êtes élue, qu'est-ce que vous faites ?
Ségolène Royal
Je fais en sorte que l'Etat actionnaire remplisse ses responsabilités.
Laurent Bazin
C'est-à-dire ?
Ségolène Royal
C'est-à-dire, je remets à plat l'ensemble de la gestion de l'entreprise.
Laurent Bazin
Donc, vous demandez une suspension de Power 8, autrement dit.
Ségolène Royal
Je fais un accord... je demande une suspension, un moratoire, je travaille pour qu'il y ait une convergence et un accord avec Angela Merkel, je la rencontre d'ailleurs le 6 prochain, je vais lui parler de cette affaire, car je pense que c'est en associant nos efforts au niveau de l'Europe que l'on peut sortir Airbus de la difficulté.
Laurent Bazin
Est-ce que vous êtes prête, par exemple, comme le demande Force ouvrière, à remettre au pot, c'est-à-dire est-ce que l'Etat actionnaire prenne ses responsabilités jusqu'à une recapitalisation ou une montée dans l'actionnariat d'Airbus ou d'Eads ?
Ségolène Royal
Bien sûr, je pense qu'il faut que l'Etat remette au pot mais sur la base d'un projet industriel franco-allemand solide. D'autre part, vous savez que je suis favorable à une réforme de la Banque centrale européenne, c'est-à-dire Airbus indépendamment du déficit de pilotage et des erreurs industrielles, qui ne sont pas une fatalité si on les anticipe, j'y reviendrais ; je suis favorable à une réforme de la Banque centrale européenne, c'est-à-dire à ce que le taux de change entre l'euro et le dollar soit décidé aussi par les responsables...
Laurent Bazin
... on sait que quand on perd 10 centimes dans la parité euro/dollar, Airbus perd un milliard, voilà la raison pour laquelle vous intervenez sur ce dossier-là.
Ségolène Royal
Oui, c'est ça, c'est-à-dire Airbus coûte...
Laurent Bazin
... Nicolas Sarkozy d'ailleurs a dit qu'il fallait intervenir également.
Ségolène Royal
Oui, mais lui il est aux responsabilités, donc il pourrait le faire. AIRBUS coûte 30 % plus cher à cause de la parité très forte entre l'euro et le dollar. Donc, il faut à la fois agir sur ces politiques, agir sur les politiques industrielles, faire en sorte que l'Etat assume ses responsabilités et surtout ce que je voudrais dire, parce que si je suis élue les politiques industrielles se mettront en place à l'image de ce qui se fait dans les pays du nord de l'Europe où l'on voit que ces par les anticipations que l'on peut régler les problèmes.
Nathalie Iannetta
Par exemple, comme dans votre pacte présidentiel, vous voulez associer davantage les salariés à ce genre de décision, ça pourrait s'appliquer et ça aurait pu s'appliquer à Airbus ?
Ségolène Royal
Bien sûr ! Je pense que si les salariés siégeaient au conseil d'administration des entreprises, ils pourraient tirer la sonnette d'alarme beaucoup plus tôt, et donc les choses ne se feraient pas dans le secret et en catimini. Et donc, les pouvoirs publics aussi pourraient intervenir. Et c'est ce qui se passe dans d'autres pays, dans les pays du nord de l'Europe où les partenaires sociaux étant plus étroitement associés, les dirigeants des entreprises sont obligés de leur rendre des comptes et de faire de la transparence sur les comptes. Et donc, dans un accord gagnant-gagnant entre les organisations syndicales, les dirigeants d'une entreprise et les pouvoirs publics, on peut anticiper les choses. Vous savez, à l'heure de la mondialisation, il est quand même désolant de voir que ce sont des entreprises de pointe qui aujourd'hui sont touchées. Donc, la bataille économique elle se fait sur l'investissement dans l'innovation et dans la recherche. Si l'on sent qu'il y a des difficultés industrielles à un moment ou des marchés qui sont fragilisés, à ce moment-là il faut garder un coup d'avance. C'est les pays qui vont garder un coup d'avance sur les innovations industrielles et technologiques qui vont s'en sortir, et c'est possible puisqu'on a à la fois un potentiel exceptionnel dans notre industrie, dans nos laboratoires de recherche, et en même temps s'il y a une espèce d'inaction ou d'inertie par rapport aux mutations industrielles et technologiques, on ne garde pas ce coup d'avance. Donc, moi, je suis favorable à la création d'une agence nationale de réindustrialisation qui permet d'anticiper les coups. Je puis favorable à une réforme en profondeur du dialogue social à l'intérieur des entreprises...
