Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "Europe 1" le 7 mars 2007, sur l'augmentation des prélèvements obligatoires, signe d'une accélération de la croissance et sur les nominations de M. Pébereau chez EADS et de M. de Romanet à la Caisse des dépôts et consignations.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Q- Après le social, l'économie au coeur de l'élection 2007. T. Breton, bonjour. Merci d'être ici pour de bons chiffres et de mauvais chiffres. 44,4 % de prélèvements obligatoires en 2006, E. Izraelewicz le disait tout à l'heure : en quatre ans, la pression fiscale a augmenté de 1,3 %. C'est un vilain record !
R- Non, alors d'abord ce n'est pas la pression fiscale. Je vais être un peu paradoxal et pour une fois, je ne vais pas être complètement d'accord avec E. Izraelewicz, car en fait derrière ces chiffres de prélèvements obligatoires - pas la pression fiscale - il y a une bonne nouvelle. La bonne nouvelle c'est que l'économie française a bien fonctionné l'année dernière et que donc les entreprises ont payé beaucoup d'impôts, et c'est pour ça que les prélèvements obligatoires qui concernent également, comme vous le savez, tous les prélèvements sociaux mais les résultats des entreprises, ont augmenté mécaniquement. C'est donc une bonne nouvelle pour les comptes publics et c'est une bonne nouvelle pour le désendettement puisque avec les excédents, 10 milliards, on a pu réduire davantage la dette de la France.
Q- Alors, vous priez pour que le taux des prélèvements obligatoires continue à monter.
R- Non, pas du tout, mais je veux rétablir la vérité des faits : ce chiffre mécanique traduit l'accélération de la croissance en France et la bonne santé des entreprises.
Q- Donc, le bon côté des mauvais chiffres, d'ailleurs les chiffres tombent de très nombreuses entreprises : Vivendi, Accor, et le Crédit agricole qui annonce un bénéfice net 2006 en hausse de 26,4 %.
R- Globalement, elles ont bien fonctionné, oui.
Q- Vous publiez un livre bilan et programme chez Plon "L'anti-dette ". Avec le rapport de M. Pébereau, vous avez placé les dettes dans la campagne comme une obsession. De combien la dette baisse-t-elle en 2007 et en 2006, si on peut le savoir déjà ?
R- En 2006, on n'a pas encore les chiffres définitifs, mais souvenez-vous que j'ai pris l'engagement de baisser pour la première fois dans l'histoire de nos finances publiques, de baisser de deux points par rapport au produit intérieur brut. C'est immense, c'est plusieurs dizaines de milliards d'euros, et je suis convaincu que cet objectif sera tenu. Et cette année, c'est encore un point par rapport au produit intérieur brut, et puis on continuera. Il faudra continuer.
Q- Oui, mais comment vous pouvez dire " On va continuer ", alors que les candidats à la présidentielle multiplient les promesses même quand ils jurent de ne pas en faire ?
R- Oh, pas tous, j'en connais un, en tout cas, qui ne fait pas ça, c'est N. Sarkozy.
Q- Oui, F. Bayrou aussi. La croissance en 2007 et 2008, la Commission économique de la Nation tablait hier sur 2 %. Est-ce que vous continuez à prévoir, vous, T. Breton, plutôt 2,5 %.
R- Non, on dit entre 2 et 2,5, et c'est ce qu'ont dit les Comptes de la Nation, entre 2 et 2,5 cette année, c'est conforme à nos objectifs.
Q- Dans votre livre, vous êtes plus optimiste, puisque vous dites d'ici cinq ans, 3 ou 4 %.
R- Ah oui !
Q- Ca, ce serait possible.
R- Ah, ça, c'est indispensable. Ca, effectivement, il faut absolument et c'est effectivement l'objet de ce livre, il faut déverrouiller, maintenant qu'on a remis la France sur les rails, il faut la déverrouiller, et donc je donc je donne un nombre important de pistes pour faire en sorte que nous puissions avoir 3 ou 4 % de croissance de façon pérenne, il en va de la sécurité de notre système, de notre système social mais aussi des retraites et de tout ce qui fait notre vivre ensemble.