Laurent Bazin
... et au niveau de l'Europe par ailleurs, vous l'avez dit.
Ségolène Royal
... et au niveau de l'Europe, je suis favorable à l'émergence de politiques industrielles au niveau de l'Europe. Donc, ce que je veux dire aux Français qui doutent sur la capacité des politiques à intervenir, c'est possible de faire les choses autrement avec une vigueur et une rigueur politique beaucoup plus efficaces.
Laurent Bazin
Sur le chômage, on a le nouveau chiffre du chômage, généralement en janvier, il faut le dire, les chiffres du chômage sont pas très bons parce qu'un certain nombre de CDD se terminent à la fin du mois de décembre. Une petite hausse du chômage de 0,1 %, est-ce que vous diriez, vous, qu'on n'a pas tout essayé contre le chômage ?
Ségolène Royal
Je pense surtout que ça va très mal, sur tous les territoires où je vais, et je me déplace beaucoup en France aujourd'hui, partout il y a des entreprises qui ferment et qui délocalisent. On n'a pas parlé d'Alcatel, eh bien Alcatel qui est au coeur des pôles de compétitivité, c'est-à-dire des industries du futur sur les télécommunications, délocalise aussi. C'est insupportable, c'est intolérable.
Laurent Bazin
C'est-à-dire que tout le monde est en train de...
Nathalie Iannetta
Mais est-ce qu'on peut considérer qu'il y a une démission des politiques ?
Laurent Bazin
... oui.
Ségolène Royal
Comment ?
Nathalie Iannetta
Est-ce qu'il y a une démission des politiques à ce niveau-là ?
Ségolène Royal
Mais il y a aujourd'hui une inertie politique.
Nathalie Iannetta
Mais depuis combien de temps, Ségolène Royal ?
Ségolène Royal
Mais parce que le libéralisme actuellement est au pouvoir. Regardez les déclarations ministérielles qui consistent à dire, " Ben, c'est la logique du marché, c'est la logique des entreprises, on ne peut rien faire ". Si, on peut faire quelque chose.
Laurent Bazin
" L'Etat ne peut pas tout ", c'est signé Lionel Jospin, quand même.
Ségolène Royal
Mais si, mais les pouvoirs publics peuvent beaucoup. Les pouvoirs publics peuvent beaucoup, je l'ai dit à l'instant, en aidant par l'anticipation, en réindustrialisant par une agence nationale de réindustrialisation, en investissant dans l'innovation et dans la recherche ; vous savez qu'aujourd'hui les budgets publics dans la recherche sont tombés extrêmement bas, et moi je veux remettre à niveau la recherche et l'innovation.
Nathalie Iannetta
En augmentant de 10 %.
Ségolène Royal
Il faut faire des alliances et des accords au niveau européen pour se défendre face aux continents émergents que sont l'Inde et la Chine, qui sinon vont nous rattraper, et l'Europe a un potentiel à développer et à a des atouts à faire valoir. Et enfin, il faut réformer en profondeur, et j'y insiste, le dialogue social pour que les partenaires à l'intérieur de l'entreprise puissent anticiper les coups. Et enfin, moi, je ferai la réforme de l'Etat, c'est-à-dire que je donnerai aux régions en proximité le pilotage des aides économiques, car aujourd'hui ce qui ne va pas dans...
Laurent Bazin
... ce que font les landers allemands, par exemple.
Ségolène Royal
... ce que font les landers allemands, et ce sont les élus de proximité, les entreprises de proximité, les réseaux d'entreprises dans les petites et moyennes entreprises qui ont besoin d'argent public et qui n'en ont pas parce qu'il y a aujourd'hui des politiques beaucoup trop uniformes avec des effets d'aubaine, c'est-à-dire que les allégements de charges...
Laurent Bazin
... les gros en profitent alors que ça devrait être destiné aux plus petits, c'est ça ?
Ségolène Royal
Les gros en profitent alors qu'elles n'ont pas forcément besoin, les allégements de charges sont donnés sans contrepartie en termes de création d'activité et d'emploi, il y a donc 63 milliards, vous rendez compte, de fonds publics qui vont de façon uniforme aux entreprises, et moi je veux récupérer cet argent pour l'investir massivement dans les petites et moyennes entreprises auxquelles correspondent plus de 60 % de l'emploi en France, qui créent aujourd'hui des emplois, qui sont dynamiques, qui ont besoin de recruter.
Laurent Bazin
C'est celles que François Bayrou veut aider aussi lorsqu'il dit, " On va exonérer de charges sociales deux emplois dans ce type d'entreprise ".
Ségolène Royal
Mais je ne vois pas comment cette réforme...
Laurent Bazin
... c'est pas bien ?
Ségolène Royal
Mais c'est une réformette, c'est une rustine. Le problème c'est pas d'alléger les charges sur deux emplois, c'est-à-dire créer à nouveau des effets d'aubaine où les entreprises vont mettre fin à d'autres contrats qui ne bénéficient pas des allégements de charges pour reprendre deux autres emplois qui bénéficient d'allègements de charges.
Nathalie Iannetta
Alors, comment on garantit la sécurité de l'emploi ?
Ségolène Royal
Donc, ça, ça va creuser le chômage. Ce qu'il faut, c'est donner des moyens financiers aux entreprises qui créent des emplois, qui innovent, qui cherchent à conquérir des marchés étrangers, car si l'on règle le problème...
Laurent Bazin
... ce ne sont pas forcément, madame Royal, les PME qui sont en situation de faire des choses comme ça.
Ségolène Royal
Si !
Laurent Bazin
Si ?
Ségolène Royal
Si, ce sont les PME aujourd'hui, ce sont les PME, et ce sont elles qui manquent d'argent, d'argent frais, si j'ose dire.
Laurent Bazin
Mon plombier, mon maçon, il n'est pas forcément en situation de conquête de marché à l'étranger, mais il a peut-être besoin d'être aidé aussi.
Ségolène Royal
Non, mais là, vous parlez des entreprises de service, de proximité, mais les entreprises industrielles ou les entreprises de service qui créent et qui conquièrent des marchés étrangers ou qui innovent toujours pour avoir un coup d'avance, comme je le disais tout à l'heure, elles ont besoin de moyens dans l'innovation, dans la recherche, elles ont besoin de moyens pour recruter des cadres supérieurs bien formés - c'est l'idée des emplois tremplins que j'aie développée pour que les entreprises puissent accéder à cette ressource humaine - c'est l'investissement massif dans la formation professionnelle, et donc les entreprises qui ont des vraies stratégies de développement économique, ce sont celles-là qui doivent être aidées. Or, aujourd'hui, on a un système bancaire, en France, qui vient d'ailleurs de publier ses résultats faramineux, qui ne prend plus de risques, et moi si je suis élue présidente de la République, chacun devra accomplir son travail et sa mission, et le système bancaire devra prendre des risques au service des petites et moyennes entreprises qui créent de l'emploi.
Nathalie Iannetta
Prendre des risques et investir en banlieue, là où vous étiez, hier, par exemple ?
Ségolène Royal
Bien sûr, d'investir en banlieue. Je crois qu'il y a un potentiel, je l'ai dit, hier, à Clichy. D'abord, je voudrais dire que rien n'a été réglé dans les banlieues, que la tension est extrêmement vive, qu'une étincelle peut à nouveau tout refaire basculer.
Nathalie Iannetta
Vous l'avez ressentie, hier, pourtant vous avez accueilli dans un climat, nous a-t-on dit, extrêmement serein ?
Ségolène Royal
Oui, j'ai été accueillie dans un climat extrêmement serein parce que je pense pouvoir apporter la paix dans les banlieues et être la seule à pouvoir faire cela. Pourquoi ? Parce que je considère que les jeunes de ces quartiers ne sont pas un problème mais qu'ils sont une partie de la solution aux problèmes de la France au sens où si on arrive à faire bénéficier le pays tout entier du potentiel de ces générations qui ne demandent qu'à réussir à l'école, qu'à créer et là aussi qu'à innover, qu'à prendre des initiatives, qu'à faire leurs preuves, à ce moment-là, on a aussi...