Q- T. Breton, EADS : l'Etat avait tardé à nommer jusqu'ici le deuxième administrateur, le sien, aux côtés d'A. Lagardère qui tenait les deux pouvoirs. Est-ce que vous confirmez que vous proposez M. Pébereau ?
R- Alors, deux choses : oui, je confirme et je vais vous expliquer pour M. Pébereau ; deux, je ne peux pas accepter que l'on dise " L'Etat a tardé ", car l'Etat ne nomme pas. Je rappelle que l'Etat n'est pas actionnaire d'EADS.
Q- L'Etat propose.
R- Non, non, l'Etat ne propose pas non plus. Avec le groupe Lagardère, nous sommes dans une holding et c'est ensemble que nous discutons et c'est le groupe Lagardère ensuite, c'est A. Lagardère qui va porter la proposition au sein du conseil d'EADS. Alors, c'est vrai qu'avec A. Lagardère, nous avons beaucoup discuté tous les deux, et on a essayé de voir qui pourrait être la meilleure personne. Pour moi, il y en avait vraiment une qui s'imposait, c'est M. Pébereau. Je suis très heureux.que M Pébereau soit donc proposé au conseil d'administration d'EADS.
Q- C'est l'homme qui n'a cessé de dévoiler, de dénoncer à votredemande le montant scandaleux de la dette de 1.000 euros par seconde.
Quelle mission reçoit-il de l'Etat français ?
R- Si vous voulez, encore une fois, il exercera sa mission d'administrateur dans l'intérêt de tous les actionnaires, donc il ne va pas recevoir une mission particulière. Par contre, vous savez que je m'entends très bien avec M. Pébereau, j'ai une très grande estime pour lui, on a beaucoup discuté tous les trois, A. Lagardère, M. Pébereau et moi-même, et c'est vrai que ce que nous souhaitons tous c'est de pouvoir peut-être faire évoluer la gouvernance au sein d'EADS. On a fait un progrès immense en ayant désormais une seule ligne de direction entre EADS et Airbus puisque L. Gallois assure la codirection générale d'EADS, mais également il est président directeur général d'Airbus, donc ça c'est un progrès. Il faudra sans doute encore aller de l'avant. M. Pébereau va certainement contribuer à clarifier et à simplifier la gouvernance de cette entreprise, c'est tout ce que je souhaite en tout cas.
Q- A. Merkel et S. Royal sont la Une de la presse même internationale. La photo prise à Berlin est réussie, elle est même belle, T. Breton. Est-ce que le plan Gallois est remis en cause ?
R- Absolument pas, non, non, non.
Q- Est-ce qu'il y aura suppression du plan Gallois ou moratoire de ce plan Gallois ?
R- Non, il n'en est absolument pas question, non.
Q- Non, non, mais il faut le dire.
R- Non, parce que ce n'est pas parce que madame Royal va en Allemagne que ça change quoi que ce soit sur les plans d'Airbus et d'EADS, non.
Q- D'accord, mais elle a eu le mérite au moins d'ouvrir le débat...
R- ... ah bon ?
Q- ... sur un tel enjeu important, là, dans les semaines, et puis tous les politiques s'y sont mis à en parler.
R- Je ne vois pas à quoi vous faites allusion.
Q- A ses déclarations...
R- ... ah, parce que vous pensez que c'est madame Royal qui a fait évoluer le dossier Airbus ? Ah bon !
Q- Non, elle ne l'a pas fait évoluer, elle l'a mis au coeur de la campagne.
R- Ah bon !
Q- Et ce n'est peut-être pas plus mal.
Q- Moi, je crois que c'est plutôt monsieur Gallois qui, à juste titre, a porté le plan qu'il faut pour permettre à Airbus et à EADS d'être la grande entreprise, de continuer à être la grande entreprise aéronautique que nous souhaitons.
R- Vous êtes favorable, T. Breton, à l'augmentation future du capital. Est-ce que ça annule le plan d'économie de L. Gallois ou est-ce que ce n'est pas l'un ou l'autre mais ce sont les deux, ensemble ?