Laurent Bazin
... oui, mais, quand on a dit ça, qui est une très belle idée en soi, une idée que partagent sans doute la plupart des autres candidats, qu'est-ce qu'ont fait ? Comment est-ce qu'on la met en oeuvre ?
Ségolène Royal
Non, je pense pas que les autres candidats partagent cela, parce que je crois qu'il faut tenir les deux bouts, c'est-à-dire à la fois un discours extrêmement ferme sur l'ordre juste, c'est-à-dire sur la façon dont l'ensemble des institutions doivent à nouveau bien fonctionner dans les quartiers, c'est-à-dire les familles, l'école, et en particulier quand je vois, comme hier, à Clichy, qu'il y a une association d'aide aux devoirs où il n'y a que trois personnes pour faire travailler les enfants de plus de 700 familles afin qu'ils fassent leurs devoirs et leurs leçons pour revenir le matin à l'école en étant assurés de réussir la journée scolaire, je me dis que c'est un scandale. Et si je suis élue, les associations de quartiers qui font du soutien scolaire auront les moyens d'aider gratuitement, individuellement, chaque enfant, parce que tout se joue à l'école.
Laurent Bazin
On va vous dire que c'est le petit bout de lorgnette, madame Royal.
Ségolène Royal
Non, ce n'est pas le petit bout de la lorgnette, monsieur, c'est le centre du bon fonctionnement d'une société, c'est de remettre debout...
Laurent Bazin
... ça commence par-là ?
Ségolène Royal
Ca commence par remettre debout l'ensemble des valeurs et l'ensemble des institutions. Et si les parents sont épaulés pour bien élever leurs enfants, et notamment les mères seules qui ont des difficultés avec leurs adolescents, si on leur regroupe, si on leur donne des emplois parents, comme le propose l'association AC le feu, qui a fait un travail formidable dans l'ensemble des quartiers populaires, et je pense que si on écoutait davantage les habitants comme le font d'ailleurs les maires de proximité, je voudrais rendre à nouveau hommage à Claude Dilain, au maire de Clichy, qui fait un travail exceptionnel, mais ils sont épuisé, épuisés ces maires de banlieue qui ne sont pas soutenus.
Nathalie Iannetta
L'association AC le feu vous a dit, " Vous pouvez le remercier sur le terrain ".
Ségolène Royal
Oui, bien sûr, mais il faut aussi que l'Etat aide les maires qui sont en proximité.
Laurent Bazin
Alors, comment ?
Ségolène Royal
Et demain, l'Etat les aidera. On sera au corps à corps avec eux.
Laurent Bazin
On a beaucoup dit, et la Cour des Comptes l'a souligné, il y a eu des milliards dépensés pour ce qu'on a appelé la politique de la ville. Il y a vingt ans de politique de la ville, on a un peu de recul, on sent pas que ça ait fonctionné de manière formidable. Comment est-ce que ça fonctionnerait autrement ?
Ségolène Royal
Parce que l'absurdité c'est de piloter la politique de la ville au niveau central. Vous savez, dans la région que je préside, j'ai quatorze quartiers sensibles, j'ai négocié pendant trois ans les aides publiques de l'Etat sur la rénovation des quartiers. C'est inadmissibles, c'est stupide ! Donc, dans la réforme de l'Etat que je propose, les politiques urbaines seront pilotées en proximité par les communautés d'agglomération, l'Etat veillera, lui, à mettre des règles et à assurer l'égalité entre les territoires, c'est-à-dire donner davantage aux territoires qui ont le moins. Et enfin, je pense qu'il faut cesser de concevoir les politiques urbaines uniquement comme des rénovations matérielles, c'est comme pour l'entreprise, aujourd'hui il faut investir massivement dans la ressource humaine, et donc former les hommes et les femmes et donner des moyens de réussir à l'école, d'avoir des formations professionnelles et puis surtout de lutter contre le chômage des jeunes. Si on règle la question du chômage des jeunes dans les quartiers, on règlera le problème des quartiers. Si on ne règle pas cette question-là, les quartiers exploseront, et ça ne sera rien par rapport à ce que l'on a connu. Et c'est pour ça que dans le pacte présidentiel que je propose, il y a le droit d'accès des jeunes au premier emploi, et en contrepartie le devoir d'accéder à une formation professionnelle et de faire une recherche active d'emploi. Et c'est pour ça que je veux créer non seulement les emplois tremplins mais aussi aider les jeunes à créer leurs activités en leur donnant un prêt gratuit de 10 000 euros s'ils ont un projet de vie ou un projet d'activité, et ça marche puisque les régions le font.
Laurent Bazin
Et ça, ce ne sont pas des mesurettes, comme vous disiez tout à l'heure pour François Bayrou et ses deux salariés sans cotisations.
Ségolène Royal
Ecoutez, c'est pas sérieux, deux salariés sans cotisations, enfin c'est pas sérieux, ça crée même du chômage, je vous dis, parce que ça crée un effet d'aubaine. Il faut aider les entreprises à innover dans l'innovation et dans la recherche et dans la création de nouveaux produits, de nouveaux emplois, de nouveaux marchés, c'est ça la guerre économique, et je crois que la France a la capacité de la gagner.
Nathalie Iannetta
Il vous inquiète François Bayrou d'ailleurs ? Vous avez vu le sondage qui va sortir demain dans Paris Match, il est 19 %. C'est énorme !
Laurent Bazin
Il dit, " Demain, 20, 21 ".
Ségolène ROYAL
Ecoutez, je crois qu'on est encore loin du vote. Je pense que...
Laurent Bazin
... il mange dans votre électorat quand même, en particulier chez les professeurs dont on dit qu'ils votent traditionnellement à gauche, il arrive, pas à égalité avec vous, mais pas loin, on est à 1/3-1/3 sur le plan professoral, selon Le Monde de l'éducation.
Ségolène Royal
Vous savez, la politique ça n'est pas un supermarché où on est à la recherche d'une clientèle. Je pense que les Français ont envie et ont soif de comprendre les différents enjeux, les projets, de savoir qui est capable de changer en profondeur et la façon de voir, et le système dans lequel nous vivons. Et je pense être la seule à pouvoir incarner...
Nathalie Iannetta
... c'est son créneau à François Bayrou, c'est comme ça qu'il parle, c'est ce qu'il revendique.
Ségolène Royal
Mais que chaque candidat expose ce qu'il veut faire avec beaucoup de précision, de pédagogie, d'envie, et les Français choisiront.
Laurent Bazin
Vous ne voulez pas rentrer dans l'arène, finalement, ou plus exactement rentrer sur le ring.
Ségolène Royal
Vous savez, moi, j'ai fait le diagnostic d'une crise démocratique profonde, c'est pour ça que j'aie pris le temps, vous le savez, pendant deux mois...
Laurent Bazin
... ça ne nous a pas échappé.
Nathalie Iannetta
On vous l'a assez reproché comme ça.
Ségolène Royal
Ca m'a été assez reproché de faire mes débats participatifs, plus de deux millions de personnes sont venues parler dans les réunions ou sur internet, sur mon site Désirs d'avenir. Je suis la seule candidate à avoir fait cela. C'est pour ça qu'aujourd'hui je sais quelle France les Français ne veulent pas et quelle France ils veulent. Et donc, c'est pour ça que je suis sereine et forte, parce que j'ai compris un certain nombre de choses, et je vais vous dire, il y a une grande maturité des électeurs, car même ceux qui souffrent et qui font partie des catégories qui sont en bas de l'échelle sociale et qui ont peur du descenseur social, c'est-à-dire d'être tirés vers le bas, qui ont peur pour leurs enfants et qui ont peur pour leur avenir, qui ne savent pas de quoi demain sera fait, même ceux-là m'ont dit, " Mais comment vous allez faire avec la dette publique si importante ? ".
Nathalie Iannetta
Ben oui !
Ségolène Royal
" Avec les déficits des comptes sociaux, comment est-ce que vous allez faire pour améliorer nos salaires ? ", et donc il faut être à la hauteur de cette maturité et de cette attente. Et moi, je ne veux pas promettre des choses que ne je ne tiendrai pas, donc les engagements que je prends....
Laurent Bazin
... mais vous pensez, madame, que vous pourrez, parce que c'était ma question sur le ring, c'est pas une question... c'est une question bien masculine, on peut le penser, mais quand même...
Nathalie Iannetta
... Myriam Lamare est championne du monde de boxe, Laurent Bazin, s'il vous plaît.