Q- L. Gallois a toujours dit et je dirais A. Lagardère et M. Bischoff, les deux coprésidents d'EADS, qu'aujourd'hui EADS est dans une très bonne situation en matière de trésorerie. Il n'y a pas de problème de trésorerie, il n'y a pas de problème de liquidités. Il faut simplement préparer l'entreprise à affronter les défis pour la nouvelle génération d'avions 2012-2007.
Q- C'est-à-dire l'A350.
R- Oui, c'est ça.
Q- Donc, s'il y a augmentation du capital, c'est en 2009, 2010, 2011.
R- On verra bien. ?
Q- Mais ce n'est pas maintenant.
R- Ce que j'ai dit, c'est que ce n'est pas à moi de le décider, évidemment. Par contre, si jamais l'entreprise demande à ce qu'il y ait une augmentation de capital, j'ai toujours indiqué et depuis longtemps, vous le savez, J.-P. Elkabbach - ça fait plusieurs mois - que l'Etat souscrirait, l'Etat jouera pleinement son rôle d'actionnaire. Alors, quand je vois que certains disent, ou certaine, " Ah, ben tiens, on pourrait mettre les régions pour prendre 0,6 % du capital " - je n'ai pas dit 6, j'ai dit 0,6 - et du coup, il faudrait peut-être que l'Etat réponde favorablement à une augmentation de capital, ça fait six mois qu'on le dit.
Q- Vous savez, on a beaucoup de choses encore à voir ensemble. Et donc, vous prenez des engagements, T. Breton, pour dans 2-3 ans, c'est-à-dire pour les prochains Président et gouvernements.
R- Je dis aujourd'hui comment l'Etat doit se comporter en tant qu'actionnaire. Je suis en tant que ministre de l'Economie et des Finances garant de ses participations, et donc j'essaie effectivement, c'est vrai, de donner un comportement qui est un comportement de bon actionnaire et j'espère que tous ceux qui auront à exercer ces responsabilités après moi feront de même.
Q- La Chancelière Merkel n'a rien dit mais son ministre de l'Economie, M. Glos, que vous devez connaître, qui parle et qui s'énerve même contre les Français en campagne électorale. Et il dit : " La parité France-Allemagne dans EADS doit être maintenue, l'actionnariat ne bougera pas ".
R- Je préfère citer mon homologue P. Steinbrück, qui est le ministre des Finances, qui lui, je crois comme moi, est beaucoup plus réservé dans ses propos.
Q- Alors, T. Breton, il y a un malaise croissant autour de la Caisse Des Dépôts si stratégique pour l'économie et le social, ou il y avait. Depuis trois mois, elle attendait le successeur de F. Mayer, un bon directeur récemment décédé. A. de Tarlé citait tout à l'heure A. de Romanet. Est-ce que vous confirmez ce matin. ?
R- Je vous confirme, effectivement, que le Président de la République m'a demandé début janvier d'instruire ce dossier. J'ai donc vu à sa demande beaucoup de candidats potentiels, et puis on a arrêté ensemble une liste réduite, et hier, avec le Président de la République, effectivement, nous avons arrêté un nom et ce nom c'est bien celui d'A. de Romanet, qui sera proposé tout à l'heure au Conseil des ministres.
Q- D'après ce qu'on lisait, le favori était F. Salat-Baroux. Il préférait rester à l'Elysée aux côtés de J. Chirac. Pourquoi A. de Romanet ? Au passage, ce n'est pas un inconnu parce que, si je me souviens bien, il a travaillé avec messieurs A. Lambert, Borloo, Raffarin, à Matignon.
R- Absolument.
Q- Il est aujourd'hui au Crédit Agricole auprès de R. Carron. Pourquoi lui ?
R- C'est un très bon financier. F. Salat-Baroux est un grand serviteur de l'Etat mais il est secrétaire général de l'Elysée, effectivement. A. de Romanet est un excellent connaisseur de la chose publique, c'est un très bon financier, je crois qu'il a le profil vraiment adéquat pour être un très bon directeur général de la Caisse Des Dépôts.