Laurent Bazin
C'est vrai, aussi, aussi, mais pas Ségolène Royal, à ma connaissance. Est-ce qu'il ne faudra pas à un moment quand même que vous alliez frontalement combattre ces candidats qui vous bousculent aujourd'hui, et en particulier François Bayrou, mais on peut penser à Nicolas Sarkozy ? Est-ce qu'il ne faudra pas descendre dans l'arène ?
Ségolène Royal
Mais, je les combats. Je les combats au sens où je conteste leurs propositions qui, à mon avis, ne règlent aucun problème qui se pose aujourd'hui à la France. Donc, je les combats sur le thème des idées, des projets, des logiques, des cohérences et je pense que ce qu'ils proposent ce sont quelques rustines à un système qui ne fonctionne plus, et donc il faut repenser les choses autrement, et je l'ai dit, il faut repenser les choses en remettant debout les institutions sur lesquelles la France doit s'appuyer, les fondations de la maison France. Et ça, je sais que je pourrais le faire parce que...
Laurent Bazin
... c'est de l'obstination, madame, votre principale qualité, à votre avis ?
Ségolène Royal
C'est une conviction profonde acquise de l'écoute des Français, et je sais à quoi les Français sont attachés, et je veux construire avec eux ce pacte présidentiel parce qu'en même temps je leur dis que je ne veux pas de société d'assistanat et chaque fois que je fais, que j'invente un droit nouveau pour apaiser les souffrances ou les précarités ou les violences, je dis aussi aux Français que j'attends d'eux des devoirs nouveaux et des engagements, et je crois que si chacun est à sa place et à la capacité de déployer son énergie, ses talents, de s'améliorer ou si sur le plan de la formation professionnelle et de l'exercice de son métier, si l'on est capable de réduire à la fois le chômage des jeunes et le chômage des plus de 50 ans qui sont en France les deux fléaux auxquels nous avons à faire face, alors la France se redressera. Je ne dis pas que ça sera facile, je pense que les deux premières années seront très difficiles. Pourquoi ? Parce qu'il faudra investir massivement, je l'ai dit et je le répète, dans la formation, dans l'éducation et dans l'innovation, et c'est au bout d'un an, un an et demi, que ces investissements dans les activités du futur et la qualification des personnes porteront leurs fruits. Et je veux dire aux Français que pendant un an, an et demi, il va falloir serrer les dents, il va falloir tenir bon sur un certain nombre d'investissements pour que demain l'emploi reparte et que la machine économique se débloque.
Laurent Bazin
C'est entendu !
Nathalie Iannetta
Madame Royal, je voudrais juste terminer avec un mot de poésie. Vous adorez Victor Hugo et " Les Contemplations ", c'est 1 100 vers, six livres. Lequel des six livres est celui que vous préférez ?
Ségolène Royal
Ah, c'est la question de cours, ça.
Nathalie Iannetta
Dites-moi !
Ségolène Royal
Mais je les lis comme ça.
Nathalie Iannetta
C'est " Au bord de l'infini " ou pas ?
Laurent Bazin
On n'a pas fait les sous-marins.
Nathalie Iannetta
Juste " Au bord de l'infini ", c'est le dernier livre.
Ségolène Royal
Vous savez, je pense que lorsque l'on est engagé comme ça dans un combat politique difficile, avec énormément d'activités et de déplacements, il faut des moments de médiation et de contemplation, voilà.
Nathalie Iannetta
Alors, le dernier livre, il s'appelle " Au bord de l'infini ", et c'est presque-là où vous êtes. Merci beaucoup d'être venue ce matin.
Ségolène Royal
Oui, mais à condition de ne pas...
Laurent Bazin
... à condition de ne pas basculer.
Ségolène Royal
Voilà !
Laurent Bazin
Absolument !
Nathalie Iannetta
Vous penchez pas, ça peut être...
Laurent Bazin
C'est dangereux !
Nathalie Iannetta
Merci beaucoup d'avoir été notre invitée.
Laurent Bazin
Il est dangereux de se pencher. Merci d'avoir été avec nous ce matin. Vous reviendrez, évidemment, avant le premier tour de la présidentielle ?
Ségolène Royal Mais avec plaisir.
Nathalie Iannetta
Merci beaucoup. Bonne journée.
Laurent Bazin
Très bien, vous êtes réinvitée.
Source http://www.desirdavenir.org, le 28 février 2007