Q- Mais c'est un rôle autonome et non partisan - c'est une question - parce que F. Hollande vous a prévenu : attention qui vous nommez sinon il dégomme.
R- Oui, écoutez, je ne fais pas de commentaire sur... Moi, j'arrête de commenter maintenant les phrases de madame Royal et de monsieur Hollande.
Q- Oui, pourquoi seulement du couple ? C'est le Parti socialiste et c'est la candidate socialiste à la présidentielle. La Caisse Des Dépôts, peut-être qu'il faut rappeler que c'est énorme. Les Echos rappelaient le 26 février qu'elle est au " confluent du public et du privé ".
R- C'est vrai.
Q- ...Qu'elle figure dans 250 sociétés françaises, qu'elle est le premier ou le deuxième actionnaire d'un tiers des membres du CAC 40 et qu'avec plus de 50 000 salariés, elle aide les élus locaux à financer le logement et les investissements lourds. Donc, c'est important ce que vous avez annoncé, là, ce matin, A. de Romanet.
R- C'est important, mais je dois dire que la période pendant laquelle le secrétaire général de la Caisse Des Dépôts a assuré la transition s'est très passée, et je lui rends hommage aussi.
Q- Oui, et il sera nommé au Conseil des ministres, confirmé, dans une heure ou deux.
R- Il sera proposé et donc on verra ça à la sortie du Conseil.
Q- Je ne peux pas vous laisser passer ou partir sans vous parler de ce que Le Canard Enchaîné a révélé. Il revient sur l'appartement de N. Sarkozy à Neuilly, et il maintient qu'il y a eu traitement de faveur. Et d'autre part, avec Le Canard, d'ailleurs il y en a pour tout le monde, il accuse le couple F. Hollande/S. Royal d'avoir sous-évalué son patrimoine immobilier, payé 862 euros d'ISF au lieu de 6 000 euros. Que dit Bercy ?
R- Vous savez, nous avons de très, très nombreux contribuables qui viennent demander des renseignements, des conseils. Entre 3 et 4 millions de Français demandent à leur inspecteur des impôts de les aider à faire leur déclaration, des conseils quand ils ont des doutes. Du reste, je dois dire que N. Sarkozy qui est extrêmement méticuleux, en son temps, a demandé des conseils et c'est la raison pour laquelle lorsqu'il s'est vu diffamer, il a écrit au directeur général des impôts pour lui demander s'il y avait des anomalies dans sa déclaration ISF, lequel lui a répondu qu'il n'y en avait pas. Si d'autres se sentent...
Q- ... D'accord. S. Royal dit : il n'y a pas de fraude, ses comptes ont été vérifiés par un expert comptable et avec son avocat J.-P. Mignard.
R- ... si des contribuables se sentent diffamés ou accusés à tort, ils ont toujours la possibilité d'écrire au directeur général des impôts qui leur répondra ce qu'il doit leur répondre.
Q- Mais l'administration fiscale ne lui a pas dit qu'il y avait un redressement. Est-ce qu'il faut une enquête particulière ?
R- Je viens de dire ce que j'ai dit : si un contribuable se sent diffamé ou attaqué, il peut toujours écrire au directeur général des impôts, lequel lui répondra ce qu'il doit lui répondre.
Q- T. Breton, ne vous fâchez pas quand on parle de politique ou des élections. Dans votre livre, et j'en termine. Le Figaro a calculé vos citations : de J. Chirac, 8 fois ; de D. de Villepin, 9 fois ; de N.
Sarkozy, 12. Eh bien, oui. Est-ce que c'est une indication de votre choix pour mai 2007 ?
R- Moi, je pensais naïvement que vous alliez me parler du fond, de pourquoi, comment je peux libérer la croissance...
Q- ... mais on vient de parler longuement du fond.
R- ... pourquoi il y a des dettes ? Et c'est vrai que j'explique aussi que je m'appuie sur tous ceux que je rencontre, ceux qui comptent aussi. Eh oui, c'est vrai, J. Chirac compte pour moi mais aussi J.-P. Raffarin, D. de Villepin, N. Sarkozy, donc j'en parle.
Voilà, bonne journée, merci d'être venu.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 mars 2007